N'abandonnez jamais de Goldenheart

Ceux qui ne supportent pas leur faiblesse se prétendent forts en persécutant des plus faibles qu’eux.

Ceux qui ont accepté leur faiblesse sont ceux qui possèdent la force d'aider les autres.


~*~

L’attaque Lance-Flammes fit mouche. Luxray sentit les poils de sa crinière roussir sous les flammes. Avec un rugissement rageur, le Pokémon électrique sauta, et planta ses crocs à la base du cou d’Arcanin. Le Pokémon de type Feu se cabra brusquement, cherchant à le faire lâcher prise, avant qu’une décharge électrique ne secoue tout son corps. Une odeur de poils brûlés s’éleva dans l’air humide.

Sonné par le choc, Arcanin cessa de se débattre un court instant, sans que toutefois Luxray ne le lâche. Sapereau se jeta alors sur leur adversaire et le frappa de plusieurs Torgnoles. Un coup efficace, mais qui eut également pour conséquence de faire reprendre ses esprits au canidé. Ce dernier roula au sol, obligeant Luxray à le lâcher pour éviter de se faire écraser, avant de cracher un jet de flammes en direction de ses assaillants.

- Il arrive, s’écria Lem. Serena !
- Je m’en occupe : Évoli, lance Abri !

La renarde, restée en arrière, se plaça aux côtés de Sapereau, et dressa une barrière bleutée entre eux et l’Arcanin. Les flammes ricochèrent dessus sans leur faire le moindre mal. Sapereau remercia sa camarade d’un regard, avant de tirer une rafale de Tir de Boue sur leur ennemi. Aveuglé, Arcanin recula en crachant.
Lem et Serena, qui pourtant ne faisaient que donner les ordres lors de ce combat, étaient presque aussi épuisés que leurs Pokémon. Jusqu’ici, leur travail d’équipe avait porté ses fruits : les attaques efficaces et réfléchies des Pokémon de Lem avaient suffi à tenir l’Arcanin à distance. Et lorsque celui-ci ripostait, l’Évoli de Serena les protégeait d’une attaque Abri, leur laissant champ libre pour riposter.

Seulement, dresser cette protection coûtait énormément d’énergie au Pokémon Évolutif, qui n’était pas très habitué à livrer des combats, encore moins aussi intenses. Sans compter que, malgré tous leurs efforts, Arcanin refusait d’abandonner, et revenait sans cesse à la charge. Et pour ne rien arranger, la pluie faiblissait de minute en minute. Et par-là même, les attaques de type Feu du canidé recouvraient peu à peu toute leur puissance.

- À ce rythme, on ne tiendra pas très longtemps, lâcha Serena, traduisant à voix haute les sombres pensées de son coéquipier.
- Je sais…, répondit celui-ci. Mais il faut qu’on s’accroche. Il va bien finir par se fatiguer, lui aussi.

Au même instant, comme pour le contredire, Arcanin balaya Luxray d’une Vitesse Extrême, qui laissa le Pokémon Brillœil étourdi quelques secondes. Les babines entourées de flammèches, le chien-loup s’apprêtait à se jeter sur lui pour le mordre, quand deux fines lianes lui enserrèrent la patte arrière.

- Marisson ! cria Lem en reconnaissant son Pokémon.

Le petit hérisson freinait des quatre fers pour retenir Arcanin dans son élan, alors même que le mastodonte était au moins dix fois plus gros que lui. Les épines de sa carapace se durcirent, et il les projeta sur le type Feu d’une attaque Dard-Nuée. La tête d’Arcanin fut entourée de fumée suite à l’explosion produite. Fier de son coup, Marisson déchanta bien vite lorsqu’une force prodigieuse tira sur ses lianes, et l’envoya valser dans les airs. Déséquilibré, il ne put éviter le Lance-Flammes, qui le cueillit de plein fouet. Le petit Pokémon Plante s’écrasa aux pieds de son dresseur, lequel le prit dans ses bras.

- Marisson… Tu as tout tenté pour nous aider… merci.

Serena n’eut pas le loisir de se laisser aller à l’émotion. Arcanin revenait déjà à la charge. De nouveau, Évoli dut bloquer son offensive avec Abri. Mais lorsque Sapereau et Pandespiègle en profitèrent pour riposter, la renarde s’écroula sur le sol, éreintée. Serena courut immédiatement la prendre dans ses bras.

Simple témoin de la scène, incapable de faire quoi que ce soit, Clem sentit son cœur se serrer en voyant le terrible sort de Marisson et d’Évoli. Les Pokémon donnaient leur maximum, mais ils tombaient tous les uns après les autres… Cette vue était tout bonnement insupportable pour la fillette ; combien aurait-elle donné pour pouvoir aider son frère et Serena ! Mais elle savait qu’elle ne ferait jamais le poids, et l’idée qu’il puisse arriver la même chose à Dedenne qu’à Marisson la laissait paralysée sur place.

- Hé, vous ! (Clem se tourna vers la Team Rocket, cachée derrière l’un des camions garés à l’extérieur.) Vous ne pouvez pas faire quelque chose pour nous aider ?
- Vous aider ? miaula Miaouss, la fourrure dressée sur son échine. Tu plaisantes ? Si on y va, ce monstre va nous réduire en chair à saucisse !
- Lem et Serena se battent de toutes leurs forces, eux ! s’emporta la fillette, que la peur et la colère faisaient monter les larmes aux yeux. Vous avez des Pokémon forts, vous aussi, bien plus forts que Dedenne et moi… Alors pourquoi vous n’allez pas vous battre, puisque vous le pouvez ?

Les trois compères battirent des paupières, comme s’ils peinaient à croire ce qu’ils venaient d’entendre. Jessie consulta James :

- Attends, elle a dit que nos Pokémon étaient forts ?
- Oui, et elle a précisé : « plus forts que nous ».
- Ça c’est une surprise ! s’exclama Miaouss.
- Hein ? C’est pas ce que j’ai…

Avant qu’elle n’ait pu terminer sa phrase, Clem manqua de se faire bousculer par Jessie et James, qui s’étaient levés avec une rapidité déconcertante, le torse bombé et le regard fier.

- Ainsi donc, tu reconnais notre supériorité, petite morveuse, se vanta la femme aux cheveux mauves.
- Il n’est rien de plus motivant que d’entendre son ennemi avouer de sa bouche qu’il a besoin de nous pour le tirer d’affaire, ajouta James en jetant négligemment une de ses mèches bleues sur le côté.
- Ça oui ! enchérit Miaouss, dont l’orgueil avait effacé toute trace de peur. Et puisque tu y tiens tant, nous allons faire une petite démonstration de nos immenses talents sur-le-champ ! Ce sale cabot n’a qu’à bien se tenir !

