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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 12/03/2017 à 12:06
» Dernière mise à jour le 12/03/2017 à 12:06

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 30 - Me, myself, and I
Ce ne sont pas tant les combats que j’ai livré qui m’ont rendu plus fort que la raison qui m’a poussé à les livrer. Et jusqu’à ce que je rencontre Sacha, je n’avais aucune idée de quelle était cette raison.

Maintenant, je le sais. Et cela m’incite à devenir encore plus fort.


~*~


Le vent soufflait avec une telle intensité que les arbres ployaient tels des roseaux. L’orage frappait désormais sans discontinuer : chaque flash lumineux était immédiatement suivi du fracas terrible du tonnerre, tandis qu’un déluge torrentiel s’abattait enfin sur les jardins. Emportées par le vent, des giclées d’eau tourbillonnaient dans les airs, frappant les visages des humains comme des Pokémon.

Malgré tout, Malva restait imperturbable, fine silhouette droite et immobile face aux éléments déchaînés. Tout au plus remontait-elle de temps à autre ses lunettes dont les verres troublés masquaient ses yeux couleur grenadine. Devant elle, deux Pokémon se livraient une lutte acharnée. Deux Pokémon ? Non, deux Méga-Pokémon.

La nouvelle apparence de Démolosse avait de quoi effrayer, surtout lorsque l’orage jetait sur lui des ombres difformes et spectrales. La carapace osseuse qui ornait son thorax était pareille à une gueule garnie de crocs affamés, et ses cornes effilées semblaient prêtes à transpercer quiconque se dresserait sur leur chemin. Cependant, il en fallait bien plus pour impressionner Méga-Alakazam, dont les yeux sans âme luisaient dans l’obscurité.

La voix de Malva perça le vacarme de la pluie battante :

- Démolosse, utilise Mâchouille !

Même si la visibilité était considérablement réduite, Malva avait confiance en l’excellent flair de son partenaire. Rapidement, Démolosse aboya, et bondit sur son adversaire. Le corps de ce dernier se mit alors à briller. Lorsque les crocs du chien de feu se refermèrent sur l’épaule du Pokémon Psy, une explosion se produisit pile à cet endroit. Démolosse atterrit après un salto arrière, prenant bien garde à ne pas déraper sur le sol détrempé. La moindre faute pouvait coûter très cher, il en avait conscience.

À la surprise de Malva et de son Pokémon, Alakazam riposta immédiatement, ses cinq cuillers tirant des rayons d’énergie multicolores en direction de Démolosse. Grâce à d’excellents réflexes, celui-ci parvint à en éviter la plupart, minimisant les dégâts.
Alakazam avait beau être fort, l’affinité des types aurait dû lui laisser quelques dommages considérables. Alors comment avait-il pu répliquer aussi vite ?

« Il a lancé Protection. » comprit Malva. « Ce qui signifie que les dégâts causés par les attaques physiques seront diminués de moitié. » Bien que cette situation ne l’arrange pas, la journaliste ne put s’empêcher de sourire. D’abord Danse Pluie, et maintenant ça… Cet Alakazam était un fin stratège à n’en pas douter.

- Cependant, continua-t-elle à voix haute, même si tu parviens à se défendre, il te manque encore un élément essentiel pour pouvoir nous vaincre.

Alakazam lévita dans les airs, et fit tourner ses cuillers. Des dizaines de Ball’Ombre se matérialisèrent autour de lui, avant d’encercler Démolosse. Elles étaient bien trop proches pour tenter une contrattaque.

- Dans ce cas, lance Purédpois !

Le chien de feu tourna sur lui-même, crachant une épaisse fumée noirâtre, qui masqua son corps juste avant que les Ball’Ombre ne le percutent. Lorsque la pluie eut dissipé la fumée, Démolosse avait disparu. Dérouté, Alakazam s’immobilisa.

« Une grave erreur », sourit Malva. Alakazam ressentit trop tard la présence dans son dos. D’un coup de rein, il réussit en désespoir de cause à faire demi-tour et lancer ses cuillers. D’un coup de queue adroit, Démolosse envoya valser les projectiles, et planta ses griffes et ses crocs dans la peau du type Psy. Tous deux tombèrent au sol. Tel un prédateur immobilisant sa proie, Démolosse bloqua les mouvements de son ennemi avec ses pattes puissantes, la gueule à deux millimètres de sa barbe souillée de boue. Dans les prunelles inexpressives d’Alakazam étincela soudain un éclat terrible : la colère. De son corps irradia une intense lumière blanche.

- Vite, Démolosse, éloigne-toi ! ordonna Malva.

Vif comme l’éclair, Démolosse lâcha Alakazam, juste au moment où celui-ci déversait une fulgurante attaque Éclat Magique dans toutes les directions. Démolosse fut touché, mais réussit à se renverser en l’air, et atterrit sur ses quatre pattes. Il grogna, furieux d’avoir laissé l’ennemi le surprendre. Lorsque la voix de sa dresseuse retentit, il leva une oreille, attentif.

- Entre deux Pokémon méga-évolués, il est souvent difficile de prédire un vainqueur. Tout dépend de l’expérience des deux dresseurs. Ou des aptitudes de leurs Pokémon. Nous avons beau avoir l’avantage du type, ton sens de la stratégie ainsi que ton assortiment d’attaques sont sans conteste un frein à notre victoire.

À présent que son calme olympien l’avait quitté, Alakazam n’était plus le même. Entouré d’un halo d’énergie noire, il ramena ses cuillers à lui, et les joignit en une étoile à cinq branches. Une sphère plus noire encore que les ténèbres apparut en son centre, et se mit à grossir, encore et encore.

- Cependant, poursuivit Malva comme si de rien n’était, malgré tous tes efforts, ce combat ne peut connaître qu’une seule issue.

Un hurlement guttural s’échappa de la gorge d’Alakazam. Puis il propulsa la Ball’Ombre droit sur Démolosse. Malva commanda à son Pokémon d’utiliser Vibrobscur. Démolosse ouvrit la gueule comme pour avaler cette immense sphère d’énergie noire. Mais avant même que ses crocs ne la frôlent, le chien de feu cracha un rayon violacé sur la sphère, qui fut repoussée en arrière, vers son expéditeur. Abasourdi, celui-ci ne put que prendre sa propre attaque de plein fouet.

- Utilise Mâchouille.

Démolosse ne perdit pas une seconde, et bondit sur son adversaire, qu’il mordit à pleines dents. Alakazam se défendit en plaçant ses bras en avant. Grâce aux effets de Protection, toujours actifs, l’attaque ne lui fit que peu de dégâts, quand bien même elle fût accompagnée d’une explosion.

- C’est terminé, dit calmement Malva. Vibroscur.

Alakazam fit tournoyer ses cuillers autour de Démolosse, mais il était trop tard. Le chien des enfers tira à bout portant. Une explosion plus puissante balaya les gouttes de pluie. Puis le corps d’Alakazam tomba lourdement à terre. Une lumière irisée éclaira la tempête.

La Méga-Évolution ne faisait plus effet. Alakazam était vaincu.

Démolosse atterrit lestement, avant de reprendre lui aussi sa forme initiale. Malva s’approcha de lui, et le félicita d’une caresse dans le cou. Maintenant que cette affaire était réglée, il lui fallait rejoindre les enfants au plus vite. Non pas qu’elle doutât des capacités de champion d’arène de Lem, ni du potentiel de la jeune fille qui l’accompagnait, mais elle ne pouvait se défaire de ce mauvais pressentiment qui la tiraillait.

Avisant le Pokémon Psy, étendu sous le déluge, elle soupira longuement.

- Ce combat aura été une vraie calamité. En fait, je dirais presque qu’il n’y avait pas du tout de combat. Tu ne pouvais pas vous vaincre, tout était joué d’avance.

Elle dépassa le corps inerte d’Alakazam et, laissant sa voix devenue presque irréelle au milieu du tumulte des éléments, déclara :

- Après tout, un Pokémon méga-évolué qui combat sans son dresseur ne vaut pas plus qu’un Pokémon ordinaire.


~*~

Lem était essoufflé. Jamais de sa vie il n’avait couru aussi vite. Serena et Clem avaient presque du mal à le suivre, une rareté !
Autour d’eux, la tempête de sable avait été remplacée par une pluie diluvienne. Et bien que cela leur donnât moins de problèmes pour respirer, cela n’arrangeait en rien leur visibilité. La lampe de sac à dos de Lem – récupéré en même temps que les Pokémon – et les pouvoirs luminescents de Luxray étaient désormais leurs seuls guides à travers la tempête.

Enfin, ils atteignirent les grilles du complexe.

- On y est ! hurla Lem pour couvrir les gémissements du vent. Surtout, soyez prudentes : on ne sait pas si les Sépiatroces ont prévu une embuscade ou non. Il faut se préparer à toute éventualité !

Les filles opinèrent, encerclées par un groupe de Pokémon aussi trempés que décidés. Cependant, nota Lem, les Pokémon de Serena semblaient épuisés. La jeune dresseuse lui avait brièvement résumé les derniers événements, dont leur combat contre le Sépiatroce à l’usine.

