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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 06/11/2016 à 14:58
» Dernière mise à jour le 07/11/2016 à 15:03

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 22 - Regrets et amertume
La vie est faite de choix. Que ce soient des actions ou des mots, il y a toujours des choix à faire. Et bien trop souvent, on fait les mauvais choix. Alors on ressasse le passé sans arrêt en se disant « Si seulement, si seulement… »


~*~


« … ces images diffusées par hélicoptère témoignent de la violence de l’accident. Le train faisant la liaison entre Mozheim et Bastiques a semblerait-il été stoppé de suite à l’encombrement de la voie ferrée. Mais aucune piste ne permet à cette heure d’expliquer l’explosion qui s’est produite, et qui a emporté l’avant de l’appareil. Le bilan s’élève pour le moment à vingt-huit morts et plus d’une centaine de blessés, et pourrait encore s’alourdir dans les heures qui suivent. Les rescapés ne semblent, d’après les médecins, n’avoir aucun souvenir de ce qu’il s’est passé. Les enquêteurs, quant à eux, ne privilégient pour le moment aucune piste, mais la thèse d’une attaque terroriste est sur toutes les lèvres. Une cellule psychologique a été mise en place pour les familles des victimes, afin de… »

- Ce viaduc…, marmonna Genzo en faisant tourner bruyamment sa cuillère dans sa tasse de café. Il n’est situé pas très loin d’ici…

Lucario, que le tintement du couvert contre le fond de la tasse commençait à sérieusement agacer, grogna à l’intention de son dresseur. Genzo soupira, et posa le récipient sur la table basse, écoutant d’une oreille distraite la suite des infos régionales.

« …autre sujet important de ce journal : nous restons encore aujourd’hui sans nouvelles de l’Usine de Pokéballs, qui ne fournit plus les centres d’achat. Les dresseurs ont en conséquence pris d’assaut les grands centres commerciaux d’Illumis, seuls lieux possédant encore un stock suffisant de ces petites balles si précieuses. Mais les réserves seront bientôt épuisées, et le gouvernement s’inquiète de l’ampleur que pourrait prendre le phénomène. L’une de nos envoyés spéciaux s’est rendue sur place, mais n’est toujours pas rev- »

Genzo coupa le téléviseur. Il en avait assez entendu pour aujourd’hui.

« L’Usine de Pokéballs qui cesse d’alimenter les stocks…et maintenant un accident de train pas loin d’ici ? C’est trop pour être une simple coïncidence… »

Le vieil homme secoua la tête. Non. Peut-être se faisait-il des idées, tout simplement. A force d’avoir travaillé dans le grand banditisme, il finissait par voir le mal partout… Cependant, son intuition lui soufflait le contraire.

« Il y a un truc qui tourne vraiment pas rond à Kalos… Et ça m'inquiète. »

Pensif comme il l’était, Genzo porta la tasse de café trop vite à ses lèvres, et manqua de se brûler la langue. Ravi de cette vengeance inattendue, Lucario rit sous cape, ignorant le regard noir de son dresseur souffrant.


~*~

Les fougères bruissèrent, s'écartèrent, et je surgis au milieu d'une petite combe. Un bandeau sur les yeux pour m’obliger à me passer de ma vue, j’inspirai à fond, et déployai mes sens.

Aussitôt, le noir des ténèbres fut illuminé par de nombreuses formes bleutées. Bien qu’ayant toujours les yeux fermés, je distinguais parfaitement toutes ces formes évanescentes. C’était presque comme ouvrir les yeux en plein rêve ; je voyais les choses, sans les voir véritablement. Disons plutôt que je les ressentais. Comme si d’elles émanait un souffle chaud, imperceptible en temps normal, et qui me caressait la peau.

Cela faisait quelque temps maintenant que je m’entraînais à la maîtrise de l’aura avec Genzo, et j’avais pour ainsi dire bien progressé. A tel point que le vieil homme me laissait désormais parcourir seul le Bois des Illusions. L’aura me permettait en effet de distinguer le vrai du faux dans cette forêt où la vue était trompeuse. Genzo utilisait d'ailleurs souvent le terme de "double vision" pour désigner l'aura...

Un bruissement de feuilles sur la droite attira mon attention. Avais-je dit que je parcourais seul le Bois des Illusions ? Eh bien en réalité, pas tout à fait.

Je me tournai brusquement sur le côté ; sans la voir, j’entendis la balle de mousse blanche s'écraser au sol, à l'endroit où je me tenais quelques secondes plus tôt.

« J’ai réussi ! Je l’ai évité ! » Mais je n’avais pas le temps de m’enorgueillir de cette victoire. Déjà d’autres balles de mousse fonçaient sur moi. Je remuai dans tous les sens pour les éviter. Je m’en sortais plutôt bien, jusqu’à ce que, soudain, je reçus un projectile en plein derrière la tête.

Déséquilibré, je me retrouvai face contre terre, la nuque trempée par la mousse gluante. J’entendis le rire de Croâporal dans mon dos.

« Attends un peu… Tu perds rien pour attendre… »

Je soulevai mon bandeau afin de chercher des yeux quelque chose de correct à lancer. J’optai pour une petite branche qui gisait à terre, et redéployai mes sens.
Croâporal n’avait pas bougé, comme s’il m’observait… Je fis mine de me remettre à courir, pour le forcer à bouger. La ruse fonctionna. La présence de Croâporal se déplaça ; alors, d’un geste précis malgré ma cécité forcée, je lançais le bout de bois à l’endroit où je pensais avoir perçu la présence de l’amphibien.

Tout à coup, le projectile me revint en pleine figure, et je m'étalai de nouveau par terre. Sonné, je mis un temps à comprendre que Croâporal avait intercepté mon « attaque » avec l’une de ses Grebulles.

- Rah ! Bien joué, tu m’as eu ! râlai-je de bon cœur.

L’amphibien me rejoignit sur la terre ferme, un petit air satisfait peint sur son visage.

