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Chroniques du Pokédex de Drad



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Informations

» Auteur : Drad - Voir le profil
» Créé le 12/01/2013 à 20:47
» Dernière mise à jour le 12/01/2013 à 20:47

» Mots-clés :   Drame   Humour   One-shot   Slice of life

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#493 Arceus
On dit que son œuf a éclos dans le néant et qu'il est à l'origine de la création du monde.

- Pokédex de Sinnoh




Je ne vois même pas pourquoi je suis sorti. Rester à la maison aurait été plus simple. Le bruit alentour, la température qui n'atteint pas des sommets et l'odeur des pots d'échappements lointains crachant leur pollution n'est pas vraiment ma tasse de thé. Bon, au moins, si les huissiers sont en train de tambouriner à ma porte pour venir me prendre ma demeure, je ne serais pas là pour les combattre. Je m'emmitoufle convenablement dans mon long manteau, parce que sinon je vais encore me chopper un truc. Le regard baissé et le pas rapide, les pavés rouges et usés disposés en quinconce qui jonchent la rue piétonne de ma chère petite bourgade défilent rapidement sous mes yeux. La foule, peu nombreuse en ce jour de semaine comme un autre dans l'après-midi, furette ici et là ou file droit là où elle veut - tout du moins, c'est ce que je devine à l'agitation et aux ombres humaines et pokémonesques que je distingue entre deux pas. Il va tout de même bien falloir que je trouve un but à cette promenade. Peut-être ai-je envie d'aller voir Eric. Voilà, c'est ça. Je lève ma tête sans presser le pas ; la populace quelque peu grouillante que j'avais deviné s'agitait belle et bien sous le toit de nuages blancs comme neige. Les basses maisons commerçantes, tous d'architecture différente et abracadabrantesques, alignées et encastrées parfaitement pour laisser la place à la voie ancienne et à une inusitée chaussée pavée de noir ; les parterres de fleurs en plus ou moins grande forme suspendus délicatement aux lampadaires de fonte élevés devant les devantures lustrées et se voulant toutes aussi vendeuses les unes que les autres : le style des rues commerciales de cette modeste ville du nord de Sinnoh m'insupporte en de nombreux points. A commencer par toutes ces faces heureuses de jeunes débraillés, de couples fragiles, de familles conquises et ces risettes de gamins, tous profitant de leur vie avec leurs Pokémon adoré, qui traduit encore plus le bonheur dans lequel tous ces gueux vivaient et que j'exècre au plus au point. Je ne leur en veux pas personnellement et ne leur veux pas de mal particulier, mais c'est leur réussite joyeuse jusqu'ici que je ne peux absolument pas voir en peinture. Ils ne savent pas ce que perdre toute l'œuvre d'une longue vie en un combat Pokémon minable signifie.


Le Doux Parfum d'un Ceriflor que je reconnaîtrai entre mille me fais ralentir ; je redresse ma posture de combattant autrefois fier d'une telle carrure devant la verte petite boutique aux maintes sculptures végétales, des étages entiers de plantes florales et de bourgeons naissants dans cette vague de vie émeraude nous invitant à pousser la délicate porte à clochette pour découvrir les merveilles naturelles que le fleuriste offrait à voir, vendait à prendre. Planté comme un vieil arbre malade sur le sol couleur glaise, je vois mon reflet immobile et impassible devant les étages bariolés et vivants de l'intérieur. Mes cheveux blancs implacablement peignés vers l'arrière, ma figure creusée de rides de conviction, d'acharnement et de tristesse, ma bouche raidie qui rayait la mousse claire de trois jours qui me servait de barbe, le tout fixé au sommet de mon grand manteau noir d'encre qui descend jusqu'à mes pieds endoloris : j'ai toujours l'impression de voir mon propre fantôme, depuis toutes ces années. Seules deux billes d'un bleu translucide, presque ectoplasmes, à demi couvertes par de frêles paupières fripées et par lesquelles je me faisais pitié pouvaient laisser penser qu'un homme, tout du moins son âme, habitait encore ce corps éprouvé par l'espoir inébranlable et la désillusion harassante. Saleté de gamin. Soudain, le tintement cristallin de la fragile cloche dorée pendue au-dessus de la porte d'entrée me tire de ma morosité, et l'homme bon-vivant qui en sort semble surpris par mon expression faciale d'enterrement, me dévisageant tristement.

