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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 18/12/2016 à 12:51
» Dernière mise à jour le 18/12/2016 à 16:48

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 23 - Juste un moment d'éternité
Les vrais amis savent tout pardonner. Et ce, quelle que soit leur rancœur ou leur amertume.


~*~


Cette nuit, j’eus du mal à trouver le sommeil. J’avais beau me tourner et me retourner dans tous les sens, impossible de fermer l’œil. Non pas que le canapé où j’étais allongé fût inconfortable, quoiqu’il fût tout de même issu d’un autre âge… De toute manière, quelqu’un comme moi, qui passait sa vie sur les routes, avait l’habitude de dormir n’importe où.

J’essayai, en changeant de position pour la vingtième fois au moins, de ne pas trop déranger Pikachu, qui dormait blotti contre moi. Mais il paraissait dormir à poings fermés. Le pauvre s’était couché exténué. En temps normal, cela m’aurait inquiété, mais je n’étais pas non plus dans mon assiette, ce soir-là…

Agacé de courir après un sommeil fuyant, je m’efforçai de fixer le plafond, et de caler ma respiration sur celle, régulière, de mes Pokémon, qui dormaient au pied du sofa. Peu à peu, le feu dans mes veines s’affaiblit. Mais alors que mes pensées commençaient à dériver, le même souvenir, celui qui m’empêchait de fermer l’œil cette nuit, revint encore une fois m’assaillir. Malgré mes efforts pour l’oublier, la scène de mon conflit avec Serena revenait sans cesse me tourmenter. Je pouvais presque encore l’entendre me cracher à la figure :

« Tu n’es pas Sacha ! »

Je passai une main lasse sur mon visage ; ma joue me brûlait encore de la gifle que j’avais reçue. Quelque part, je ne pouvais m’empêcher de penser que je l’avais bien méritée, celle-là…

J’avais été odieux. Comment le dire autrement ? Alors que je venais de retrouver une amie perdue de vue depuis longtemps – trois semaines, en réalité, mais qui m’avaient paru durer une éternité – j’avais agi comme le dernier des imbéciles. Au lieu de me réjouir de la présence de Serena, je n’avais rien trouvé de mieux à faire que de lui balancer clairement, et bien en face que je ne voulais plus la voir ; ni elle, ni Lem et Clem.

Ce qui était bien sûr complètement faux. Les revoir et reprendre mon périple avec eux était au contraire tout ce que je souhaitais de plus cher. Malheureusement, tant que l’Homme Masqué ne serait pas mis hors d’état de nuire, ce souhait ne resterait qu’un luxe que je ne pouvais me permettre. Les garder près de moi était bien trop risqué ; qui sait ce que ce type pouvait leur faire ? En l’état actuel des choses, s’il revenait maintenant, je serais incapable de les protéger. Or, je voulais protéger mes amis, coûte que coûte. Si je m’étais exilé loin de tout, si je m’échinais à les repousser, c’était dans ce seul et unique but… Toutefois, cela suffisait-il à excuser ma conduite ? Plus j’y pensais, et moins j’en étais persuadé.

Je retins à temps un mouvement d’humeur. Cette situation m’énervait tant ! Pourquoi le doute revenait-il me tirailler ? Devenir plus fort pour protéger ceux que j’aime… N’était-ce pas la réponse que je cherchais depuis tout ce temps ? La raison qui me poussait à me battre, et continuer ? Pourtant, depuis que Serena était reparue dans ma vie, cette certitude s’effondrait, sans que je comprenne pourquoi… Pour être honnête, je ne comprenais plus rien à ce que je ressentais. Je ne savais pas ce que je voulais. Et c’était ce qui m’énervait le plus ; être incapable de mettre le doigt sur ce quelque chose qui me dérangeait dans ma manière de penser…

Définitivement convaincu que le sommeil avait décidé de me bouder pour cette nuit, je finis par me lever, en prenant soin de ne pas réveiller mes Pokémon, et entrepris de sortir de la maisonnette.

Une fois dehors, je m’appuyai sur le rebord de la terrasse, et inspirai à fond l’air glacé de la nuit. Je me sentis tout de suite un peu mieux. Devant moi, le Bois des Illusions se dressait, ses arbres immenses formant une masse sombre et informe dans les ténèbres. Le regard perdu dans ce paysage obscur, je fermai les yeux, et déployai mes sens.

La flamme de l’aura se dessina devant moi ; ou plutôt en moi. Quoique vacillante, elle brûlait d’un feu bleu intense, dont la chaleur envahit mon corps. Les présences, invisibles à l’œil nu, apparurent autour de moi, telles des myriades de flammes plus petites et à la chaleur plus ténue. Les Pokémon sauvages habitant le Village Pokémon semblaient tous dormir paisiblement, les veinards. Telles les rides d’une onde à la surface de l’eau, j’étendis ma perception de plus en plus loin, ainsi que Genzo m’avait appris à le faire.

Puis je tressaillis. Quelqu’un se tenait derrière moi. Je pivotai, juste à temps pour apercevoir une ombre se dissimuler hâtivement dans l’entrebâillement de la porte.

- … T’es pas obligée de te cacher, tu sais, lançai-je à voix haute.

Après quelques secondes d’hésitation, Serena finit par reparaître, et s’avança sous la pâle lumière de la lune. Elle avait l’air renfrogné de ceux qui se sont fait prendre la main dans le sac.

- Tu n’arrives pas à dormir ? lui demandai-je, ignorant le fait qu’elle semblait m’espionner.
- Non. Toi non plus, je suppose ?
- …J’avais besoin de réfléchir. (J’eus un petit rire.) J’ai l’impression de ne faire que ça, en ce moment. Je commence à avoir mal à la tête, à force.

Si Serena ne dit rien, elle sourit légèrement. Je crus même l’entendre pouffer. Les mains croisées dans le dos, elle vint me rejoindre à la balustrade.

Aucun de nous deux ne parla. Nous avions beau être proches l’un de l’autre, c’était comme si un mur invisible se dressait entre nous. Ma gorge se serra quand je le réalisai.

Sous l’éclat lunaire, le jardin se décorait d’un camaïeu de noir et d’argent, tout aussi agréable à regarder que les couleurs éclatantes dont il se parait à la lumière du jour. Les fleurs endormies se balançaient paresseusement sous la caresse du vent. Toujours silencieuse, Serena contemplait ce paysage d’un air mélancolique. Je la considérai un instant ; ses cheveux bruns coupés courts étaient légèrement soulevés par la brise, et dévoilaient ses yeux d’un bleu presque aussi pur que celui de la flamme de mon aura. Même de nuit, ses iris paraissaient briller comme deux saphirs, illuminés par la lointaine lueur des étoiles…

Oh, attendez… Mais qu’est-ce que je racontais, moi ? Sous l’œil intrigué de Serena, je détournai les yeux d’un air gêné, et me grattai pensivement la tête. O.K., elle m’avait manqué, mais là, j’en faisais un peu trop… Et pourquoi mon cœur se mettait-il à battre la chamade comme ça ?