- Tu te débrouilles de mieux en mieux, Croâporal, le félicitai-je en posant une main sur son épaule. Tes tirs sont bien plus précis et rapides ! Il faut qu’on continue comme ça.

Le batracien coassa d’enthousiasme. Replaçant le bandeau sur mes yeux, je lui proposai de réitérer l’exercice. Vif comme l’éclair, Croâporal repartit se camoufler dans les arbres. Je fis quelques pas hésitants, avant de foncer de nouveau à travers le bois.

Plus j’avançais, et plus les présences autour de moi m’apparaissaient clairement. J’essayai de pousser mes sens le plus loin possible ; Genzo m’avait appris un jour qu’à force d’entraînement, les meilleurs Gardiens Aura pouvaient détecter les présences à plus d’un kilomètre autour d’eux.
Enfin moi, j’étais bien loin du compte. Pour le moment, ma perception n’excédait pas les deux mètres… un exploit cependant, d’après le vieil homme, étant donné que je n’avais entamé mon entraînement depuis seulement deux semaines.

Je m’arrêtai brusquement. Et écoutai.

Le murmure du vent faisait bruisser les feuilles. Soupirer les brins d’herbe. Quelques Pokémon sauvages se déplaçaient à vive allure, d’autres restaient immobiles, à l’affût. Ne reconnaissant l’aura particulière de Croâporal dans aucune de ces présences, je m’apprêtai à repartir quand soudain…

- Je te vois !

Je fis volteface pile à l’instant où Croâporal fondait sur moi. Nos paumes se touchèrent.

Et d’un seul coup, tout devint blanc.

Une vague d’énergie me parcourut le corps, électrisant tous mes muscles, et une lumière aveuglante explosa dans ma tête. Je sentis mes yeux me brûler ; puis soudain, une silhouette bleue et rouge se dessina dans mon champ de vision. Quoique, la voyais-je réellement ? Impossible !

Soudain, la forme indistincte fondit sur moi, et me traversa. Littéralement.
Ce fut ensuite comme si un raz-de-marée m’emportait, mais de l’intérieur. Je me sentis projeté en arrière par une force incommensurable. Je me sentais voler, toujours plus haut...

Puis ma tête heurta violemment le sol, et je revins tout aussi brutalement à la réalité. Les ténèbres m’entourèrent de nouveau, si bien que je crus être devenu aveugle avant de me rappeler la présence du bandeau sur mes yeux. Bandeau que j’enlevai précipitamment.

- Cr-Croâpral ! m’écriai-je, apercevant l’amphibien étendu non loin.

Le Pokémon Eau se releva aussitôt, et secoua la tête. Ses yeux reptiliens papillonnèrent ; il semblait perdu. J’accourus vers lui, lui demandant si ça allait. Croâporal acquiesça, quoique qu’encore sous le choc.

- C’était quoi, ça…, marmonnai-je. T’as senti ? Cette puissance…

L’amphibien hocha de nouveau la tête, ce qui me perturba. Alors lui aussi avait ressenti ce… raz-de-marée ? Je n’avais vraiment pas d’autre mot pour définir cette énergie étrange qui m’avait envahi à l’instant. Comme si mon corps prenait feu, mais que j’étais sous l’eau…
Je secouai la tête, laquelle me parut d'un coup bien lourde... Non, franchement, je ne comprenais pas. A mes côtés, Croâporal paraissait tout aussi troublé que moi.

Soudain, le même frisson nous parcourut. Au même instant, une nuée de Pokémon oiseaux prit son envol au loin. Je jetai un œil à Croâporal, qui me rendit mon regard ; lui aussi avait le sentiment qu’un danger se trouvait non loin. C’était l’un des autres effets de l’aura : le sixième sens, celui de l’intuition était grandement exacerbé. J’avais parfois l’impression de passer pour un paranoïaque, quand il se manifestait ; mais il s’avérait que l’intuition éveillée par l’aura ne se trompait que rarement… Dans le doute, je déployai mes sens.

Sans ressentir l'aura de l'intrus - qui devait être encore loin - je perçus quelques signes de sa présence. Des bruits de pas effrénés. Un souffle saccadé. Plus de doute, quelqu'un avait pénétré dans la forêt. Et ce quelqu’un fuyait quelque chose. D’après la manière dont l’intrus se déplaçait, ce n’était pas un Pokémon. Du moins le supposais-je…

Tiraillé par ce mauvais pressentiment, je fis signe à Croâporal de me suivre et m'enfonçai à travers les arbres. Les sens déployés au maximum de ce dont j'étais capable, je tentai d'identifier ce qui avait effrayé les Pokémon oiseaux.

Tout à coup, Croâporal passa devant moi, et m'indiqua d'un geste de m'arrêter. Alerté, je poussai encore plus loin ma perception des auras. Puis je la sentis. Une présence, furtive, qui ne cessait de se mouvoir. Je la savais proche, mais je ne pus déterminer où elle était exactement. Il fallait que je me concentre…

Puis les fourrés bruissèrent sur ma droite. Sans réfléchir, je me précipitai vers la source du bruit quand soudain, quelque chose me percuta, me faisant tomber à la renverse. Quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Je me retrouvai étalé par terre, celui ou celle qui m'avait bousculé à moitié allongé sur moi. Je me redressai brusquement, écartant la personne pour voir son visage.

- Eh ! Faites attention, qu'est-ce qui…

Mon cœur rata un battement.

Ses vêtements, sales et déchirés, étaient différents de ceux qu'elle portait d'ordinaire, et ses cheveux bruns, trempés, semblaient avoir légèrement terni. Mais j'aurai reconnu entre mille ses yeux ; ces yeux plus bleus que l'océan, plus brillants que le saphir. Ces yeux qui me regardaient avec un mélange de surprise et d'ébahissement.

- S-Serena ?!
- Sa…Sacha… ?

Un million de questions se bousculaient dans ma tête. Qu'est-ce que Serena faisait ici ? Comment était-elle arrivée là ? Allait-elle bien ? Pourquoi était-elle seule ?

