Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 21/06/2017 à 08:09
» Dernière mise à jour le 13/03/2018 à 01:18

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Action   Aventure   Présence de Pokémon inventés   Science fiction

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 10 : Scalpuraï et Mizulia
Scalpuraï


22 ans plus tôt…



J’avançai dans les rues d’Axendria, devançant mon unité des Nettoyeurs. Tout le monde, humain comme Pokemon, s’inclinait à mon passage, comme il se devait. Ils arrêtaient tout ce qu’ils étaient en train de faire pour me regarder avec peur et servilité. Je les connaissais bien, ces regards. C’était ainsi que l’immense majorité des individus me regardait. J’incarnais la peur et la toute puissance de l’Empire. Je chassais les ennemis des Seigneurs Protecteurs, et de mes seules décisions pouvaient s’arrêter des vies. Rien ne pouvait me contredire. J’étais au dessus de la loi. Non… j’étais la loi !

J’avais tout pour moi : responsabilités, richesses et puissance. Tout le monde me connaissait et me craignait. Les Seigneurs Xanthos et Daecheron me considéraient comme leur premier serviteur. Les Etoiles Impériales elles-mêmes, pourtant censées m’être supérieures, ne s’avisaient jamais de me donner des ordres ou de me contredire. Ici, à Axendria, j’étais les yeux et la voix des Seigneurs Protecteurs. On me surnommait l'Écorcheur Argenté. Parce qu’une partie de mon acier qui me composait était en fait de l’argent, et parce que ma marque de fabrique était d’arracher la peau de mes ennemis et d’exposer leurs corps écorchés, provoquant l’effroi.

Et malgré tout cela, je me sentais vide. Peut-être parce que je l’étais réellement ? Il n’y avait rien sous ma carapace métallique et tranchante, et certainement pas ce fameux cœur tant utilisé en poésie ou philosophie. Plus de cinq cent ans passés à tuer, à traquer et à faire régner la parole du Seigneur Daecheron… je n’en éprouvais plus rien. Les tortures les plus extrêmes de mes proies avaient cessé de m’amuser il y a bien longtemps. La soumission et la peur que je provoquais ne m’insinuaient plus aucune fierté. Vacuité et ennuie : voilà ce qu’était mon existence.

J’avais beau me chercher un égal, il n’y en avait aucun. Je n’avais que des supérieurs, et des inférieurs. Beaucoup d’inférieurs en fait, et quatre supérieurs seulement. Mes deux confrères Pokemon de la Trigarde Impériale étaient ce qui pouvait se rapprocher le plus de « camarades », mais ni l’un ni l’autre ne pouvaient réellement me comprendre. Même le Seigneur Daecheron ne me comprenait pas. Plus personne, depuis mon dresseur Pokemon, il y a près de six cent ans. Je me demandais souvent si j’avais bien fait de le trahir au profit du Seigneur Xanthos à l’époque. Peut-être aurai-je eu une vie bien plus captivante si j’étais resté du côté des humains ?

On ne le saura jamais à présent, hein Zeff ? Pensais-je en songeant à l’humain qui avait été mon camarade de nombreuses années. À cette époque lointaine, j’étais enchaîné à une Pokeball, comme nombre des Pokemon de ce temps là. J’obéissais à un humain, je le servais lors de combats. Une vie pas si éloignée de celle des esclaves humains actuels. Et pourtant, à cette époque, je me sentais entier, vivant. Aujourd’hui, j’étais libre, j’avais le pouvoir, j’avais la renommée, mais je n’avais plus de but. Plus rien ne savait attiser mon intérêt.

- Seigneur, me dit l’un de mes sbires Scalproie, c’est cette échoppe d’esclaves, là.

Il me désigna ce pourquoi mon unité et moi avions fait une descente dans la ville basse. Un commerce d’esclaves qui avait manqué à ses obligations administratives. Mes informateurs soupçonnaient le gérant de vendre des femelles humaines dans le dos de l’Empire, sans les déclarer et donc sans payer la forte taxe sur la vente d’esclaves femelles. Ce n’était pas rare qu’un commerçant s’y adonne en province, dans des coins où l’Empire avait peu de personnel pour contrôler. Mais ici, en pleine capitale, sous ma juridiction ?! Le commerçant en question avait un sacré culot. Si les faits étaient avérés, il aurait même mon respect pour un tel pied de nez à l’Empire.