Effarés par ce soudain enthousiasme de la part de leurs vieux ennemis, Lem et Serena interrogèrent Clem du regard. La fillette se contenta d’hausser les épaules d’un air confus : après tout, tant qu’ils se battaient à leurs côtés, ils pouvaient bien affirmer tout ce qu’ils voulaient…

Pendant ce temps, Arcanin s’était débarrassé de Pandespiègle et Sapereau, et renversait un Luxray de plus en plus fatigué. Jessie choisit ce moment pour attaquer :

- Banshitrouye, renvoie ce molosse dans sa niche ! Ball’Ombre !
- Sépiatop, utilise Rafale Psy ! enchaîna James.

Les deux attaques firent mouche, à la plus grande joie des bandits. Plus pragmatiques que leurs coéquipiers d’infortune, Lem et Serena attendirent de voir les effets avant d’envisager de quelconques réjouissances. Et ils firent bien : le combo de Sépitop et Banshitrouye avait à peine assommé Arcanin, qui dissipa la fumée de l’explosion d’un simple hurlement. Son corps s’entoura d’électricité, et il lança Éclair Fou sur le Pokémon Psy/Ténèbres. Ce dernier percuta son acolyte, et tous deux tombèrent pile sur leurs dresseurs. S’écartant de justesse, Lem vit soudain une vapeur laiteuse s’échapper de la fourrure du Pokémon Feu, qui avait pris une teinte rouge-orangé.
Le cœur de l’inventeur faillit cesser de battre.

- Il va lancer Surchauffe ! Protégez-vous !

Hélas, Évoli était bien trop exténuée pour pouvoir dresser un nouvel Abri. La température monta subitement autour des enfants et des bandits. L’attaque en serait d’autant plus terrible ; cette fois, ils n’y échapperaient pas.

Par réflexe, Lem ramena sa sœur auprès de lui, rejoint par Serena. Les Pokémon se placèrent en avant, prêts à faire barrage de leurs corps. Quant à la Team Rocket, ils étaient tous bras serrés les uns contre les autres, pleurant à chaudes larmes en s’imaginant carbonisés.

Lorsque la température de son corps dépassa son extrême limite, Arcanin relâcha tout. Une déferlante de feu liquide s’abattit sur les environs. Les camions fondirent comme du caramel dans une casserole. L’herbe, bien que trempée par la pluie, s’assécha rapidement avant de brûler. L’air lui-même s’évapora.
Tétanisés, les enfants, la Team Rocket et tous leurs Pokémon virent leur monde se colorer d’un rouge feu aveuglant.

Jusqu’à ce qu’une silhouette toute en rondeurs s’interpose.

Une vive lumière aux couleurs arc-en-ciel enveloppa le groupe de dresseurs et de Pokémon, avant d’absorber chaque flamme de l’attaque Surchauffe. Le feu rugissait autour d’eux, mais aucun ne fut brûlé. Tout au plus eurent-ils très chaud. Mais l’attaque ne leur fit pas de dégâts.

Une fois l’attaque totalement absorbée, tous purent découvrir l’identité de leur sauveur. Une seconde s’écoula. Deux secondes.

Puis le corps de Qulbutoké prit un blanc éclatant, avant d’expulser un rayon d’énergie d’une taille incroyable, si puissant qu’il souleva des fragments de terre. Pris au dépourvu, Arcanin prit ce rayon de plein fouet. Une explosion monumentale secoua le sol, et fit trembler l’air. Lorsqu’enfin, la fumée fut dissipée par la fine bruine, le silence retomba.
Le corps calciné, – étrange pour un Pokémon Feu – Arcanin grogna encore quelques instants, avant de s’écrouler au sol, K.O. Pendant un temps qui parut interminable, personne ne prononça un mot.

Puis Qulbutoké se retourna, sa patte rectiligne posée sur son crâne lisse comme à son habitude, et lança :

- Quuul-but-Okay !

Ce simple son trahissant une once de fierté suffit à sortir tout le monde de sa torpeur. Aussitôt, les cris et acclamations des membres de la Team Rocket déferlèrent sur le Pokémon Patient.

- Tu nous as sauvé la vie ! s’égosillait Miaouss, les larmes aux yeux. Je n’ai jamais douté de toi, mon vieux !
- Tu es arrivé juste à temps !
- Notez bien que c’est finalement moi qui ai vaincu ce satané Arcanin ! se rengorgea Jessie, qui n’avait jamais été aussi heureuse de posséder ce Pokémon à l’aspect pourtant bien débonnaire.

Encore sous le choc, le groupe d’enfants s’autorisa enfin à respirer de nouveau.

- Quand je pense qu’on doit notre victoire à un Pokémon de la Team Rocket…, soupira Lem.
- Oui, qui l’eût cru ? acquiesça Serena.

Les deux amis et la cadette de l’équipe échangèrent un sourire complice. Tous sentirent la pression retomber et leurs muscles tendus se relâcher. Et à présent qu’ils avaient non seulement vaincu un Pokémon de l’Homme Masqué, mais également survécu de peu à une mort certaine, une étrange euphorie s’empara d’eux, et les fit rire nerveusement. Jamais ils ne s’étaient sentis aussi vivants qu’en cet instant. Même la sensation de la pluie frappant leurs visages leur devint agréable.

- Est-ce que tout le monde va bien ?

Tout le monde se retourna d’un bloc. Escortée de son Démolosse, Malva accourut vers le groupe, ses cheveux roses devenus ternes et détrempés par le récent déluge. Immédiatement, Lem la rassura, lui assurant que tout le monde s’en était sorti sans dommage. En voyant l’Arcanin inconscient, Malva ne put s’empêcher de pencher la tête, impressionnée.

Cependant, le soulagement disparut bien vite de ses traits.

- Où sont les Sépiatroces ? demanda-t-elle de but en blanc.

Lem sursauta. Les Sépiatroces ! Comment avait-il pu les oublier ? Immédiatement, lui, Serena et Clem se tournèrent en direction des membres la Team Rocket, lesquels ouvrirent des yeux ronds comme des soucoupes.

- Vous étiez présents bien avant qu’Arcanin n’arrive, dit Lem. Les avez-vous aperçus ?
- Un peu qu’on les a aperçus, répliqua James, que le ton accusateur de ce morveux dérangeait au plus haut point. Ils nous ont attaqués alors qu’on sabotait leurs véhicules et volait leurs précieuses Pokéballs Obscur.
- En parlant des Pokéballs Obscur, l’interrompit Jessie. Où sont-elles ?

