Le Deuxième Jour
Le soleil s’est levé. Une aube radiante baignant le ciel dans un dégradé pastel. Une harmonie de couleurs. Des teintes qui se perdront en moi. Lorsque le moment sera venu.
J’ai regardé mon reflet à travers le miroir dans la chambre. Un corps de forme pyramidale, aux extrémités déchirées. Un corps mollasson, qui aurait pu s’apparenter à un chapeau ou encore une peluche. Une peluche d’un jaune sans éclat. Une enveloppe corporelle sans bras, ni jambes apparents. Deux minuscules yeux noirs comme le néant. Le néant qui vous attend dans une Mort imminente.
Mimiqui. C’était la famille de Pokémon à laquelle j’appartenais.
On m’a ensuite annoncé que c’était officiel. J’allais bel et bien mourir d’ici peu. Il ne me restait plus qu’à attendre que la main de la Faucheuse vienne me chercher. Et m’amener dans ce repos éternel. Une nuit sans fin.
J’ai regardé ces murs blancs qui m’entouraient. Le blanc, couleur de la Mort pour beaucoup des pays de l’Orient. Teinte des linceuls. Le blanc, la couleur du commencement, la couleur de la fin. Cette teinte pure, belle et laide à la fois. Un peu comme la vie. D’une beauté insaisissable, d’une cruauté ironique. Tout a une fin, après tout. Une histoire a un début, et une fin. Les histoires éternelles finissent elles-mêmes par s’éteindre, tôt ou tard. Comme quoi nos vies peuvent être futiles, d’une certaine manière, lorsqu’on se rend compte que nous sommes tel un grain de sable parmi les dunes d’Alola.
On m’a ensuite amené à la cafétéria de l’hôpital pour Pokémon. Des Pokémon, d’un âge bien plus avancé que le mien, dévoraient leur repas du matin. J’observais leurs membres frêles, leurs mouvements indécis. J’étais décidément le seul jeune Pokémon ici.
Un Mimiqui, sans passé, sans avenir. Sans évolution, sans pré-évolution. Juste un Mimiqui. Avec le nom de «Deuil» s’engouffrant en moi.
Je me sentais seul. En fait, non. Pas exactement. J’étais seul.
L’un des cuisiniers m’a proposé différents plats spécialement faits pour Pokémon. J’ai préféré ne rien manger, mais on m’a dit qu’il fallait absolument que je prenne quelque chose, prétextant qu’à mon âge, manger est important pour la croissance, le développement des capacités de combat et autres arguments de ce style.
Je m’en moquais, de ces histoires. Elles n’avaient plus d’importance pour moi.
Soit je mourais de maladie incurable, soit je mourais de faim. C’était comme je voulais. On a insisté à nouveau. C’en était devenu exagéré.
Quelques minutes après, on m’a servi mon plat. «Plat gratuit pour les enfants Pokémon» m’a-t-on informé. J’étais sans doute bien jeune pour quitter ce monde. Quelle ironie.
Le serveur est arrivé. Il m’avait dit qu’il s’agissait de «délicieuses céréales au miel et aux noix, servies avec de succulentes oranges bien fraîches, spécialement faites pour les Pokémon...» Bla bla bla...
Je me fichais sérieusement de ces «délicieuses céréales» et de tout ce tralala. Ces céréales semblaient provenir d’un Centre Pokémon économique, et les oranges pouvaient être tout, sauf succulentes et fraîches.
J’ai partagé mon déjeuner avec un Pokémon à proximité. Ce dernier semblait être affamé. Je l’ai observé, je ne sais combien de temps, grignoter le maigre repas que nous mangions ensemble.
Sur le chemin du retour, j’ai croisé plusieurs des patients de l’hôpital. Peu à peu, ma solitude devenait omniprésente.
C’est alors que j’ai croisé un Pokémon. Ce Pokémon.
Sa couleur jaune éclatante. Des rayures parsemées à quelques endroits de son corps bien dodu. Sa queue en forme d’éclair. Des oreilles bien droites, aux extrémitées couleur de cendre. Ses joues rouges telles les baies les plus juteuses de toutes les régions du monde.