J’entrai avec mes deux Scalproie. C’était une boutique d’esclaves assez cotée, malgré le fait qu’elle se trouvait dans la ville basse. Il y avait quelque clients potentiels qui examinaient des humains en cage. Dès qu’ils me virent, tous s’empressèrent de s’incliner et de filer en vitesse. Que les Nettoyeurs pénètrent dans une demeure quelconque, c’était jamais bon signe pour le gérant. Ce dernier, un Elektek, en tomba presque à la renverse en reconnaissant son visiteur.

- S-s-s-seigneur Scalpuraï… C’est un i-i-i-immense de vous accueillir dans m-m-ma modeste b-b-boutique !

Qu’un Pokemon balbutie devant moi n’était pas vraiment inhabituel en soi, mais chez cet Elektek, sa peur provenait sans doute de sa culpabilité.

- V-voulez-vous faire l’acquisition d’un esclave ? Les m-miens sont qu’une q-q-qualité certaine et sauront sans nul doute vous satisfaire, pour un prix dérisoire…

Je levai la main pour le faire taire.

- Je ne suis pas venu acheter. Ceci est une visite de contrôle. J’ai eu des informations comme quoi vous vendiez des femelles humaines non déclarées.

L’Elektek tenta de paraître surpris et indigné, mais sa gestuelle était limpide pour moi, qui avait l’habitude des menteurs et des faux-jetons : ce Pokemon était bel et bien coupable.

- C-ce sont de fausses informations, mon seigneur ! Mon commerce suit à la lettre la juridiction impériale, je vous l’assure…

- Nous verrons cela. Commencez à fouiller, ordonnai-je à mes deux sbires.

Ils se mirent à mettre sans dessus dessous l’échoppe, cherchant, comme les informateurs de Scalpuraï l’avaient dit, un lieu secret où l’Elektek planquait des esclaves femelles non déclarées. Pendant qu’ils fouillaient sous l’œil inquiet de l’Elektek, j’examinai quant à moi les esclaves.

- Vous ne vendez donc aucune femelle ? Demandai-je.

- J-j-je n’en ai qu’une, seigneur… Elle est parfaitement déclarée. J’ai tous les papiers nécessaires à son commerce.

L’Elektek me remit un acte de propriété déclarative que je lus à peine. L’humaine en question était la plus exposée de la boutique. Pas dans une cage, contrairement aux autres esclaves mâles, mais avec seulement une chaîne au pied. C’était une fillette qui ne devait même pas avoir dix ans, aux cheveux bleus clairs comme le ciel. Et alors que tous les autres esclaves avaient la tête baissée ou paraissaient effrayés par ma présence, elle me regardait sans ciller avec une pure et simple curiosité. Elle ne semblait pas avoir peur de moi. Sans doute parce qu’elle était trop jeune, mais pourtant, je lisais quelque chose dans ses yeux gris. Un regard aussi dur et pur que l’acier, qui semblait inaltérable. Un regard qui me rappelait beaucoup celui de mon ancien dresseur et seul ami que je n’ai jamais eu.

- Nous n’avons rien trouvé, seigneur, me dit un de mes Scalproie. Il n’y a aucune pièce secrète.

- E-évidement non, que je n’ai rien de la sorte ! S’exclama l’Elektek avec un sourire nerveux. Je n’ai rien à cacher. Je suis un honnête citoyen de l’Empire.

J’entendis, mais je ne fis pas un geste pour me dégager du regard de la petite humaine, qui semblait vouloir me dire quelque chose. Alors que l’Elektek continuait à déblatérer ses promesses de respect des lois, la fillette me désigna du bout d’un doigt le mur d’en face. Intrigué, je m’approchai de l’endroit indiqué, et me mit à tâter la paroi. Le visage de l’Elektek s’était décomposé, signe que j’étais dans la bonne direction. Il devait y avoir un mécanisme quelque part, mais j’avais la flemme de le chercher. J’utilisai donc mon bras tranchant pour fracasser le mur, et je fus récompensé en des cris provenant de derrière. Il y avait effectivement une petite pièce sombre où étaient attachées cinq jeunes humaines, qui frémirent à ma vue. Satisfait, je me tournais vers le gérant, qui semblait sur le point de s’évanouir.

