Chapitre 7 : Douloureux passé
Lilura errait dans les ruelles d'Erkyné, une petite ville industrielle de la banlieue de Safrania, en serrant son poignard sous son manteau. Selon Yisho, c'était ici que Trefens habitait maintenant. Depuis qu'il avait terminé son apprentissage en devenant officiellement un vrai Shadow Hunter, il n'était plus obligé de vivre à la base. Valait mieux pour elle d'ailleurs, car attaquer Trefens au nez et à la barbe des autre Shadow Hunters lui aurait été fatal. Mais Lilura ne savait pas encore ce qu'elle ferait quand elle verrait Trefens. Exécuterait-elle l'ordre du Premier Fratex ? Trefens avait été son seul ami durant ces années passées dans la Shaters. Deux ans de vie commune ne s'oubliaient pas comme ça.
Pourtant, si Lilura ne s'exécutait pas, elle serait considérée comme une traîtresse, une hérétique, et probablement sacrifiée à Orohydrus. Elle pouvait toujours faire semblant d'avoir échoué, alors peut-être échapperait-elle à la mort, mais pas à la disgrâce. Elle ne vaudrait plus jamais rien pour les Fratex ni pour ses pairs.Lilura secoua la tête avec horreur et prit une décision. Elle irai d'abord seulement chez lui. Un simple repérage, rien de plus. Elle savait où le chercher, bien sûr. Quand le Cercle Rouge avait un contrat sur quelqu'un, il connaissait tout de lui, de son adresse jusqu'à la prescription de ses lunettes.
Elle monta jusqu'à un toit et se déplaça par le haut, sautant de maisons en maisons. Sur l'allée centrale de la ville, c'était un jour de marché. Pleins de vendeurs ambulants, d'enfants qui courraient, de Pokemon en liberté... Une situation favorable à un meurtre. Dans cette foule, c'était ni vu ni connu, à condition bien sûr que Lilura agisse vite pour ne pas que Trefens riposte. Du haut de son toit, elle examina la foule d'un œil expert, jusqu'à qu'elle trouve son ancien camarade. Elle l'avait quitté adolescent, mais c'était un homme qu'elle voyait à présent. Les cheveux impeccablement coiffé, le costume cravate, et de petites lunettes carrées qui lui donnait un air franchement intellectuel.
On aurait pu le confondre avec n'importe quel jeune homme d'affaire, s'il n'avait pas cette terrible cicatrice sur le visage qui parfait de son œil gauche jusqu'au bas de la joue. Où l'avait-il eu ? Lilura l'ignorait. Trefens se déplaçait sans se douter de rien, mais Lilura détecta dans son maintien et sa démarche qu'il était à l'affût de la moindre chose suspecte. Une habitude normale pour un assassin. Puis elle le vit se baisser et discuter avec l'un des enfants qui courraient autour. Une petite fille aux cheveux sombres, qui devait avoir à peine quatre ans. Trefens sourit et la prit sur ses épaules.
Lilura fronça les sourcils. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Trefens se doutait-il de quelque chose et avait-il prit un otage pour se protéger ? Il devrait savoir que ça n'arrêterait aucun assassin professionnel. Lilura descendit de son toit pour s'approcher le plus possible de Trefens, toujours sans qu'il ne la remarque. C'était une des qualités principales de Lilura. Elle savait qu'elle était très loin d'égaler la force de Trefens ou de la plupart des assassins du Cercle Rouge, mais elle était bien plus discrète qu'eux. Et bien souvent dans le métier, la discrétion était plus utile que la force. Quand elle fut assez proche derrière lui, elle vida son esprit pour se concentrer sur ses paroles.
- ...lui ferait plaisir, disait Trefens à l'enfant. Qu'est-ce que tu en penses, Kyria ?
- Des livres ! Maman aime les livres ! Et les vêtements ! Et les bijoux !
Trefens éclata de rire.
- Oui, c'est vrai, mais ton pauvre papa est si fauché qu'il ne peut pas acheter tout ça à la fois.
Papa... Ce mot résonna dans l'esprit de Lilura comme un rappel de son propre malheur. Ainsi, Trefens était devenu père. Il avait une famille. Quand il ne travaillait pas, il était comme n'importe quel père et mari aimant. Pourquoi cela étonnait-il tant Lilura ? Pourquoi des assassins ne pourraient pas être comme les autres personnes ? Le chef Dazen avait bien un fils, lui. Mais toute la détermination à accomplir sa mission que Lilura avait tenté de cumuler fondit comme neige au soleil. Si Trefens avait été seul et typiquement dans son rôle d'assassin froid et méthodique, Lilura aurait pu agir. Là, elle ne le pouvait pas. C'était impossible. Elle ne pouvait pas tuer Trefens devant sa fille. Elle se voyait en cette gamine. Qu'aurait-elle ressentit si, à son âge, on avait tué son père tandis qu'il la portait sur ses épaules en parlant d'offrir un cadeau à sa mère ?