Sans doute pris d’une volonté soudaine de briser ce silence perturbant qui régnait entre nous, les mots sortirent tous seuls de ma bouche :

- Tu sais… J’suis désolé pour ce que je t’ai dit hier. Je… je pensais pas tout ce que j’ai dit, je… Pardon.

Je me sentis complètement idiot, à bafouiller comme ça. Mais aucun mot ne me paraissait assez bon pour exprimer le regret profond que j’éprouvais. Je m’en voulais tant… mais ça, Serena serait-elle en mesure de le comprendre ? Elle ne devait pas être prête de me pardonner… Et d’un certain côté, elle aurait raison.

Au bout d’un moment, Serena finit par soupirer :

- Ce n’est rien. (Elle hésita un court instant, puis ajouta :) Moi aussi je me suis laissée emporter…

A la voir effleurer la paume de sa main du bout des doigts, je devinai qu’elle repensait à la gifle. Je grimaçai un sourire sans joie.

- T’as pas à t’excuser pour ça. C’est moi le seul fautif. Et je vais te dire : t’as même eu raison de faire ça. J’ai été stupide.

Serena ne répondit pas. Sans attendre sa réaction, je quittai la terrasse, et me dirigeai vers la forêt.

- Où tu vas ? m’interpella Serena.
- Je vais faire un tour.
- Attends !

Je m’arrêtai, surpris, et la vis boitiller jusqu’à moi.

- Je t’accompagne.

Le ton ferme qu’elle venait de prendre ainsi que son regard décidé ne suggéraient apparemment aucun refus de ma part… Cela dit, je n’avais pas le cœur à la repousser une fois de plus. Alors j’acquiesçai.

- Comme tu veux. Mais t’es sûre que ça va aller ? Avec ta jambe ?

Serena grimaça, à la vue de sa cheville convalescente, avant d’esquisser une expression confiante.

- Ça va déjà mieux. Je peux marcher, m’assura-t-elle.

Je souris, amusé de lui trouver un air si brave. Lui indiquant la route d’un signe de tête, je me mis en route, prenant bien garde à ne pas aller trop vite. Serena me suivit en claudiquant. Je n’en étais pas sûr, à cause de la pénombre, mais j’aurais juré qu’elle rougissait.


~*~


Pokemon XY OST – Eternal Prison

Ils empruntèrent un petit sentier, le même où Sacha l’avait guidée après qu’ils aient échappé au Sépiatroce. D’ailleurs, où pouvait bien se trouver cet affreux Pokémon en ce moment même ? Ne pas avoir de réponse à cette question angoissait Serena presque autant que les ombres menaçantes qui les enveloppaient à mesure qu’elle et Sacha s’enfonçaient dans le bois.

Instinctivement, Serena se rapprocha du jeune dresseur, sans pour autant se coller à lui – plus par pudeur qu’à cause de la tension qui régnait entre eux… Le jeune homme la laissa faire, modérant son allure pour que Serena puisse le suivre. Sa cheville l’élançait encore lorsqu’elle marchait, mais c’était relativement supportable.

L’air calme et confiant qu’arborait Sacha rassurait la jeune fille, tandis qu’ils évoluaient à travers les arbres. A vrai dire, sa seule présence suffisait à la rassurer… D’autant plus que, maintenant qu’elle l’avait retrouvé, Serena était bien déterminée à ne plus laisser partir Sacha. Elle craignait tant de le perdre à nouveau qu’elle n’osait plus le quitter des yeux, de peur qu’il disparaisse sitôt qu’elle aurait tourné la tête.

Elle en oublierait presque leur dispute d’hier soir. Et Serena aurait vraiment voulu l’oublier, oublier ces mots, plus aiguisés que des lames, qui lui avaient transpercé le cœur. Cette nuit, alors qu’ils marchaient côte à côte dans la forêt, Serena peinait à croire qu’ils aient pu en arriver là. Comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve. Hélas, la jeune fille savait que tout était bel et bien réel.

Elle observa un moment Sacha tandis qu’il l’aidait à franchir une racine épaisse qui sortait de terre. Ce Sacha-là était tel qu’elle l’avait toujours connu : gentil, prévenant. Peut-être un peu simplet aussi, car il réagit à peine lorsque Serena manqua de s’étaler sur lui en trébuchant, et atterrit dans ses bras. Le rouge lui monta si vite aux joues qu’elle craignît qu’on ne voie son changement radical de couleur jusque dans la pénombre. Mais Sacha ne parut rien remarquer et poursuivit sa route comme si de rien n’était.

Serena soupira. « Peut-être que, finalement, le vrai Sacha n’a pas entièrement disparu… »

Du moins, s’acharnait-elle à y croire. Sacha n’était pas ce garçon violent et hargneux à qui elle avait eu affaire hier, dans le corridor. Elle en était persuadée, et pourtant…

Finalement, ils arrivèrent en vue du lac, ce même lac où Serena avait pu savourer pleinement le bonheur jusqu’alors illusoire d’avoir retrouvé Sacha. Elle avait cru rêver lorsqu’elle était tombée sur lui – littéralement, d’ailleurs – alors qu’elle fuyait le Sépiatroce.

Durant les deux semaines où elle avait cherché Sacha, la jeune fille s’était maintes fois demandé comment allait se dérouler leurs retrouvailles. Elle avait tant craint qu’il ne la rejette… Ce qui, en un sens, était arrivé. Cependant, Serena se souvenait parfaitement de la réaction de Sacha lorsqu’elle l’avait pris dans ses bras. Il l’avait enlacée, lui aussi. Et il avait clairement manifesté de l’inquiétude pour elle. En y repensant, Serena sentit une douce chaleur réchauffer ses joues. Mais elle se dissipa bien vite lorsqu’elle se remémora la suite.

Hier soir, tout avait basculé. Encore une fois.

Restant légèrement en retrait, Serena regarda Sacha s’accroupir au bord de l’eau, et y plonger une main. Sa main bandée, remarqua-t-elle. Elle se souvint du coup de sang du jeune dresseur lorsqu’elle avait relaté ses péripéties dans le train. Bien sûr, elle comprenait que cela l’ait affecté ; le contraire l’aurait étonnée, voire contrariée. Mais elle avait eu si peur en voyant la colère déformer les traits de Sacha, ce soir-là… Jamais elle n’avait vu une telle haine animer son regard. C’était… effrayant.

Lentement, avec précaution, elle s’approcha du jeune dresseur, dans l’espoir d’entamer la conversation avec lui. Soudain, Sacha s’aspergea le visage d’une grande giclée d’eau, éclaboussant la jeune fille par la même occasion.