Un cri alerté de Croâporal me ramena à la réalité. Au même instant, je la sentis. L'autre présence. Plus intense, et oppressante.

- Attention !

Sans attendre, j'entraînai Serena derrière les fourrés, et lui plaquai une main sur la bouche. De l'index, je lui intimai de ne pas faire de bruit. Elle acquiesça tandis que Croâporal nous rejoignait, scrutant les arbres avec méfiance.

Les secondes s'écoulèrent, interminables. Puis soudain, une ombre apparut sous la lumière filtrée du soleil. Un Sépiatroce.

Il ne me fallut pas longtemps pour reconnaître l’un des trois Sépiatroces auxquels nous avions eu affaire, mes amis et moi, il y a quelque temps. Je me souvenais de leurs plans fous pour changer le monde par la destruction. Ces Pokémon étaient dangereux.

Le Pokémon pieuvre regardait nerveusement autour de lui, comme s’il s’attendait à être attaqué. Tout à coup, il sauta sur le côté, et lança une attaque Coupe Psycho dans le vide. Je compris ce qui lui arrivait : il devait être victime des illusions de Zoroark.

Cela dit, cela n’expliquait pas sa présence ici. Ses regards furtifs ne trahissaient pas que la méfiance. Il semblait être à la recherche de quelque chose. « Ou de quelqu’un », pensai-je en jetant un coup d’œil à Serena blottie près de moi. Quoi qu’il en soit, il fallait à tout prix l’éloigner. S’il atteignait le Village Pokémon, cela risquait d’être dramatique.

Je cherchai un moyen pour le faire partir, et trouvai mon bonheur dans un arbre non loin de nous. Je me penchai vers Serena et lui glissai à l’oreille :

- Surtout, quoi qu’il arrive, ne fais pas de bruit. Dès que je te dirai de courir, cours, sans t’arrêter.

Elle acquiesça de nouveau, l’air troublé. Par de petits signes discrets, j’indiquai à Croâporal ce qu’il devait faire. Le Pokémon Eau comprit le message et s’exécuta, silencieux comme une ombre. Il grimpa sur un arbre, et visa celui que j’avais repéré avec l’une de ses Grebulles.

Le froissement des feuilles attira l’attention du Sépiatroce, comme prévu. La pieuvre attaque alors l’arbre avec une Coupe Psycho. Je ne pouvais en espérer plus.
Des dizaines de Migalos surgirent du feuillage, agitant leurs mandibules avec furie. Pris au dépourvu, le Sépiatroce ne put que subir les Dard-Nuée et autres Dard-Venin des mygales, qui commencèrent à s’éparpiller dans la forêt.

- MAINTENANT ! COURS !

Croâporal à ma suite, j’entraînai Serena loin des Pokémon Poison et du Sépiatroce, dont les cris de douleur résonnèrent à travers les arbres.

Je ne décidai de m’arrêter que quand le lac fut en vue. Une fois arrivé, je repris mon souffle, le cœur battant la chamade. Croâporal, moins essoufflé que moi, me fit signe que nous étions hors de danger.

Je soupirai de soulagement. C’était moins une… Toutefois, je n’étais pas totalement tranquille. Nous n’avions réussi qu’à éloigner le Sépiatroce. Qui sait s’il n’allait pas revenir… ?

Soudain, un bruit de chute dans mon dos me fit me retourner. Serena était à genoux, et respirait bruyamment. Inquiet, je me mis à sa hauteur et la saisis par les épaules.

- Eh, Serena ! Est-ce que ça va ?

J’eus à peine posé la question que je remarquai les multiples blessures – pour la plupart des écorchures, brûlures et bleus – sous ses manches déchirées. Un vent de panique me glaça les sangs.

- T-tu es blessée… ? C’est ce Sépiatroce qui t’a fait ça ? Pourquoi il te poursuivait ? … Eh, tu m’entends ? Réponds, s’il te plaît !

L’inquiétude me rendait fou. J’avais conscience que je devais la laisser reprendre son souffle, mais la voir dans cet état me mettait hors de moi.

Puis tout à coup, Serena se redressa légèrement. Elle murmura quelque chose que je ne compris pas, alors je me penchai pour mieux écouter.

- Je…t’ai retrouvé…

Je restai interdit une seconde. Soudain, contre toute attente, Serena se jeta à mon cou, et me fit de nouveau tomber en arrière.

- Eh ! Qu’est-ce qui te prend… ?

Sans m’écouter, Serena me serra plus fort, à tel point qu’elle m’aurait étouffé si ses bras n’étaient pas si menus.

- Je t’ai enfin retrouvé…, souffla-t-elle tout bas. Sacha… tu es sain et sauf. Je suis si heureuse…

Sa voix se brisa. Je sentis ses larmes, chaudes et humides, tremper mon cou. Bouleversé, j’en perdis mes mots. Ne sachant pas quoi faire de mes mains ballantes, je finis par l’enlacer à mon tour.
Une chaleur étrange m’envahit. Comme un sentiment de bien-être profond.

Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi, dans les bras l’un de l’autre. Le temps n’avait soudain plus grande importance. Entrouvrant les yeux au bout d’un moment, j’aperçus Croâporal qui nous tournait le dos.

« Qu’est-ce qu’il fait, au juste… ? » pensai-je, interloqué.

Serena respirait par saccades, et ce n’était pas uniquement dû au fait que l’on venait de courir. Inquiet pour sa santé, je la repoussai délicatement, et écartai une mèche de cheveux de son front. Voir ses yeux rougis me troublait, moi qui ne l’avait jamais vue pleurer. Mais je n’en montrai rien, toutefois.

- Qu’est-ce qui t’es arrivé ? lui demandai-je doucement. Et où sont les autres ?

Serena baissa les yeux, et bafouilla quelques mots inintelligibles. Je posai une main sur son épaule pour qu’elle se calme.

- Ça va, t’es pas obligée d’en parler tout de suite. Il faut d’abord qu’on soigne tes blessures…

Je la pris par la main, et l’aidai à se relever. Lorsqu’elle voulut se mettre debout, sa jambe sembla céder sous son poids, et elle dut s’appuyer sur moi.