« De plus, Évoli n’est pas assez expérimentée, et cette pluie affaiblira davantage les attaques de Roussil. Ce qui veut dire que seuls mes Pokémon peuvent endurer un rude combat… » Le champion d’arène déglutit, les phalanges blanchies à force de serrer les lanières de son sac à dos. Allez. Ce n’était pas le moment d’avoir peur. Leur mission était de stopper les Sépiatroces, coûte que coûte. Sacha n’hésiterait pas une seconde, lui…

D’un signe, Lem invita Luxray à passer devant. La vision excellente du Pokémon Brillœil leur permettrait de repérer n’importe quel danger à temps. Luxray s’exécuta donc, ses prunelles dorées perforant l’obscurité de la tempête. Presque aussitôt, il grogna en signe d’avertissement.

- Qu’est-ce que tu as vu ? lui demanda son dresseur.

Pour toute réponse, Luxray se précipita de l’autre côté des grilles. Nerveux, Lem le suivit dans son sillage, talonné par ses compagnons.

Brusquement, trois silhouettes surgirent des ombres, et les percutèrent de plein fouet. Lem tomba à la renverse sur un sol dur et froid. À la fois furieux et effrayé, il braqua sa lampe sur celui ou celle qui lui avait foncé dedans.

- Hé ! Retire ça tout de suite, ça fait mal aux yeux !!

Lem et les filles n’en crurent ni leurs yeux ni leurs oreilles : c’était la Team Rocket !

- Qu’est-ce que vous faites là, vous ?

Les trois énergumènes et leurs Pokémon se relevèrent tous d’un seul et même mouvement, hurlant comme s’ils venaient d’apercevoir un spectre. Ils se calmèrent légèrement en reconnaissant le groupe des morveux. Les bandits se mirent aussitôt à parler et bafouiller tous en même temps, visiblement terrorisés :

- O-on a rien fait de mal ! protesta James. On est venus ici directement après avoir fait sauter les plombs de l’usine…
- Oui, enchérit Miaouss, et on s’apprêtait à embar… euh, à détruire les Pokéballs Obscur quand…quand…
- …quand ils nous sont tombés dessus ! acheva Jessie.

Les trois enfants ne comprirent pas un traître mot de tout ce charabia. Hormis le fait que la Team Rocket était apparemment responsable de la panne généralisée survenue à l’usine… Faudrait-il les remercier pour cela ?
Lem coupa court aux réflexions de Serena :

- Ça suffit, calmez-vous, intima-t-il. Calmez-vous et dites-moi : qui vous a attaqués ? Les Sépiatroces ?
- A-ah oui…, miaula Miaouss. Mais pas qu’eux…

Tout à coup, Luxray rugit, et lança Météores dans l’obscurité. Une ombre évita son attaque, avant d’atterrir pile dans le rai de lumière produit par Lem. Les membres de la Team Rocket hurlèrent de plus belle :

- C’EST LUI !!

Serena ramena instinctivement Clem auprès d’elle, et toutes deux se placèrent derrière le groupe de Pokémon. Luxray se rangea auprès de son dresseur, lequel hoqueta en reconnaissant le Pokémon qui venait de surgir devant eux.

« Arcanin ! »

La pluie plaquait la fourrure du Pokémon de type Feu contre son corps, le rendant presque aussi effrayant que les monstrueuses canines que dévoilait son museau retroussé. Un grondement sourd emplit l’air. Croyant d’abord au bruit du tonnerre, Lem se rendit compte que ce grognement provenait de la gorge de l’Arcanin. Tel un chien de chasse acculant sa proie, il avança d’un pas lourd, les babines dégoulinantes de bave.
Les souvenirs de l’attaque du Centre Pokémon assaillirent Lem. Ses jambes se mirent à trembler ; et ce n’était pas dû qu’au froid qui s’insinuait dans ses os.

« Moi qui m’attendais aux Sépiatroces… Je ne pensais pas de voir affronter l’un des Pokémon de l’Homme Masqué… ! »

L’Homme Masqué. Le père de Sacha. Le souvenir de cette réalité frappa Lem avec la force d’un coup de poing.

Il n’y avait pas cru lorsque le nom de l’homme sur lequel ils avaient enquêté s’était affiché sur l’écran de son ordinateur. Gauthier Ketchum. Lem avait d’abord cru à une erreur, puis à une simple coïncidence. Mais plus ils avaient accumulé les informations sur l’Homme Masqué, plus l’hypothèse s’était confirmée. Leur tortionnaire était l’homme qui avait donné naissance à leur ami. Inconcevable, n’est-ce pas ?

« Mais le plus touché dans cette affaire, c’est surtout Sacha. » se dit Lem. « J’ignore où il a disparu, mais ça ne fait aucun doute que cette révélation a dû l’ébranler. Et pourtant, malgré tout, il continuera de se battre. Parce que c’est Sacha. »

D’un seul coup, un calme parfait envahit le jeune champion. Redressant ses lunettes sur son nez, il s’avança d’un pas, et écarta un bras :

- Les filles, mettez-vous à l’abri. Luxray, Sapereau, Marisson, à moi !

Les trois Pokémon interpellés ne se le firent pas demander deux fois. Tous s’élancèrent en direction de l’Arcanin qui, bien que surpris, répondit à leur assaut. Luxray et lui se jetèrent l’un sur l’autre en grognant férocement.

- Luxray, Crocs Éclair !

Le Pokémon électrique mordit son adversaire à l’épaule. Arcanin encaissa d’autant plus de dégâts que sa fourrure trempée conduisait plus facilement l’électricité.

- Sapereau, utilise Tunnel, enchaîna Lem. Et toi, Marisson, suis-le en lançant Roulade !

Les deux petits Pokémon s’exécutèrent, et disparurent dans les entrailles de la terre. Luxray lâcha aussitôt Arcanin, qui riposta par un Lance-Flammes. Heureusement pour Lem, la météo les avantageait : l’attaque n’eut que peu d’effet, et Luxray s’en tira sans brûlure. Sapereau et Marisson surgirent juste en dessous du Pokémon Légendaire, qu’ils frappèrent tour à tour d’attaques super efficaces.

- Lem, qu’est-ce que tu fais ? murmura Serena, à la fois impressionnée et inquiète.
- Sacha a toujours fait le maximum pour nous protéger. Mais cette fois, l’ennemi qu’il affronte est d’un tout autre calibre. Et je ne parle pas qu’en termes de puissance.

La jeune fille comprit alors où son ami voulait en venir. Sacha n’affrontait pas que des adversaires physiques : il devait également faire face à la nature de son propre père. Une épreuve terrible émotionnellement parlant.

- Je sais que quoi qu’il arrive, Sacha se battra de toutes ses forces, poursuivit Lem. Pour cela, j’ai une totale confiance en lui. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut rester là à ne rien faire. (Il pointa un doigt en direction d’Arcanin.) En tant qu’ami de Sacha, je me dois de l’aider à vaincre ses démons ! Car c’est ce que font les vrais amis. Lui a toujours été là pour me soutenir : à présent, c’est à moi de l’aider.

Comme si ces paroles contenaient une quelconque force, Luxray et les autres redoublèrent d’ardeur, et assaillirent un Arcanin désemparé. Mais même seul contre trois, parvenait encore à se défendre, et à assener de terribles contrattaques.

« Sacha… Je sais que tu traverses une épreuve difficile. Mais cette fois, je ne te laisserai pas tomber. Que je sorte victorieux ou non de ce combat, je ferai tout mon possible pour te venir en aide, comme tu l’as si souvent fait avec moi. Alors quoiqu’il advienne… ne renonce pas. »


~*~

L’air, lourd et humide, semblait fait de plomb. À mes oreilles, un tambour résonnait sourdement. Je mis un temps à comprendre qu’il s’agissait de mes propres battements de cœur. Face à moi, debout derrière un Florizarre de taille impressionnante, se tenait un homme coupable de mille crimes. Un chasseur de Pokémon ; un voleur ; un bourreau qui s’en était pris à mes amis, et avait blessé mes Pokémon.

« Ton père. » Les mots de Lem s’imposèrent à mon esprit. Mais j’avais beau les retourner dans tous les sens, les tourner en boucle dans ma tête, les répéter à l’infini, je ne parvenais pas à les associer à l’image de l’homme qui se tenait devant moi.

Gauthier Ketchum. Mon père. Un père que, ironiquement, je n’avais jamais connu. Même là, maintenant que je pouvais enfin voir son visage, il ne m’était aucunement familier. Seuls les quelques traits physiques similaires aux miens me portaient à croire que ce type et moi étions bien de la même famille.

Je secouai la tête, chassant par-là même l'eau qui s'accumulait sur la visière de ma casquette. Non ; ce n'était pas le moment de penser à cela. Il y avait d'autres priorités.

- Hé, Genzo.