- Oups ! Désolé, s’excusa-t-il, l’air confus. Je t’avais pas sentie arriver.

Ignorant la tournure étrange de cette dernière phrase, Serena secoua les pans de son jogging, et scruta son ami d’enfance. Avec son visage trempé, ses cheveux noirs en bataille, et ses grands yeux bruns qui la regardaient avec étonnement, il avait un parfait air de petite canaille innocente. Serena sentit son pouls accélérer.

Elle en était certaine, à présent. Ce Sacha-là, celui qui se tenait à côté d’elle en ce moment même, était celui qu’elle connaissait, et qu’elle aimait. Rien à voir avec le garçon froid et distant d’hier soir.

Serena n’y voyait qu’une seule explication : Sacha était en train de perdre la raison.

Sa défaite face à l’Homme Masqué ne pouvait pas en être la seule cause ; son exil forcé l’avait sans aucun doute beaucoup affecté également. Pour avoir vu l’état moral dans lequel le jeune homme avait été plongé après la disparition de Pikachu, Serena était en mesure de l’affirmer : depuis sa défaite, Sacha risquait chaque jour un peu plus de sombrer dans la folie. Si personne n’était là pour le soutenir, qui sait ce qui lui arriverait ? Rien que le fait d’être parti loin de ses amis l’avait déjà changé.

Bien entendu, il n’avait pas été complètement seul : Pikachu et tous ses autres Pokémon étaient partis avec lui… et il y avait également ce vieil homme, Genzo, qui paraissait avoir pris le jeune dresseur sous son aile. Mais alors dans ce cas, que s’était-il passé pour que Sacha change à ce point ?

« J’ai été absente bien trop longtemps pour savoir ce qui t’es réellement arrivé durant tout ce temps où tu es parti. Mais maintenant que je suis là, j’aimerais vraiment pouvoir t’aider, chasser tes peurs et tes doutes, comme tu l’as si souvent fait avec moi… »

Comme s’il devinait ses pensées, Sacha fixa Serena de son regard ambré, si pénétrant. Embarrassée, la jeune fille baissa les yeux. Bon sang…elle pouvait bien lui reprocher toutes les fautes de la terre, elle se sentait toujours aussi désarmée face à ce regard.

- Dis-moi…

La jeune fille sursauta. Elle ne s’attendait pas à ce que Sacha parle le premier.

- …tu crois vraiment que les Sépiatroces travaillent pour l’Homme Masqué ?

Prise au dépourvu, Serena battit des paupières. Les yeux dans le vague, Sacha avait cessé de la fixer pour porter son regard sur la surface de l’eau. Devant son air triste, la jeune fille comprit qu’il pensait à Lem et Clem.

- Je ne peux pas l’affirmer avec certitude…, répondit-elle en choisissant soigneusement ses mots. Mais je pense que, avec tout ce qui nous est arrivé ces derniers temps, la coïncidence serait un peu trop grosse.

Sacha ne répondit pas, mais hocha vaguement la tête. Avec précaution, pour ménager sa jambe blessée, Serena s’assit à côté de lui, et ramena ses genoux contre elle.

- Je m’en veux tellement de les avoir laissés comme ça…, murmura-t-elle comme pour elle-même. Je n’aurais pas dû agir sur un coup de tête, c’était stupide… S’ils sont vraiment en danger, je…

Elle s’interrompit, prenant conscience que Sacha l’observait du coin de l’œil. Une étreinte glacée lui saisit la poitrine. Des deux adolescents, Sacha était certainement celui qui avait le plus de choses à se reprocher. Serena s’en voulut aussitôt de se plaindre, alors que lui devait éprouver bien plus de peine…

- …C’est jamais facile de laisser des amis derrière soi, finit par lâcher le jeune dresseur. Surtout quand on sait qu’on n’a pas le choix.

Il parlait d’un ton résigné, comme si discuter de ce sujet lui coûtait.

- Je pense au contraire qu’on a toujours le choix, objecta Serena. Seulement, on ne fait pas toujours les bons…
- Tu insinues que j’ai fait le mauvais choix en décidant de partir ?

L’agressivité qui pointait dans sa voix blessa Serena. Elle faillit répliquer, mais se retint. Certes, elle lui en voulait d’être parti. Certes, elle estimait que ce n’avait pas été la meilleure solution. Cependant, le mal était déjà fait. A quoi bon revenir sur ce qui ne pouvait être changé ?

De nouveau, elle mesura ses paroles, pour ne pas froisser Sacha :

- Je ne sais pas. Je ne pense pas être la plus à même d’en juger. (Après une brève hésitation, elle ajouta :) Et après tout, tu devais avoir tes raisons…
- Ah, parce que tu me cherches des excuses, maintenant ? riposta le jeune homme d’une voix sèche. Hier encore, tu m’en voulais, et maintenant tu vas me faire croire que tu m’as pardonné ?
- Bon, ça suffit, maintenant, arrête ! s’exclama Serena, exaspérée. Je n’ai vraiment pas envie de me disputer de nouveau avec toi…

Ses paroles parurent affecter Sacha, car il baissa les yeux, honteux.

- Moi non plus… murmura-t-il si bas que la jeune fille faillit ne pas l’entendre. Mais, ajouta-t-il plus haut, tu m’en veux ou pas ? J’ai besoin de savoir.

Éberluée, Serena ouvrit des yeux ronds.

- Évidemment…que je t’en veux, répondit-elle d’une voix éteinte. Tu es parti sans laisser de traces. J’ai bien cru que… que je ne te reverrai jamais. Forcément, ça fait mal.

Elle ne pouvait que lui avouer la vérité. Elle avait énormément souffert de l’absence de Sacha ; tout comme Lem et Clem, se hâta-t-elle d’ajouter en pensée.
Si Sacha ne dit rien, il lui adressa un regard sincèrement désolé. Serena le lui rendit quelques instants, avant de réaliser quelque chose.

- Dis-moi, j’ai l’impression que, de nous deux, c’est toi qui t’en veux le plus. Je n’ai pas raison ?

Pas de réponse. Sacha avait de nouveau détourné la tête.

- Tu sais, lui dit-elle avec douceur, ça arrive à tout le monde de faire des erreurs. Alors s’il te plaît, arrête de penser que tu es le seul fautif dans toute cette histoire. Et puis…
- Mais tu ne comprends pas !

Sacha frappa le sol du poing, faisant sursauter Serena.

- Tu comprends pas, répéta-t-il, tremblant. Quand je suis parti, je pensais vous protéger, toi et les autres. Je pensais que l’Homme Masqué s’occuperait de me traquer, et qu’il vous laisserait tranquilles… J’avais même pas prévu de le combattre de nouveau, au départ ! Je ne pensais qu’à fuir, fuir pour sauver la peau de mes Pokémon ! Et la mienne…

Les mots moururent sur ses lèvres. Serena, elle, resta sans voix devant cet aveu. Elle chercha désespérément quelque chose à lui répondre, quand Sacha se leva brusquement.

- Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta Serena.
- Il n’y a plus une minute à perdre, dit le jeune dresseur comme s’il ne l’avait pas entendue. On doit progresser, encore et toujours plus. Le temps presse, cette fois ! Si les Sépiatroces trouvent Lem et Clem, ou si l’Homme Masqué… Mais comment je pourrais le savoir ? Je peux pas savoir ! Bon sang, qu’est-ce que je dois faire ? Je sais pas quoi faire !

Sacha se prit la tête entre les mains, comme en proie à un violent tourment intérieur. Bouleversée, Serena ne sut comment réagir. La détresse de Sacha la perturbait ; le voir ainsi la rendait aussi perdue qu’un naufragé sans bouée de sauvetage.

Puis d’un coup, elle se rendit compte que c’était précisément la plus mauvaise réaction à avoir. Jusqu’à présent, elle et les autres s’étaient bien trop reposés sur Sacha quand venaient les difficultés. A présent, c’était lui qui avait besoin d’aide – de leur aide.

Serena sut alors quoi faire.

- Sacha !

Le jeune dresseur se retourna, une expression mêlant peine et colère peinte sur le visage. Cette vision renforça la détermination de Serena, qui se saisit d’une Pokéball à sa ceinture, et la pointa droit vers le jeune dresseur.

- Affronte-moi.

Sacha la dévisagea comme s’il la voyait pour la première fois.

- Qu-quoi ?

- J’ai dit : affronte-moi, répéta-t-elle avec fermeté. Je te provoque en duel !


~*~

Je faillis me pincer pour m’assurer que je ne rêvais pas. Serena voulait m’affronter ? Ici ? Maintenant ?

- Qu’est-ce qui te prend ? bredouillai-je, confus. T’as perdu la tête, ou quoi ?
- Pas du tout, je suis très sérieuse. Toi, en revanche, il est évident que tu n’as plus toute ta raison.

Son affirmation me fit tiquer.

- D-de quoi ?
- Tu m’as très bien entendue ! Le Sacha que je connais ne se comporte pas du tout comme toi.
- Mais arrête, c’est quoi ces histoires ? Je suis pas « celui que tu connais » ? C’est quoi ce délire ?
- Tu n’es plus le même qu’auparavant. (Sa voix trahissait sa tristesse, mais elle se ressaisit rapidement.) Et je vais te le prouver, en te combattant !

Elle jeta sa Pokéball en l’air. Un éclair bleuté illumina la pénombre, et Roussil apparut devant moi, ses yeux animés d’une lueur farouche.

- Eh bien, qu’est-ce que tu attends ? m’invectiva Serena. Le vrai Sacha aurait déjà relevé mon défi sans hésiter, lui !

Je grinçai des dents. Mince… A quoi jouait-elle ? Je me sentais obligé de l’affronter, maintenant…

- Très bien, articulai-je lentement. Puisque c’est ce que tu veux…

Je pris une inspiration, et déployai mes sens. Il fallait que je m’assure de quelque chose.

Oui, il était bien là.

- Croâporal !

Devant les regards stupéfaits de Serena et Roussil, l’amphibien sortit des sous-bois, et s’avança d’un air nonchalant jusqu’à moi.

- Mais… Comment tu… ?
- Ce serait trop long à t’expliquer, éludai-je avant de me tourner vers mon Pokémon. Dis-donc, toi, ça fait un moment que tu nous espionnes, pas vrai ?

Pas gêné pour un sou, Croâporal leva un regard espiègle sur moi. Plus amusé qu’agacé, je le gratifiai d’une tape sur l’épaule.

- En tout cas, puisque tu es là, on va pouvoir combattre, t’en dis quoi ?

Le Pokémon Eau coassa d’agrément, et fit face à son adversaire. L’expression de Serena redevint sérieuse.

- Bon… Alors commençons ! Tu es prêt ?
- Quand tu veux, répliquai-je, bien décidé à en finir au plus vite.

Light up the sky – The Afters
Ce fut Serena qui lança la première attaque.

- Roussil, utilise Lance-Flammes !
- Riposte avec Vibraqua !

Tandis que la renarde embrasait sa branche pour déverser un jet de flammes sur Croâporal, ce dernier envoya une sphère d’eau presque aussi grosse que lui. Les deux attaques se rencontrèrent dans un panache de vapeur ; mais l’eau eut bien vite raison du feu, et Roussil se retrouva aspergée de la tête aux pattes.
Alors qu’elle s’ébrouait, je choisis d’enchaîner ; autant ne pas perdre de temps.

- Maintenant, lance Coupe !
- Utilise Griffe !

Le sabre factice de Croâporal et les griffes acérées de Roussil s’entrechoquèrent violemment, créant de petites étincelles blanches. Les deux Pokémon échangèrent les coups pendant quelques secondes, avant que le type Eau ne prenne le dessus. Ses mouvements devinrent si rapides que Roussil eut du mal à suivre, et ne vit pas à temps le coup venir.

Croâporal n’eut même pas besoin de la toucher ; son attaque Coupe fendit l’air, et l’onde de choc propulsa la renarde plusieurs mètres en arrière.

- Quelle vitesse…, commenta Serena, impressionnée.

Roussil se releva tant bien que mal, crachant furieusement. Face à elle, Croâporal n’avait pas la moindre égratignure, et jouait même des jambes, comme s’il ne s’était pas dépensé depuis longtemps.

- Croâporal, lance Reflet ! commandai-je.

L’amphibien se démultiplia à une vitesse folle. Bien vite, le Pokémon Feu se retrouva encerclé, et ne sut plus où donner de la tête.

- Fais-les disparaître avec Puissance Cachée ! riposta Serena.

Invoquant plusieurs sphères de lumière, Roussil dissipa les illusions une à une, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Croâporal. Même l’original avait disparu.

- Qu’est-ce que… ?!
- Aéropique !

Avant même de comprendre ce qui se passait, Roussil fut fauchée par en-dessous, puis frappée au ventre par un Croâporal aussi rapide et furtif qu’une ombre. La renarde s’écroula, pantelante.

- Roussil ! s’inquiéta Serena. Relève-toi !

En la voyant ainsi encourager son Pokémon à se relever, je sentis mon cœur se serrer. Un sentiment de lassitude m’envahit : ce combat avait-il seulement un sens ?

- Serena, ce match ne mène nulle part. Laisse tomber, tu veux ?

Les yeux de mon amie parurent s’embraser.

- Eh bien, qu’est-ce qui t’arrive ? me défia-t-elle. Tu ne veux pas te battre ?
- Bien sûr que non ! tempêtai-je, déchiré entre tristesse et irritation. Je n’ai aucune raison, et aucune envie de me battre contre toi, Serena.
- C’est bien dommage. Car le combat est loin d’être terminé ! Roussil, Déflagration !

