World of TeM : Tome 13 : Le Seigneur des brumes de CaliKen

-Tu as une visite.
-C'est une plaisanterie ?
-Et pourtant...

Le gardien ouvrit la porte et fit sortir le prisonnier. Etroitement surveillé par plusieurs autres membres du personnel de la prison, il avança, calmement, jusqu'au parloir. On le laissa ensuite dans une pièce, surveillée par deux hommes. Un troisième, assis sur un fauteuil roulant, était l'objet de la visite.

-J'ai du mal à y croire, ricana le prisonnier. On vous laisse sortir, vous ?
-Apparemment.

Assis dans sa chaise, Jack Hannot regardait James Rocket, qui s'était assis sur un petit tabouret, l'air à la fois étonné et amusé. Les années de prisons ne l'avait ni affaibli, ni démoralisé. Hannot, quant à lui, était méconnaissable. Plus vieux, plus maigre encore, une grande barbe grisonnante venant recouvrit le bas de son visage... Ses cheveux étaient plus long, et seuls ses yeux, vifs et terrifiants, rappelaient à ceux qui le connaissaient, celui qu'il avait été. Le silence s'était imposé dans la petite salle. Aucun des deux hommes ne prenait la parole. Peut-être par politesse, ou, au contraire, pour mieux répondre violemment à la première invective... Pourtant, il n'y avait aucune tension. Jack et James ne s'appréciaient pas, il est vrai. Mais maintenant... Maintenant qu'ils n'étaient plus rien, qu'avaient-ils à craindre ? Ce fut le plus jeune qui prit la parole. Remettant ses longs cheveux blancs en arrière, James demanda à l'ancien Caïd de la mafia Rocket française la raison de sa venue ici.

-Pour en savoir plus, fit Jack de sa voix froide.

Depuis l'accident, il avait récupéré. Certes, il ne pouvait toujours pas marché, et resterait peut-être handicapé à vie, mais l'usage de ses bras, de ses mains, et surtout, sa parole, lui étaient revenus à 100%. Il scrutait le visage de James, essayant de déceler la moindre attitude qui pourrait le trahir... révéler un indice sur ce qu'il venait comprendre.

Pourquoi venait-il d'ailleurs ? Pour pas grand chose, certes... Juste pour savoir. Mais est-ce que le fait de savoir n'est pas une chose immense ? Jack avait soif de connaissance.

-Pour savoir ? Se contenta de répéter James, d'un air à la fois amusé et pensif.
-Je connais quelques éléments, mais... il n'y avait que votre père qui avait autant de documents à sa disponibilité. Il n'y avait que lui, et maintenant, que vous, pour connaître à fond ces légendes.
-Les légendes ? Alaok et compagnie ?
-La légende. Celle qui parle de tout. De l'origine des Pokémons, jusqu'à maintenant.
-...

Jack Hannot plissa les yeux et poursuivit :

-Il ne faut pas être sorti de Saint-Cyr pour se dire que la disparition d'un être aussi exceptionnel va forcément chambouler quelque chose.
-Et en quoi cette connaissance vous apporterait un plus, Hannot ?

L'ancien Caïd détourna le regard. Il inspira profondément et recula sa chaise de quelques mètres. De ses mains tremblantes, il s'appuya fermement sur la table du parloir. Son corps commença à trembler, mais ses yeux, imperturbables, fixer un point imaginaire, devant lui. James Rocket le regarda, sans mot dire, mais impressionné. Jack Hannot continua son effort, ses bras semblaient faire une manoeuvre désespérée, mais, bientôt, ils arrêtèrent de trembler. A la stupéfaction de James, Jack s'était mis debout. Des gouttes de sueur apparaissait sur son visage et il s'appuyait encore sur la table... Mais sa chaise était derrière lui, vide. Il répondit enfin, essouflé, un petit sourire sur les lèvres.

-Quelles sont vos occupations James ? Hein ? J'aimerais savoir ce quelqu'un comme vous fait de sa désormais misérable existence ?
-...
-Vous avez la possibilité de bouger à votre guise, vous. Mais votre cerveau est prisonnier, tout comme le mien. Notre futur est derrière nous. Nos envies, nos désirs, notre rêve d'un monde meilleur. Tout ceci s'est terminé il y a quelques années, en un claquement de doigt.
-...
-J'ai passé des mois et de mois à réfléchir. A penser à ce qui s'était passé. Si cela me paraissait juste ou pas. Qui de Bratin ou moi... ou nous, plutôt. était dans le bon. Dans le juste.
-Et alors ?
-Et alors ? S'indigna Hannot. Alors rien ! Qu'est-ce que ça change !

Il avait retrouvé sa force, sa puissance, son charisme, en quelques secondes, Jack Hannot était redevenu l'homme qu'il était avant. Il lâcha la table et se retrouva droit, face à James Rocket.

-Je veux comprendre les mystères de ce monde. Tout comprendre. Comprendre là où nous avons fait une erreur, et là où les Bratin ont changé le cours de l'histoire. Et les répercussions de la mort d'Alaok.

Vidé, Jack se laissa tomber dans son fauteuil roulant, en sueur et tremblant, mais soulagé par cette soudaine dépense d'énergie. James eut un petit sourire. Différent de ceux qu'il avait d'habitude, dédaigneux et malsains. Celui-ci semblait franc et amical, ce qu'Hannot remarqua immédiatement.

-Je commence à comprendre pourquoi mon père vous appréciait tant. Votre soif de pouvoir n'égale que celle de votre connaissance. Vous voulez tout savoir ? Malheureusement, la demeure de mon père a disparu, ses livres avec... Certains, des exemplaires uniques...
-La question est de savoir, les avez-vous lu, James ? Aviez-vous la même passion pour votre passé que votre père ?
-Non. Non aux deux questions. Et je crains que votre recherche ne porte jamais ses fruits, car personne n'a jamais lu la bibliothèque hormi mon père.

Le regard d'Hannot s'assombrit.

-Ceci dit... J'ai beaucoup entendu parler. Beaucoup appris. Mon père me détestait et m'adorait en même temps. Je suis son oeuvre, ne l'oublions pas. Celle de son pouvoir... Et j'en sais beaucoup plus que quiconque.

Un des gardiens annonça que le temps était écoulé. James se leva de son siège, Jack fit demi-tour avec son siège roulant. Les deux hommes s'arrêtèrent un instant cependant.

-Si j'ai encore un tant soit peu d'autorité sur vous Jack... alors écoutez-moi. Revenez moi voir un de ces quatre. Nous discuterons de la pluie et du beau temps.

Jack sourit. James poursuivit :

-Et vous comprendrez les troubles qui risquent d'agiter le monde très bientôt.

Il disparut derrière la porte, accompagné par ses gardiens. Jack resta interdit un long moment puis s'en alla à son tour, raccompagné lui aussi par les hommes du centre de détention où il séjournait.