- T’as mal où ? fis-je, préoccupé.
- Ma cheville…, articula Serena. Je crois que j’ai une entorse…

Elle eut un léger rire nerveux, que je ne sus comment interpréter. Sans doute s’attendait-elle à pire… Mais pire comment ?

- Bon, allez, viens, lui intimai-je d’un ton conciliant. Je vais t’emmener au village, il y a quelqu’un qui pourra te soigner, là-bas.
- Attends ! (Elle tira mon bras en arrière pour me retenir.) On ne risque pas… cette forêt est bizarre, il y a des plantes géantes qui sortent du sol…

Je mis un temps à comprendre de quoi elle voulait parler.

- Ah, ça ? T’en fais pas, on craint plus rien ici.
- Mais…
- Je t’expliquerai plus tard, la coupai-je. Allez, viens.

J’eus envie d’ajouter « Fais-moi confiance ». Mais pour une quelconque raison, je ne réussis pas à formuler ces mots. Alors sans rien ajouter, je fis signe à Croâporal d’ouvrir la marche, et conduisis Serena hors de la forêt.


~*~

Dans une petite combe à la lisière de la forêt, Pikachu et les autres s’entraînaient durement, enchaînant les exercices comme ils en avaient pris l’habitude depuis quelques semaines. Ces derniers étaient bien plus intenses que ceux que les Pokémon de Sacha pratiquaient auparavant ; néanmoins ils leur avaient permis de bien progresser.

Pikachu était en ce moment en train d’affronter Brutalibré, tandis que Sonistrelle et Flambusard effectuaient d’habiles manœuvres aériennes au-dessus d’eux.
L’oiseau catcheur esquissa un Poing-Karaté, que Pikachu esquiva. Le coup était devenu si puissant qu’il fendit un rocher en deux comme s’il était fait de beurre. Essoufflé, le rongeur complimenta son ami, qui lui répondit par une pose fière.

Sonistrelle descendit alors vers eux, l’air tout excité.

- Ni ! Nini-Ni ! (Herma-libré ! Regarde comme j’suis devenu fort !)

La chauve-souris prit son élan, et fonça droit sur Brutalibré. L’oiseau de combat encaissa sans broncher l’attaque Charge de son petit camarade. Sonistrelle, un peu sonné, recula, attendant son avis.

- Brrrrru-talibré !! Bruta ! (Caramba ! Yé senti ta pouissance, pequeño ! Tou as bien progressé, bravo !)

Tout heureux, le petit Pokémon Dragon tournoya dans tous les sens, sous les regards attendris de Flambusard et Pikachu. Certes, l’attaque de Sonistrelle n’avait pas fait reculer Brutalibré d’un millimètre, mais le petit dernier s’était déjà beaucoup amélioré, et maîtrisait plus d’attaques qu’auparavant.

Ils progressaient tous, et en étaient fiers. Sacha aussi était fier d’eux, il l’avait fait remarquer à plusieurs reprises. Et c’était ce qui leur faisait le plus plaisir. Lors du combat contre l’humain masqué, Pikachu et les autres avaient été complètement impuissants ; et en conséquence, Sacha avait été dévasté, surtout moralement. Ses Pokémon étaient bien déterminés à ce que ce scénario ne se reproduise plus jamais. Ils voulaient vaincre, pour Sacha, et pour leurs amis.

Pikachu songeait à tout cela quand soudain, un vertige le fit chanceler. Ses oreilles bourdonnèrent, et sa vue se brouilla. Alarmés, Brutalibré et les autres s’approchèrent de lui.

Puis la sensation de vertige disparut, aussi vite qu’elle était arrivée. Pikachu s’ébroua, confus, avant de rassurer ses camarades. Sans doute était-ce la fatigue… Ils s’entraînaient depuis l’aurore, après tout.

Tout à coup, un bruissement provenant de la forêt interpella les Pokémon. Ils bandèrent les muscles, prêts à défendre le Village Pokémon de la menace, avant de reconnaître les silhouettes qui émergèrent des ombres.

Tous n’en crurent pas leurs yeux. La joie et le soulagement envahirent Pikachu. Ni une ni deux, il se rua sur les nouveaux arrivants. Ou plutôt, la nouvelle arrivante.

- Pikachu ! s’écria Serena lorsque le rongeur lui sauta dans les bras. Tu es sain et sauf, quel soulagement !

Sonistrelle et les deux oiseaux les rejoignirent, batifolant dans leur langue. Tous étaient si heureux de revoir Serena ! C’était incroyable qu’elle soit ici, avec Sacha ! Croâporal les rejoignit et leur expliqua brièvement ce qu’il s’était passé dans la forêt.

- Vous êtes tous là ! se réjouit la jeune fille. Vous avez l’air en forme, c’est fantastique !

Elle les caressa un à un, observée par un Sacha d’abord confus, puis attendri. Il n’était pas le seul à apprécier Serena ; ses Pokémon l’adoraient également.

- C’est quoi tout ce chahut, là-deh-

Genzo s’interrompit net en voyant Serena.

- Mais… Qu’est-ce que c’est que… ?! Qui es-tu ?

Étonnée, Serena ne sut comment réagir. Sacha prit alors les devants, et se plaça entre elle et Genzo.

- Elle s’appelle Serena, dit-il d’un ton étrangement peu affable. Et c’est mon amie. Elle a été attaquée par un Pokémon dans la forêt… Elle est blessée, il faut que vous la soigniez. S’il vous plaît…

Humains comme Pokémon furent surpris par son ton presque suppliant sur la fin. Le regard de Genzo alla de Sacha à Serena, de Serena à Sacha. Puis il remarqua l’état déplorable de la jeune fille.

- Mazette… Allez, venez à l’intérieur, je vais voir ça.

Sacha remercia chaleureusement le vieil homme, et conduisit Serena. Pikachu descendit des bras de Serena, et les suivit, accompagné des autres. Soudain, un éclair de douleur lui traversa le crâne. De nouveau, les vertiges l’assaillirent, et il dut sa mettre à quatre pattes pour éviter de tomber tant la terre tanguait sous lui.