Comme si la réponse leur avait été soufflée à tous en même temps, les regards convergèrent vers les camions calcinés. Ou du moins, ce qu’il en restait. La pluie étouffait les braises naissantes nichées au creux des moteurs carbonisés, d’où se dégageait une fumée noirâtre qui empestait l’essence et le métal brûlé.

- Eh bien, au moins, nous n’avons plus à nous inquiéter de ces balles de malheur…, dit simplement Malva.

Jessie, James et Miaouss furent loin de partager le soulagement qu’éprouvèrent Lem et les autres. Les Pokéballs Obscur factices auraient été un si beau cadeau à rapporter à leur bien-aimé Boss Giovanni… Refoulant malgré eux les larmes de déception qui leur piquaient les yeux, les trois bandits laissèrent Lem les interroger une nouvelle fois :

- Et les Sépiatroces ?
- Ils étaient deux quand ils nous sont tombés dessus, répondit platement Miaouss. L’un d’entre eux s’est fait réduire en charpie par cet Arcanin. L’autre… l’autre je ne sais pas. On était trop occupés à s’enfuir pour le surveiller.

Les jeunes dresseurs sentirent la peur les gagner de nouveau. Alors il y avait toujours un Sépiatroce dans la nature ? Bien entendu, il ne pouvait sans doute plus grand-chose, maintenant que les Pokéballs Obscur étaient détruites. Toutefois, l’expérience avait appris au groupe de Lem à se méfier de ces Pokémon. Ils étaient capables de tout.

- Mieux vaut fouiller les environs, proposa Malva en écho à leurs pensées. On ne sait pas si…

Elle fut soudain interrompue par le bruit sourd d’une détonation se produisant au loin. Pris par surprise, dresseurs et Pokémon sentirent tout à coup comme une onde de choc traverser l’air. Puis plus rien. Seulement le crépitement de la pluie sur les pavés.

- Qu’est-ce que c’était que ça ? fit Serena.
- Le tonnerre ? suggéra Clem.
- Non, c’était différent… Et ça provenait des jardins.

Comme pour appuyer les propos de Lem, un éclair bleuté illumina le ciel, suivi presque immédiatement du craquement sinistre du tonnerre. Clem en avait la preuve : ce bruit n’avait rien à voir avec celui qu’ils avaient entendu précédemment.

- Et si c’était Sacha ? s’inquiéta Serena. Ou Pikachu ?
- Il faut en avoir le cœur net, répondit Lem en rappelant ses Pokémon.
- Très bien, allez-y, concéda Malva après une brève réflexion. Je m’occupe d’inspecter le secteur pour retrouver le Sépiatroce disparu. Et vous, ajouta-t-elle à l’intention de la Team Rocket, vous allez me donner un coup de main.
- À vos ordres, madame ! s’écrièrent-ils en chœur, se mettant au garde-à-vous.

Serena fit à son tour rentrer ses Pokémon dans leurs balles, avant de suivre Lem et Clem jusqu’aux jardins de l’Usine de Pokéballs. Mais alors qu’elle franchissait les grilles en sens inverse, un terrible pressentiment la saisit. Qu’allaient-ils découvrir, une fois sur place ?


~*~

L’univers entier n’était plus que souffrance. Tout, de la terre au ciel, en passant par les arbres et les nuages, s’était transformé en rivière de sang. Un liquide écarlate, dans lequel il voyait ses pattes baigner. Sa fourrure était imbibée de cette affreuse mixture chaude et poisseuse, qui s’accrochait à lui et refusait de partir.

Des ombres difformes se jetaient sur lui, leurs crocs aiguisés menaçant de lui broyer la chair et les os. Comme toujours depuis ce qui lui semblait une éternité, il s’esquiva, rendit les coups, avant de fuir, de s’échapper. Le seul mot d’ordre : la survie. Il devait survivre, échapper à ce prédateur qui le traquait, et voulait sa peau.

Cependant, alors qu’il dérapait de nouveau dans une tâche rouge sombre, il obligea son esprit supplicié à garder en mémoire l’image bien précise d’une certaine personne. Cette personne… impossible pour le moment de se rappeler son nom, ni même de qui il s’agissait réellement. Mais au fond de lui, il en avait la certitude.

Cette personne représentait son salut. Du moins l'espérait-il...


~*~

Lorsqu’ils arrivèrent sur le lieu où Sacha et Gauthier s’étaient affrontés, la première chose qui frappa Serena et les autres fut l’état du terrain. La terre avait été soulevée de toutes parts : des blocs entiers s’étaient fissurés comme après le passage d’un tremblement de terre. Des dizaines de racines géantes gisaient sur le sol, la plupart découpées en rondelles de la taille d’un tronc d’arbre. Le terrain était boueux, et particulièrement glissant. Il n’y avait plus la moindre trace des haies ou des statues qui, autrefois, décoraient le complexe.

Une vraie scène de fin du monde.

- Regardez !

Le cri de Clem tira les deux adolescents de leur stupeur. La fillette indiquait du doigt un groupe de personnes et de Pokémon, seules formes de vie au milieu de ce décor désolé. D’un côté, Serena reconnut le chasseur de Pokémon, et son Florizarre, lequel avait une apparence différente – sans doute avait-il Méga-Évolué. De l’autre, il y avait Genzo et Galopa, surplombés d’un Tyranocif plutôt mal en point. Et à côté d’eux…

- Sacha !!

Les trois amis se précipitèrent à la rencontre de l’ancien formateur de la Team Rocket. Au même instant, une lumière irisée enveloppa Florizarre, qui reprit une apparence normale. Le Pokémon Plante était inconscient, le corps criblé de coups et autres plaies béantes. Arrivées à hauteur de Genzo et Sacha, Serena et Clem s’agenouillèrent pour inspecter le dresseur et son Croâporal, étendu sans connaissance à côté de lui.

- Qu’est-ce qui s’est passé, ici ? s’enquit Lem.
- Si seulement je le savais…, murmura Genzo comme pour lui-même.

Perturbé par cette réponse plus qu’évasive, le champion d’arène reporta son attention sur son ami. Sacha semblait s’être évanoui ; mais pour quelle raison ? Hormis la boue qui le recouvrait, et quelques blessures superficielles, il ne paraissait rien avoir de grave. En revanche, les traits de son visage restaient crispés, comme s’il souffrait.