- Je suppose qu’il m’est inutile de vous demander les papiers de celles-ci.

L’Elektek tomba à plat ventre et se mit à implorer ma pitié. Je détestais quand ceux que j’avais acculé faisaient ça. Je préférais bien plus qu’ils me résistent. Déjà lassé, je fis signe à mes sbires de l’amener. D’autres vinrent ensuite pour répertorier les esclaves et les prendre en charge. Ils seraient désormais la propriété de l’Empire. Lors des opérations, je m’approchai de la fillette aux cheveux bleus qui m’avaient montré la cachette.

- Pourquoi as-tu trahi ton maître, petite humaine ? Lui demandai-je. Tentais-tu de t’attirer mes faveurs ?

- Non, dit-elle simplement. C’était juste marrant de voir le maître comme ça. Il avait l’air prêt à se faire pipi dessus !

Elle éclata de rire, à ma grande surprise. Un rire si pur, si cristallin, et aussi un rire cruel, en quelque sorte.

- Quel est ton nom ?

- Mizulia, monsieur. Est-ce que le maître va être puni, monsieur ?

- Assurément. Et de la plus sévère des façons.

- Il va avoir mal ? Il va crier ?

- Probablement.

- Ce serait marrant de l’entendre crier… fit rêveusement la gamine.

Quelle drôle d’humaine ! Elle ne semblait aucunement craindre pour sa propre vie malgré sa situation, et se délectait du malheur de son ancien possesseur. Elle m’intriguait.

- Tu aimes voir la souffrance des autres ?

- Oui, fit-elle en toute sincérité.

- Pourquoi ?

- Je ne sais pas. On se sent fort et joyeux quand les autres souffrent. On est heureux parce que ce n’est pas nous. L’impuissance des uns fait la puissance des autres.

Une phrase surprenante de la bouche d’une enfant si jeune. Mais plus surprenant encore fut la suite.

- C’est comme toi, monsieur. Tu ne cries pas, mais je sens que tu as très mal. C’est comme si tes yeux pleuraient sans arrêt.

Sur le coup, je ne suis que répondre, peut-être parce que cette simple gamine humaine m’avait mieux cerné que moi-même. Ayant entendu cette phrase, l’un de mes Scalproie s’avança, furieux.

- Tiens ta langue, sale humaine, si tu ne veux pas qu’on te l’arrache ! Tu ne parles pas comme ça au Seigneur Scalpuraï !

Il s’apprêtait à la frapper, mais j’arrêtai son bras.

- Pas touche. Cette humaine est à moi.

- Seigneur ?

- J’en prend la propriété. Elle sera mon esclave personnelle.

- Euh… ce n’est pas très régulier, seigneur. Les esclaves saisies doivent tous être…

Il s’arrêta sous l’intensité de mon regard.

- Quelqu’un ici veut me contester cette esclave ? Fis-je dangereusement.

- N-nullement, seigneur. Elle est à vous si vous la voulez, bien entendu !

- Bien.

Ce jour là, je pris donc mon tout premier esclave humain. Et après six cent ans, j’eus enfin de nouveau un humain à mes cotés. Cette fois, ce fut moi qui le forgeai, qui en fit mon arme, mais la relation qui naquit entre nous fut tout aussi forte que celle avec mon ancien dresseur, sinon plus.


***


De nos jours…



Je me réveillai avec la mauvaise impression de la nostalgie. J’avais encore rêvé de ma première rencontre avec Mizulia. Une nouvelle fois. Ça devait faire la cinquième depuis que j’avais retrouvé mon ancienne esclave après quatorze ans. Ces rêves m’ennuyaient. Ils me donnaient l’impression d’être faible, d’être sentimental… bref, d’être comme un humain. J’avais beau redoubler d’efforts lors des séances de tortures que j’infligeais à Mizulia, ce rêve persistait. Peut-être qu’en la tuant, ils cesseraient ? Mais en serai-je capable ?