Inquiet, Croâporal fit demi-tour, et vint soutenir son ami. Pikachu respira par saccades ; il avait l’impression qu’un Monaflèmit s’était mis à frapper un gong à l’intérieur de son crâne. Puis tout à coup, la douleur reflua. Les vertiges cessèrent aussitôt. Légèrement déboussolé, le rongeur se redressa sur ses pattes, remerciant le batracien d’un signe de tête.

- Croâ ? Cro-croâ ? (Tu es sûr que tout va bien ?)
- Pi…ka-chu. (Oui… Ça va, merci.)

Croâporal l’observa avec circonspection, puis se dirigea vers la maison de Genzo, tout en surveillant son ami électrique du coin de l’œil. Pikachu s’ébroua, tâchant d’oublier ces vertiges étranges, puis lui emboîta le pas.


~*~

Roussil, Pandespiègle et Evoli n’étaient pas en reste. Eux aussi avaient subi quelques dégâts ; heureusement, le Vibra-Soin de Lucario était très efficace. Bien vite, les Pokémon de Serena retrouvèrent des couleurs.

Assis au comptoir de la kitchenette, à l’autre bout du petit salon de la non moins petite demeure de Genzo, je dégustais un copieux déjeuner en compagnie de mes Pokémon, tendant l’oreille pour suivre le diagnostic du vieil homme concernant la dresseuse. Bien qu’il ne fût pas médecin, Genzo avait de l’expérience en matière de blessures, aussi pouvais-je lui faire confiance.

- Voilà, jeune fille, annonça le vieil homme. Avec ça, tu devrais vite te sentir mieux. Mais évite de trop forcer pendant un moment, d’accord ?
- Merci beaucoup, monsieur.

Du coin de l’œil, j’aperçus Serena bouger légèrement son pied désormais entouré d’une attelle. Tout en rangeant son matériel, Genzo apprit à la cantonnade que son entorse était la blessure la plus grave que Serena ait subi, le reste se résumant à des plaies superficielles et ecchymoses.
Le soulagement dut se lire sur mon visage, car Pikachu et les autres Pokémon me sourirent affectueusement. Mais comme je tournais le dos à Serena et Genzo, ils furent bien les seuls à le voir…

Je me retournai, m’apprêtant à questionner Serena au sujet du Sépiatroce ; mais Genzo fut plus rapide :

- Alors dis-nous tout, jeune fille, comment toi et tes Pokémon vous en êtes-vous retrouvés à cavaler dans le Bois du Dédale ?
- C’est…une longue histoire, soupira Serena. J’étais dans le train, avec Evoli, quand ce Sépiatroce est arrivé. Il a bloqué la voie et fait exploser certains wagons… C’était la panique partout, et…(Ses doigts se resserrèrent sur ses haillons.) c’était horrible…

A l’entendre, cet épisode paraissait effectivement des plus traumatisants. La peur qui faisait briller ses yeux me mit un coup au cœur, et j’eus soudain une furieuse envie d’aller la rejoindre, pour la réconforter. Mais je ne bougeai pas.

- Un train, dis-tu ? demanda Genzo. Par hasard, ce ne serait pas celui qui faisait la liaison jusqu’à Bastiques ?

Surprise, Serena leva la tête et acquiesça.

- Vous êtes au courant de quelque chose, Genzo ? intervins-je.
- Oui, ils en ont parlé aux infos, ce matin…, me répondit le vieil homme d’un air sombre. Le train à destination de Bastiques a été victime d’un accident des plus étranges : après le signalement d’un obstacle sur la voie, toute communication avec l’appareil a été coupée. Quand les responsables se sont rendus sur place, l’avant du train était parti en fumée. Personne, pas même les survivants, ne savent ce qu’il s’est réellement passé.

Il jeta un coup d’œil à Serena, comme pour lui demander confirmation. Ce qu’elle fit :

- C’est sûrement mon train. La voie était bloquée, et ils ont dû arrêter la machine. C’est à ce moment-là que… le Sépiatroce a pris d’assaut les wagons.
- Ce Sépiatroce, il était accompagné ? Avait-il un dresseur ?
- Ça m’étonnerait, dis-je. Si c’est le même que j’ai vu dans la forêt, alors c’est l’un de ceux à qui nous avons déjà eu affaire par le passé.

Je résumai rapidement nos péripéties à Genzo, lui décrivant l’étrange comportement de ces Sépiatroces qui disaient vouloir « changer le monde ».

- « Changer le monde », répéta Genzo, rien que ça… Etrange tout de même, de penser que ces Pokémon puissent agir seuls…
- Je ne sais pas s’il a eu cette idée tout seul, dit soudain Serena. Mais une chose est sûre. Il… il cherchait à me capturer.

J’ouvris des yeux ronds comme des billes.

- Te capturer ? Pourquoi il ferait ça ?
- Je n’en sais rien. Mais il est clair que c’était moi qu’il voulait. Il a hypnotisé des Pokémon sauvages, et même les passagers du train, pour les lancer à ma poursuite. Je ne pouvais rien faire contre ces gens, ils étaient innocents… Alors je n’ai pas eu d’autre choix que de m’enfuir.

Le regret et l’amertume qui transparaissaient dans sa voix sonnèrent d’une manière douloureusement familière à mes oreilles. Inconsciemment, je serrai le poing. Pourquoi… Comment ces Sépiatroces avaient-ils pu lui faire subir une chose pareille… ?

- Une minute, intervint Genzo. D’après ce que j’en ai vu au journal télévisé, le train a été stoppé au beau milieu d’un viaduc, pas très loin d’ici… Or, aucun de tes Pokémon n’est de type Vol. Comment as-tu fait pour t’en sortir ?

Les yeux de Serena croisèrent un bref instant les miens. Ce que j’y lus me glaça d’effroi.

- …J’ai sauté, dit-elle simplement.