L’intéressé sursauta au son de ma voix. Le pauvre n’était pas dans le meilleur des états. Plié en deux, il devait s’appuyer sur la croupe de Galopa – lequel n’était en meilleure forme – pour ne plus se retrouver couché dans la boue. Une drôle de lueur dansait dans ses yeux ; je crois bien que je ne l’avais jamais vu aussi… désemparé, abattu. Masquant de mon mieux ma nervosité, je demandai :

- Votre Tyranocif… C’est un Pokémon Obscur, pas vrai ?
- C’était, oui, répondit-il après un moment d’hésitation. En réalité, ce Pokémon était autrefois sous le joug de Fantôme. Je l’ai récupéré après son arrestation. Il est l’un des rares Pokémon à avoir survécu sans trop de séquelles graves à son opération de "purification".

"Purification". Ce terme désignait sûrement les Pokémon libérés de l’énergie négative née de l’influence des Pokéballs Obscur. Ce qui signifiait que l’on pouvait guérir les Pokémon Obscurs…!

Un fracas terrible troubla le battement régulier de la pluie. Plus loin en amont, des flashs lumineux éclairaient les jardins, comme si l’orage était descendu sur terre. Par intermittences, les silhouettes de deux Pokémon apparaissaient sur les hauteurs de la colline où ils s'affrontaient. Deux silhouettes, dont une qui m'était cruellement familière.

« Pikachu… Je t'en prie, tiens encore un peu le coup… »

- Comment ça, ce Tyranocif était celui de Fantôme ? gronda le chasseur de Pokémon. Et tu as osé m’affronter avec lui ? Si j’avais su, je t’aurais fait payer cet affront bien plus tôt, Genzo !
- Tyranocif est un Pokémon très puissant. (Genzo s'adressait à moi, ignorant proprement le chasseur.) Mais l'implant cérébral et l'opération qu'il a subie ont gravement endommagé son système nerveux. Ce qu’il fait qu’il ne peut pas endurer longtemps de combats trop violents. (Un ricanement nerveux secoua ses épaules.) Ha…! Quand je pense qu'à l'époque, je t'avais fait la morale sur l'importance de prendre en considération les sentiments des Pokémon… Je suis finalement un bien piètre exemple.

Ces mots me désolèrent. Genzo paraissait tellement désespéré… Arrêter ce Gauthier devait vraiment lui tenir à cœur. Mais malheureusement, il s'était laissé dépasser par les événements. Pourtant, Genzo, un dresseur si fort… Je crispai le poing.

- Genzo, éloignez-vous, avec Galopa.
- Qu… ? Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Ça me parait évident, répliquai-je. Je vais l'affronter.

Un éclair accueillit cette nouvelle. Pendant un temps qui parut infini, le chasseur de Pokémon me considéra, les yeux à moitié dissimulés derrière cet espèce de verre rouge bizarre. Effaré, Genzo s’écria :

- Ne fais pas ça ! C’est de la folie. Tu es bien trop inexpérimenté pour avoir la moindre chance de le battre ! J’en ai fait l’expérience à l’instant : sa puissance dépasse de loin tout ce que j’avais prévu !

Tout d’un coup, le chasseur rit aux éclats. Même sans son masque, son rire restait puissant, et résonnait à travers la tempête.

- Ce bon vieux Genzo a raison, pour une fois, dit-il. Toi, tu veux m’affronter ? J’espère que c’est une blague. Parce que tu as réussi à tenir tête à Akwakwak et Roucarnage, tu te sens pousser des ailes ? Ce qui s’est passé sur le toit n’était qu’un simple coup de chance – qui ne se reproduira pas, tu peux me croire.

Je ne répondis pas. Je moquais éperdument de ce qu’ils pensaient. J’avais pris ma décision. Les actions du chasseur... de mon père… Non. Il fallait que ça s’arrête. Je ne pouvais pas en supporter plus. D’aucun aurait pu dire que demander un combat n’était qu’un prétexte pour défouler la rage d’avoir appris que le criminel qui avait fait souffrir nombre de personnes, de Pokémon, et même mes amis, n’était autre que mon père. Et peut-être y avait-il un fond de cela dans mon choix ? Je n’en savais rien ; et pour être honnête, je m’en fichais pas mal. L’homme qui se tenait devant moi n’était pas mon père, ni même un simple dresseur. À cet instant précis, je ne le voyais comme rien d’autre qu’un ennemi des Pokémon, à stopper coûte que coûte.

Un bref éclat lumineux au poignet du chasseur attira mon attention. Sa Gemme Sésame brilla légèrement, avant de s’éteindre.

- Comment ? s’exclama-t-il. Alakazam aurait été vaincu… ?

Voilà un tournant inattendu, qui surprit l’assemblée générale. Si cela était vrai, alors le chasseur n’avait plus que trois Pokémon : Arcanin, Florizarre et Raichu. La moitié de son équipe avait été défaite. Quelques jours auparavant, cette nouvelle m’aurait réjoui ; mais curieusement, elle ne me fit ni chaud ni froid. Sans doute parce que je savais que le plus dur était à venir. Le chasseur, bien que visiblement troublé par la défaite de son Pokémon, haussa finalement les épaules :

- Bah, qu’importe. Je n’ai pas besoin de lui pour t’écraser.

Sur ces mots, le chasseur porta la main à son gantelet, et effleura la Gemme Sésame du bout des doigts. Celle-ci se remit à briller, de manière plus intense. Au même instant, une Méga-Gemme dissimulée sous les immenses pétales de Florizarre s’illumina.
La lumière irisée illumina le terrain assombri, et enveloppa le Pokémon Plante, qui entama sa métamorphose. La fleur sur son dos grandit, se para de larges feuilles et de longues lianes. D’autres fleurs, plus petites, poussèrent sur sa tête et son corps. Puis dans un souffle prodigieux, la Méga-Évolution s’acheva, et Méga-Florizarre rugit à en faire trembler la terre. Campé sur ses quatre pattes pour ne pas être déséquilibré par la bourrasque, Croâporal fit bravement face à son adversaire.

- Puisque tu insistes tant, déclara le chasseur, je vais te faire une fleur, et t’accorder un dernier combat. Mais je te préviens : si tu penses t’apprêter à livrer le même genre de combat que la dernière fois, tu te trompes lourdement. Prépare-toi à découvrir ma véritable puis-
- Juste une chose, monsieur le chasseur de Pokémon, l’interrompis-je en insistant grossièrement sur ces derniers mots. Avant de combattre, j’aimerais vous proposer… un marché.

Je me surpris moi-même de me trouver aussi calme. Quant à ma demande, elle eut l’effet escompté : le chasseur écarquilla les yeux, stupéfait. Assuré d’avoir l’attention de tous, je précisai :

- Vous vous rappelez de la première fois que nous nous sommes affrontés ? À l’époque, vous vouliez vous emparer de mes Pokémon. Et vous m’avez poussé au combat en promettant de les libérer si je parvenais à vous vaincre.
- C’est exact, répondit le chasseur d’un ton égal. Et alors ?
- Alors cette fois-ci, c’est à moi d’imposer mes conditions. Même si je déteste plus que tout les combats à enjeux, surtout lorsque l’enjeu en question implique la vie d’une personne ou d’un Pokémon… je n’ai pas le choix. Y’a que ça qui fonctionne avec vous.

Le chasseur renifla avec dédain.

- Je te trouve bien arrogant, gamin. Mais soit, admettons que j’accepte de te laisser poser les règles. Quelles seraient-elles ? J’ai hâte de le découvrir.
Mon regard se posa sur Galopa, couché aux côtés de Genzo et de Tyranocif. Puis sur Florizarre. Avant de croiser celui de Croâporal. Ce dernier hocha la tête en signe d’assentiment. Passant une main trempée et glacée sur mon visage, je haussai le ton pour que tous puissent m’entendre :
- Si je gagne contre vous, je voudrais que vous libériez Pikachu… et que vous relâchiez tous vos Pokémon.

Seul le roulement du tonnerre accueillit ces paroles. Je crus entendre Galopa renâcler. Florizarre, s’il parut n’avoir aucune réaction, braqua sur moi des yeux où se mêlaient fureur et étonnement. Impassible, je soutins le regard éberlué de celui dont je portais le nom. Je le vis serrer les dents. Puis sourire.

- Amusant…, susurra-t-il. Je te savais effronté, mais pas à ce point. Tu te penses vraiment capable de me faire plier jusqu’à cet extrême ?
- J’en sais rien, dis-je. Mais ça veut pas dire que je vais pas essayer.

Genzo hurla quelque chose dans mon dos. Mais son cri fut avalé par le craquement terrible de la foudre juste au-dessus de nos têtes. Comme si cet éclair fut un signal, je pris l’initiative :

- Croâporal, Vibraqua !

Le batracien joignit les pattes avant, où se forma une sphère d’eau d’une taille impressionnante. Évidemment ! La pluie renforçait ses attaques de type Eau. Un avantage dont il me faudrait tirer partie.

- Utilise Canon Graine.

Croâporal lança son attaque sur Florizarre. Ce dernier tira une rafale de graines explosives sur le Vibraqua, qui se désagrégea en giclées d’eau. Mais nous avions prévu le coup. L’eau n’avait pas fini de se mêler à la pluie que Croâporal sautait déjà au-dessus de Florizarre.