Il me rappelait quelqu’un. Un Pokémon qu’apparemment, je devrais connaître Il m’a souri, et est parti. Sans aucun bruit. Tel un fantôme. Sans en être un pour autant.
Ce Pokémon m’avait semblé posséder tout ce que je voulais. Une apparence du tonnerre, un charisme fou…
Une jalousie, mêlée à un sentiment d’intrigue, m’a subitement envahi.
Si seulement j’avais pu être comme lui… Tout aurait sans doute été différent… Tellement différent...
Le reste de la journée a été tranquille. Très tranquille. Trop tranquille.
Je suis resté dans mon lit, toute la journée. Regarder le plafond, penser au sens de la vie. Cette vie dont j’étais la victime.
J’aurais tant voulu tout recommencer à zéro. Ne pas être prisonnier d’une pathologie incurable. Pathologie me mettant dans un sentiment d’apathie. Léthargie. Une douleur aiguë, dont les hurlements ne cessent de prendre en ampleur. Mon coeur hurlait. Criait de rage. Pleurait dans sa haine. Une colère dont il était le seul dépositaire.
Mes parents ont été capturés par des dresseurs Pokémon. Ces dresseurs, ils m’exaspèrent. Désirer entraîner des Pokémon pour le simple but de les voir se battre. Quelle violence. Quelle cruauté.
Ils n’hésitent pas à essayer de nous dominer, de nous torturer s’il le faut. Il y en a qui vous entraînent pour augmenter ce qu’ils appellent les «statistiques». Apparemment, ce sont des compétences pour le combat. D’autres courent après ces perles rares: les shinies. Quelques-uns vous adoptent seulement car ils vous trouvent «mignons» ou tout simplement «bizarres». C’était mon cas.
Seulement, l’humain qui m’a adopté s’est bien rendu compte que je souffrais d’une «maladie». Il m’a amené à cet hôpital, et m’a laissé agoniser dans cette souffrance silencieuse.
Il m’a rejeté. Seul.
De toute façon, je n’étais qu’un Pokémon parmi tant d’autres. Des Mimiqui, il y en a par centaines qui traînent à Alola.
Nous sommes tous dissimulés dans l’ombre. Nous sommes «laids», comme disent les humains. Nous sommes des vilains canards.
J’ai repensé à mes parents… J’aurais pourtant voulu les revoir. Une dernière fois. Ils pensaient à moi. Mais n’avaient jamais de temps à m’offrir. Je suis né dans la solitude. J’ai grandi dans la solitude. J’aurais aimé ne pas m’éteindre dans la solitude.
La vie est bien ironique. Comme je l’ai dit plusieurs fois.
Il m’arrivait de le détester. Parfois, j’étais raccroché à l’idée de vivre.
Désormais… Je ne savais plus où j’en étais.
Comment ai-je pu en arriver là? Pourquoi ai-je dû être condamné à cette fin?
Je n’avais jamais voulu atteindre cette impasse. Or, le retour en arrière est impossible.
Je devais me contenter de marcher vers l’avant. Dans la lumière aveuglante du Soleil.
J’ai perdu la quasi-totalité de cette énergie. Cette énergie vitale. Celle qui m’encourageait à continuer de me battre. Désormais, je ne sens plus rien. Rien que le vide. Le vide qui se creuse dans mon corps. Dans mon coeur. Dans mon âme.
Un Pokémon semblant plutôt jeune est entré dans ma chambre. Le même qu’il y a plus tôt. Ce type, aux couleurs attrayantes. Son air de star, avec ses petites pommettes bien rouges, telle la couleur du fruit défendu. Il souriait, d’un sourire énigmatique, indéchiffrable.
-Mes salutations, me dit-il.
Ce Pokémon parlait. Dans la même langue que ces humains Une capacité peu commune chez les Pokémon.
J’ai vécu tellement longtemps auprès des humains. Leur langage s’est incrusté peu à peu en moi. Envahissant peu à peu, cette langue que m’ont apprise mes parents. Le «mutisme».
Il sourit, et continua.
-Ou devrais-je dire… Mes condoléances...
Cet être m’était à la fois inconnu et familier. Comme si je l’avais déjà vu.
Autrefois.
-Je m’appelle Pikachu. Et toi?