01 : Le bon côté des mauvaises choses
"- Vous ne dites pas tout.
- Laissez-moi vous rassurer. Je ne dis jamais tout."
(Elizabeth Keen et Raymond Reddington, The Blacklist Saison 1)
Rien que le bruissement des feuilles qui bougeaient au gré du vent. Rien d'autre. Ah, si, il entendait aussi le mouvement des vagues. Il était sûrement en train de rêver, bien qu'aucune image ne s'offrait à sa vue. Ses yeux étaient clos, sa respiration saccadée, et sa main enfoncée dans le sable fin, comme s'il essayait de s'aggriper à quelque chose.
Seth Bowman se réveilla en sursaut, ses yeux bleus grands ouverts fixant l'étendue d'eau sans fin en face de lui. N'était-il pas en train de rêver, pourtant ? Ses cheveux blonds étaient complètement désordonnés et couverts de sable. Tout comme son costume noir, d'ailleurs. Il se releva péniblement, sans se poser de questions, époussetant au passage ses vêtements poussiéreux, et analysa les environs. Il se trouvait sur une plage. La mer devait se trouver à cinq, six mètres tout au plus. Derrière-lui s'étendait un amas d'arbres à l'air dense et où il serait aisé de se perdre.
- Une forêt ? Mais où je suis tombé...
Le trentenaire passa sa main sur son visage et se frotta les yeux plusieurs fois, ses paupières papillonnant encore un peu suite à ce réveil brutal. Il ne devait pas être là depuis bien longtemps, à en juger par l'absence de barbe de trois jours sur son visage fin.
Seth se laissa finalement retomber comme une enclume sur le sable. Assis en tailleur, sa main gauche soutenant son menton - position typique de réfléxion intense chez lui -, il regardait l'étendue aquatique s'étendant à perte de vue sous ses yeux plissés. Mince, alors, c'était la mer ou l'océan ? Cette question le préoccupa un bon moment. Il finit par laisser tomber. Après tout, il ne pourrait pas le savoir à moins d'avoir un GPS. Et il ne remarqua pas le moindre appareil électronique. Même son téléphone portable avait disparu.
Le blond resta de longues minutes sur la plage, tentant de se rappeler de tout ce qui s'était passé la veille. Malheureusement, c'était le trou noir. Il se souvenait avoir quitté le cabinet tôt dans l'après-midi, mais sinon, rien ne lui revenait. A croire que sa mémoire récente avait été complètement effacée. Ce qui était absurde selon lui, en homme logique qu'il était. Il n'avait pas de preuve, alors il ne croyait pas. Exactement comme au tribunal. Parfois, Seth se disait qu'il serait bon de séparer ses habitudes de travail et ses habitudes de vie. Mais il n'y parvenait jamais. A quoi bon.
Il se remit debout une nouvelle fois, mais pas pour s'asseoir cinq minutes plus tard. Non, il était bien décidé à découvrir où il était et éventuellement, comment il avait bien pu arriver dans un endroit pareil. Il parvenait difficilement à marcher, ses chaussures de ville n'étant pas adaptées au sable chaud et inconsistant, et se fatiguait plutôt vite. De plus, la chaleur étouffante ne le rassurait pas, bien au contraire.
Après avoir longé la plage sur trois cent mètres, il s'accorda une pause. Il avait fini par comprendre qu'il se trouvait sur une île immense, loin de tout, s'il en croyait le paysage lointain uniquement composé d'eau. Sérieusement. Tout seul, sur une île, aucun bateau en vue... non, décidément, ça ressemblait trop à un rêve pour être réel. Beaucoup trop à son goût.
Bien décidé à sortir de ce cauchemar pourtant réaliste, il s'allongea sur le sable et se laissa gagner par le sommeil, histoire de faire le vide dans son esprit déjà beaucoup trop sollicité par des "Pourquoi ?" et des "Comment ?"...
* * *
- Eh ! Réveillez-vous !