- Aéropique ! criai-je.
- Encore Canon Graine.

Croâporal fondit sur Florizarre, qui le pilonna aussitôt. Usant des poings et des pieds, le batracien repoussa les graines explosives du mieux qu’il put, mais fut rapidement dépassé. L’explosion le souffla en arrière. Après une pirouette dans les airs, il parvint à atterrir, ses pattes traçant des sillons dans les flaques boueuses.

- Croâporal, ça va ? m’inquiétai-je.

Le type Eau lava d’un coup de Grebulles les blessures apparaissant sur son abdomen, et me répondit d’un coassement énergique. Je savais que cette démonstration de confiance visait avant tout à me rassurer. Car malgré mes belles phrases, je devais bien l’avouer : ce combat me stressait au plus haut point. Et si mon adversaire n’avait pas explicitement accepté mon marché, je ne doutais pas le sien ne s’appliquait plus. Mes Pokémon n’importaient plus, seule ma fin comptait. La défaite n’était par conséquent pas une option.

- Allez, lance Reflet !

Lorsque l’éclair suivant illumina la zone de combat, plusieurs dizaines de Croâporal encerclaient Florizarre. Ce dernier ne bougea pas d’un pouce ; seuls ses yeux restaient mobiles, parcourant chaque réplique de Croâporal. J’enchaînai avec Coupe. Tous les Croâporal dégainèrent leur sabre en même temps, avant de foncer sur le Pokémon Plante.
Malheureusement, j’avais oublié un détail : les copies n’avaient pas de présence physique. Aussi seul le vrai Croâporal projeta des éclaboussures sur son passage. Une erreur qui n’échappa pas à l’œil expert de Florizarre, lequel déploya l’une de ses immenses lianes, et frappa mon Pokémon avec. Croâporal, le souffle coupé, se retrouva de nouveau repoussé vers l’arrière ; ses copies s’évaporèrent sitôt qu’il s’écroula sur le sol. À présent qu’il n’avait plus qu’un seul adversaire, Florizarre brandit ses lianes tels des fouets, et visa le Pokémon Eau. Pris d’un sursaut d’énergie, Croâporal, l’attaque Coupe toujours en patte, trancha les végétaux avant qu’ils ne l’atteignent. D’une galipette arrière, il s’éloigna rapidement du danger, et revint vers moi.

- C’était moins une…, soufflai-je.

Bien que je fusse complètement trempé par la pluie, je sentis une sueur froide couler dans ma nuque. Déjà que je n’étais pas avantagé au niveau du type… si en plus je me mettais à faire des erreurs d’inattention, ce combat risquait de vite mal tourner pour moi !

- Garde ton calme, mon garçon ! me lança Genzo à travers la tempête. Ne te laisse pas gagner par l’impatience. Tu dois analyser la situation !
- Ouais, je sais, lâchai-je en guise de réponse.
- Vous êtes pathétiques, tous les deux, fit le chasseur de Pokémon. Je vais te la faire, moi, l’analyse de la situation : ce combat est joué d’avance. Tu ne peux pas gagner contre moi, tu es bien trop faible pour ça. Utilise Bomb-Beurk !

La fleur géante de Florizarre remua de nouveau, avant de tirer cette fois-ci des boulets violacés, que j’ordonnai à Croâporal d’esquiver. Lorsque les projectiles rencontrèrent le sol, celui-ci se mit à siffler en dégageant une espèce de vapeur blanchâtre pas très rassurante.

« Si on se fait toucher, c’est l’empoisonnement assuré ! Comme si on avait besoin de ça… » Mieux valait garder nos distances… Mais comment attaquer sans s’approcher de Florizarre ?

Soudain, j’eus une idée. C’était le moment ou jamais de voir si notre entraînement avait porté ses fruits.

- Cours en cercle autour de lui, Croâporal, dis-je, et lance Aéropique !

L’amphibien hocha la tête. Il devinait quel était mon plan. Comme je lui avais indiqué, il courut à toute allure autour de Florizarre. Jamais je n’avais vu Croâporal courir si vite : c’était à peine si je pouvais le distinguer. Sa vitesse avait énormément augmenté !

- Cours tant que tu veux, cela ne changera rien, grinça le chasseur. Utilise Bomb-Beurk.

Même si je percevais une certaine nervosité émaner de Florizarre, il conserva son calme, et prit le temps de viser, en s’aidant des éclaboussures créées par Croâporal. Comme si j’allais me laisser prendre deux fois au même piège !

- Vas-y, maintenant ! Reflet !

À l’instant même où la Bomb-Beurk s’écrasait sur lui, Croâporal se dédoubla, et laissa son double encaisser l’attaque à sa place. Florizarre reçut l’attaque Aéropique en pleine mâchoire. Pris au dépourvu par ma combine, le chasseur réitéra son attaque. Mais une fois encore, Croâporal s’en sortit de justesse en créant une copie factice de lui-même à la dernière seconde.

Une vieille technique inspirée des ninjas, m’avait dit Genzo. Sur la pratique, cela ressemblait un peu à une attaque Clonage, mais sans sacrifice d’énergie. Au lieu de créer plusieurs doubles de lui-même, Croâporal devait déclencher son attaque au moment même où le tir ennemi l’atteignait. Cette technique, si elle était efficace, pouvait se révéler dangereuse si l’on n’avait pas le bon timing : il suffisait que Croâporal lance Reflet une seconde trop tôt ou trop tard pour que tout plante.

Mais moi, j’avais confiance en mon Croâporal. S’il y avait bien un Pokémon sur Terre capable d’une telle prouesse, c’était bien lui, me dis-je en souriant.
Chaque fois qu’un double encaissait le coup à la place de Croâporal, ce dernier avait tout le champ libre pour frapper Florizarre. Le même schéma se reproduisit pendant quelques instants : Bomb-Beurk, esquive, puis Aéropique. On prend du recul, et on recommence. Voyant qu’il ne parvenait jamais à toucher son adversaire, le Pokémon Plante commença à sérieusement s’impatienter. De même que son dresseur.

- J’en ai plus qu’assez de tes petits tours de passe-passe, gamin… Puisque tu sembles aimer courir dans tous les sens, je vais te donner une bonne raison de le faire : Canon Graine !

Florizarre rugit, et tira, à ma grande surprise, vers le ciel. Je compris trop tard ce qu’il avait en tête : à la véritable pluie se mêlait désormais une pluie de graines explosives ! Impossible d’y échapper ; Croâporal ne put que mettre les pattes sur la tête, et encaisser le choc.

« Non, s’il reste statique, Croâporal va se blesser à coup sûr ! » Autant tenter le tout pour le tout.

- Croâporal, passe en utilisant Coupe !

L’amphibien obéit, et traversa la pluie de graines, sabre à la patte. Pendant un temps, il fut entouré de petites explosions à mesures que son attaque tranchait les graines de Florizarre. Finalement, il réussit à atteindre son adversaire, et lui assena un coup en pleine figure. Quelques perles écarlates rencontrèrent les gouttes de pluie, tandis qu’un pétale de la fleur qui ornait la tête du Méga-Pokémon se détachait, et tombait dans la boue. Son attaque ayant réussi, Croâporal prit appui sur ses pattes arrière pour rebondir.

- Oh non, je ne te laisserai pas t’échapper, fit le chasseur. Végé-Attak !

Croâporal n’avait pas pris assez de distance lorsque les racines surgirent de terre, et l’attrapèrent par la cheville. Le pauvre Pokémon se retrouva tête en bas, pendu par les pieds par l’attaque de Florizarre. Le regard mauvais du Pokémon Plante et la manière dont il pointait le cœur de sa fleur sur lui ne m’inspiraient rien de bon.

- Vite, libère-toi !!

Florizarre tira. D’un brusque coup de rein, Croâporal réussit à se redresser tête vers le haut ; la Bomb-Beurk ne fit qu’effleurer son collier de mousse, qui se dissout dans un sifflement. Malgré les épines qui lui perforaient la peau, le Pokémon Eau s’accrocha à la racine qui le retenait prisonnier et, d’une patte, s’arma de l’attaque Coupe. Mais Florizarre n’avait aucunement l’intention de le laisser s’échapper. Ses yeux prirent une teinte verte et, au même instant, les racines furent entourées d’un halo verdâtre. Elles parurent alors grossir, grandir à toute vitesse, et bouger comme si elles étaient vivantes. Croâporal fut ballotté dans tous les sens ; comme il devait avoir le tournis ! Malheureusement, je ne pouvais rien faire d’autre que rester là, à attendre et espérer qu’il réussisse à trancher ses liens. Jamais je ne m’étais autant maudit d’être si impuissant.

Le Pokémon Graine ramena soudain les racines à lui. Croâporal s’approchait dangereusement du canon floral tant redouté, où une Bomb-Beurk s’apprêtait à être tirée. Non ! Il y était presque ! Il fallait que Croâporal l’esquive !

- Pivote ! hurlai-je. Utilise Coupe !