Serena leva le bras, et aussitôt, Roussil cracha une boule de feu qui explosa en une étoile incandescente, juste au-dessus de Croâporal.

« Qu’est-ce qu’elle fait… ? » Au moment même où je me posai la question, Roussil sauta, et tournoya gracieusement entre les gerbes de flammes qu’elle avait créées. On aurait dit qu’elle dansait.

- Maintenant, Puissance Cachée !

Usant de son bâton de bois, la renarde manipula le feu qui l’entourait pour le combiner aux sphères d’énergie blanche. J’ordonnai à Croâporal d’esquiver. Ce fut tâche aisée, grâce à sa vitesse exceptionnelle. Seulement, les balles blanc et feu se multiplièrent à vitesse grand V, et l’amphibien fut vite dépassé.

Cependant, je conservai un calme froid.

- Lance Coupe !

Toujours avec célérité, Croâporal découpa sans difficultés les attaques de Roussil, qui s’éparpillèrent en myriades de braises ardentes, qui crépitèrent dans les airs avant de s’évaporer. Sur le coup, je ne pus m’empêcher de trouver cela magnifique.

- Maintenant, Roussil ! Lance Griffe !

Pris au dépourvu, Croâporal succomba à la feinte de la renarde, qui le griffa assez fort pour le faire reculer.

Mince, quel idiot ! J’avais été déconcentré ! « Mais qu’est-ce que tu fais ?! Ne pense à rien d’autre qu’au combat ! Le combat… »

Croâporal s’ébroua légèrement, avant de me jeter un regard confiant. Au moins, il n’avait rien ; l’attaque était heureusement trop faible pour lui causer des dégâts importants.

- Allez, Croâporal, lance Aéropique !

Le batracien bondit, ses pattes effleurant à peine le sol, et lacéra l’air autour de Roussil. Le Pokémon Feu fut projeté en arrière une fois de plus, impuissant face à une telle vitesse. Serena l’encouragea à se relever, une fois de plus. Mais la lueur effrayée que je lus dans ses yeux me mit hors de moi.

- S’il te plaît, Serena, arrête de faire l’idiote ! Tu vois bien que ça sert à rien. Mes Pokémon et moi nous entraînons sans relâche depuis des semaines pour pouvoir affronter un ennemi bien plus puissant que nous. Regarde la vérité en face : tu n’as aucune chance de gagner.

L’intéressée aida son Pokémon à se redresser, sans rien dire. Lorsqu’elle releva la tête, son regard était empreint d’une telle douleur j’en eus le souffle coupé.

- Qui t’as dit que je voulais gagner ?

Les mots, prononcés avec une simplicité déconcertante, me clouèrent sur place. Même Croâporal se figea, sous le choc, lui aussi.

- Je n’ai jamais dit que je voulais gagner contre toi, répéta Serena calmement, mais fermement. J’ai seulement dit que je voulais t’affronter : je n’ai jamais parlé de gagner quoi que ce soit.
- Mais… mais c’est absurde ! Pourquoi tu combats, si c’est pas pour gagner ?

Serena ferma les yeux. Pleurait-elle ? Ou voulait-elle s’empêcher de pleurer ? Dans les deux cas, la peine qu’elle affichait me laissait totalement désemparé.

- Dis…, finit-elle par souffler. Tu as remarqué ?
- Qu…quoi ?
- … C’est la première fois que nous nous affrontons en combat singulier, toi et moi.

Si je pensais qu’elle ne pouvait pas me surprendre plus qu’elle ne l’avait déjà fait, eh bien j’avais tout faux.

- Ouais… et alors ? bredouillai-je, hésitant.
- Et alors ? Alors rien. J’avais pensé que ça te ferait quelque chose. Mais visiblement, je me suis trompée.

Ses paroles m’atteignirent en plein cœur ; lentement, ma carapace d'indifférence se fissura, et ce fut à mon tour d'éprouver de la peine.

- Enfin, ça n’a pas d’importance, lâcha Serena. Sache que moi, j’apprécie beaucoup notre combat. Je sais bien que j’ai peu, voire aucune chance de gagner contre toi. Mais cela ne m’empêche pas d’essayer. Tu te rappelles de ce que tu m’as dit un jour ? Tout ce qu’on fait est utile. On ne perd jamais son temps à essayer de nouvelles choses. Et moi, je veux essayer de te parler à travers ce combat. De ranimer cette passion qui brûlait auparavant dans tes yeux, et qui rendait tes combats si palpitants.

Je ne sus quoi répondre à cela. Mais avant même d’en avoir eu l’occasion, je dus faire face à une riposte de Serena :

- Roussil, Lance-Flammes !

La renarde fit tournoyer sa branche comme une majorette, et effectua une série de roues, tout en embrasant le sol autour de Croâporal. Le batracien se retrouva encerclé par les flammes.

- Éteins-moi tout ça, lui commandai-je, Vibraqua !

Le batracien s’apprêtait à joindre les pattes pour réaliser son attaque, quand tout à coup les flammes grossirent, jusqu’à tourbillonner autour de lui. Et pendant ce temps, Roussil continuait de tourner en rond au milieu de ce cercle incendiaire.

Non ! Elle ne tournait pas… Elle dansait ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, le Pokémon de Serena jouait littéralement avec le feu, le manipulant avec sa baguette telle une magicienne, lui faisant ainsi prendre toutes les formes qu’elle voulait.

- Hé, c’est quoi ça ? m’exclamai-je. On combat ou on danse, ici ?
- Désolée, lâcha Serena avec désinvolture, mais c’est comme ça que je combats avec mes Pokémon !

Ces mots trouvèrent un écho en moi. « Avec mes Pokémon… » Je baissai les yeux vers Croâporal, qui ne savait plus où donner de la tête avec ces pirouettes embrasées qu’effectuait son adversaire. Quelque chose me frappa dans cette image : Roussil souriait, et paraissait prendre plaisir à effectuer ses acrobaties.

Et moi ? Et Croâporal ? Que faisions-nous exactement ? Mon Pokémon se battait de toutes ses forces, et avait tout pour dominer son adversaire. Mais il suffisait de deux-trois pirouettes gracieuses pour le déstabiliser. Pourquoi ? Parce que ce combat ne visait pas l’affrontement pur et direct, mais se déroulait plus comme… un spectacle, voire un jeu.

Je reportai mon attention sur Serena. Elle aussi affichait un sourire éclatant. Cela devait bien faire une éternité que je ne l’avais vue aussi heureuse. Elle et son Pokémon s’amusaient pendant ce combat.

Je pris brutalement conscience d’une chose : Croâporal, lui, était seul à combattre. Or, que vaut un être seul face à une équipe ? Serena et Roussil se comprenaient d’un seul regard, et plus important : elles partageaient l’expérience de leur affrontement. Tandis que moi, je me contentais d’assener ordre sur ordre à Croâporal. Au final, il n’agissait comme rien de plus qu’une machine de guerre dont j’aurais pris les commandes.
Cette image me révolta instantanément.