Cela faisait deux semaines maintenant que j’avais perdu la trace du mouflet de Mizulia. Il avait réussi à s’échapper de l’Atlas avec l’aide d’un des jeunes érudits, et depuis, toutes les patrouilles et recherches possibles dans la capitale n’avaient rien donné. Et il était totalement exclu qu’il ait pu quitter la ville, tant ses entrées et sorties étaient surveillées. Conclusion, il devait se trouver dans le seul lieu d’Axendria qu’il m’était impossible de passer au peigne fin : le quartier G-Man.

Mais il ne s’était pas rendu là-bas sans aide, ça c’est certain. Il avait un complice, peut-être plusieurs. Son père, qui avait eu vent de son existence et qui cherchait à le dissimuler pour sauver sa peau ? Si c’était le cas, le gamin était sans doute déjà mort. Lance, ce groupe d’activistes G-Man qui contestaient l’Empire et le contrôle du Grand Maître Irlesquo ? Ou bien quelqu’un d’autre, un autre G-Man qui avait ses propres intérêts ? Je ne savais pas, et ne pas savoir m’agaçait prodigieusement.

Je mourrai d’envie d’aller retourner chaque mètres carré du quartier G-Man, mais même moi, chef des Nettoyeurs et membre de la Trigarde Impériale, j’étais tenu au respect d’une des plus anciennes lois du Seigneur Xanthos : l’indépendance des G-Man, et le strict respect de leurs frontières. Seul l’Empereur aurait pu m’autoriser à enfreindre la loi et à m’y rendre. Mais pour cela, il m’aurait fallu lui présenter une bonne raison, et je ne voulais pas encore lui révéler l’existence de cet enfant, en premier lieu parce que c’était moi qui avait œuvré pour que cet enfant existe. Ce ne serait que lorsque je l’aurai entre mes mains que je pourrai l’amener à l’Empereur. Donc, pour le moment, j’étais bloqué.

Je me levai de mon lit avec dans l’idée d’aller passer mes nerfs sur Mizulia. C’était sa faute, après tout. Si elle avait exécuté le plan en me remettant l’enfant dès sa naissance, nous n'en serions pas là, et les G-Man auraient disparu depuis des années. Elle avait souhaité la destruction de l’Ordre autant que moi, mais elle avait succombé à son instinct maternel. Elle qui pourtant écorchait des Pokemon et des humains à neuf ans déjà ! Quelle tristesse… En chemin jusqu’à mes cachots, je croisai l’un de mes Nettoyeurs, Brasegali.

- Seigneur, il y a eu un attentat dans la ville haute.

Je cessai ma marche.

- Un attentat ?

- Deux familles de Pokemon, de hauts notables. Tous leurs membres ont été assassinés, et leurs corps exposés sur le mur de leurs demeures, cloués à des piques. Onze victimes au total. Et sur les murs, la même marque.

- Laisse-moi deviner… Lance ?

- Lance, acquiesça Brasegali.

Ce n’était pas la première fois que ce groupe de G-Man rebelles se faisait remarquer, mais depuis un certain temps, ils semblaient se sentir pousser des ailes. Des Pokemon se faisaient tuer ci et là dans la capitale, des esclaves humains se faisaient libérer. Toutes leurs actions passées restaient cantonnées à la ville basse. C’était la première fois qu’ils agissaient dans la ville haute. Et ça devenait inquiétant.

- L’Empereur a-t-il été informé ? Demandai-je.

- Oui, seigneur. Sa Majesté a tout de suite convoqué le Grand Maître Irlesquo.

- Tsss, qu’est-ce que tu veux que ce parasite puisse faire ? Sa Majesté devrait se contenter de l’éliminer, et de lancer ses troupes sur le quartier G-Man. Ils ne sont qu’une soixantaine ! Forcément qu’ils doivent savoir qui fait partie de Lance !