Elle laissa donc passer sa chance, et retourna se cacher jusqu'à que la nuit tombe, son moral à zéro. Parfois, elle jetait un coup d'œil à la maison de Trefens. La curiosité l'emporta, et elle se faufila dans le petit jardin pour espionner par la fenêtre. Trefens était à table avec une jeune femme très belle, qui avait les même yeux grands et sombres que la petite Kyria, occupée à jouer avec sa cuillère du haut de sa chaise haute. Trefens avait l'air heureux. Il était heureux. Lilura le jalousait énormément. Pourrait-elle connaître un bonheur identique, un jour ? Un moment, Trefens sortit vider les poubelles. Lilura grimpa sur le toit de la maison pour ne pas être vue, mais dès que le Shadow Hunter eut passé le seuil de la porte, il dit, sans la regarder :
- Tu penses toujours que tu es invisible quand tu pistes quelqu'un. Content de voir que le Cercle Rouge n'a pas mieux réussi que le chef d'effacer ce vilain défaut...
- Tu m'as repéré depuis longtemps ? Lui demanda Lilura.
- Depuis que je suis sorti pour le marché.
- Mais tu n'as rien fait...
- J'attendais de voir ce que tu ferai toi, répliqua Trefens.
Il se retourna et l'observa attentivement. Puis il sourit.
- Tu as bien changé. Te voici une belle jeune dame. Alors, le Cercle veut ma mort ? C'est un honneur pour moi de savoir que je les embête tant. Au moins Yisho a-t-il eu l'intelligence de ne pas t'envoyer contre le chef.
- Je ne voulais pas de cette mission, tenta de s'expliquer Lilura.
- Je te crois. Mais c'était une évidence que le Cercle allait tester ta loyauté un jour ou l'autre. Je suis prêt à te combattre loyalement et à t'épargner ensuite, en souvenir du bon vieux temps. En revanche, si tu as comme ordre ou comme idée de t'en prendre aussi à ma famille, là je serai moins sympathique, Lilura.
La jeune fille le vit dans son regard. Elle finirait en morceaux si jamais elle faisait un seul geste en direction de la porte.
- J'ignorai que tu avais une femme et une fille. Et je ne veux pas me battre contre toi.
Pour preuve de bonne foi, elle jeta son long poignard. Trefens haussa les sourcils.
- Tu trahirais le Cercle Rouge ? Remarque... ça ne fera qu'une de trahison de plus après le chef.
C'était méchamment envoyé, mais c'était vrai.
- Je ne regrette pas d'avoir rejoint le Cercle, fit Lilura. J'ai bénéficié d'un entraînement que toi tu n'as jamais eu avec seulement Dazen.
- Peut-être, mais échange de quoi ? Ton âme ?
- Non. La preuve en est que je refuse de te tuer malgré mes ordres. J'avais l'intention de me retourner contre le Cercle tôt ou tard de toute façon. Il faut les arrêter avant que...
- Avant que quoi ?
Alors, la voix de la femme de Trefens, à l'intérieur, résonna :
- Chéri ? À qui tu parles ?
Lilura se dépêcha de descendre du toit avant que la porte d'entrée ne s'ouvre. La femme de Trefens, jeune et belle, dévisagea Lilura avec suspicion.
- Oh, c'est une... une ancienne collègue, dit Trefens avec un sourire forcé. Elle était euh... stagiaire dans l'entreprise où je travaille il y a quelque temps.
Vu l'air de la femme, elle devait parfaitement savoir dans quel genre d'entreprise travaillait Trefens, ce qui la rendit encore plus méfiante.
- Il n'y a aucun danger, Gélonée, reprit Trefens. Lilura est une amie. N'est-ce pas ?
La jeune fille hocha la tête et s'inclina devant la dénommée Gélonée.
- Je passais dans le coin et j'ai vu Trefens sortir. Navrée de vous déranger.
- Oh, eh bien... hésita Gélonée, un peu plus rassurée, entrez-donc un instant.