- Vous... Vous voulez entrer ? me demande-t-il, me tenant la porte avec son pied et se mettant sur le côté, un pot de Gracidées sous le bras.

Encore un de ces sales heureux. Je m'approche doucement, tendant mon bras courbé :

- Vous êtes bien aimable, monsieur, lui souris-je en retenant le battant.

Il me répond aussitôt par un chaleureux sourire sur sa grasse face, avant de s'en aller et de me souhaiter une bonne fin de journée. C'est ça. J'entre à peine dans la chaleureuse lumière de la coquette boutique fleurie de partout qu'un voix fluette et chantante m'accueille :

- Monsieur Gray ! Heureuse de vous voir !

La jeune brunette, tablier de jardinage dressé impeccablement et sourire jusqu'aux oreilles de choux, est toujours aussi enthousiaste, à ce que je vois. Elle continue avec ses politesses trop rares de nos jours :

- Vous vous portez bien, j'espère ?

- Comme un cœur de mon âge, essaie-je de lui sourire également. Je viens pour mes lys blancs.

- Aucun problème ! lança-t-elle en disparaissant dans l'arrière-boutique.

Je remarquai le gai Ceriflor, renfermé dans ses pétales délicats, se balançant sur le comptoir en scintillant d'une très légère brume rose scintillante, diffusant le Doux Parfum par l'aération donnant sur la rue. Toujours aussi enthousiaste, lui aussi.

- Ils sont magnifiques, en ce moment ! Floraville jouit d'un temps extraordinaire !

N'écoutant pas, je vois également que vu la multitude de tiges coupées , de feuilles émiettées et de pétales parsemés, les clients sont nombreux. Ils doivent tous s'offrir des fleurs, en ce moment. Stupides traditions.

- Si seulement ces conditions climatiques venaient nous rendre visite de temps en temps... ronchonne-t-elle en exagérant expressément en revenant à moi, brandissant les splendides beautés de la nature, fontaines de porcelaine et leur pistil or trônant au centre piquées sur des bâtons de jade. Les voilà ! Ça vous fera 200 Pokédollars.

Je lui tendis quelques piécettes pêchées de ma poche avec mes gants de cuir luisants, elle les agrippe avec ses gants terreux effilés par les ronces et me remercia d'un autre sourire hypocrite. Au diable le maigre dîner de ce soir emporté ainsi par la vendeuse de vie, ce n'est pas ça que j'emporterai au ciel. Peut-être lui fais-je un rictus, mais je crois que je lui souris avant avant de tourner les talons. Après tout, je suis juste venu pour mes lys, pas pour que les autres me communiquent leur bonheur à deux sous.


