La couleur de la lumière de MissDibule

Shaïna, depuis le pont du bateau, fixait la mer d’un air morose. La jeune fille, grande pour son âge, arborait un short en jean ainsi qu’un sweatshirt rouge porté sur un t-shirt noir, et des baskets assorties. Elle appuyait son corps mince contre la rambarde du navire, la tête posée sur sa main de porcelaine. Ses cheveux noirs, attachés en queue-de-cheval d’où s’échappaient deux épaisses mèches qui pendaient sur son front, flottaient au gré du vent, tandis que son regard écarlate se perdait dans l’horizon.

Sa mère s’approcha alors d’elle. C’était une femme enjouée aux longs cheveux châtains attachés en chignon et aux étincelants yeux verts, qui répondait au nom de Lana.
- Quelque chose ne va pas ma chérie ? lui demanda-t-elle gentiment.
Shaïna tourna la tête d’un air vexé :
- Evidemment ! Tu sais très bien ce qui ne va pas… Pourquoi a-t-on dû quitter Alola ? Je commençais enfin à m’y sentir un peu chez moi ! Pour une fois qu’on restait plus de six mois au même endroit… Mais bien sûr il a fallu qu’on déménage encore une fois !

Sa mère lui sourit d’un air désolé et répondit :
- Je sais que ce n’est pas forcément facile pour toi, mais tu verras, je suis certaine que tu vas te plaire à Sinnoh !
Shaïna leva les yeux au ciel. Elle avait la désagréable impression que sa mère se fichait bien qu’elle se plaise ou non à Sinnoh. Ou n’importe où ailleurs, en fait. Celle-ci poursuivit :
- Joliberges est une ville très paisible, nous y serons très tranquilles. Je vais pouvoir étudier de près les Pokémon de la région de Sinnoh ! Comme c’est excitant… Et puis surtout, excellente nouvelle, tu vas enfin avoir ton premier Pokémon ! J’ai parlé avec le Professeur Sorbier, il a tout préparé pour notre arrivée !
- Je sais, tu me l’as déjà dit. C’est pas trop tôt j’ai envie de dire… répondit froidement sa fille.

En effet, Shaïna avait déjà quinze ans, ce qui était plus que la moyenne d’âge des enfants lorsqu’ils reçoivent leur premier Pokémon. Cela l’avait rendue malade de regarder les enfants d’Alola faire leur « tour des îles » alors qu’elle devait rester chez elle…
Depuis son enfance, il y avait plusieurs petites choses qu’elle n’avait jamais comprises, et elle soupçonnait sa mère de les lui cacher délibérément, sans qu’il n’y ait pour autant de raison apparente.
Parmi celles-ci, il y avait justement celles qu’elle venait d’évoquer avec sa mère : les déménagements constants et le fait que Shaïna n’ait encore jamais eu de Pokémon.

Plus encore, Shaïna n’avait jamais vraiment eu de contact avec un Pokémon jusqu’ici, comme si sa mère l’en avait toujours empêchée... On aurait donc pu croire qu’elle redoutait l’obtention de son premier Pokémon, mais ce n’était pas le cas. Elle était au contraire impatiente. Enfin, il y aurait un peu d’action dans sa vie, avec une présence amie à ses côtés. Rien d’étonnant à ce désir : beaucoup de déménagements signifiait aussi beaucoup de difficultés à se faire des amis… Et des amis, Shaïna n’en n’avait pas. Et elle en souffrait. C’est pourquoi inconsciemment, elle en voulait un peu à sa mère pour ces déménagements incessants et inexpliqués, qui l’empêchaient de se lier à qui que ce soit.

Cette dernière ignora sa dernière remarque et désigna l’horizon du doigt :
- Regarde, ma chérie, on arrive à Joliberges !
Shaïna suivit du regard l’endroit lointain que lui désignait sa mère. On pouvait en effet apercevoir une ville se dessiner à l’horizon. Qu’elle le veuille ou non, la nouvelle vie de Shaïna commençait ici, dans la ville de Joliberges, à Sinnoh.
Le bateau arriva bientôt dans la ville portuaire de Joliberges, et Shaïna réalisa alors combien le voyage avait été long depuis l’archipel d’Alola. Ce dernier semblait très éloigné des autres régions.
Shaïna descendit rapidement du bateau en compagnie de sa mère, encombrée par les lourds bagages, et put enfin fouler pour la première fois le sol de Sinnoh.

Elle observa autour d’elle : Joliberges semblait être, comme le lui avait assuré sa mère, une ville très calme, avec de grands bâtiments pierreux et le reflux constant des vagues assez doux à l’oreille. La ville étant assez petite, elles ne mirent pas longtemps à atteindre leur nouvelle maison. A l’image des autres bâtiments, il s’agissait d’une petite bâtisse en pierre plutôt charmante.