Ma voix était bien trop aigüe à mon goût. L’affolement menaçait de me gagner. Sans doute cela fut-il la cause de l’élan soudain de Croâporal ? Aucune idée, mais toujours est-il qu’il parvint enfin à taillader les racines épaisses qui lui arrachaient la peau des chevilles. Florizarre rugit, et lança Bomb-Beurk. Croâporal tournoya comme une toupie, et fendit l’air avec son sabre blanc. L’onde de choc percuta Florizarre de plein fouet.

Emporté par son élan, Croâporal atterrit tête la première dans la boue qui, étrangement, prit une teinte rouge sombre. Ne pas voir mon Pokémon se relever immédiatement provoqua une vague de panique en moi. Mais Croâporal se redressa, pantelant, patte au thorax. Il ne répondit que par un bref coassement lorsque je lui demandai si ça allait. Ses yeux restaient rivés sur Florizarre.
Ce dernier s’ébroua, secoué. Il ne devait pas s’attendre à une attaque Coupe lancée à distance.

- Tu te débats plus qu’un Magicarpe sorti de l’eau, commenta le chasseur avec un sourire narquois. Mais je suis loin d’en avoir fini avec toi, microbe.

Je choisis de l’ignorer, et poursuivis le combat :

- Croâporal, lance plusieurs Vibraqua !

Heureusement pour moi, la pluie faisait toujours rage. Aussi les deux sphères d’eau qui jaillirent des paumes de Croâporal furent-elles énormes. Mais lorsqu’il les lança, l’une manqua sa cible, et l’autre fut balayée sans effort d’un coup de liane de Florizarre. Je craignis le pire en voyant Croâporal mettre un genou à terre. Sa blessure au ventre saignait toujours, mais pas suffisamment pour laisser penser à une hémorragie.

Ce ne fut qu’un voyant les vaguelettes violacées parcourir son corps que je compris ce qui arrivait à Croâporal.

« Non ! Il a été empoisonné ! » La dernière Bomb-Beurk avait dû atteindre mon Pokémon sans que je ne le remarque. Et maintenant, le poison était en train d’entamer son énergie vitale. C’était à peine s’il pouvait tenir debout. La panique me donna la nausée ; que devais-je faire ? Mon cerveau fonctionna à plein régime, mais tout se noyait dans mon esprit. J’étais devenu presque aussi engourdi que Croâporal. Et pour ne rien arranger, il fallut que je croise le regard satisfait de mon adversaire.

- La proie est affaiblie, l’entendis-je déclarer. C’est le moment de l’abattre.
- Sacha ! (Je sursautai, reconnaissant la voix de Genzo.) Surtout ne panique pas ! Le poison ralentira tes mouvements, mais tu peux encore te battre !

Le cœur cognant à m’en faire mal aux côtes, je serrai les poings jusqu’à sentir mes ongles s’enfoncer dans ma peau. Je frappai mes joues déjà trempées par la pluie et tentai d’accrocher le regard de Croâporal. Le batracien avait les yeux brillants, et le teint maladif. Mais malgré tout, il se força à sourire en hochant la tête. Des images furtives défilèrent dans mon esprit. Les souvenirs du combat précédent entre Croâporal et Florizarre.

Croâporal était toujours debout. Je pouvais toujours me battre. Mais pouvais-je encore gagner ?

« Allez, arrête, me rabrouai-je intérieurement. Si tu continues à rester paralysé en te posant des questions, c’est sûr que tu ne gagneras jamais. » OK, mais alors il fallait faire vite. Le temps était plus que jamais compté.

- Lance encore Vibraqua !

Bien sûr, même avec l’avantage fourni par la pluie, Vibraqua ne serait jamais assez puissant pour causer de dégâts importants à Florizarre. Mais cela pouvait toujours faire office de diversion. Ensuite, il faudrait tout miser sur Aéropique. En priant pour que ça marche…

Le temps que je doute, Croâporal avait déjà projeté son attaque sur Florizarre. Seulement, celui-ci ne se contenta pas d’une simple liane pour la détourner, cette fois.

- Ta pitoyable tentative de survie est, hélas pour toi, vouée à l’échec, dit le chasseur d’un ton bien trop tranquille. Utilise Végé-Attak.

La terre se mit à trembler sous nos pieds. Puis Florizarre hurla, et d’autres racines géantes sortirent du sol, et perforèrent le Vibraqua. De justesse, Croâporal réussit à sauter pour éviter celle qui menaçait d’en faire autant avec lui. Mais ses jambes le trahirent, et il trébucha sur une flaque de boue. Les racines fondirent sur lui comme autant de bêtes féroces.

- Reflet !!

L’ordre avait été donné de manière presque instinctive. J’avais presque envie de prendre la place de Croâporal sur le terrain, de forcer son corps à se lever, à courir, à survivre. Les racines ne transpercèrent finalement que du vide, tandis que plusieurs Croâporals se matérialisaient tout autour de Florizarre. Croâporal s’en était sorti à temps, mais son état empirait, la preuve : l’attaque Reflet avait produit bien moins de copies qu’auparavant.

- Débarrasse-moi de tout ça, gronda le chasseur. Tempête Florale !

Toujours encerclé de racines, Florizarre rugit de plus belle, et souleva une véritable tornade de feuilles acérées qui, fusionnées avec l’eau de pluie et la terre boueuse, formèrent un typhon qui balaya tous les Croâporals, vrai comme faux. Les doubles s’évaporèrent ; l’original vola par-dessus le terrain, le corps cisaillé de toutes parts.

- CROÂPORAL !

Sans réfléchir, je me précipitai pour le rattraper dans sa chute. L’impact fut violent, tout comme celui de ma tête heurtant le sol. Si l’eau sale qui détrempait l’herbe piétinée des jardins n’avait pas été aussi glaciale, j’aurais probablement tourné de l’œil. Au lieu de quoi, je dus me farcir les points lumineux devant les yeux, et les coups de marteau sous le crâne.

Mes sens furent soudain étouffés, comme pris dans du coton. Le fracas du tonnerre au-dessus de nos têtes me parut lointain. De même pour la voix de Genzo ; enfin, je crois que c’était lui que j’entendais crier ? Ou alors c’était quelqu’un d’autre ? Et l’Homme Masqué, parlait-il ? Se moquait-il encore de moi ? Ah oui, c’est vrai… Ce n’était plus l’Homme Masqué. Mais mon…

- Croâ…

Le gémissement inquiet de Croâporal me ramena sur terre. J’avais toujours mal à la tête, mais j’avais quitté mon état de semi-inconscience. Mon corps, en revanche, ne répondait plus. Étalé de tout mon long, je tremblais de manière incontrôlable. J’étais transi de froid – et de peur, sans doute. La peur, en l’occurrence, ce fut surtout dans les prunelles jaunes de Croâporal que je la lus. Si bas que je doutai que quiconque puisse m’entendre, je murmurai :

- J’suis désolé… Je t’ai laissé tomber…

Croâporal secoua la tête avec toute la vigueur que pouvait un être paralysé par le poison. Il toussa lorsque qu’une vague violacée secoua son corps. Ma respiration s’accéléra.

- Non, le détrompai-je. Je parle pas de maintenant. Mais de la dernière fois…

Les yeux écarquillés, Croâporal commença à comprendre ce que je voulais dire. Mes muscles se relâchèrent.

- J’ai pas été à la hauteur…, repris-je. J’ai pas su vous protéger, toi et les autres. La dernière fois, j’ai pas su empêcher ce type de te faire du mal.

Croâporal secoua de nouveau la tête. "Ça ne fait rien", disaient ses yeux. Je me redressai ; nous nous fîmes face l’un l’autre.

- J’ai voulu tout stopper, tu te souviens ? J’ai déclaré ma défaite car je savais que si j’allais plus loin, tu risquais de ne pas y survivre. Lorsque tu t’es retrouvé… crucifié…

Les mots restèrent bloqués dans ma gorge. Croâporal ne dit rien. Ses pattes tremblaient : était-ce sous le coup d’une quelconque émotion, ou bien à cause du poison ?

- Dis-moi. (Ma voix délaissa les trémolos pour devenir calme, plate.) Tu crois toujours que ne jamais renoncer – et ce, quoi qu’il arrive – c’est la bonne solution ?

La pluie continuait de tomber. Le monde extérieur ne se résumait plus qu’à son seul grésillement continu. Il n’y avait plus que moi, Croâporal, et cette pluie incessante. Incessante, comme l’attente de la réponse de mon ami.

Puis Croâporal sourit. Il ne prononça même pas un mot. Juste un simple étirement de ce qui pouvait s’apparenter à des lèvres sur son visage reptilien. Mais cela me suffit à le comprendre. Je souris à mon tour.

- Tu as raison. Quitte à perdre, autant perdre en se battant jusqu’au bout.

Je tendis la main vers lui, la posai sur son épaule.

- Si un seul coup ne suffit pas, on frappera, encore et encore. Jusqu’à ce que ça fonctionne. Essayer, c’est faire un pas vers la victoire. Abandonner, c’est signer sa défaite. Persévérer peut faire mal. Mais chaque coup reçu nous rend plus forts.