L’incapacité des autorités G-Man à faire respecter la loi dans leur propre cercle était pour lui proprement stupéfiant. Lance s’était créé et avait prospéré sur le dos de l’Ordre, qui était à présent noyauté par ses membres. Les plus hautes sphères devaient être elles-mêmes infectées par ces rebelles. Je n’imaginai bien sûr aucunement qu’Irlesquo lui-même fut impliqué ; il était bien trop lâche et bien trop attaché à son confort. Mais il était certain qu’un G-Man haut placé de l’Ordre était à la tête de ce groupe. Si j’en avais le pouvoir, j’aurai déniché et éradiqué ce groupe en quelque semaines, mais enquêter sur l’Ordre G-Man était impossible pour n’importe quel Pokemon. Quand je l’avais fait il y a quinze ans, j’avais employé une humaine justement pour l’infiltrer.

Il serait peut-être temps de réessayer. Mizulia m’avait toujours été très utile. C’était une espionne de grande qualité, capable de se faire passer pour qui elle voulait, même pour une G-Man. Infiltration, recueil d’information, assassinat… et même séduction de personnalités ; mon esclave avait été la clé qui m’avait ouvert les portes de l’Ordre. Je n’en retrouverai jamais comme elle. La tuer serait du gâchis. C’est du moins ce que je me disais pour me convaincre de la laisser vivre, sans songer à mes propres sentiments.

Dans ma salle de torture, Mizulia était toujours au supplice. Je l’avais installée il y a deux jours dans une charmante machine qui tordait petit à petit tous les membres, commençant des doigts pour remonter lentement. Il y avait dans la salle, constamment à ses cotés, divers Pokemon médicaux qui vérifiaient son état de santé à chaque instant de la torture, pour la stopper quand elle était prête à mourir, pour ensuite la soigner, et recommencer. Mizulia avait énormément crié le premier jour, mais à présent, elle était étrangement stoïque, comme si, une fois la douleur primaire expérimentée, elle savait l’accueillir comme une amie. C’était ainsi que je l’avais forgée.

- Sortez, ordonnai-je aux Pokemon présents.

J’éteignis le mécanisme qui tourmentait Mizulia, et me mit face à elle. Elle cligna des yeux avant de me reconnaître.

- Maître… fit-elle d’une voix faible. Votre engin a vite montré ses limites. Il me donne envie de dormir. Vous venez me torturer vous-même, qu’on passe un peu de bon temps ensemble ?

Si j’avais des lèvres, je les aurai étirées en un sourire d’amusement et de fierté. Oui, telle était la Mizulia que j’avais crée. Elle avait dompté sa propre douleur et était experte dans la façon de la provoquer chez autrui.

- J’ai encore rêvé de toi aujourd’hui, lui dis-je. De ce jour où je t’ai rencontré dans cette boutique hors la loi.

Je n’aurai raconté ça à personne, pas même à mes confrères de la Trigarde, mais avec Mizulia, je n’avais jamais eu aucun secret. Je pouvais me confesser à elle sur tous les sujets sans en ressentir la moindre gène.

- Je m’en souviens pas beaucoup, admit Mizulia. Je me rappelle plus de la suite, quand vous m’avez laissé assister à la torture de cet Elektek.

- Tu étais aux anges à ce moment. Tu voyais la véritable souffrance pour la première fois.

- Et je l’ai infligé bien des fois ensuite. Pour vous.

- Oui… Dis-moi, Mizulia : sais-tu pourquoi je t’en veux vraiment ? Ce n’est pas parce que tu ne m’as pas donné l’enfant comme tu aurais dû. Ce n’est pas parce que tu t’es enfuies, ni parce que tu m’as caché ce garçon pendant des années. Pour tant de courage et d’ingéniosité, je ne ressentais que de l’admiration et de la fierté. Non. Si je t’en ai tant voulu, c’est parce que entre ton marmot et moi, tu l’as choisi lui. Tu as renoncé à ta loyauté envers moi pour ce bambin qui venait de sortir de ton ventre. Tu as tracé un trait sur les huit années durant lesquelles je t’ai formée juste pour l’engeance d’un G-Man. Or, tu étais à moi, Mizulia. Je t’ai taillée à mon image, pour que tu m’appartiennes à moi uniquement. Tu n’avais pas le droit de faire ça. Tu étais ma chose, à moi et à moi seul !

Un douloureux sourire s’afficha sur le visage de la jeune femme.