Elle aurait pu annoncer qu’elle était la réincarnation de Mew que je l’aurais regardée avec moins d’effarement.

- T-tu as quoi ?! s’étrangla Genzo.
- Je n’avais pas le choix ! se défendit-elle aussitôt. Il hypnotisait mes Pokémon un par un, et je ne pouvais pas prendre le risque de blesser tous ces gens ! Je…

Elle parut vouloir ajouter quelque chose, mais se retint. Roussil et les autres, quant à eux, baissaient la tête avec frustration. Moi, je n’arrivais plus à penser. Je ne pouvais que fixer Serena, incapable d’articuler le moindre mot. J’en oubliais presque de respirer.

- Je sais que c’était insensé, reprit Serena. Mais je ne voulais pas… qu’il nous capture, ni moi ni mes Pokémon…
- Tout de même, de là à sauter du haut d’un pont, c’est de la folie ! s’exclama Genzo. Peu importe ce que ce Pokémon comptait te faire, ça ne méritait sûrement pas de manquer de mourir pour ça !

Au mot « mourir », une soudaine vague de colère me submergea. Je me levai brusquement, et écrasai mon assiette sur le comptoir d’un coup de poing. Tout le monde sursauta ; mes Pokémon reculèrent pour éviter les morceaux de porcelaine qui s’éparpillèrent sur le sol. Le silence se fit, tandis que je luttais pour récupérer mon souffle.

- S-Sacha… ? murmura Serena.
- C’est quoi leur problème, à tous ?! m’écriai-je, fou de rage. Ils se sont donnés le mot ou quoi ? Qu’est-ce qu’on a pu leur faire, bordel, pour qu’ils nous persécutent à ce point ? ÇA M’ÉNERVE !!

De nouveau, je frappai le comptoir du poing, diffusant une vague de douleur dans tout mon bras. Un silence choqué me répondit. Les regards désabusés qui pesaient sur moi me firent brutalement prendre conscience de ce que je venais de faire. Interdit, le souffle court, je contemplai mes doigts ensanglantés, ignorant les interrogations timides de Pikachu.

- Je…j’suis désolé, soufflai au bout d’un moment.

L’expression de Genzo était indéchiffrable. Je m'attendais à une remontrance ; mais le vieil homme se contenta de soupirer :

- Ce n’est rien, va… Mais la prochaine fois que tu nous fais un coup de sang, essaie de te défouler sur autre chose que la vaisselle…

Je ne répondis pas, les yeux braqués sur les tessons blancs, dont certains s’étaient colorés de rouge. Je sentais le regard soucieux de Serena sur moi, mais n’osai pas lever la tête pour le défier.

- …Bon, allez, les jeunes, allez vous reposer, finit par dire Genzo. La journée a été suffisamment riche en émotions comme ça.

Il se tourna vers Serena.

- Tu trouveras des vêtements de rechange dans la chambre, au fond du couloir. Ils ne sont peut-être pas appropriés pour les jolies jeunes filles, mais ça fera bien l’affaire…

Serena le remercia d’un signe de tête, sans me quitter des yeux. Mais comme je m’obstinais à ne pas croiser son regard, elle finit par s’éloigner, suivie de ses Pokémon. Après un instant d’hésitation, je voulus lui emboîter le pas, quand Genzo m’interpella :

- Où tu comptes aller avec une main dans cet état ? Allez, viens ici.

Docile, j’obéis, tandis que mes Pokémon se rassemblaient pour nettoyer les dégâts.

Pendant qu’il désinfectait et bandait ma main blessée, Genzo me demanda :

- Cette Serena… c’est l’une de tes amis ? Ceux dont tu m’as parlé, et que tu as laissés derrière toi ?

Bien que son ton fût parfaitement neutre, je ne pus m’empêcher de prendre la remarque de Genzo comme une accusation. La gorge serrée, j’acquiesçai.

- Ben dis donc…, sourit le vieil homme. Dire que qu’elle a fait tout ce chemin juste pour te retrouver… Elle doit énormément tenir à toi.

Je ne répondis pas, mais pour une raison que j’ignorais, j’eus soudain très chaud. Je songeai à ce moment où Serena s’était jetée à mon cou après m’avoir retrouvé. Elle paraissait tellement soulagée… Sentant mon ventre se nouer, je m’efforçai de penser à autre chose.

- Cette fille a du cran, poursuivit Genzo. Même si elle a pris des risques inconsidérés. Sauter d’un pont, non mais je vous jure… Elle a eu énormément de chance de s’en être tirée avec une simple entorse. Ah, ça, on peut dire que vous vous êtes bien trouvés, tous les deux…

Je le regardai sans comprendre. Qu’est-ce qu’il insinuait, à la fin ? Ça commençait à sérieusement m’agacer, les sourires en coin et les clins d’œil entendus…

Une fois le bandage parfaitement posé, Genzo se leva, et se dirigea vers l’extérieur.

- Quoiqu’il en soit, mon garçon, tu as beaucoup de chance d’avoir une personne comme elle à tes côtés. Et si tes autres amis sont du même acabit, tu as même énormément de chance…

Il se tourna, et ses yeux bruns parurent me transpercer.

- Écoute, je ne veux pas jouer les moralisateurs, ni te juger par rapport à ta vie privée… Mais laisse-moi te donner un conseil : avoir des amis qui tiennent autant à soi, c’est une chance unique, que peu de personnes expérimentent, malheureusement. Ne la gaspille pas.

Puis il s’en fut, sans rien ajouter. Entre ma réaction excessive et ce qu’il venait de me dire, j’étais totalement perdu. Je fis jouer les articulations de main bandée, grimaçai de douleur, puis me levai à mon tour. Il fallait que je parle à Serena.


~*~

En voyant Sacha se diriger vers la chambre, Pikachu avait délaissé les autres pour suivre son dresseur. Ce dernier l’inquiétait. Lui qui pensait que Sacha avait cessé de se tourmenter, et de s’énerver sans raison… Voilà qu’il faisait une rechute. Les oreilles baissées, Pikachu trottinait nerveusement aux côtés de son dresseur, osant à peine lui demander si ça allait. Car la réponse était évidente : non, il n’allait pas bien. Pourtant, Serena était revenue, et en plutôt bonne forme qui plus est… ne devrait-il pas être heureux ?