- Comment vont-ils ? demanda-t-il aux filles.
- Il respire encore, lui apprit Serena avec un soulagement mêlé d’inquiétude. Mais il ne se réveille pas…
- Croâporal est blessé ! s’écria Clem. Il tremble de partout !
- C’est sûrement dû au poison, intervint Genzo. L’un d’entre vous aurait-il un Antidote ?

Lem s’empressa de sortir le spray de son sac à dos, ainsi que d’autres objets de soin rapide. Les questions viendraient après ; la priorité était de soigner Sacha et Croâporal.

- Un monstre…

Les enfants sursautèrent en entendant la voix grave du chasseur de Pokémon. Gauthier, le teint livide, semblait à deux doigts de flancher tant il tremblait. Ses yeux, bien visibles maintenant que ses « lunettes » avaient été entièrement brisées, brillaient d’un mélange étrange de peur et de colère.

- Un monstre, répéta-t-il, ce gamin est un monstre ! Lui, et son Pokémon… un tel pouvoir, cela ne peut exister ! Et leurs yeux… ! Ces deux-là sont des démons !

Serena et les autres en demeurèrent interdits. Le chasseur semblait avoir définitivement perdu toute raison. Pourquoi appelait-il Sacha et Croâporal des « démons » ? Qu’était-il arrivé ?

- Je déduis à votre air perdu que vous n’en savez pas plus que nous, dit Genzo d’un ton étrangement détaché.
- De quoi est-ce que vous parlez ? s’énerva Serena. Qu’est-ce qu’on devrait savoir au sujet de Sacha ?

Avant que Genzo puisse répondre, un fracas similaire à celui du tonnerre retentit tout près d’eux. Roulant dans la boue, crocs et griffes à découverts, Pikachu et Méga-Raichu continuaient de se livrer bataille. Emportés par leur élan, ils atterrirent non loin du groupe de dresseurs, à seulement quelques mètres. Cependant, ni l’un ni l’autre ne parut remarquer leur présence. Chacun était bien trop focalisé sur son adversaire respectif.

- Le gamin possède toujours un Pokémon, à ce que je vois…, marmonna Gauthier.

Sans ses lunettes, il ne voyait pas très bien de loin. Néanmoins, il aurait pu reconnaitre la silhouette orange et noire de son Raichu entre mille. Avec Florizarre désormais hors de combat et Arcanin parti Arceus savait où, Gauthier repéra là sa dernière chance de se débarrasser de Sacha. Il n’était même plus question de prendre ses Pokémon. Ni même de venger Fantôme. Gauthier voulait seulement éliminer le garçon, et se soustraire à cette peur croissante qui s’emparait progressivement de lui.

Il eut presque envie de rire. Avoir peur d’un gamin ; quelle honte ! Il valait bien mieux que ça !

Oui, mais ce gamin-là n’était pas comme les autres. Chaque fois que Gauthier parvenait à l’écraser, il se relevait, encore et encore. Et il revenait de plus en plus puissant à chaque fois. S’il ne voulait pas l’avouer, Gauthier en avait toutefois parfaitement conscience : Sacha avait beau ne pas faire le poids face à lui et ses Pokémon, il était indéniable qu’il comblait son retard de minute en minute. À peine un mois séparait leurs deux affrontements ; et pourtant Sacha avait réussi à lui tenir tête. Il avait même vaincu Florizarre. Alors même que celui-ci était méga-évolué, et avait l’avantage du type !

« Ce gamin est trop dangereux. Il faut qu’il disparaisse… »

« C’est ton fils que tu t’apprêtes à tuer ! » Gauthier secoua la tête, chassant les paroles de Genzo. Non, ce garçon n’était pas son fils. Il n'avait pas d'enfant. Pas de famille. Et de toute manière, ils n’avaient rien en commun…

Tandis que le chasseur de Pokémon bataillait contre ses propres émotions, le groupe de Genzo ne pouvait détacher ses yeux du combat dantesque opposant les deux rongeurs électriques. Bien qu’ayant l’œil vitreux d’un zombie, Tyranocif eut la décence de faire barrage de son corps pour protéger les jeunes gens, Genzo et Galopa des éclairs perdus.

- Je n’aurais jamais cru que Pikachu arriverait aussi rapidement ici, souffla Serena, une main prenant le pouls de Sacha.
- Ça fait longtemps qu’il est comme ça ? interrogea Lem.
- Pour ma part, dit Genzo, il était déjà dans cet état quand je l’ai croisé pour la première fois, avec Galopa. (L’équidé confirma d’un reniflement.) À l’époque, le Vibra-Soin de mon Lucario avait suffi à le calmer… Mais les crises ont recommencé récemment.
- Si Sacha a écourté son entraînement, c’était pour secourir Pikachu, ajouta la jeune fille. Quitte à devoir affronter de nouveau l’Homme Masqué…

Lem hocha la tête, sans quitter des yeux le petit rongeur, qui peinait à esquiver les doubles queues effilées de son homologue.

- C’est tout de même étrange qu’il soit resté si longtemps sans réaction après avoir été enfermé dans une Pokéball Obscur, fit remarquer Genzo. Car c’est bien là la source de son mal : les symptômes ne mentent pas, Pikachu est en train de devenir un Pokémon Obscur. Mais c’est le « en train » qui me dérange… Normalement, cela aurait dû se faire dès le départ.
- J’ai peut-être une explication logique à cela.

Les yeux quittèrent le combat pour se poser sur Lem, qui se massait une tempe comme chaque fois qu’il réfléchissait.

- Monsieur, dit-il en s’adressant à Genzo, vous avez dit à Serena que les Pokéballs Obscur fonctionnaient sur un système de puces cérébrales, n’est-ce pas ?
- En effet, confirma le vieil homme. Ces puces sont là pour augmenter artificiellement l’agressivité du Pokémon capturé.
- Bien sûr… C’est peut-être ça que Pikachu est en train d’affronter en ce moment même.
- Que veux-tu dire ? s’exclamèrent les autres.
- Les impulsions nerveuses sont comme de petites décharges électriques, envoyées directement dans le cerveau. Si ça se trouve, Pikachu a réussi à résister à l’influence des Pokéballs Obscur en court-circuitant sa propre puce cérébrale.

La nouvelle laissa perplexe l’ancien formateur de la Team Rocket.

- Il l’aurait court-circuitée, dis-tu ?
- Ce n’est qu’une hypothèse, fit valoir Lem en remontant ses lunettes. Mais en tant que Pokémon électrique, Pikachu est capable de contrôler tout type d’électricité. Peut-être a-t-il réussi, lors de sa capture, à contrer les impulsions électriques que la puce lui imposait en s’électrocutant lui-même ? Ainsi devenue défectueuse, la puce aurait cessé de fonctionner pendant un temps, jusqu’à ce qu’un faux contact, voire une impulsion provenant du propre système neuronal de Pikachu, la réactive en partie.