Vesper Malone, qui venait de reprendre connaissance dans une jungle - du moins ça y ressemblait énormément -, s'évertuait à essayer de réveiller le jeune homme étendu par terre à ses côtés. La femme ne savait ni qui il était, ni ce qu'elle faisait ici, ni même comment elle avait pu atterrir dans une jungle. Une jungle, bon sang !
Tout n'était que verdure, encore, encore et encore. Des arbres de toutes sortes, bananiers, palmiers, et que savait-elle encore ? Des buissons, certains tout petits, d'autres hauts de plus d'un mètre, s'alignaient de façon irrégulière et peu attrayante. Pas le moindre point d'eau en vue, ce que sa gorge sèche regrettait amèrement. Ses vêtements élégants étaient tachés de boue ça et là, signe qu'il devait avoir plu quelques temps plus tôt. Ses cheveux bruns et longs, d'ordinaire soignés, étaient emmêlés et sales par endroits, dû au fait qu'elle était allongée à même le sol. Son regard vert se promenait sur les alentours, jusqu'au moment où une légère plainte se fit entendre.
Vesper comprit que le jeune homme venait de se réveiller et s'empressa de l'aider à se lever. A peine plus grand qu'elle, de quelques centimètres, il devait avoir la vingtaine. Ses yeux d'une couleur dorée peinaient à s'ouvrir complètement et des mèches noires rebelles partaient dans tous les sens. Sa chemise était plus tachée encore que les vêtements de la trentenaire et dans ses cheveux, quelques feuilles traînaient.
- Vous êtes qui, vous ? fut la première parole du jeune homme.
La femme soupira et lui tendit sa main, un sourire poli aux lèvres - bien qu'elle n'ait aucunement envie de sourire au vu de la situation -. Main qu'il serra bien vite.
- Je m'appelle Vesper Malone... j'enseigne en faculté de psychologie, en France.
Le brun s'étonna. Elle ne venait pas de si loin que ça, pour lui qui vivait en Angleterre. Mais de toute évidence, cet endroit ensoleillé au climat tropical se trouvait bien loin de leurs habitats respectifs...
- Oh, euh... Wallace Holland. Enchanté. Mais on est où, d'ailleurs ?
- Si je le savais précisément... soupira Vesper en dégageant une mèche de cheveux de son visage.
- Nous voilà bien avancés ! C'est quoi ici, une jungle ?
- Il semblerait.
Wallace s'étonna de l'attitude calme et sereine de sa compagne d'infortune, et se pinça le bras, histoire de voir s'il ne rêvait pas. Eh bien non. C'était bel et bien la réalité.
- Et puis pourquoi vous avez essayé de me réveiller, au juste ? A quoi je vous servirais, sérieusement ?
Vesper haussa les épaules pour toute réponse, et s'éloigna, bien décidée à en savoir plus sur ces lieux pour le moins étranges... Le jeune homme la suivit sans discuter, épié de près par un reptile violet rayé de jaune au regard inquiétant.
* * *
- Argh...
Benjamin Finch reprit connaissance, adossé à un arbre et protégé du soleil par son épais feuillage. Ses yeux gris furetaient de tous côtés, observant attentivement chaque élément, les imprimant même dans l'esprit du jeune homme. Etrangement, ses cheveux blonds foncés étaient intacts et sans la moindre parcelle de saleté. On ne pouvait pas en dire autant de ses vêtements : son t-shirt gris était couvert de poussière et de feuilles, et son pantalon de boue. Génial, lui qui n'appréciait pas la nature, il était servi.
Il se leva difficilement, prenant appui sur sa jambe valide - l'autre le faisait souffrir, bien qu'il ne soit pas blessé -, et put ainsi se rendre compte de sa situation. Un lac immense s'étendait sur une centaine de mètres devant lui. L'eau était limpide, et le jeune homme décida d'aller s'y abreuver. Le liquide glacé le soulagea, lui qui avait l'impression de ne pas avoir bu depuis des jours. Puis il leva les yeux vers le ciel et soupira.
- Où est-ce que je suis... c'est dingue, ça, je me réveille sur la rive d'un lac en plein cœur d'une jungle ! Bordel de merde.