« C’est pas comme ça que je combats. Ce n’est pas mon style ! »

Un cri de Croâporal me ramena à la réalité. Au même instant, Serena leva de nouveau le bras vers le ciel :

- Roussil, Déflagration !

Tournoyant telle une toupie, la renarde parut s’envoler, entourée d’une ceinture de feu qui illumina les environs d’une vive lueur rouge et or. Puis elle concentra tout ce feu au sommet de sa branche, avant de l’envoyer droit sur Croâporal. Déstabilisé, le batracien se prit l’attaque de plein fouet. Le choc projeta en l’air des paillettes embrasées qui explosèrent tels de petits feux d’artifice. Malgré son immunité face au feu, Croâporal avait l’air secoué. Il jeta sa mousse cramoisie sur le sol tandis que Roussil atterrissait gracieusement.

La réaction que j’eus m’étonna moi-même. Mes poings se desserrèrent. Mes muscles se relâchèrent. Je levai la tête, et contemplai – sans aucun scrupule, cette fois – les illuminations de Pokémon feu s’évaporer dans les airs, rendant son obscurité à la nuit. Petit à petit, un fin sourire vint se dessiner sur mon propre visage.

« Serena s’amuse… Comme l’on devrait toujours s’amuser dans un vrai combat Pokémon. »

S’amuser… Voilà un concept qui m’avait paru bien étranger, ces derniers temps. Tout mon être et mon esprit s’était endurci à force de vouloir progresser. Mais en cet instant, alors que j’affrontais Serena, je sentais la pression fondre comme neige au soleil, et un plaisir familier s’insinuer dans mes veines. Le plaisir de jouer, de se battre avec son Pokémon pour simplement se mesurer à un adversaire, sans se soucier du vainqueur ou du perdant.

Enfin, bien entendu, il restait toujours l’envie de gagner. Cependant, ce n’était plus un désir brûlant. Mais un défi. Un défi à relever.

- Pas mal… Tu te débrouilles bien, Serena.

Un éclat de surprise fit briller les yeux de mon amie un court instant. Mais cet éclat fut bref, et vite remplacé par un sourire entendu.

- Et tu n’as encore rien vu ! lança-t-elle, la voix pleine d’émotion. Roussil, Puissance Cachée !
- Croâporal, Vibraqua !

Les deux Pokémon invoquèrent plusieurs sphères, blanches pour l’un et bleues pour l’autre, et les envoyèrent s’entrechoquer dans un nouveau concert de paillettes de lumière éclatantes. J’enchaînai avec Aéropique. Mais cette fois, je fis un signe à Croâporal : je ne voulais plus de coup porté rapidement, afin d’en finir au plus vite. Mieux valait jouer la surprise ; c’était plus exaltant.

Toutefois, je fus le premier surpris lorsque Roussil, d’un habile jeu de jambes, réussit à esquiver l’attaque de Croâporal. Galvanisé par ce succès auquel elle ne s’attendait apparemment pas, la renarde tenta de griffer son adversaire ; mais Croâporal la devança, et parvint à lui faucher les pattes arrière à temps.
Ce fut à mon tour d’être emporté par le feu de l’action. La réussite du coup de Croâporal fit monter d’un cran l’adrénaline qui faisait bouillonner mon sang.

- J’vais pas te laisser gagner si facilement ! Croâporal, Reflet !

Comme électrisé par mon enthousiasme, l’amphibien se démultiplia si vite qu’il était impossible d’estimer le nombre de copies créées.

- C’est ce que nous allons voir ! répliqua Serena avec engouement. Roussil, fais-les partir avec Lance-Flammes !

L’attaque de Roussil balaya les doubles factices de Croâporal, qui sauta pour éviter d’être brûlé lui aussi.

- Maintenant, cours !

L’amphibien obéit et s’élança à toute vitesse, tournant de manière circulaire autour de Roussil. Stupéfaite, la renarde osait à peine bouger, tentant vainement de suivre les mouvements de Croâporal. Serena parut hésiter.

- Tourne sur toi-même, et lance Déflagration !

La stratégie était bien pensée. En déployant ses flammes autour d’elle, Roussil était assurée de toucher Croâporal, quelle que soit la vitesse de ce dernier.
Sauf que là, elle affrontait mon Croâporal, pensai-je avec fierté. « Ensemble, on peut gagner… »

Tout parut se dérouler au ralenti. Le combat m’enivrait ; je pouvais presque voir les flammes danser, se diriger vers… vers moi !

« Sur le côté ! Plonge ! » Je sentis mon corps partir sur la gauche, rouler, se relever. Encore des flammes. « Maintenant, saute ! » La sensation de pesanteur… Attention ! Encore le feu ! « Sur la gauche, puis la droite… » L’air brûlant m’asséchait la gorge à chaque inspiration.

Là ! Une ouverture ! « Maintenant ! »

- VIBRAQUA !!

Une décharge d’énergie parcourut soudain tout mon corps. L’instant s’après, je vis la sphère d’eau de Croâporal percuter Roussil à bout portant. Après un vol plané, la renarde atterrit lourdement sur le sol, K.O..

Une sensation étrange, comme si je sortais la tête de l’eau après une longue apnée, me fit chanceler. Battant des paupières tel un somnambule mal réveillé, je croisai le regard reptilien de Croâporal. Ses yeux jaunes brillaient d’une joie que je mis un temps à interpréter.

On avait gagné. On avait battu Serena. Rien de plus évident ; ayant de mon côté l’avantage du type, et l’expérience, ce combat ne pouvait se terminer qu’ainsi. Et pourtant…

- wooooOUAIS !! On a gagné, mon vieux, on les a eus !

Pris d’un fou rire, mon Pokémon et moi échangeâmes un tape-m’en-cinq. Puis tout à coup, je remarquai les yeux éberlués de Serena et Roussil levés sur nous. Le bras toujours levé en l’air en signe de victoire, je n’osais plus bouger, pétrifié par un terrible sentiment de passer pour un idiot.

- Haha ! Hem…désolé, héhé…
- Eh bien, tu sembles avoir apprécié le combat, remarqua Serena avec un petit rire.

Les joues brûlantes de honte, j’aidai Serena à se relever, tandis que Croâporal faisait de même avec Roussil.

- C’est clair, répondis-je. ça faisait longtemps que je m’étais pas autant éclaté lors d’un combat. Pas vrai, Croâporal ?

Le concerné hocha la tête vigoureusement.