Bien que cela lui paraisse complètement fou, Genzo dut bien reconnaître qu’il y avait une part de possible dans ce que disait ce jeune homme. Tout concordait : si Pikachu avait réagi aussi tard, c’était forcément que la puce cérébrale n’avait pas fonctionné correctement. Mais tout de même, de là à imaginer qu’un Pokémon, même de type électrique, puisse contrôler jusqu’aux décharges produites par son système nerveux… Il devait bien être le premier de son espèce à réaliser une telle prouesse.

- Pikachu a-t-il subi un choc psychologique récent ? demanda Lem. Un choc qui aurait pu réactiver la zone touchée par la puce ?
- La zone étant liée à l’agressivité, il aurait fallu une grosse peur, ou un stress immense…, marmonna Genzo, pensif.

Serena se mordit la lèvre inférieure. Se pourrait-il que… ? Pikachu avait eu sa dernière crise juste après que la jeune fille s’était disputée avec Sacha. Cela aurait-il pu l’affecter ?

« Évidemment que ça l’a affecté. Pikachu ne devait pas s’attendre à ce que Sacha réagisse ainsi. Je n’ai pas été la seule à être blessée par son comportement d’alors… » Serena regarda le visage fermé, presque endormi de Sacha, une infinie tristesse lui comprimant la poitrine. « S’il apprenait que Pikachu a rechuté à cause de lui… Sacha ne s’en remettrait jamais. »

Lem et Genzo, s’ils avaient suivi le regard de la jeune fille, ne posèrent aucune autre question face à son expression peinée. Sans doute savait-elle plus de choses qu’eux… Mais avoir la réponse ne les aiderait pas plus ; le mal était déjà fait.

- Hé…, fit timidement Clem. Vous avez vu ça ? C’est quoi, ce nuage ?

Tous levèrent les yeux vers le ciel. Effectivement, un nuage de taille impressionnante venait d’envahir le ciel déjà chargé. Tel un tourbillon créé dans le ciel, l’amas nébuleux tournait sur lui-même, des éclairs bleus et blancs s’échappant de son centre noir d’obsidienne.

Gauthier ne remarqua pas le nuage. Il était plus focalisé sur les deux Pokémon qui s’affrontaient sous ce ciel orageux.

- Écoute-moi bien, Raichu. Je veux que tu écrases le Pikachu de ce gamin, tu m’entends ? Montre-leur à tous que les Pokéballs Obscur sont le moyen ultime de rendre les Pokémon invincibles. Maintenant, va, et réduis-moi ce morveux en poussière !

Tétanisé par la voix de son dresseur, Raichu émit un gargouills guttural, avant de se jeter avec sauvagerie sur Pikachu.

Mais au même instant, un éclair géant s’abattit sur eux. Éblouis, Genzo, Gauthier, et les compagnons de Sacha durent se détourner tant la lumière était intense. Lorsque la pénombre retomba sur les jardins, le nuage noir avait pris la forme d’un cyclone de la même couleur, qui descendait sur terre en soulevant des nuages entiers de poussière. Ahuris, tous constatèrent que Pikachu et Raichu avaient disparu.

De même que Sacha.


~*~

Je me réveillai plus lentement que d’ordinaire, avec l’étrange sensation d’avoir du coton à la place des os. J’avais à la fois la bouche pâteuse et la gorge sèche. Et surtout un horrible, horrible mal de crâne.

« Qu’est-ce qui s’est passé… ? » Rien que formuler cette pensée me demanda un effort considérable. Tout comme celui que je dus fournir pour parvenir à soulever un muscle. Malgré le brouillard épais ayant envahi mon esprit, je me forçai à rassembler mes souvenirs. Je me souvins que j’étais en plein combat contre Méga-Florizarre. Croâporal s’était fait empoisonner, puis mettre à terre. Ensuite… ensuite, plus rien. Le trou noir.
Qu’était-il arrivé ? Le combat était-il terminé ? Et où était Croâporal ?

Tout à coup, un flash aveuglant agressa mes yeux déjà sensibles. Une fois ma vue revenue, je découvris avec stupeur un décor bien différent de celui où je me trouvais avant de m’évanouir. Tout était bleu autour de moi ; un bleu électrique. Et la comparaison n’avait rien d’exagéré : le sol, l’air… tout semblait réellement fait d’électricité. Celle-ci se manifestait sous forme d’étincelles, lesquelles jaillissaient de toutes parts, picotant ma peau comme un millier d’aiguilles fines.
Recouvrant progressivement mes forces, je me redressai, et aperçus deux Pokémon piégés par l’électricité bleue. Le premier, à ma grande surprise, était Méga-Raichu. Reconnaître le second me donna un coup au cœur.

- Pikachu !

Aussitôt, je voulus me précipiter vers mon ami, mais une barrière invisible me repoussa en arrière. Sonné, j’atterris lourdement sur le derrière. Pikachu grimaçait horriblement, presque cloué au sol par cette étrange foudre bleue. Ne sachant que faire, je levai les yeux vers le ciel, lequel ne se résumait plus qu’à un immense nuage noir, où vent et éclairs se livraient bataille en un tourbillon furieux d’éléments.
Et au milieu de tout ce tumulte, une silhouette encore plus sombre se détachait. Une silhouette dont les yeux rouges paraissaient me transpercer.

Les souvenirs refirent brusquement surface. J’avais déjà vécu cette situation. J’avais déjà vu cette silhouette.

- Zekrom… ? C’est toi ?

Comme si prononcer ce nom fut la clé pour qu’elle se manifeste, l’ombre descendit de son vortex nébuleux, et se posa au sol, juste derrière Pikachu. Des éclairs bleutés chassèrent les volutes nuageuses qui s’accrochaient encore à ses écailles d’un noir intense, plus sombre que la nuit.

C’était bien lui. Zekrom, le Pokémon légendaire de la région d’Unys.

- Le temps est venu.

Je sursautai. Cette voix, grave et puissante, venait tout juste de résonner dans ma tête tel un roulement de tonnerre. Était-ce de la télépathie ?

- Il est temps pour toi de prouver que tu es bien celui que j’espère, humain.

Je me sentais de plus en plus dépassé par les événements. Trop de choses s’étaient enchaînées dernièrement ; mon pauvre cerveau peinait à décoder autant d’informations à la fois.