Le froid m’envahit. Mon pouls ralentit. Mon mantra se poursuivit :

- Tant que mes Pokémon tiennent bon, je me battrai. Tant que je tiendrai bon, mes Pokémon se battront. Seuls, nous sommes faibles. Mais ensemble, nous devenons plus forts.

Un sifflement aigu me perça les tympans. Toute sensation quitta mon corps, comme si mes nerfs venaient d’être coupés. Puis, telle une ride troublant la surface de l’eau, une voix s’éleva :

- Non. Seuls, nous sommes forts. Ensemble nous devenons encore plus forts.

Soudain, quelque chose craqua au fond de mon être. Une énergie inconnue se libéra, grandit et m’enveloppa entièrement. Mon sang se mit à pulser dans mes veines. Ma respiration devint un feu glacé dans mes poumons. Une flamme bleue brûla mon champ de vision, puis plus rien.
Tout devint blanc.


~*~

Accoudé sur la carapace épaisse de Tyranocif, Genzo ne sentait presque plus la pluie qui s’abattait sur lui et lui plaquait cheveux au visage et vêtements au corps. Inconsciemment, il resserra les phalanges autour d’une écaille du lézard, jusqu’à s’en fissurer les ongles. Bon sang… Sacha s’était si bien défendu jusqu’ici ! L’espace d’un court instant, rien qu’une demi-seconde, Genzo avait même pensé – espéré – que le jeune garçon avait une chance de l’emporter face à son père.

Quelle naïveté.

Un éclair déchira le ciel, illuminant les corps sombres et détrempés de Sacha et Croâporal gisant dans la boue. Dresseur et Pokémon avaient mordu la poussière à pleines dents. À la pluie se mêlait désormais un sang pourpre, qui tachait également la mousse immaculée du Pokémon Eau.
Théoriquement, comme Croâporal était toujours conscient et parvenait encore à se tenir sur quatre pattes, Sacha étaient toujours dans la course. Mais la course était désormais perdue.

À moins qu’elle ne l’eut toujours été ?

- C’est ici que tout s’arrête. (La voix de Gauthier, si faible par rapport à celle que produisait auparavant son masque de fer, tonna pourtant au milieu de la tempête.) J’aurais aimé te sortir le discours du type : « Ç’a été un beau combat », ou « Tu t’es bien battu jusqu’ici », mais… (Un sourire pernicieux s’étira sur ses lèvres.) Sauf qu’il n’en est rien ! Ce combat n’aura été qu’une perte de temps. Ta faiblesse est si écœurante. Quel gâchis d’avoir utilisé la Méga-Évolution face à toi…

Sacha ne répondit pas. Était-il inconscient ? De là où il était, Genzo ne pouvait le déterminer. Il espéra seulement que le jeune dresseur allait bien…

- Tu dois énormément souffrir, pas vrai ? poursuivit Gauthier, cynique. Pas seulement physiquement… Tu dois te sentir tellement impuissant ! Vois-tu ce que cela fait, lorsque tous ses efforts sont vains, et que l’on ne parvient jamais à arriver à quoi que ce soit ? Tu dois certainement te haïr d’être aussi incompétent… Mais n’aie crainte, je vais abréger tes souffrances. Bientôt, tu ne seras plus de ce monde. Florizarre !

Le Pokémon Plante en appela à ses racines, lesquelles se dressèrent de toute leur hauteur, prêtes à frapper.

- Gauthier, arrête ! s’écria Genzo. Le jeunot n’est plus en état de combattre, tu le vois bien ! Alors ça suffit. Tu as déjà gagné, n’en fais pas plus.
- Qui t’a sonné, vieux schnoque ? tonna le chasseur. C’est moi qui décide si je continue d’attaquer ou non.
- Mais enfin, as-tu perdu la tête ? Tu te rends compte de ce que tu t’apprêtes à faire ? C’est ton fils que tu essaies de tuer !

Le sourire de Gauthier s’effaça. Florizarre, immobile, observa tranquillement son dresseur toiser l’ancien formateur de la Team Rocket d’un œil glacial.

- Reste. En dehors. De ça, articula lentement Gauthier.
- Et te regarder assassiner un innocent sans rien faire ? répliqua Genzo. Plutôt mourir. Enfin, Gauthier, ce garçon est de ton sang ! C’est la chair de ta chair, et tu veux…
- FERME-LA !!

Le tonnerre gronda en écho à ce cri. Soudain, Genzo vit son ancien élève porter la main à sa poitrine en respirant de manière beaucoup trop rapide. Ce détail ne lui échappa pas : Gauthier était-il blessé ? Si c’était le cas, ce dernier n’en avoua rien, et poursuivit comme si de rien n’était :

- Je ne connais pas ce gamin. Je n’ai pas de famille, tu entends ? Ma seule famille, c’était Fantôme… et ce microbe l’a tué… !

Déstabilisé, Genzo ne répondit pas. La voix de Gauthier tremblait sous le joug d’émotions puissantes, parmi lesquelles la colère. Mais il y avait autre chose, semblait-il… Gauthier paraissait perturbé.

Galopa, couché à côté de Genzo, hennit alors doucement, presque de manière encourageante. Surpris, le vieil homme se tourna vers l’équidé, lequel ne quittait pas des yeux son ancien dresseur. Un éclat de tristesse fit briller ses iris rouge pâle. Genzo comprit : ayant été pendant longtemps son Pokémon, Galopa connaissait Gauthier mieux que quiconque. Lui était capable d’interpréter les émotions qui passaient dans ses yeux, et dans sa voix. Lui pouvait comprendre l’origine du mal qui le rongeait.

« Gauthier n’est pas mauvais. C’est seulement un être brisé, qui a un jour perdu ce qui lui était cher, et qui ne s’en est jamais remis. » Si Galopa avait pu parler, voilà ce qu’il aurait très certainement dit. Tout du moins, Genzo se plaisait-il à l’imaginer. Toujours était-il que tout n’était peut-être pas perdu. Après tout, si Gauthier avait voulu tuer Sacha, il aurait pu ignorer Genzo et le faire immédiatement. Et pourtant, il ne donnait toujours pas le feu vert à Florizarre.

« Si la rancœur ne t’a pas entièrement privé de toute ton humanité, je ne vais pas laisser une telle occasion s’échapper. » Le lien de parenté de Sacha et Gauthier était la clé pour permettre à ce dernier de changer, de redevenir celui qu’il était autrefois. Genzo en était convaincu. Alors il décida de tenter sa chance :

- Gauthier, écoute-moi. Je sais que tu as eu une vie difficile. Tu n’aurais pas rejoint la Team Rocket, si ce n’était pas le cas. Cette organisation n’est qu’un ramassis de jeunes désœuvrés, après tout… Mais passons. Ce que je veux dire, c’est que tu ne dois pas laisser la frustration avoir raison de ton jugement.

Étonnamment, Gauthier ne répliqua pas, et se montra même plutôt attentif. Persuadé d’être sur la bonne voie, Genzo continua :

- Lorsque tu es arrivé à l’Académie, tu ne souhaitais qu’une seule chose : devenir plus fort en combat de Pokémon. C’était là ton seul et unique but. Et bien que aies accumulé les défaites depuis ton arrivée, je peux te le dire : tu ne manquais pas de potentiel, loin de là. Seulement, ton problème était…
- Ça suffit, le coupa Gauthier. J’en ai assez de t’entendre faire ma biographie, le vieux. C’est toujours pareil, avec toi : tu passes ton temps à me faire des remontrances, mais ce n’est pas ça qui me rendra plus fort !
- Ce ne sont pas des remontrances ! se récria Genzo. Gauthier, s’il te plaît, tu dois m’écouter. Je t’en prie. Ce que je te dis maintenant, tout comme ce que je te disais à l’époque où j’étais ton professeur, c’est pour toi que je le dis. Pour t’aider. Je ne cherche pas à te juger ou à te rabaisser, bien au contraire : je te montre tes fautes pour que tu ne les réitère jamais. Pour que tu…
- TAIS-TOI !! (Gauthier se prit la tête entre les mains, causant l’inquiétude de Genzo et Galopa.) Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire ! Je suis le seul à savoir ce qui est bon pour moi, alors ne t’en mêle pas !

Malgré son lumbago, Genzo s’appuya sur Tyranocif, et se leva pour faire face à Gauthier. Celui-ci semblait prêt à frapper quelqu’un. Les Pokémon, n’osant ou ne sachant comment intervenir, ne remuèrent pas d’un cil. Le combat Pokémon s’était mué en joute verbale ; une joute que Genzo sentait qu’il perdait peu à peu. En désespoir de cause, il tenta une nouvelle approche :

- Gauthier, ne te referme pas sur toi-même. C’est cette solitude que tu t’imposes qui te rend aigri, et cela finira par te faire du tort. Il te faut apprendre à t’ouvrir aux autres…
- Les autres, je n’en ai rien à faire ! Ils ne sont bons qu’à m’empêcher de vivre ma vie comme je le souhaiterais. Chaque fois que j’ai voulu accomplir quelque chose, on m’a mis des bâtons dans les roues. Les autres m’empêchent d’être ce que je veux ! Et moi, ce que je veux, c’est être le meilleur. Je veux figurer parmi les plus grands. Je veux être craint, respecté. Je veux être inoubliable. Je veux être impitoyable. Je veux être impardonnable. JE VEUX ÊTRE MOI !