- Vous avez toujours été un possessif immensément jaloux, maître. Sans doute parce que vous n’avez pas grand-chose de réellement à vous dans ce monde, alors vous vous attachez beaucoup à vos propriétés.

- J’étais tout autant ta chose que toi tu étais la mienne. Nous formions un tout. Comment as-tu pu laisser ce bambin briser tout cela ? Toi qui chantonnais en écorchant des prisonniers et qui aimait collectionner leurs oreilles ! Comment ton cœur qui était aussi pur et froid que l’argent a-t-il pu se laisser attendrir de la sorte ?

Il n’y avait plus de colère dans ma voix, seulement un sincère désir de comprendre.

- Je l’ignore, maître. Je vous l’assure : je comptais vous remettre Six dès sa naissance. J’avais hâte qu’il sorte de mon ventre ; il n’était qu’une gène pour se battre et se déplacer. Mais dès que je l’ai eu dans les bras, dès que je l’ai regardé, et qu’il m’a regardé… il m’est devenu impossible de le condamner à mort. Je devais le protéger à tout prix. C’est ce que j’ai pensé, et c’est ce que j’ai fait toutes ces années durant, sans penser à rien d’autre, ni à vous, ni à moi.

- Tu l’as abandonné pourtant, remarquai-je.

- Je savais que vous me pistiez. Je me suis éloignée de la capitale seulement pour attirer votre regard loin de Six. Et je n’avais plus rien à lui apprendre. Je lui ai enseigné tout ce qui était possible pour qu’il puisse survivre. Des choses que vous m’avez vous-même enseignées. Je ne comptais pas rester auprès de lui indéfiniment ; juste le temps qu’il soit autonome.

Je réfléchis à ses propos, puis je demandai :

- Et maintenant ?

- Maintenant quoi ?

- Je ne peux plus attraper ton morveux pour le moment, vu qu’il est probablement chez les G-Man. Toi, tu ne peux rien faire de plus pour l’aider. Tu es donc libre de ton si touchant devoir maternel. Pourquoi ne reviendrais-tu pas à mes côtés, comme jadis ?

La surprise se lut dans le regard azur de Mizulia.

- Vous me reprendriez comme si rien ne s’était passé ? Je croyais que vous deviez me faire porter la peau de Six avant de me tuer lentement.

- Je n’ai pas encore renoncé à t’offrir la peau de ton enfant, mais quant à te tuer… je me rend compte que ce serait du gâchis. Les Nettoyeurs peuvent profiter de tes talents. Tu peux à nouveau me servir, et je te libère de cet engin. Tu peux aussi dire non, et continuer à t’ennuyer tandis que tes membres se transformeront en scoubidous.

Mizulia ricana.

- Vous ne pouvez pas me leurrer, maître. Si vous me proposez ça, c’est que vous avez vraiment besoin de moi. Que s’est-il passé ?

- Le groupe Lance fait des siennes, et ils commencent à devenir un problème. Je ne peux pas enquêter directement sur eux, donc je compte le faire avec des moyens détournés, comme avant quand je t’ai envoyé comme espionne chez les G-Man.

- Vous voulez que j’y retourne pour récolter des informations sur Lance ?

- Exact. Rapproche-toi d’eux, liste leurs membres, fais-toi-même recruter si nécessaire. Ces G-Man ne doivent plus être autorisés à vivre longtemps. Comme je n’ai pas ton môme sous la main pour faire chuter l’Ordre d’un coup, il va falloir faire le ménage avant de tout démolir pour de bon.

- Je me ferai donc passer pour une G-Man ?

- Cela te pose un problème ?

- Bien sûr que non. Je pourrai même me faire passer pour le Seigneur Xanthos si vous me prêtiez son armure.

- Tu t’es déjà infiltrée dans l’Ordre sous l’apparence d’une domestique. Fais en sorte que personne ne te reconnaissance, et surtout pas… le père de ton enfant.

- Aucun risque, fit méprisamment Mizulia.

- Alors l’affaire est entendue. Re-bienvenue parmi les Nettoyeurs, Mizulia.