Le cri de douleur de Pikachu me ramena sur Terre. Les dents serrées à se les briser, mon ami griffait le sol avec rage. De nouveau, je tentai de m’approcher, mais la barrière d’électricité me ramena une fois de plus en arrière.

- Inutile, fit la voix de Zekrom. Tu n’y arriveras jamais en usant de la force.
- Qu’est-ce que tu as fait à Pikachu ?! m’exclamai-je, oubliant sur l’instant que je m’adressais à un Pokémon capable de me griller en moins d’une seconde. Tu ne vois pas qu’il souffre ?
- Je tente de réprimer son pouvoir, répondit simplement le dragon noir. Cependant, cela ne sera que temporaire. Très vite, il reprendra le dessus sur son hôte.
- Le… le pouvoir de Pikachu ? répétai-je, éberlué.

Si en apparence, Zekrom ne parut pas bouger d’un pouce, j’aurais juré qu’il venait de hocher la tête.

- Actuellement, deux forces contraires se livrent bataille à l’intérieur du corps de ce Pokémon. La première est la sienne, son propre pouvoir. La seconde est plus sombre. Plus puissante. Et elle est en passe de l’emporter sur la première.

Les yeux écarquillés, je vis deux arcs électriques – l’un jaune, l’autre mauve – s’échapper des joues de Pikachu, et se percuter l’un l’autre en un ballet d’étincelles, tels deux serpents de foudre qui chercheraient à s’entredévorer. Une parfaite illustration des propos de Zekrom.

« C’est bien ce que je pensais… Pikachu se bat de toutes ses forces pour résister à l’influence de la Pokéball Obscur. » Je n’osais imaginer l’effort considérable que devait lui demander cette lutte, autant sur le plan physique que mental. En plus, d’après Zekrom, l’énergie obscure serait sur le point de prendre le dessus ?

- Alors il faut faire vite ! dis-je à voix haute. Zekrom ! Tu peux faire quelque chose pour aider Pikachu ?
- Malheureusement non. Cette bataille n’est pas la mienne.
- De quoi ? m’écriai-je, choqué d’entendre un Pokémon légendaire parler de sa propre impuissance comme si de rien n’était. Tu plaisantes, là ? T’as bien réussi à priver Pikachu de son électricité, la dernière fois ! Ne me dis pas que tu ne peux pas le débarrasser de cette énergie obscure !
- Cette bataille n’est pas la mienne, gronda le légendaire d’un air si menaçant que j’en perdis toute répartie.

Je serrai les poings ; une furieuse envie de frapper quelque chose me démangeait. Pourquoi Zekrom refusait-il de nous aider ? À quoi bon venir ici, si ce n’était pas pour aider Pikachu ?

Comme s’il lisait dans mes pensées, le dragon noir s’expliqua :

- Lorsque vous êtes arrivés sur les terres d’Unys, Pikachu et toi, j’ai immédiatement été alerté par l’énergie électrique qui se dégageait de ton ami. Un pouvoir à nul autre pareil, capable – si jamais il venait à être libéré – de ravager ce monde.

Je tressaillis à ces paroles.

- On… on parle bien de mon Pikachu, là ?
- Absolument. Lui-même n’en n’a pas conscience, mais au plus profond de son être est enfoui un pouvoir immense, que j’ai cru bon de sceller afin de préserver la région d’Unys d’un éventuel danger.

Pikachu gémit. Entendait-il ce qu’il se disait sur lui en ce moment même ? Ou était-il à demi inconscient à cause de la douleur ? Quand je pense que je restais planté là, sans rien faire pour l’aider… Mais j’étais trop intimidé pour faire autre chose que d’écouter Zekrom poursuivre :

- Après avoir scellé le pouvoir électrique de Pikachu, j’ai commencé à vous surveiller de près, tous les deux. Et c’est en vous observant que j’ai compris qu’il était finalement inutile d’en venir à de telles extrémités.

Zekrom écarta les ailes, et tendit l’un de ses immenses bras dans ma direction.

- Le fait est que Pikachu n’est pas venu seul à Unys. Toi, humain, y étais aussi. Un lien d’amitié solide vous lie : et c’est ce lien qui est la clé de tout. Parce que tu es son ami, et parce qu’il tient à toi, ce Pikachu a trouvé un moyen de maîtriser sa puissance. Et tant que tu serais à ses côtés, il n’utiliserait son pouvoir que dans de bonnes intentions. C’est en réalisant cela que j’ai décidé de rendre son pouvoir à Pikachu.

Tout s’expliquait ; je n’avais jamais compris pourquoi Pikachu avait été incapable d’utiliser ses attaques de type électrique lors de notre arrivée à Unys. Le professeur Keteleeria nous avait informés que Zekrom en avait été la cause, mais jamais je n’aurais pu deviner quelles étaient ses intentions…

- Hélas… (Zekrom émit un bruit qui aurait pu s’apparenter à un soupir.) Son pouvoir est désormais corrompu par l’énergie négative qui s’est emparée de lui. Même s’il a lutté vaillamment jusqu’ici, ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’il ne rende les armes. Il deviendra alors impossible de sauver Pikachu. Il sera perdu, tout comme ce Pokémon.

Zekrom faisait certainement référence à Méga-Raichu, lui aussi prisonnier de la foudre bleue. Malgré son immobilité forcée, Raichu conservait un air effroyable, ses yeux injectés de sang témoignant de sa maladie mentale.

Je reportai mon regard sur Pikachu. Rien que d’imaginer que, s’il laissait l’énergie obscure l’emporter, il deviendrait comme son homologue méga-évolué, ça me donnait la nausée.

- On ne peut vraiment rien faire pour les sauver ? demandai-je.
- Le mal qui les ronge est de nature électrique. Je pourrais éventuellement sceller le pouvoir de Pikachu comme je l’avais fait à Unys. Mais les deux énergies sont trop liées pour que cela ne se fasse sans conséquences. En d’autres termes, je ne pourrai sceller l’une sans sceller l’autre. En revanche…

Plein d’espoir, je levai la tête vers Zekrom.

- Il y a bien une chose que je puisse faire. Je peux surcharger le corps de Pikachu afin de comprimer la foudre obscure. Il lui suffira ensuite d’en profiter pour prendre le dessus, et la libérer entièrement en se déchargeant de toute son électricité. Néanmoins, il ne pourra le faire sans ton soutien.
- Comment ça, mon soutien ?
- Je te l’ai dit. C’est ta présence qui aide ce Pikachu à contrôler son pouvoir. À présent, il te faut l’aider à contrôler la foudre obscure. C’est une épreuve qu’il ne peut endurer seul. Certes je l’aiderai en lui prêtant ma propre foudre, mais c’est avant tout toi, et toi seul, humain, qui est en mesure d’aider Pikachu. Comprends-tu ?