Lilura n'avait pas du tout envie de pénétrer dans l'espace familial de Trefens, mais elle devait lui parler. Il lui fallait un allié contre le Cercle Rouge maintenant qu'elle l'avait trahi, et Trefens était le seul en qui elle avait un tant soit peu confiance dans ce monde. Gélonée parut comprendre qu'ils avaient à parler seul et à seul, et alla coucher la petite Kyria. Pendant ce temps, Lilura raconta à Trefens ce qu'elle savait du Cercle Rouge et de son plan.
- Ce n'est qu'une question de temps avant que la fosse qui contient la statue d'Orohydrus soit totalement remplie de sang. Alors Orohydrus reviendra, et ce sera le chaos le plus total sur Terre.
- Et tu comptais empêcher ça seule ? Toi contre toute la puissance du Cercle Rouge ?
- Je comptais agir de l'intérieur. Yisho me fait confiance.
- Idiote, répliqua Trefens. S'il te faisait vraiment confiance, il ne t'aurai pas chargé de me tuer. Cette mission est clairement un test pour juger de ta loyauté. Si toi tu as peut-être oublié d'où tu venais, ce n'est pas le cas du Cercle Rouge. Et mets-toi bien dans le crâne qu'il a sûrement pris des précautions au cas où tu t'avisais de trahir. Ils sont sans doute déjà au courant de ta venue chez moi.
Lilura laissa exploser sa colère.
- Alors, qu'est-ce que j'aurai dû faire ?! Te tuer comme Yisho me le demandait ? Laisser Orohydrus revenir et anéantir la quasi-totalité de la race humaine ? Depuis que j'ai tué ce garçon, toute ma vie est sans dessus dessous. À chaque fois que je crois avoir trouvé ma place, quelque chose vient tout bouleverser. Alors que je ne veux... je ne désire que suivre ma propre voie ! Pourquoi... Pourquoi le destin vient-il toujours s'abattre contre moi ?! C'est injuste...
Trefens hocha la tête.
- La vie est injuste. C'est comme ça. Moi, j'ai perdu mes parents tout jeune, et j'ai grandi orphelin. Mais j'ai refaçonné mon destin, et maintenant j'ai une femme, une fille, et des amis. Si tu n'avais pas quitté la Shaters, peut-être aurais-tu pu avoir pareil un jour. Mais tu ne trouveras jamais rien de tel dans le Cercle Rouge.
- C'est de la faute du chef si je suis partie, répliqua Lilura. Je t'ai entendu hurler pendant plusieurs jours... Dazen disait même que tu avais de grandes chances d'y rester, mais ça ne lui faisait absolument rien...
- Le chef Dazen a lui aussi connu de nombreux malheurs dans sa vie, expliqua Trefens. Ce qui explique qu'il refoule ses sentiments au plus profond de lui. Mais je sais qu'il tient à chaque membre de la Shaters, tout comme il tenait beaucoup à toi. Il a réagi à ton départ par la colère et le mépris, mais j'ai vu à quel point il était triste.
Trefens laissa un silence pour que Lilura réfléchisse à ses paroles. Puis il poursuivit :
- De plus, le chef ne prend pas de disciples au hasard. S'il a pris tant de temps pour nous entraîner, c'est qu'il pensait réellement que nous pourrions survivre à la dernière épreuve pour devenir un Shadow Hunter. Et j'y ai survécu.
Lilura secoua la tête.
- Aucune importance maintenant. Dazen ne me pardonnera jamais, et je ne suis pas assez bête pour essayer. Et je ne peux plus rentrer non plus au Cercle Rouge. Je ne peux plus aller nulle part, tout cela parce que j'ai essayé de suivre ma conscience...
Trefens la dévisagea intensément à travers ses lunettes, puis se leva.
- Tu peux rester chez moi un moment. Même le Cercle Rouge y réfléchira à deux fois avant de s'en prendre à nous deux à la fois. Le temps que ça soit terminé, je vais demander à Gélonée de partir chez ses parents avec Kyria.
- Yisho les retrouvera s'il le veut vraiment...
- Je sais. C'est pourquoi on va le tuer avant.
Lilura releva la tête, étonnée.
- Comme tu dis, on ne peut laisser le Cercle Rouge ressusciter cet Orohydrus, expliqua Trefens. Et la Shaters est bien plus puissante que quand tu l'as quitté. J'en parlerai au chef Dazen.
- Ne mentionne pas mon nom, lui demanda Lilura. Je lui ferai face, mais quand je l'aurai décidé. Et Trefi... merci.