Ils retrouvèrent justement Serena adossée au mur, dans le petit corridor en face de leur chambre. Elle s’était changée, et portait désormais un vieux survêtement usé, dont le haut était trop grand pour elle. Roussil et les autres n’étaient nulle part en vue ; sans doute les avait-elle fait rentrer dans leurs Pokéballs, pour qu’ils puissent se reposer.

En les voyant arriver, la jeune fille s’approcha, la mine soucieuse.

- Sacha… Tout va bien ?

Surpris ou dérouté par la question, l’intéressé passa une main dans ses cheveux avec nervosité :

- Ouais…
- Ta main…, commença Serena.
- Ça va, t’inquiète. C’est pas grand-chose…

Pikachu remarqua que Sacha avait touché son bras gauche en disant cela. Un frisson parcourut l’échine du rongeur lorsqu’il revit le bandage qui entourait le membre juste au-dessus du coude. C’était là que Sacha avait été blessé en tentant de le sauver ; la queue effilée de Méga-Raichu lui avait alors bien failli l’amputer d’un bras. Si depuis qu’ils s’étaient installés au Village Pokémon, Sacha avait eu le temps de récupérer de ses blessures, son bras restait l’unique endroit où il se refusait à ôter le bandage. Tout au plus le changeait-il à l’occasion, mais jamais il ne laissait la plaie à l’air libre, alors même qu’elle devait avoir cicatrisé depuis longtemps…

Un malaise presque palpable s’installa entre les deux dresseurs. Pikachu fit mine de s’approcher, espérant croiser l’un des deux regards obstinément baissés. Serena lui sourit, et s’accroupit pour le caresser. Le rongeur se laissa faire, couinant de plaisir. Puis, comme Serena avait du mal à s’appuyer sur sa jambe blessée, elle se redressa.

- C’est génial que tu aies retrouvé Pikachu, dit-elle. Et vous semblez aller bien, tous les deux… Je suis soulagée.

De nouveau, Sacha parut étonné. Puis il sourit légèrement à son tour.

- Ouais, j’ai eu de la chance, on va dire…, plaisanta-t-il à moitié. C’est grâce à Genzo que j’ai pu retrouver Pikachu. et c’est aussi lui qui nous héberge, et nous entraîne…
- Ça m’a l’air de quelqu’un de très gentil.
- Il est un peu bourru, et râle souvent, mais oui, c’est quelqu’un de bien.

Il marqua une pause, avant de demander :

- Dis-moi la vérité… Pourquoi tu voulais te rendre à Bastiques ?
- Je n’avais pas spécialement l’intention d’aller là-bas… (Serena prit un air offensé.) En fait, je te cherchais. Un peu au hasard, c’est vrai… mais…

Sacha se crispa.

- Je vous avais dit de ne pas chercher à me retrouver…, lui rappela-t-il en détournant les yeux.
- Parce que tu t’imaginais vraiment que j’allais rester sans rien faire, comme si de rien n’était ? rétorqua la jeune fille.
- Et Lem et Clem ? la coupa Sacha. Où sont-ils ?

Pikachu jeta un œil intrigué à son dresseur. Pourquoi cherchait-il tant à détourner le sujet… ?

Serena se mordit la lèvre, hésitante.

- …Je ne sais pas, avoua-t-elle.
- Ils n’étaient pas avec toi, dans le train ? (La jeune fille secoua la tête.) Comment ça se fait ? insista Sacha.
- On…on a eu un désaccord. Je me suis disputée avec Lem…

Elle leur raconta alors le différend qui l’avait opposée au jeune inventeur. Sacha et Pikachu l’écoutèrent attentivement, l’un sans réagir, l’autre en agitant nerveusement oreilles et queue.

- Au final, je suis partie, conclut Serena. Je sais que c’était idiot… Mais le mal était fait. J’ignore où sont Lem et Clem en ce moment. Peut-être sont-ils encore à Fessheim, je n’en sais rien…

Pikachu fut bouleversé par cette histoire. Il n’avait pas uniquement fallu que Sacha décide de faire bande à part…maintenant c’était tout le groupe qui se disloquait. Leur groupe, si uni autrefois… Cela paraissait inconcevable.

Le rongeur se tourna vers Sacha, guettant sa réaction étrangement silencieuse. Mais si le dresseur n’affichait rien en apparence, ses yeux exprimaient sa tristesse.

- Ecoute, Serena, finit-il par lâcher. Lem a raison : il n’y a rien que vous puissiez faire pour m’aider.
- Je suis persuadée que si ! se récria la jeune fille.
- Eh bien, tu as tort ! C’est mon problème, pas le vôtre ! Vous n’avez rien à voir avec ça…
- Oh, arrête, tu nous l’as déjà faite, celle-là. Et puis, que tu le veuilles ou non, c’est déjà trop tard. On est tous impliqués dans cette histoire. A ton avis, pourquoi ce Sépiatroce cherchait-il à me capturer ? Je suis persuadée qu’il est de mèche avec l’Homme Masqué.

Le dresseur et son Pokémon restèrent bouche bée devant ces affirmations.