- C’est drôle, fis-je en souriant. J’ai beau tout essayer, y’a vraiment que les combats pour me remonter le moral. Quand j’ai un problème, ou que je commence à douter, il me suffit de combattre aux côtés de mes Pokémon pour me vider la tête et me sentir mieux… Ha ! C’est sûr que t’aurais pas pu trouver meilleur remontant ! ajoutai-je avec un rire nerveux.
- Je me suis dit… que c’était la seule solution pour te parler, m’avoua Serena. En te lançant ce défi j’espérais que tu m’écouterais. Tu l’as toujours dit toi-même : les combats permettent aux dresseurs de mieux se comprendre, et de communiquer entre eux. Tout ça, c’est toi qui nous l’as appris…
- Appris ? répétai-je, troublé. Je vous ai jamais rien appris. C’est juste que ça me paraît normal ; je veux dire, c’est ça… un vrai combat Pokémon.

Je baissai les yeux vers Croâporal, qui me rendit mon regard. S’il ne disait rien, je lus dans ses yeux reptiliens qu’il approuvait mes dires.

- Je suis heureuse de t’entendre parler comme ça, fit Serena. J’ai eu si peur au début… Ta haine semblait avoir envahi jusqu’à ta manière de combattre.
- Ma haine, tu dis ?

Serena acquiesça.

- C’est pour ça que je disais que tu n’étais pas celui que je connaissais. Tout, dans ta manière de te comporter, de parler, et même de combattre… Tout montre que tu es empli de colère, Sacha. Déjà hier, c’était évident.
- … Je suis devenu comme lui, pas vrai ?

Je déglutis péniblement.

- Comme l’Homme Masqué.

Serena et les deux Pokémon ne dirent rien. Mais leurs regards peinés en disaient bien plus long. Les yeux baissés, je soupirai :

- Je m’en suis rendu compte, en t’affrontant. Ces derniers temps, je ne pense qu’à la victoire. A gagner, gagner encore. Après tout, l’échec n’est désormais plus une option : il faut qu’on batte l’Homme Masqué. Mais… (Je caressai doucement la tête de Croâporal, qui se laissa faire sans broncher.) Je crois bien qu’à force de trop me focaliser sur ça, j’en ai fini par oublier tout le reste. Et au final, ce que je craignais le plus, et que je voulais éviter à tout prix a fini par se produire, sans que je m’en rende compte. A vouloir vaincre un monstre, je suis devenu un monstre à mon tour. Un monstre qui ne se préoccupe de rien d’autre que de gagner, et qui en perd son âme et son identité.

Contre toute attente, Serena me prit le bras – pas le bras blessé, heureusement… – et le pressa doucement.

- Je ne suis pas d’accord, affirma-t-elle. Il y a une différence de taille entre toi et l’Homme Masqué. Toi, tu éprouves une rage sans bornes envers lui. Mais c’est uniquement parce que tu es quelqu’un de loyal, et de passionné, Sacha. Tu t’inquiètes pour tes amis, et tu veux à tout prix les protéger. Peu importe ta haine, tes intentions sont justes.

Je ne sus trop quoi dire. Plus le temps passait, et plus Serena donnait l'impression de lire en moi comme dans un livre ouvert. C'était... perturbant.

- Seulement voilà, continua-t-elle. Ta colère est si grande qu’elle risque bien de t’engloutir tout entier, et de prendre le contrôle. C’est pour ça qu’il faut que tu reviennes avec nous, Sacha. Sans nous, sans le soutien de tes amis, tu risques de te laisser submerger.
- Tu sais bien que c’est impossible ! protestai-je. Si vous restez avec moi, vous serez en danger…
- Sacha. (Le ton de Serena était doux, mais ferme.) Je sais que tu veux nous protéger. Je ne dis pas que c’est mal, bien au contraire. Mais tu t’aveugles à penser que notre bien-être et notre sécurité ne dépendent que de toi. Tu n’es pas un héros invincible. Tu es humain, Sacha, comme nous tous. Toi aussi tu es capable de douter, et d’avoir peur. Mais personne ne t’en voudra jamais pour cela. Ce qu’on aime, chez toi, c’est ton courage. Et le plus grand des courages, c’est avant tout de reconnaître ses peurs. Te penser invincible ne fera que te détruire...

Je… J’en restai sans voix. Comment une telle personne, capable de comprendre les tourments qui me rongeaient depuis des semaines, de les exprimer clairement à voix haute alors même que je n’en avais fait part à personne, pas même à mon vieux copain Pikachu… Une personne qui pointait mes erreurs sans pour autant me juger ; qui leur donnait un sens, une explication, sans pour autant les approuver… Comment une telle personne pouvait-elle exister ?

Et pourtant, cette personne était bien réelle, et se tenait là, juste en face de moi. J’étais bouleversé ; mais je ne compris à quel point que lorsque je sentis de fines larmes me tremper les joues. En me voyant essuyer mes yeux humides, Serena entortilla machinalement une mèche de ses cheveux bruns, et murmura gentiment :

- Et tu sais… Tu as droit le pleurer, aussi. Il n’y a pas à avoir honte de ça…
- Non, il faut vraiment que j’arrête, contrai-je. Ça sert à rien de pleurer et de se lamenter sans arrêt, ça fait pas avancer les choses…
- Sûrement, admit-elle. Mais ça fait du bien de se lâcher un peu, tu ne crois pas ?

Je ravalai mes larmes en grimaçant. Si elle savait… Je pensais m’être suffisamment lâché comme ça, lors de mon escapade dans la forêt.

- Oui… Sauf quand on se lâche sur ceux qu’on aime, fis-je, amer. T’as peut-être raison, Serena : peut-être que je me suis moi-même imposé des responsabilités que je ne détiens en réalité pas. Seulement, quand c’est devenu un fardeau trop lourd à porter, j’ai évidemment rien trouvé de mieux à faire que de rejeter toute la faute sur vous, en vous accusant de toujours trop compter sur moi…
- Ce n’est pas non plus entièrement faux, fit valoir Serena. J’ai conscience – et je suis sûre que Lem aussi – que nous avons un peu trop pris l’habitude de nous reposer sur toi quand on fait face à des difficultés. Mais d’un côté, c’est normal : tu es comme un meneur pour nous, tu as une aura particulière…

Je savais qu’elle employait cette expression de manière métaphorique, mais je ne pus m’empêcher de sourire en songeant à quel point elle avait juste sur ce point…

- Seulement, poursuivit-elle, c’est à double tranchant. Il suffit que te mettes à douter pour que le navire chavire et coule. La preuve : aucun d’entre nous n’a su comment réagir face à ta dépression, ou à ton départ… Résultat, on s’est retrouvés séparés. (Elle eut un sourire triste.) On a beau dire, nous ne sommes pas très indépendants. Là, c’est toi qui avais raison : dès que tu n’es plus là, c’est la panique entre nous…
- Dis pas ça. Ce qui est arrivé entre Lem et toi, c’était… c’est pas votre faute, ni à l’un, ni à l’autre. Et puis, ne va pas me dire que vous ne savez pas prendre des décisions par vous-mêmes : t’as bien fait tout le chemin jusqu’ici pour me retrouver, non ?
- C’était un peu au hasard…, objecta-t-elle. Mais quoiqu’il en soit, ça ne change rien au fait que nous avons mal réagi. A force de nous reposer sans arrêt sur toi, nous en sommes devenus incapables de pouvoir t’aider quand c’est toi qui te retrouves démuni, sans savoir quoi faire. Car tu n’as pas toujours la solution à tout…
- Non, c’est vrai.