Le tonnerre craqua en écho à ces paroles. Rendu muet par la stupeur, Genzo ne trouva rien à répliquer. Tremblant telle une bombe à retardement, Gauthier se tourna vers Sacha et Croâporal, toujours à genoux dans la boue.

- Et ce gamin n’est rien de plus qu’une preuve de mes échecs passés. Il représente un souvenir que j’ai chéri, puis qui m’a été ôté. Et je ne veux plus en entendre parler. J’ai fait table rase du passé : à présent, tout ce qui a un jour fait partie de ma vie n’existe plus. Je ne suis plus Gauthier. Je suis le Chasseur. Et le Chasseur n’a ni père, ni mère, ni femme, ni enfant. Son monde n’est fait que de ténèbres.

Estomaqué, Genzo réagit trop tard lorsque Gauthier leva le bras. Les mots furent incapables de sortir de sa bouche lorsque l’ordre de lancer Végé-Attak fut donné. Impuissant, il ne put que regarder les racines plonger sur Sacha et Croâporal.

- Rejoins les ténèbres de l’oubli, murmura Gauthier. Adieu.

Il y eut un bruit sourd. Les racines, ayant atteint leur cible, s’immobilisèrent. Seule la pluie saturait l’air de son battement interminable.

Un souffle de vent souleva alors les cheveux de Genzo et Gauthier, fit vaciller les flammes de Galopa, et agita les pétales de Florizarre. Puis soudain, une onde de choc souleva l’air. Humains et Pokémon furent renversés par sa puissance. La pluie elle-même fut balayée en un instant.

Les racines s’écrasèrent soudain, tranchées en rondelles parfaites.

- Qu’est-ce… ?! Qu’est-ce qui s’est passé ? hurla Gauthier.

Florizarre se mit alors à brailler nerveusement. Galopa s’agita également, poussant des hennissements apeurés. Genzo le retint par la bride avant qu’il ne rouvre une de ses blessures. Gauthier, quant à lui, ajusta la position du verre rouge qui lui servait de lunettes, et s’avança.

Ce qu’il vit le laissa sans voix.

Skillet - Feel Invincible
Debout sous la pluie battante, Sacha et Croâporal leur faisaient face, à Florizarre et à lui, la tête baissée vers le sol. Hormis les blessures qu’ils avaient déjà reçues, ils n’avaient pas la moindre égratignure.

- Impossible ! Comment as-tu fait ça ?! Com-

Gauthier s’interrompit en croisant le regard du jeune homme. Ses yeux, d’ordinaire brun ambré, brûlaient à présent d’un bleu intense, presque spectral. Son Croâporal n’était pas en reste : ses iris noirs étaient désormais teintés d’un rouge vif, surnaturel.

- RRAAAAAAH !!!!…

Les bras croisés sur la poitrine, dresseur et Pokémon se redressèrent d’un seul et même mouvement, et hurlèrent à s’en déchirer la gorge.

- Mais qu’est-ce qui leur prend… ?
- Sacha !

Inutile. Le garçon ne parut pas entendre Genzo. Lui et son Pokémon hurlaient comme des possédés, sans paraître remarquer la présence des autres autour d’eux. Sacha porta les mains à sa tête - à présent nue puisque sa casquette était tombée lors du choc. Étrangement, ses cheveux restaient dressés en pointes malgré la pluie tombante, donnant l'impression qu'il était coiffé de cornes de démon.
La tournure des événements commença à inquiéter Gauthier. Ces yeux… Qu’était-il en train d’arriver au gamin et son Pokémon ? Se pourrait-il que les effets du talent Torrent de Croâporal se fussent activés ? Mais dans ce cas, pourquoi son dresseur réagissait-il ainsi ? Cela n’avait aucun sens…

- Qu’importe, dit-il à voix haute. Si ce coup n’aura su t’abattre, le suivant sera le bon.

Cessant tout à coup de hurler, Sacha et Croâporal se plièrent en deux, bras le long du corps. Gauthier ordonna à Florizarre d’attaquer. Le Pokémon Fleur déploya ses laines, et les envoya sur Croâporal. Ce dernier n’eut qu’à faire un écart sur le côté pour l’éviter. Surpris, Gauthier dit à Florizarre de recommencer. Le type Plante obéit, et accéléra la cadence. Ses lianes dévirent bientôt invisibles à l’œil nu tant elles bougeaient vite. Cependant, Croâporal les évita toutes, et ce sans le moindre effort. Sa vitesse était encore plus impressionnante que celle des fouets destinés à le blesser. Mais cela ne faisait pas tout : on aurait dit qu’il savait où les plantes allaient frapper.

- Qu’est-ce que tu fiches, Florizarre ? s’écria Gauthier, dont l’énervement masquait en réalité une nervosité croissante. Applique-toi et réduits-moi ce Pokémon en poussière !

Croâporal, tête baissée et bras ballants, se dandina tel un zombie. Il fléchit les genoux. Sacha fit de même.

- A-é-ro…, l’entendit croasser Gauthier.
- Bomb-Beurk, maintenant !

Le Pokémon Plante se mit en position de tir, mais se figea presque aussitôt. Le temps de cligner des paupières, Croâporal avait avalé la distance qui les séparait.

- PIQUE !!

Le coup atteignit Florizarre en plein menton. Une seconde onde de choc traversa le corps du Pokémon et, exploit incroyable, le souleva jusqu’à le faire tenir sur deux pattes. Croâporal enchaîna sans perdre une seconde, et frappa à plusieurs reprises le ventre ainsi exposé du type Plante, qui dut encaisser des coups d’une rare violence dans cette partie vulnérable de son corps.

- Attaque Coupe ! cria Sacha.

Croâporal fit une galipette arrière dans les airs, dégaina son arme, et fondit de nouveau sur son adversaire. Les écailles – pourtant épaisses – de Florizarre furent criblées d’entailles grosses comme le poing en à peine une fraction de seconde. Le type Plante s’écroula avec un cri guttural, sous les yeux éberlués de son maître. Sacha et Croâporal hurlèrent de nouveau, avant que leur cri ne meure en un râle étouffé. Le poison agissait toujours sur le Pokémon Eau, lui arrachant une grimace de douleur.

- Relève-toi, Florizarre, tempêta Gauthier. Comment as-tu pu te laisser surprendre par ce gamin ? Allez, utilise Tempête Florale, et termine le travail !

Florizarre grogna et se redressa, un œil à demi-fermé. Il invoqua une nouvelle tornade de feuilles acérées, qu’il expédia sur Croâporal. Sacha mit ses bras en croix devant son torse, de même que son Pokémon. Lorsque les feuilles de Tempête Florale s’abattirent sur Croâporal, tous deux poussèrent un même cri de souffrance. Puis Sacha écarta les bras.

- Reflet !

L’ordre avait à peine franchi ses lèvres que des dizaines de Croâporal s’étaient matérialisés. Si la plupart furent fauchés par la Tempête Florale, les autres couraient et sautaient en tous sens pour éviter d’être touchés. Sacha plaça ses mains sur les hanches et, simultanément, les Croâporal firent de même.

- Lance Coupe !

Ce ne furent pas un, mais bien deux sabres qui se formèrent au creux des pattes de Croâporal. Laissant ses doubles se faire désintégrer par la tempête, l’amphibien courut droit devant lui, tranchant chaque feuille coupante avec une célérité et une précision déconcertantes. En un rien de temps, il fut sur Florizarre, et lui assena une nouvelle attaque Coupe. Une balafre apparut sur le front épais du Pokémon Fleur, au grand désarroi de son dresseur.

- Cette vitesse…, souffla Genzo. Et cette puissance… C’est incroyable… !

Galopa était au moins tout aussi éberlué que lui. Il y avait à peine cinq minutes, Sacha et Croâporal gisaient sur le sol, comme à moitié morts. Et maintenant, ils étaient en train de mener la vie dure au Florizarre méga-évolué de Gauthier.

En parlant de Sacha, il y avait quelque chose de véritablement étrange dans son comportement. Autant, que Croâporal ait eu un brusque coup de peps, on pouvait mettre cela sur le compte de son talent Torrent. Mais Sacha ? Pourquoi hurlait-il comme cela ? Et pourquoi bougeait-il dans tous les sens sans arrêt ?

Tout coup, en observant attentivement les mouvements de Sacha et Croâporal, Genzo remarqua quelque chose. Ils étaient parfaitement synchronisés. Bien sûr, quand un dresseur et son Pokémon avaient l’habitude de combattre ensemble, il arrivait à l’humain de bouger comme le ferait son Pokémon au moment de l’attaque… Mais là, Sacha bougeait vraiment en même temps que Croâporal. À croire que…

« Non… Impossible ! » Voulant en avoir le cœur net, Genzo activa sa détection des auras. Et là, il vit quelque chose qui lui coupa le souffle.