Je ne sus comment réagir à cela. J’étais partagé entre l’espoir qu’il puisse exister un moyen de ramener Pikachu à la normale, et une extrême lassitude. Une fois de plus, tout reposait sur moi.

Sur l’instant, je me dégoûtai. Ou, pour être exact, je me trouvai bien stupide. J’avais dit au chasseur de Pokémon que je souhaitais le vaincre pour libérer non seulement Pikachu, mais aussi ses propres Pokémon. Des Pokémon pourtant condamnés à une souffrance éternelle, du fait de ce que les Pokéballs Obscur leur faisaient subir. Genzo avait dit qu’il était possible d’opérer les Pokémon infectés ; mais il suffisait de voir son Tyranocif pour comprendre combien l’opération devait être risquée, et ne résolvait pas tout. Qu’est-ce qui était le pire entre souffrir le martyr chaque jour, et être à moitié mort, incapable d’éprouver la moindre émotion, ni même de vivre comme avant ?

Et pourtant, je persistais à croire que je pouvais les sauver. Bien sûr ! Après tout, il suffisait que je terrasse le chasseur, que je libère ses Pokémon, et tout serait réglé ! Facile, non ?

« C’est plus fort que moi… J’suis qu’un idiot qui se prend pour un héros… » Je ne pus m’empêcher de ricaner devant ma propre naïveté. Je voulais tellement croire que j’étais capable de sauver tout le monde… Mais qu’est-ce que je pouvais contre une maladie qui rongeait le corps et l’esprit ?

- Ton cœur vacille, humain, remarqua Zekrom.
- Je ne sais pas ce que je dois faire, avouai-je. Tu dis que c’est à moi de sauver Pikachu ; et je veux le faire, bien sûr. Mais j’ignore comment, ni même si ça va marcher. Je me sens tellement dépassé…

J’aurais voulu hurler tant mon impuissance me ravageait. Mais au lieu de cela, je restai bras baissés, les yeux rivés sur un Pikachu de plus en plus affaibli.

- J’ai une question pour toi, humain. (Je levai la tête pour croiser le regard perçant de Zekrom.) Es-tu déterminé à atteindre ton idéal ?

Sur le coup, la question me déstabilisa. Déterminé ? Un idéal ? Que voulait-il dire ?

- Je sens une puissante volonté en toi, s’expliqua Zekrom. Néanmoins, ton cœur penche d’un côté, puis de l’autre, sans parvenir à atteindre une position précise. Ces doutes qui te tiraillent sont un frein à ta progression. Ta volonté s’en retrouve étouffée…
- Je le sais bien ! répliquai-je, frustré qu’il parvienne si facilement à lire en moi comme dans un livre ouvert. Mais c’est que c’est pas si simple ! Je veux sauver Pikachu, et je veux offrir aux Pokémon de mon père une seconde chance ! Je veux les libérer de son emprise ! Même si ça ne les guérira jamais du mal qui les ronge, au moins, ils n’auront plus personne pour les forcer à se servir de ces pouvoirs horribles ! Mais je ne sais pas… si je peux seulement y arriver…

Je m’étais à peine rendu compte que j’avais appelé le chasseur « mon père », dans ma lancée. Enfin, cela avait-il la moindre importance, désormais ?

- Ta volonté est forte, humain, dit Zekrom d'un ton presque conciliant. Et c’est par cette volonté que tu donneras vie à ton idéal.

Perplexe, je restai silencieux. Devant moi, Pikachu avait désormais les yeux ouverts, si bien que je pus croiser regard. Quelque chose dans ses yeux profonds, bien que teintés d’un éclat maladif, me fit penser qu’il me reconnaissait malgré la folie qui s’emparait de lui. Puis contre toute attente, je le vis opiner de la tête. Il souriait.

« La volonté d’atteindre mon idéal… » Un idéal, c’était bien quelque chose que l’on souhaitait plus que tout, n’est-ce pas ? Eh bien en ce moment même, je n’avais qu’un seul souhait : apaiser la souffrance de Pikachu. Je l’avais délaissé depuis bien trop longtemps. Je n’avais pas été en mesure de comprendre son mal-être lors de ma dépression, ni de prévenir la crise qui s’est déclenchée au Village Pokémon. En tant que dresseur, et même en tant qu’ami, ce comportement était tout simplement impardonnable.

« Mais tout le monde a le droit à une seconde chance, pas vrai ? » Je le voyais dans ses yeux rongés par la maladie : Pikachu me faisait toujours confiance. Si Zekrom avait raison, et que j’étais le seul à pouvoir l’aider à surpasser les ténèbres qui l’envahissaient, alors il n’y avait pas à hésiter. Et même si ce n’était pas le cas, tant pis. J’aurais mille fois préféré mourir en essayant plutôt que de tourner le dos et ne rien faire.

Sentant une résolution ferme me gagner, je me levai, et m’approchai le plus près possible de Pikachu. Ce dernier ne cessait de me fixer. J’inspirai à fond l’air rêche et piquant qui m’entourait, tâchant de ne penser à rien d’autre qu’à ce que je m’apprêtais à faire. Le doute n’était plus permis. Je devais foncer, sans réfléchir à ce qui pourrait arriver si jamais…

- D’accord, finissons-en, dis-je. Tu peux y aller, Zekrom. On est prêts.

Le Pokémon Dragon rugit, et l’électricité autour de nous s’intensifia. Un second éclair bleu fondit sur Pikachu, qui se mit à hurler comme un possédé. Les yeux plissés pour ne pas être ébloui par les flashs, je m’agenouillai, et tendis le bras vers lui. La foudre me brûla instantanément la peau. Des chocs électriques secouèrent mon corps tout entier, et un affreux goût de cendre emplit ma bouche. Toutefois, je continuai, et parvins enfin à frôler le cou de mon ami. Pour une raison quelconque, le contact de sa fourrure me parut exceptionnellement doux comparé à l’électricité de l’air qui m’arrachait la peau.

Pikachu arrêta de hurler le temps de reprendre son souffle. Comme il devait souffrir !