Sur ces paroles d'une sagesse inégalable, il s'empara d'une branche solide, "au cas où" et débuta sa progression. Il ne savait pas trop où aller. Ecouter son intuition lui semblait la seule chose à faire. Un cri de Piafabec strident le fit sursauter et lâcher son arme de fortune.
- Maudits piafs ! grommela Benjamin en ramassant sa branche, cherchant le fautif des yeux.
L'oisillon avait déjà disparu sans laisser de trace, aussi jugea-t-il préférable de reprendre sa marche sans but. Où aller ? Et puis surtout, où était-il ? Bon sang, cette question tournait et retournait dans sa tête, inlassablement, pour venir titiller sa patience et le faire craquer. Mais il ne craqua pas. Il ne pouvait pas se le permettre, après tout, s'il se trouvait dans une jungle, il devait faire preuve d'un sang-froid infaillible. Il essaierait, au moins.
Dix cris de Piafabec et une fiente de Roucool plus tard, il atteignit une plage. Une plage, juste à la sortie d'une jungle. Si ça, ce n'était pas un rêve, alors il se demandait bien de quoi il retournait. C'est vrai, quoi, quelle genre de plage se trouve à proximité d'une jungle ? Ce constat insensé et proprement ridicule le fit pâlir d'effroi un moment. Et si c'était réel ? Dans ce cas, comment se faisait-il qu'il se retrouve "comme par magie" sur une île - du moins supposait-il que c'en était une - peuplée de Piafabec et de Roucool hargneux qui prenaient un malin plaisir à vider leurs intestins sur lui ?
- Mon vieux Ben, t'es mal tombé aujourd'hui... souffla-t-il dans un murmure à peine audible.
* * *
Keira Lloyd fut tirée de son sommeil par un cri étrange, ressemblant à celui d'un Racaillou. Mais, sa tête la faisant atrocement souffrir, elle ne pouvait pas en être certaine. Sans compter le fait que sa connaissance des Pokémon restait plutôt sommaire. Après avoir soigneusement replacé une mèche rousse et retiré les quelques feuilles et brindilles qui ornaient ses cheveux, elle se releva. Pour retomber sur les fesses une demi-seconde plus tard, anéantie par la douleur qui lui agressait la jambe.
La jeune femme posa son regard émeraude sur son membre endolori. Ah oui, effectivement. Son jean gris était taché de sang au niveau de la cheville, lui arrachant une grimace. Au vu de la taille de la tache de sang, sa blessure devait être assez importante. Une chance, elle entamait sa cinquième année d'études de médecine, et pouvait donc se soigner un minimum.
Elle fouilla la poche de sa veste, où elle fourrait toujours des bandages et du désinfectant. Le soulagement l'envahit quand elle constata que rien n'avait disparu. Keira remonta son jean jusqu'au genou et constata l'étendue des dégâts. Une large entaille partant de la cheville jusqu'au milieu du mollet saignait abondamment, la faisant grogner de douleur chaque fois qu'elle y portait ses doigts.
- Ah, cool, si je peux pas me soigner, je vais crever ici... soupira l'étudiante.
Elle observa ce qui l'entourait et ne découvrit que des arbres exotiques qui l'entouraient. Cet endroit ressemblait à une jungle. Ce qui lui paraissait totalement incongru. Depuis quand était-elle ici ? Elle ne savait pas. Comment avait-elle pu se blesser ? Ca non plus, elle ne le savait pas. Où était-elle ? Bon sang, elle n'en avait aucune idée, et ça la dérangeait. Beaucoup. Beaucoup plus que n'importe quoi d'autre.
- Résumons... si je veux savoir où je suis, je dois explorer. Si je veux explorer, je dois me lever. Si je veux me lever, je dois soigner cette vilaine plaie... Super, serre les dents ma vieille...
Prenant son courage à deux mains, elle déboucha précautionneusement le flacon d'antiseptique et s'en versa parcimonieusement sur sa plaie ouverte. Le liquide la brûlait, mais elle ne devait pas y penser. Ne pas y penser. Ne pas y penser... ça s'avérait difficile, tant la douleur était intense.