« Les auras de Sacha et Croâporal… Elles sont en train de… de fusionner ?! »

De fait, au lieu d’avoir, comme il s’y attendait, deux traces d’auras distinctes, Genzo perçut bel et bien une seule et même aura, qui s’étirait en largeur entre le dresseur et son Pokémon. Et cette aura était d’une intensité phénoménale ; à tel point que Genzo ne put la regarder bien longtemps. C’était comme essayer de regarder le soleil en face.

« Inouï… mais qui diable est ce garçon ? »

À cette question silencieuse, seul le vagissement plaintif de Florizarre répondit. Croâporal le mitraillait d’attaques Aéropique, sans lui laisser le temps de respirer. Les rôles étaient à présent parfaitement inversés. Sacha et Croâporal dominait largement un combat qui semblait pourtant perdu d’avance. Et cette situation déplaisait fortement à Gauthier.

« Où donc va-t-il chercher toute cette puissance ? » Cette fois, ce combat ne l’amusait plus du tout. Jusqu’ici, il ne s’était jamais donné à son maximum, pour le simple plaisir de torturer son adversaire et exposer l’écart de leurs deux puissances. Sauf que maintenant, c’était à lui d’être mis en difficulté. Une sensation qu’il n’avait plus éprouvée depuis bien longtemps, et qu’il s’était juré de ne plus jamais éprouver de toute sa vie.

- Cette fois, ça suffit !! (L’orage gronda.) J’ai été bien trop bon avec toi jusqu’ici, gamin. Mais là, fini de jouer ! Je vais t’écraser, même si je dois vous détruire, toi et ton fichu Pokémon !!

Florizarre entendit ce cri comme un signal. Dans un sursaut d’énergie, il se cambra et percuta Croâporal d’un coup de front. Le batracien atterrit maladroitement quelques mètres plus loin, lui et son dresseur portant tous deux les mains à leur abdomen. Florizarre frappa le sol de ses quatre pattes, et rugit si fort que le coup de tonnerre suivant passa presque inaperçu.

- Dévoile ta vraie puissance, Florizarre ! scanda Gauthier d’une voix fébrile. N’hésite pas, détruis tout s’il le faut. Mais je ne veux plus voir ce mioche, tu m’entends ?!

La Gemme Sésame de Gauthier brilla, et Florizarre s’entoura d’un halo vert. Plusieurs douzaines – au moins ! – de racines géantes surgirent alors de terre, et frappèrent tout ce qu’elles trouvèrent. Lorsque Genzo vit l’une d’entre elles se diriger vers lui, il se recroquevilla instinctivement pour se protéger. Mais ni lui ni Galopa ne furent touchés. Brusquement sorti de son état comateux, Tyranocif avait eu le réflexe de faire barrage de son dos pour protéger le vieil homme et le Pokémon Feu. Genzo fut partagé entre un sentiment d’extrême gratitude et l'affolement en voyant son Pokémon encaisser une pareille attaque.

Les racines détruisirent tout sur leur passage. Tout aussi rapide et agile qu’il fût, Croâporal ne put les éviter bien longtemps. Et pourtant, ce n’était pas faute de sauter, grimper sur les végétaux, les parcourir de long en large, de s’agripper sur leurs épines recourbées telles des griffes.

Lorsqu’enfin, les racines réussirent à attraper Croâporal et à le maintenir dans leur étreinte, Gauthier rit, d’un rire dément. Personne ne pouvait le surpasser. Il était le dresseur ultime. Aucun être au monde ne pouvait surpasser ses Pokémon Obscurs !


~*~

Douleur, douleur, douleur, encore douleur. La douleur était partout. Dans mes os, dans ma chair, dans mon sang. La souffrance était présente dans chaque fibre de mon corps ; mais avais-je encore un corps à ce stade ? Je ne savais plus où j’en étais. Tout mon être ne se résumait plus qu’en douleur et souffrance.

Résiste !

Qui venait de parler ? Je crus reconnaitre ma propre voix…

Qu’est-ce qui m’arrive… ?

Ça fait mal… J’ai mal !


L’étau qui me comprimait le ventre et le thorax se resserra. J’étouffais ; mais le pire était ces épines qui s’enfonçaient dans ma peau… Minute, mais il n’y avait pas d’épines ! Et je n’étais pas pris dans un étau ! Mais que se passait-il ? Et où était Croâporal ?

Je suis là, ne t’en fais pas.

Là encore, je crus m’entendre parler. Pourtant, ce n’était pas ma voix…

Où es-tu ? J’ai si mal…

Tiens bon ! On va s’en sortir !


J’avais l’impression que plusieurs cœurs battaient sous mes côtes. Bon sang, j’avais si mal ! Tellement mal…

Il faut que ça s’arrête…

Toi et moi, on peut y arriver. Ensemble, rien ne nous est impossible. Alors accroche-toi !

Je… suis…


Je ne savais pas où j’étais. Ni qui j’étais. Je ne savais plus rien. Tout ce que je savais, c’était la douleur.

Ne flanche pas !! Viens, prends ma main ! N’abandonne pas !!

Je perçus soudain, à la limite de ma conscience, comme une présence familière. Un peu comme si quelqu’un venait de me prendre dans ses bras. Une intense chaleur naquit en moi, et enfla peu à peu. Comme si elle le dessinait dans l’éther, elle se répartit dans chaque parcelle de mon corps, que je pus de nouveau contrôler. J’ouvris les yeux ; le monde entier était devenu blanc. Mais au milieu de ce vide absolu, il était là.

Croâporal ?

On va y arriver. Toi, et moi. Ensemble…

Ensemble…


L’énergie satura nos deux corps. J’avais l’impression de l’être transformé en électron instable.

ON DEVIENDRA PLUS FORTS !!

Un tsunami surgit du néant, et nous emporta dans son tourbillon.

Nos liens furent tranchés.

- Non ! Impossible ! entendis-je hurler une voix.

L’ennemi est droit devant.

Alors fonce !


Le vent siffla à mes oreilles. Je sentis mon corps devenir plus léger. J’armai le poing, frappai. Ma main ne rencontra que du vide, et pourtant un choc résonna dans chacun de mes os.

Frappe ! Frappe encore !

Je sautai, tournai, glissai entre les gouttes de pluie. Florizarre était à quelques centimètres. Je pouvais sentir son souffle chaud sur mon dos.

Porte les mains aux hanches. Dégaine. Frappe !

Deux attaques Coupe en main, j’attaquai. Le bruit des écailles brisées de Florizarre fit vibrer mes tympans. Le poison provoqua une décharge de douleur dans mon corps…
Non. Ce n’était pas mon corps. Mais celui de Croâporal. C’était lui qui bougeait, lui qui donnait les coups, et les recevait. C’était lui que le poison paralysait. Et pourtant je ressentais tout, comme si j’étais avec lui sur le terrain. Comme si… j’étais Croâporal.

Mon corps était fait de feu. Toutes mes pensées étaient focalisées sur le combat. Ma respiration était devenue puissante, mes jambes étaient parcourues d’une énergie infinie. À chaque nouveau coup, je me sentais cette énergie grandir, et s’échapper par tous les pores de ma peau. Chaque mouvement de Florizarre m’apparaissait clairement.
Je fis un écart sur le côté ; Croâporal fit de même. Je pivotai, frappai. Croâporal pivota, frappa Florizarre. Florizarre rugit, percuta Croâporal. Le choc comprima mes organes, fit trembler mes os. Croâporal tomba ; le froid de l’eau de pluie m’envahit. Nos deux cris n’en formèrent plus qu’un.

Plus fort... plus fort...

Je levai les bras. Croâporal ouvrit les paumes. Deux Vibraqua s’y formèrent, avant de fusionner en un seul. Je pouvais sentir l’eau tourbillonner autour de nous, venir rejoindre la sphère créée par Croâporal, la faire grossir. J’entendis un cri que je ne compris pas. Je vis des racines géantes sortir de terre.

Encore ! Toujours plus fort !!!

Je fléchis les genoux ; Croâporal sauta. J’abaissai les bras ; Croâporal lança un Vibraqua devenu gigantesque. Florizarre ne put l’éviter. Une explosion fit vaciller l’air. Je vis les racines s’effondrer, inertes.

- AÉROPIQUE !!

La terre tourna à toute vitesse autour de moi. Croâporal fondit sur Florizarre, et lui assena un dernier coup surpuissant. Le Pokémon Plante se retrouva enfoncé de plusieurs centimètres dans le sol. Le monde tourna encore. Croâporal atterrit. Je sentis de nouveau la terre sous mes pieds. Ma respiration résonnait en écho à une deuxième. Et les deux étaient saccadées.

Puis soudain, un « clac ! » retentit dans ma tête. Toute sensation quitta de nouveau mon corps. Je me sentis tomber, chuter sans fin dans le vide.

Tout devint noir.