Plus haut en montant cette même rue, il suffit de prendre à droite au carrefour constamment embouteillé et encerclés par ces immeubles laids et neufs pour tomber, au bout d'un étroite ruelle typique, sur le parc public, avec toujours ces gens du monde. Je me le fixe comme objectif ; je ne serais pas sorti pour rien. Levant la tête au ciel, tenant fermement les deux fleurs par mes mains gantées croisées derrière mon dos, le sommet d'une cathédrale gothique et resplendissante d'Histoire m'apparaît ; l'ancienne bâtisse, non en manque de tours, de pics, de croix de statues et d'arches éparpillées sur sa complète magnificence rivalise avec la plus sophistiquée et minutieuse des architectures. Ce joyau ne pouvait que représenter à la plus élevée des hauteurs humaines toute la grandeur et la puissance de notre Dieu. Quels imbéciles ; espérer s'élever à la hauteur de la Créature Originelle... Personne n'y est, devant cette bâtisse religieuse à en vomir, que ce soit devant, ou en train d'y pénétrer ou d'en sortir. Juste ces touristes peu communs pour prendre une photographie minable avec deux Etourmi qui gâchent la grandeur. Incultes. Ils ne savent pas ce qu'ils profanent en ne considérant même pas qu'il existe. Qu'ils meurent tous lors du prochain Jugement.
Je quitte momentanément le lieu saint des yeux pour diriger mon corps qui a bien vécu vers le portail en fer forgé, peint bleu roi et couvert de feuilles d'or. Grand ouvert, il souhaitait la bienvenue à toutes les âmes, bonnes ou mauvaises, dans l'océan de verdure qu'il encerclait. S'il y a bien un endroit paisible sur cette fichue planète parasitée, c'est celui-ci. J'entre comme un intrus dans cet espace aux allées sablées, aux grands arbres bien enracinés et décidés à le rester et aux mares de gazon où batifolent enfants et autres stupides heureux nageant dans un bonheur qu'ils ne savourent pas à leur juste valeur. D'autres touristes lamentables vagabondent ici, prenant un Keunotor idiot en photo ou le moindre brin d'herbe qui n'a rien demandé. Un combat était en train de battre son plein sur un terrain aménagé pas très loin, les cris des dresseurs, les grognements de leurs Pokémon et les bruits des attaques évanouies ou envoyant valser l'ennemi ne pouvant qu'excellemment traduire la frénésie de la dernière manche. Satanés mioches. Pourvu qu'aucun des deux ne gagnent ; pourvu qu'il finissent démembrés et ensevelis à tout jamais sous les décombres que leurs compagnons d'infortune détruisent sans but. L'image de ce Dresseur me revient encore en mémoire, à force d'y penser. Faut que j'arrête, ça me fait du mal. Insistant sur chaque pas, les traînant avec encore plus de rage silencieuse, je fixe du regard une haie de buissons taillés et une arche de granit fabuleusement gravée qui en creusait l'entrée, amenant les badauds et les connaisseurs à pénétrer dans le coeur du jardin. Renfrognant le menton et serrant du poing les tiges encore fragiles, je la passe rapidement, essayant d'oublier le tumulte ambiant. Dire que j'aurais pu tous les tuer, à commencer par cet insignifiant abruti de connard de merde qui s'amuse à gâcher le Destin de véritables hommes prometteurs.


Une véritable aquarelle de couleurs chatoyantes, fraîches et fantastiques, offrant toutes les nuances fantaisistes que la botanique puisse donner, se peignait dans le huis-clos central conservé entre les arbustes. Les chemins, avec leur tapis de cailloux choisis, serpentaient entre les flaques de pelouse rase perlant d'une fine bruine passée et où les graminées millésimes de la palette du jardinier rêveur pouvait stagner et s'épanouir en toute efflorescence. Les bancs en bois sombres suivent le long des serpents de sable pierreux, parfois espacés d'un érable sulfureux ou d'un Cerizier en fleurs, jusqu'à ce que le sinueux reptile pétré vienne s'échouer sur la rive d'un véritable étang ; bottes vertes de Nénupiot et bouquets blancs de Lakmécygne s'épanouissent à la surface de cette plaine aqueuse tout autant que la flore environnante. Seules les gosses criards, les parents incapables et ma personne fantomatique troublaient le tableau, et j'en suis bien conscient. Je ne fais que passer. Me faufilant subrepticement derrière une laide dame croulante qui profitait du peu de temps qui lui restait à vivre, je dépense le mien en pas plus tranquilles et en regards admiratifs de notre beau monde corrompu, puis en grimpant une douce pente, faisant rouler et craquer les cailloux sous mes semelles, ce seul son se mélangeant aux clapotements d'une chute d'eau miniature au pied de laquelle l'eau écumeuse s'éclatait sur les rochers humides de lichens. Ici, l'air pur et nouveau, plein d'essence délicieuses et sucrées de douceurs veloutées, annihile une bonne fois pour toute l'acidité de la pollution urbaine. Les courants aériens, ébouriffants et revigorants, portent une pluie de fleurs, soigneusement détachées de leurs branches une par une par les zéphyrs bruissant dans les toits feuillus, faisant résulter un doux déluge floral semblant venir du Paradis. Le Paradis... J'y repense, et j'arrive devant ce fameux saule pleureur, ses grandioses rideaux de fils de malachite effeuillée tombant dans les eaux floues de l'étang. Je m'approche avec respect d'une décoration herbacée de pensées, d'œillets et de narcisse, chacun se vantant d'être plus beau que les autres, tous disposés avec maîtrise pour orner comme il se doit le bas pilier de marbre, au sommet duquel reposait en paix la plaque commémorative de bronze.