Je la regardai droit dans les yeux. Cela dut la perturber, car elle rougit brusquement. Sans m’en soucier, je poursuivis :

- Sauf que, tu vois, j’ai pas arrêté de la chercher, la solution. Je voulais… je veux absolument trouver un moyen de nous sortir de cet enfer, de vaincre l’Homme Masqué sans vous mettre en danger. Et comme le temps presse, j’ai paniqué… d’ailleurs, encore maintenant, je sais pas comment faire pour arranger les choses. Car le fait est que Lem et Clem sont en danger. En ce moment même, il se peut très bien que l’Homme Masqué soit à leurs trousses… Rien que d’y penser, ça me rend dingue de rester ici à bavarder alors que je pourrais les aider…
- Les aider ? fit Serena, plus inquiète qu’étonnée. Mais comment ? On ne sait même pas où ils sont…
- Merci, je le sais bien, répliquai-je, plus sèchement que je ne l’aurais voulu. Mais il doit y avoir un moyen… C’est pas possible autrement.
- … Tu vois, tu recommences. Tu as beau dire, tu veux toujours te débrouiller pour pouvoir les aider toi-même. Alors que tu sais que tu es impuissant…

Elle s’interrompit, une main devant la bouche, comme si elle regrettait ce qu’elle venait de dire. Nullement offensé, je haussai les épaules.

- C’est vrai. Je ne suis peut-être pas capable de les aider. Au final, je ne suis peut-être même pas capable de vaincre l’Homme Masqué tout seul. Ou du moins, pas encore. Il me faudrait peut-être plusieurs années avant de l’égaler, qu’est-ce que j’en sais ? Mais l’urgence de la situation fait que je n’ai pas tout ce temps à ma disposition. Je sais ce que tu vas me dire : je cherche sans arrêt à tout résoudre moi-même, à faire en sorte de trouver un moyen de surmonter les problèmes. C’est peut-être idiot ; voire complètement fou. Mais je ne suis pas capable de faire autrement. On est dans une situation où mes amis ont besoin d’aide. Des gens que j’aime, et qui comptent plus que tout pour moi, sont en danger – et en partie par ma faute, en plus.
- Ce n’est pas… ! se récria Serena.
- Quand bien même, la coupai-je. Que ce soit ma faute ou pas, ça revient au même, en fin de compte. Mes amis sont en danger, et je veux faire quelque chose pour les aider. Je… je peux pas rester sans rien faire face à ça, tu comprends ? C’est impossible. Tu peux bien trouver ça fou, ou complètement stupide, je m’en moque. Je suis comme ça, j’y peux rien. Même quand je sais que je ne peux rien faire, il faut que je tente quelque chose. N’importe quoi. Parce que, pour moi, ne rien faire est pire que d’échouer à tenter quelque chose. Bien plus pire.

Un silence accueillit mon petit discours. Le regard de Serena était indéchiffrable.

Puis sans crier gare, elle se jeta à mon cou, me faisant légèrement reculer.

- Qu… ? Qu’est-ce qui te prend ?
- …Tu as tort. Je ne te trouve ni fou, ni stupide. Bon, d’accord, peut-être un peu idiot ; mais un adorable idiot…

Elle resserra son étreinte ; sentir sa chaleur contre mon corps me troublait profondément. Mais en même temps, c’était agréable.

- C’est aussi pour ça que je… qu’on t’aime tant, tu sais, dit-elle tout bas. Tu es gentil, Sacha. Dans le vrai sens du terme. Tu aimes tes amis et tu ne supportes pas de voir les autres souffrir. Certains diront que tu as un cœur en or, et ils auront raison. C’est ce qui fait de toi ce que tu es. Et pour rien au monde je ne voudrais que tu changes.

Je crus soudain qu’un incendie venait de se déclarer dans ma poitrine. Comment dire… Je ne m’attendais pas à de telles déclarations. Je cherchai désespérément quelque chose à répondre, mais toute pensée semblait avoir été effacée de mon cerveau, le laissant plus vierge qu’une feuille blanche.
Serena s’écarta légèrement, afin de me regarder bien en face.

- Seulement, il faudrait que tu apprennes à te reposer sur les autres de temps en temps. Tu ne peux pas toujours tout gérer à toi tout seul.
- Je sais, dis-je en souriant légèrement. Mais fallait que j’essaye.

Serena sourit à son tour. Puis elle enfouit de nouveau son visage au creux de mon cou, en me serrant de plus belle. Un frisson me parcourut le dos.

- Tu m’as manqué, me souffla-t-elle à l’oreille.

L’émotion me submergea brusquement. Je pris brutalement conscience du poids de ces mots. A quel point ils résonnaient en moi.

Maladroitement, je refermai mes bras autour d’elle, et respirai son parfum – un doux parfum de fleurs sauvages.

- Toi aussi…, murmurai-je imperceptiblement. Toi aussi tu m’as manqué, Serena.

Je la serrai un peu plus contre moi, appréciant la caresse de ses mains sur mon dos.

Le temps parut soudain s’étirer. Plus rien autour de nous n’existait ; le monde extérieur nous était devenu complètement étranger. C’était comme se blottir dans un cocon de pure douceur ; la chaleur de Serena me réchauffait, son parfum m’apaisait. En cet instant précis, j’étais heureux d’être là, et nulle part ailleurs. J’aurais volontiers tout donné pour que ces quelques instants durent toute l’éternité.

Hélas, le répit semblait m’être définitivement interdit, ces derniers temps.

Aussi subit qu’un jet d’eau glacée, une violente détonation déchira l’air, et m’arracha à ma douce torpeur. Les yeux écarquillés sous l’effet de la surprise, Serena s’écarta brusquement, et fixa un point par-dessus mon épaule.

Au moment même où je fis volte-face, un fulgurant flash lumineux m’éblouit. Peu après, le même craquement sinistre retentit, ébranlant les arbres autour de nous. Roussil et Croâporal, un peu en retrait, poussèrent des cris inquiets.

- Ça vient du village ! Qu’est-ce que qui se passe ? s’écria Serena.

Battant des paupières pour chasser l’énorme tache multicolore qui dansait devant mes yeux, je sentis l’effroi s’insinuer en moi, à mesure que j’identifiais le seul auteur possible de cette explosion.

- Pikachu !