- Ça va aller, murmurai-je. C’est qu’un mauvais moment à passer. Tu vas y arriver, mon vieux…

Je saisis Pikachu par la taille, comme pour le soulever. Il se débattit presque aussitôt, et me mordit au poignet. Une vive douleur s’ajouta à celle que j’éprouvais déjà à me tenir en plein milieu d’un champ électrique. Bien que chaque cellule de mon corps criât grâce, je pris Pikachu dans mes bras, et le tins serré contre moi. Mes pensées n’étaient plus totalement claires à cause des chocs électriques, et j’avais de plus en plus de mal à respirer correctement. Malgré tout, je parvins je ne sais comment à murmurer à l’oreille de mon vieux copain :

- Pikachu… C’est moi, Sacha. Tu m’entends, pas vrai ? Je suis là, mon vieux. Tout ira bien… Je ne te quitterai plus, maintenant. Tu vois ? Tout va bien…

Paradoxal, que de dire que tout allait bien alors même que je pouvais sentir chacun de mes os se désintégrer. Et pourtant, je conservais un calme olympien. À moins qu’en réalité, je ne fusse devenu complètement insensible à la douleur tant celle-ci était grande…

À la lisière de ma conscience, j’entendis de nouveau le rugissement de Zekrom :

- Il est l'heure. Fais ce que tu as à faire. Héros à l’idéal noble et juste.

Il y eut un craquement sinistre. Puis une lumière bleutée nous balaya, Pikachu et moi.


~*~

- Est-ce que quelqu’un a la moindre idée de ce qu’il se passe ?

Malheureusement pour Genzo, personne n’était en mesure de lui fournir de réponse valable. Les yeux de tous étaient tournés vers cet étrange cyclone noir qui s’était abattu sur Pikachu et Raichu, et qui avait englouti Sacha dans son sillage. Les corps imposants de Florizarre et Tyranocif offraient une protection suffisante à respectivement Gauthier et le groupe de Genzo face au vent violent qui s’était levé.

- Je crois… Je crois que j’ai une théorie sur l’origine de ce nuage, dit soudain Lem.

Les regards convergèrent de nouveau vers lui. Sans quitter le vortex des yeux, le jeune champion exposa son idée :

- Étant un spécialiste des Pokémon électriques, je me suis beaucoup intéressé aux légendes évoquant des Pokémon légendaires de ce type. Et je me souviens d’avoir lu, une fois, une histoire décrivant un nuage noir comme l’obsidienne, pareil à celui-ci.
- Alors, selon toi, c’est un Pokémon légendaire ? fit Clem, partagée entre l’émerveillement et la terreur.

Son frère acquiesça.

- Oui, et pas n’importe lequel. Les légendes parlant de ce type de nuage proviennent de la région d’Unys. Je pense que… ce nuage n’est autre que Zekrom. Le Pokémon Noir Idéal.

Il aurait été difficile de déterminer qui, de Genzo ou de Gauthier fut le plus ébranlé par cette nouvelle.

« Un pouvoir capable de terrasser un Méga-Pokémon, et maintenant, un Pokémon légendaire ? Mais qui diable est ce gamin ? » Tous deux partageaient la même pensée. Et tous deux n’avaient aucune idée de la réponse. Y’en avait-il seulement une ?

Soudain, une explosion se produisit au cœur du cyclone, et le nuage s’évapora dans un souffle prodigieux. Les humains durent se cramponner à leurs Pokémon, pour éviter d’être soufflés au loin.
Une fois le calme revenu, aucun n’en crut ses yeux. Sacha était réapparu au milieu du terrain, le corps fumant et traversé d’étincelles. Il tenait Pikachu contre lui. Non loin, Raichu s’ébrouait, visiblement secoué. Ses queues jumelles s’agitaient avec frénésie.

- Hé, Sacha !
- Sacha ! Tout va bien ?

Le jeune dresseur ne parut pas entendre les appels de ses amis. Lentement, avec précautions, il desserra l’étreinte de ses bras, et lâcha Pikachu. La fourrure du Pokémon Électrik était hérissée, et crachait des étincelles mauves sans discontinuer.

- Tu es prêt ? lui demanda Sacha. Il va falloir tout donner, mon vieux.
- … Pika.

Les yeux de Pikachu brillaient toujours de cette lueur rouge malsaine ; néanmoins, elle paraissait moins intense que précédemment. Et il paraissait avoir repris ses esprits.

« Il a réussi à surmonter l’énergie obscure ? » se demanda Genzo. Une chose était certaine, Sacha et lui partageaient une même détermination, qui transparaissait dans chacun de leurs gestes. L’aura du jeune homme était plus intense que jamais.

Sans un mot, sans un regard pour quiconque, Sacha ramassa sa casquette tombée au sol, et la plaça sur sa tête.

- « Héros », hein…, soupira-t-il. Je passe mon temps à dire que je suis loin d’être un héros. (Il sourit.) Viens pas me contredire comme ça, Zekrom.
- Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce qu’il se passe ?! s’écria Gauthier, le visage déformé par l’incompréhension et la peur. Vas-tu me dire qui tu es en réalité ?

Raichu rugit en écho à son cri, et courut en direction de Pikachu. Celui-ci lui fit face, queue levée vers le ciel. Sacha suivit son mouvement, et regarda son père droit dans les yeux.

- Mon nom est Sacha Ketchum. Et je viens du Bourg Palette. Mon rêve est de devenir un jour Maître Pokémon. Et pour ça…

D’un geste sec, répété maintes et maintes fois dans le passé, Sacha retourna sa caquette, visière en arrière.

Ce geste, si banal et si puéril en apparence, déclencha dans l’esprit de Gauthier l’ultime déclic.

Il se revit plus jeune, exécuter ce même geste. Il était alors le portrait craché de ce garçon qui se tenait face à lui. Même regard insolent. Même posture de combat. Même casquette vissée sur la tête.

Même passion dans le regard.

- Pour ça... Je n’abandonnerai jamais !

Pikachu s’entoura d’un halo électrique, qui mêlait éclairs jaunes, bleus et mauves, avant de courir à une vitesse vertigineuse en direction de Raichu.

- Vas-y, Pikachu, libère toute ta puissance ! Utilise Électacle !!

Telle une comète traversant le ciel, Pikachu traversa le terrain en libérant dans son sillage un torrent de foudre. Raichu, face à une telle attaque, pila brusquement. Mais trop tard. L’attaque le percuta de plein fouet.

Immobile alors que l’air se densifiait autour de lui, Gauthier ferma simplement les yeux. Une résignation familière, qu’il pensait avoir reléguée au rang de souvenir fugace, remplaça la peur et la colère. Lorsque l’explosion le renversa en arrière, il n’eut qu’une seule et unique pensée :

« J’ai perdu. Une fois de plus. »