- Ça va être génial ici, tu vas voir ! fit Lana à sa fille, tandis qu’elle se débattait avec la vieille serrure en pierre.
Lana parvint finalement à ouvrir la porte de la petite maison, et bientôt, mère et fille s’y engouffrèrent, exténuées. L’intérieur était rustique, mais plutôt joli. Ses deux nouvelles occupantes commencèrent d’abord par s’effondrer sur le canapé du petit salon. Puis Lana expliqua à sa fille d’un air joyeux :
- J’ai déjà tout organisé ! Je prendrais la chambre du rez-de-chaussée, et toi celle de l’étage !
« Ouais, donc t’as décidé, quoi… », pensa Shaïna en son for intérieur.
Comme si elle avait entendu ses pensées, sa mère s’exclama :
- Ne te plains pas avant de l’avoir vue ! C’est la meilleure chambre, je te signale.
- Je vais aller vérifier ça, répliqua Shaïna, malicieuse, un petit sourire aux lèvres.

Puis elle se leva d’un bond et monta précipitamment les marches. Elle arriva bien vite dans sa chambre. Un lit près de la fenêtre, une armoire, une commode, un bureau… Rien d’inhabituel, mais Shaïna s’y sentit tout de suite à l’aise, en grande partie grâce au bruit apaisant des vagues qui s’échappait de la fenêtre qu’elle venait d’ouvrir. Elle s’allongea alors sur le lit et, bercée par ce reflux marin, elle s’endormit aussitôt.

Elle fit alors un rêve très étrange, mais qui lui était très familier. Un rêve récurrent, en somme… Son rêve se déroulait toujours de la même façon : elle était allongée sur le dos, dans un endroit qu’elle ne connaissait pas, observée par trois hommes dont elle ne voyait pas précisément le visage. Ensuite, l’un des hommes lui tendait ce qui semblait être une peluche d’un Pokémon noir et bleu. Puis le rêve se terminait toujours de la même façon, assez brutalement : dès lors qu’elle tendait sa main pour toucher la peluche, elle se réveillait. Systématiquement. Elle n’avait jamais compris la signification de ce rêve. Elle avait bien essayé d’en parler à sa mère mais comme d’habitude, celle-ci avait éludé la question.

Comme d’habitude, elle se réveilla en sursaut, haletante. « Encore ce maudit rêve… Si seulement je savais ce qu’il signifie… » se dit-elle.
Puis elle décida de redescendre. Elle ignorait combien de temps elle avait dormi. Elle revit donc sa mère, en train de ranger toute la maison et de s’affairer autour de la cuisine.
- Ah Shaïna ! Enfin réveillée ma chérie ? Tu cherches quelque chose à faire ?
- Euh… Oui, on peut dire ça. J’ai encore fait ce rêve bizarre…
Lana la regarda droit dans les yeux et proposa gaiement :
- Pourquoi ne pas faire un tour à la fameuse bibliothèque de Joliberges ? Ça peut être amusant ! Tu ne peux pas la rater, elle est gigantesque ! Et puis, il te reste un peu de temps avant le dîner.

Shaïna cacha avec difficulté son agacement : sa mère avait encore esquivé sa remarque !
« Si elle était une capacité Pokémon, elle serait Reflet ou Lilliput ! » songea-t-elle. « Enfin bon, autant aller à la bibliothèque, après tout je n’ai rien à perdre. »
- D’accord, pourquoi pas, après tout. A toute à l’heure, alors.
Puis elle empoigna son sac et quitta sa nouvelle maison, un brin irritée. Elle hésita à claquer la porte derrière elle pour manifester son mécontentement, mais se ravisa : ça n’aurait fait que mettre de l’huile sur le feu, et elle ne souhaitait pas vraiment se disputer avec sa mère. D’autant plus qu’elle faisait assez peur lorsqu’elle s’énervait.

Shaïna repéra rapidement la bibliothèque et s’y rendit. Le bâtiment était immense, presque comme un gratte-ciel… en pierre. Une fois à l’intérieur, elle fut directement absorbée par l’atmosphère silencieuse qui y régnait.
Un peu au hasard, elle choisit un ouvrage, s’installa à une table et commença à lire. L’ouvrage qu’elle avait choisi racontait la légende effrayante d’un humain possédant une épée avec laquelle il tuait des Pokémon pour ensuite les manger. Heureusement, ce dernier finissait par se repentir et s’excuser auprès des Pokémon, se débarrassant de son épée au passage. Shaïna, que cette histoire avait mise mal à l’aise, referma vite le livre intitulé « Le Mythe de Voilaroc » et alla en choisir un autre, appelé « Mythologie de la région de Sinnoh ».

Celui-ci fut bien plus agréable à lire pour la jeune fille. Il expliquait comment les Pokémon et les humains s’étaient séparés à une époque. Cependant, les Pokémon insistèrent pour que l’entraide entre Pokémon et humains subsiste et depuis, les Pokémon sauvages venaient à l’encontre des humains qui s’aventuraient dans les hautes herbes.
« Quelle histoire touchante… » pensa Shaïna.

Puis elle tourna la tête vers l’horloge de la bibliothèque et constata qu’il se faisait tard. « Il est temps d’y aller. » se résigna-t-elle. Elle récupéra son sac et reprit le chemin de son nouveau chez-elle, bien plus apaisée que lorsqu’elle l’avait quitté.