Je m’apprêtai à la libérer de ses entraves, quand elle me dit :

- Une minute, maître. Je n’ai pas encore accepté. Je pose une condition.

- Une condition ? Tu penses être en mesure de poser des conditions ? N’oublie pas ta place, humaine !

- Bien sûr que j’y suis en mesure, rétorqua Mizulia avec un de ses sourires sadiques que j’appréciais tant jadis. Vos tortures ne me dérangent plus outre mesure, et la mort serait une délivrance. Si je prends la peine de vous aider sur ce coup là, je veux quelque chose en retour.

Mizulia était en position de force dans ces négociations, et elle le savait. Moi aussi.

- Parle. Que désires-tu ?

- La promesse que, si jamais vous parveniez à capturer Six, vous ne le tuerez pas.

- Inacceptable, répondis-je. Je t’ai promis que tu porterais ta peau, et comme tu le sais, je tiens toujours mes promesses.

- Réfléchissez deux secondes à ce que serait votre intérêt, maître. Si vous le tuez, je ne travaillerai plus pour vous, et vous serez obligé de me tuer. Alors que si vous l’épargnez, vous aurez un autre outil pour les Nettoyeurs en plus de moi. Vous n’avez jamais rêvé d’avoir un G-Man comme esclave ?

- Tu insinues qu’il travaillerait pour moi ?

- Il ferait ce qu’il doit pour survivre, comme je le lui ai enseigné. Servez-vous de lui pour mettre à bas l’Ordre G-Man, comme prévu, puis laissez-le vivre pour qu’il rejoigne vos rangs. S’il refuse - ce dont je doute - alors vous pourrez le tuer. Je promets de ne pas mal le prendre si vous lui avez vraiment laissé le choix.

- Mizulia, fis-je en soupirant. Tu sembles oublier que mon but a toujours été l’annihilation de la race G-Man. Si j’en laisse un en vie, je cours le risque que cette race renaissance un jour ou l’autre.

- Ça, ça peut facilement s’arranger. Pour éviter qu’il ne puisse se reproduire, je le castrerai moi-même bien volontiers.

- Tu ferais ça à ton propre fils ? M’étonnai-je.

- Sans l’ombre d’une hésitation. Mieux vaut qu’il perde ses couilles que la vie.

J’éclatai de rire, ce qui m’arrivait rarement. Mizulia avait toujours été amusante, et visiblement, quatorze années n’y avaient rien changé. Évidement, abriter un bâtard G-Man était illégal, mais une fois l’Ordre détruit, cette loi n’aurait plus aucun sens. Et je devais m’avouer curieux de voir de quoi était fait le marmot de Mizulia. Imaginer un gamin avec le caractère et les capacités de Mizulia et des pouvoirs de G-Man me faisait frémir d’envie.

- Très bien. J’accepte ta proposition. Tu reviens à mon service, et moi, quand j’aurai mis la main sur ton Six, je lui laisserait le choix entre la mort et la servitude.

Mizulia hocha la tête, satisfaite. Elle ne mettrait pas ma parole en doute, car elle savait que je respectais toujours la parole donnée, même à un esclave. Et puis, si jamais je ne la respectais pas, Mizulia n’aurait plus qu’à cesser de se me servir ou à se donner la mort. Je la détachai donc de ses entraves, puis lui remis quelque chose dans les mains. Les yeux de l’humaine s'éclaircirent en reconnaissant une longue dague en argent massif, avec la garde ornée de rouge et de jaune : mes propres couleurs.

- Vous l’avez conservée depuis tout ce temps…

- Bien sûr, répondis-je. Tu t’en souviens ? C’est la première arme que je t’ai offerte, et avec laquelle tu as écorché ton premier prisonnier humain.

- Il avait poussé de si beaux hurlements, fit Mizulia avec nostalgie. Et ma collection d’oreilles ? Mes colliers de doigts ?

- Je n’ai rien touché. Tout doit être dans ton armoire. Ils doivent sentir un peu quand même depuis le temps.

- Ce n’est pas grave. Je m’en ferai de nouveaux.

Mizulia avait un tel sourire de carnassier que je fus convaincu d’avoir pris la bonne décision. Peut-être ce soir, mes rêves prendraient fin.