Lilura passa donc la semaine en compagnie de son ancien confrère. Ça lui rappelait les jours tout compte fait heureux de son apprentissage à la Shaters, où quand le chef était en mission pendant un moment, ils avaient la base pour tout les deux. Bien sûr, il ne se passait pas une heure sans qu'ils ne regardent par la fenêtre, s'attendant à voir débarqué toute une horde d'assassin du Cercle Rouge, mais personne ne vint. Lilura commença à se détendre et à sortir. Pendant qu'ils marchaient dans les rues de la ville comme des personnes normales, Trefens lui racontait la dernières nouvelles de la Shaters, que Lilura prenait plaisir a entendre.
Il y avait deux nouveaux Shaters en plus de Trefens, qui avaient passé le test final avec succès. Ils se nommaient Ujianie et Furen. Ujianie était, tout comme Trefens, une orpheline que le chef avait trouvé. Elle travaillait pour un seigneur du crime dans la région de Kalos, en tant qu'exécutrice. Elle avait donc une certaine expérience dans le métier d'assassin, et sa formation a été très courte. Furen lui était un ancien militaire d'un pays lointain. Mais lors d'une de ses missions, il avait été témoin de quelque chose qu'il n'aurait pas du voir. Ses supérieurs lui avait coupé la langue pour qu'il ne parle jamais. Le chef Dazen l'avait sauvé alors qu'il était justement en mission pour assassiner les hommes qui retenaient Furen.
- Ils sont très bons, tous les deux, affirma Trefens. Heureusement d'ailleurs, sinon ils n'auraient pas survécu à la dernière épreuve. Ujianie est une experte dans le lancé de couteaux. Elle peut atteindre un oiseau en plein vol. Quant à Furen, je n'ai jamais vu un type aussi fort à part le chef. C'est dingue !
- Yisho avait mentionné quelqu'un d'autre, fit Lilura. Un gamin...
- Ah oui, Od. C'est le fils du chef. Il vient d'arriver y'a pas longtemps, et est toujours en formation. C'est un petit con narcissique, mais il se démerde vachement bien avec un nunchaku.
De son coté, Lilura lui parla des gens du Cercle Rouge. Le grand et terrifiant Acheros, le plus terrible assassin de la secte. Two-Goldguns, le Fratex préféré de Lilura avec ses pistolets d'or et ses « gné » à chaque phrases. Kenda, le psychopathe aux milles poisons et tortures. Elle lui parla de ses journées d'entraînement et des missions qu'elle a accomplit. Et tandis qu'elle parlait, elle ne vit pas la personne devant elle qu'elle bouscula.
- Pardon, fit Lilura.
Elle se figea quand elle vit la femme dans laquelle elle était rentrée. Elle la reconnu immédiatement, même si elle était plus vieille, plus lasse et plus grosse. Elle ne pouvait pas se tromper.
C'était sa mère.
Ses pieds se figèrent. Oui, c'était bien Valia Noes. Mais cette dernière ne sembla pas la reconnaître, et lui adressa un léger sourire avant de s'éloigner. Lilura la regarda partir, toujours enfermée dans sa stupeur. Sa mère... Combien elle avait désiré la revoir ! Elle se souvenait avec un pincement au cœur de la souffrance qu'elle avait vécu avant de rencontrer le chef Dazen, de son espoir que ses parents viendraient enfin la chercher, la sauver. Et si sa mère était à Erkyné, ça signifiait que son père y était aussi sûrement ! Mais pourquoi ne l'avait-elle pas reconnu ? Lilura avait sept ans de plus, certes, mais quand même...
- Tu vas bien ? S'inquiéta Trefens.
- Oui... Non... Je ne sais pas. Excuse-moi, je dois...
Elle ne prit même pas la peine de lui dire ce qu'elle devait faire, et parti à la poursuite de sa mère. Elle la suivit comme elle suivait une cible, sans que celle-ci ne la remarque. Elle apprit bien vite qu'elle tenait un magasin d'étoffes. Bizarre. Ses parents avaient toujours été des paysans dans l'âme. Lilura l'épia à travers sa maison pendant un moment. Elle veut savoir à quoi ressemble sa vie, et surtout elle veut voir son père. C'est de lui qu'elle a besoin. Alors, quand elle vit dans la cuisine de la maison un autre homme qu'elle ne connaissait pas qui enlaça sa mère, Lilura subit un choc. Elle les voit s'embrasser sur les lèvres, et il y a même un enfant, petit, nouveau né.