- Eh bah, quelle guigne, pas même une fichue allumette pour cautériser ! Fait chier !
Abandonnant un temps ses paroles vulgaires, elle déchira d'un coup sec un bon morceau de bandage et l'enserra bien fort autour de sa plaie pour contenir les saignements. Avec un peu de chance - celle-ci ne semblait pas être de son côté en ce moment -, elle trouverait un village et pourrait se soigner plus convenablement.
- Enfin faut pas rêver, un village dans un coin paumé comme ça... j'sais même pas où je suis ! souffla Keira, tout en prenant appui sur un épais tronc d'arbre pour se relever.
Elle tenta de faire quelques pas. C'était douloureux, mais elle ferait avec. Il lui fallait absolument découvrir où elle se trouvait. C'était primordial si elle ne voulait pas mourir dans une jungle certainement dangereuse...
* * *
- Juliet ! Je t'en prie, réveille-toi chérie !
Robert Reid essayait, du mieux qu'il pouvait, de réveiller sa femme Juliet, allongée sur la plage, inconsciente. La trentenaire blonde respirait normalement, mais tardait à reprendre connaissance. Ses cheveux étaient parsemés de sable et de feuilles et ses fines lunettes étaient cassées, bien que toujours posées sur son nez.
L'homme brun au regard vert pâle soupira et se tourna vers la mer, observant le mouvement hypnotisant des vagues qui venaient s'échouer sur la plage. Il se posait des questions. Beaucoup de questions. Trop de questions, même.
- Ma tête... Robbie !
En entendant la voix enrouée de Juliet, son mari se retourna immédiatement, un sourire illuminant son visage. Elle était réveillée. C'était déjà ça. La blonde retira ses lunettes hors d'usage et envoya valser les quelques feuilles ayant trouvé asile dans ses longs cheveux, puis se tourna vers son mari, les yeux plissés.
- Où... où sommes-nous ?
- J'ai bien peur de ne pas le savoir, Juliet.
La femme acquiesça légèrement, puis sans attendre, se leva sans difficulté. Sa fine chemise de lin était déchirée par endroits et son pantalon de toile constellé de taches de boue. Et encore, ce n'était rien en comparaison de son mari qui était couvert de sable de la tête aux pieds. Ses cheveux bruns paraissaient presque plus clairs à cause du nombre important de grains de sable ayant décidé de se poser dessus.
- Je crois qu'on devrait explorer un peu le coin, vu qu'on ne sait pas où on se trouve...
- C'est la meilleure chose à faire, je suppose, approuva Robbie.
Juliet hocha la tête et sourit, visiblement peu effrayée à l'idée de se retrouver paumée sur une île déserte au milieu de nulle part. Son mari choisit de la suivre, préférant garder un œil sur elle et lui éviter tout danger.
- Eh, y'a quelqu'un là-bas ! s'exclama la trentenaire, surprise.
- Vraiment ? Où est-ce que...
- Là, regarde !
Robbie regarda dans la direction que lui indiquait sa femme et, à sa grande surprise, aperçut un blond habillé d'un costume noir, avançant péniblement, la démarche chancelante.
- On ferait mieux de l'aider, proposa le brun.
- Oui, tu... Eh !
L'homme blond venait de s'effondrer la tête dans le sable, probablement exténué par une longue marche. Juliet le retourna pour vérifier s'il respirait et fut soulagée de voir que c'était le cas. Robbie ramassa un petit rectangle de papier cartonné gris qui venait de tomber de la poche du type en costume.
- C'est quoi, ça ? s'étonna la blonde.
- Une carte de visite... ce type s'appelle - s'il s'agit bien de sa propre carte - Seth Bowman. Il est avocat.
- Un avocat ? Que ferait un avocat sur une île perdue ?
- Et nous, alors, qu'est-ce qu'on y ferait ?
Juliet haussa les épaules.
- Tu marques un point... et, que va-t-on faire de lui ?
Robbie posa ses yeux sur le blond et se gratta la tête, pas moins perplexe que sa femme.
- Bah... on avisera à son réveil.