Eric Gray

Disparu

Un mari dévoué, un frère fidèle et un gentleman

Ceux qui l'ont aimé ne l'oublieront jamais

Il a donné sa vie pour sauver l'humanité


Je dépose les lys blancs au pied de la colonne, puis croise mes mains, ferme mes yeux.

- Tu sais, ça ne va pas très bien. Les huissiers dont je t'avais parlé sont toujours à mes trousses, et je n'ai même plus deux milles Pokédollars à la banque. Je... Je crois que ce sera bientôt la fin de mon séjour sur terre...

Les bouquins d'Histoire, les années à travailler avec toi, les croyants rassemblés, le Jour Dernier, les éclairs, les aurores, les Colonnes Lances, l'espace-temps déchiré, le vortex ouvert, la Créature Originelle hurlante, ce Dresseur venu de nulle part, ton changement d'esprit soudain... Ton humanité... Trop grande... Pardonne-moi, Eric. Qu'Il aussi puisse un jour me pardonner, moi et ma folie exacerbée. Je prie tous les jours pour qu'Il puisse t'accepter, mais je ne saurais jamais si ça suffit à réparer les erreurs d'un homme qui a des idées incomprises et une ouverture d'esprit trop radicale... Je dirige mon regard vers le ciel. Toujours aussi blanc, toujours aussi vide. Toujours sans vie. Sans espoir. Foutu monde : Art pour Art recouvert d'un film transparent d'immondices. Sans vérité aucune. Je m'en vais vivement, tournant le dos à mon frère, ne voulant plus que mourir, maintenant.

- Monsieur Gray ?

La question, prononcée tranquillement avec une voix grave et assumée, résonne dans l'enceinte du chœur. Je relève la tête, collant mon pauvre dos sur le dossier de bois du banc de la Cathédrale. Une femme voilée de soie dentelée, chapeau noir, robe noire, comme si elle était en plein deuil, s'approche dans le coups vifs de ses talons aiguilles sur le carrelage. Elle vient s'assoir naturellement à côté de moi, et je lui fais part de cette remarque :

- Que voulez-vous de moi ?

Elle garda une expression absolument neutre, baissant la tête de manière à ce que je ne pouvais absolument pas voir son visage.

- Je sais ce qu'il s'est passé. Pour votre frère. Eric. Tragique, vraiment. C'est dommage qu'homme aussi convaincu que vous ait échoué à cause d'un mioche...

Je ne répondis pas. Je laisse mon regard perçant sur la soie obscure qui gardait l'anonymat de la bonne femme. Elle aussi restait dans un profond mutisme. Je déclarai finalement :

- Il ne savait même pas pourquoi il se battait. De nos jours, il suffit que vous vouliez changer le monde pour qu'un borné de dix ans vous en empêche en une attaque de la part de son Pokémon "préféré ki é tro for".

Elle leva le bout de son nez fin vers l'autel. Une sculpture de notre Dieu, Arceus, cabré sur ses pattes arrières et posant son regard sur son monde trônait en seigneur devant un vitrail terni par l'âge.

- Monsieur Gray... Croyez-vous en Dieu ?

J'ai un soudain petit rire ; plus un réflexe soupiré qu'autre chose. Je croise les bras avec un rictus crispé :

- Quand vous vous retrouvez face à Lui, vous y croyez, madame.

- Bien. J'ai donc un travail pour vous, décocha-t-elle aussitôt. Vu les problèmes avec notre société - et surtout d'argent - que vous avez, je vous suggère d'accepter sans plus tarder.
D'abord surpris, je voulus savoir avant toute chose :

- Où exactement ?

- Unys. Il y a beaucoup d'agitation, là-bas, en ce moment. La confusion créée est parfaite pour agir sans être stoppé.

- Même pas par un gamin ?

- Même pas par un gamin. Croyez-moi, Monsieur Gray... Aucun d'entre eux ne pourra nous arrêter.

Affaire intéressante. Je réfléchis un moment. Je repense à Éric. Qui voulait que j'arrête tout. Je repense à ces gens. Qui profitent de la vie... Il fallait que je fasse le bon choix. J'eus un regard vers Arceus. L'Originel... Ma place au paradis... Serait compromise à jamais... Le choix de la justice... Je tendis ma main, souriant d'un nouvel espoir amusé :

- Je vous en prie... Appelez moi Richard. Nous sommes collègues, après tout.