- Mais… c’est absurde, c’est après moi et mes Pokémon que l’Homme Masqué en a… Pourquoi il s’en prendrait à toi ?
- Je ne sais pas, ironisa Serena. Peut-être qu’il croit que nous capturer te forcerait à sortir de ton trou pour venir nous sauver ?
- C’est pas vrai…

Sacha hoqueta comme s’il avait reçu un coup au ventre. Ses yeux écarquillés exprimaient une détresse qui peina profondément Pikachu. Cela dit, Serena pouvait-elle avoir raison ? L'humain masqué pouvait-il avoir lancé les Sépiatroces sur les traces de Serena et des autres ? Sacha semblait déterminé à ne pas l’admettre, en tout cas…

- …T’as aucune preuve de ce que t’avances, fit-il remarquer.
- Si tu as une meilleur explication, vas-y, je t’écoute, riposta la jeune fille. On a déjà affronté ces Sépiatroces par le passé, et jamais ils ne s’en sont pris à l’un d’entre nous en particulier. Ils sont-
- Arrête ! s’emporta Sacha. Te fiches pas de moi, tu dis ça uniquement parce que tu m’en veux d’être parti sans rien dire !
- C’est toi qui te moques de moi ! Évidemment que je t’en veux, mais ce n’est pas la question…
- Oh, te fatigue pas, j’ai compris, railla le jeune dresseur, que la colère rendait irritable. La vérité, c’est que dès que je pars, c’est la panique ! Vous êtes pas fichus de vous débrouiller sans moi, c’est ça ? Mais grandissez un peu, les gars, j’peux pas toujours tout décider pour vous ! Quoique remarque, si quand je suis pas là, ça se met à se crêper le chignon pour des conneries, ça part en vadrouille comme ça veut et ça saute des ponts, c’est-

La gifle fusa. Son claquement, sec et brutal, résonna longuement entre les murs.

Le temps sembla soudain suspendre son cours. Après avoir été saturé de cris insupportables à ses oreilles, l’air parut tout à coup bien vide à Pikachu. Seules les respirations entrecoupées de Sacha et Serena venaient perturber cet étrange silence.

- Tu n’es qu’un sale égoïste…, murmura la jeune fille.
- Serena…
- Tu t’imagines peut-être être le seul à souffrir ?! Nous aussi, on aimerait que tout soit différent, que tout cela ne soit jamais arrivé ! Alors, s’il te plaît, arrête de te comporter comme si les autres n’existaient pas ! Tu penses tellement porter tous les malheurs du monde sur tes épaules, que tu ne vois même plus quand tes amis souffrent ! Et ça, c’est insupportable…

Sa voix mourut dans les trémolos. Abasourdi, Sacha n’eut absolument aucune réaction.

- Finalement, Lem avait raison sur une chose, reprit Serena, le timbre vibrant de colère. Le Sacha qu’on connaissait, celui que je pensais avoir retrouvé… a en réalité totalement disparu. Tu entends ce que je te dis ? TU N’ES PAS SACHA !!

Serena se rua dans la chambre, et claqua la porte si violemment que les murs vibrèrent.

Les pattes sur les oreilles, Pikachu paniqua. Non ! Pourquoi partait-elle ? Pourquoi instaurait-elle cette distance entre eux ? Alors qu’ils venaient de se retrouver ?
A la fois inquiet et en colère, le rongeur se tourna vers son dresseur, et l’appela, le supplia d’arranger les choses. Mais Sacha restait immobile, comme pétrifié, contemplant cette porte désormais close.

Au bout d’un moment, il leva la main, effleura du bout des doigts sa joue rougie. Puis il serra le poing et frappa la porte avec rage.

- Moi, égoïste ? souffla-t-il, les mots paraissant à deux doigts de rester bloqués dans sa gorge. Et toi, t’es vraiment ingrate… C’est pour vous que je fais tout ça, je te signale ! Tu le vois pas, bon sang ?!

Il frappa le mur encore une fois – avec moins de force, cependant – et partit d'un pas rapide en direction du salon, les épaules secouées par des sanglots refoulés. Pikachu l’appela, mais en vain. Le Pokémon électrique se retrouva finalement seul, au milieu de ce sombre et étroit couloir, qui lui paraissait toutefois immense maintenant que Sacha et Serena n’y étaient plus.

Pikachu gratta la porte ; sans succès. Serena ne répondait pas non plus. Abattu, le type électrique gémit, oreilles au plus bas. Comment avaient-ils pu en arriver là… ? Pourquoi se disputer ainsi, cela ne rimait à rien… Surtout que, comme l’avait dit Sacha, s’ils s’entraînaient tous aussi durement, c’était avant tout pour pouvoir protéger leurs amis. Mais à quoi cela servirait-il si les amis en question partaient les uns après les autres ?

Tout à coup, Pikachu ressentit une grande lassitude. Il avait tenu le coup, jusque-là. Avec les autres, il avait tout encaissé, même le passage dépressif de Sacha. Il s’était accroché, jusqu’au bout, parce que ce n’était pas dans sa nature de laisser tomber dès la première difficulté. Mais là, c’était la goutte de trop. Il en avait assez des disputes, des coups de sang, des airs frustrés, déprimés… Il voulait que tout redevienne comme avant…

Puis soudain, alors qu’il sentait les larmes lui monter aux yeux, Pikachu sentit un poids écrasant lui comprimer le cerveau. Tout autour de lui se mit à tanguer, et un sifflement insupportable lui vrilla les tympans. Il se prit la tête entre les pattes, gémissant de souffrance. Titubant comme un Spinda, il traversa le couloir, les joues parcourues d’électricité alors qu’il tentait de lutter contre ces vertiges qui l’assaillaient. L’air s’électrisa peu à peu, et Pikachu souffrait toujours autant.

Conscient qu’il ne parviendrait pas à se calmer immédiatement, le rongeur se précipita hors du couloir, traversa le salon – il n’avait pas le temps de vérifier si Sacha y était – et sortit au dehors. Là, il libéra un éclair impressionnant, et le dirigea contre lui-même. Le sang battait à ses tempes, son souffle restait coincé dans sa gorge, et les nausées lui faisaient tourner la tête.

Puis, finalement, la douleur s’estompa peu à peu. Pikachu cessa alors de libérer son électricité, et s’effondra sur le sol, haletant. Il dut lutter pour ne pas s’évanouir ; mais son crâne lui faisait si mal qu’il n’aurait pas été contre un peu de répit…

Pendant qu’il tentait de récupérer son souffle, et de se relever, le rongeur s’inquiéta. Ces crises devenaient de plus en plus fréquentes, et de plus en plus longues et douloureuses.
Mais que lui arrivait-il exactement… ?