Lilura ne comprenait pas. Cette femme était-elle vraiment sa mère ? Et où était son père ? Elle avait l'impression de regarder les choses à travers un miroir déformant, comme ceux des fêtes foraines qui ont le pouvoir de rendre les gens plus gros ou plus minces. Tout ressemblait à ses souvenirs, et en même temps cela en était infiniment loin. La vie tranquille de cette maison lui était totalement étrangère. Elle n'en faisait pas partie. Elle se décida finalement de rentrer chez Trefens, où elle fut bien obligée de lui raconter la raison de son attitude. Trefens l'écouta jusqu'au bout, et dit :
- J'ignore s'il s'agit de la même femme, mais cette Valia là s'appelle Ubers et non Noes. Je les ai toujours vu ici, elle et son mari George, depuis que j'ai aménagé à Erkyné.
- Alors elle s'est remarié avec un autre... Mais pourquoi ? Pourquoi a-t-elle quitté mon père ?!
- Pourquoi ne pas lui demander ?
Le problème, c'était que Lilura n'avait pas le courage de faire face à sa mère après tout ce temps. Mais ne rien savoir la rendait folle. Elle fit donc un compromis. Elle irai parler avec ce George Ubers, le nouveau mari de sa mère, quand celle-ci sera absente. Mais hors de question de lui dire qui elle était. Mais ce n'était pas un problème. Changer d'identité était un jeu pour elle. Elle alla donc toquer à la porte des Ubers quand elle sut que sa mère était partie. Quand George ouvrit, elle se présenta comme étant une native du village de Sovelis, une ancienne voisine de Valia. Elle avait appris que Valia habitait ici maintenant, et demanda à lui parler. L'homme soupira, et se passa la main sur le visage.
- Valia n'est pas là en ce moment, et c'est tant mieux. Qui que tu sois, jeune fille, j'aimerai que tu ne reviennes plus jamais et que tu ne tentes pas de rencontrer ma femme.
- Mais... Pourquoi ? Je suis sûre qu'elle se rappelle de moi. Nous étions voisines, et elle me donnait toujours des chocolats. J'étais une grande amie de sa fille Lilura.
- Il y a apparemment beaucoup de chose que tu ignores. Tu as quitté Sovelis il y a combien de temps ?
- Neuf ans, mentit Lilura.
- Eh bien, deux ans après ton départ, il y a eu une tragédie. La fille de Valia a tué un autre enfant.
Ça, Lilura le savait très bien, mais elle feignit la surprise et l'horreur.
- La gamine a été amené au commissariat de Mauville, mais elle parvint à s'enfuir avant d'y être. On a plus rien su d'elle. Elle est morte, sans doute. Ses parents l'ont cherchée pendant longtemps, et le père, Tomas, est parti fréquenter les milieux du crimes pour rechercher de l'aide et des renseignements. Lui aussi a disparu. Sans doute s'est-il fait tuer.
Le cœur de Lilura s'arrêta, le monde se figea autour d'elle.
- Valia a essayé d'oublier ça avec moi. Lui en parler, lui parler de Sovelis, c'est rouvrir une blessure à peine cicatrisée, tu comprends ? Elle a fait le deuil de sa fille. Elle lui parle parfois via cet ours en peluche, la seule chose qui subsiste d'elle. La Valia de Sovelis n'existe plus. Elle vit heureuse maintenant, et on vient juste d'avoir un fils, Lilian. Pour son bien, je te demande de ne pas chercher à la voir.
Lilura serre les paupières pour arrêter ses larmes, le temps de répondre :
- Je comprend... Veuillez m'excuser.
Puis elle partie avant de laisser éclater les sanglots qui lui bloquaient la respirations. Quand elle fut calmée, elle sut qu'elle devait tourner la page de sa mère. En effet, ce serait cruel de revenir dans sa vie. Il valait mieux la laisser dans l'ignorance. Mais il y avait quand même une chose que Lilura voulait. La seule chose qui lui rappellerait encore ses parents de Sovelis. La jeune femme grimpa sur le toit de la maison des Ubers et se faufila par une des fenêtres de la chambre. George était seul en bas, et écoutait la télévision. Il ne l'entendrait pas. Lilura avait appris à fouiller les maisons sans bruit. Et enfin, elle le trouva, dans un des placards, sous de vieilles robes de sa mère. Un vieil ours en peluche dépareillé, délavé, mais qui pour elle renfermait toute son enfance.
- C'est bon de te revoir, Beebear.