Je voudrais pas... de dragibus57

Suite aux recommandations de son chef, le lieutenant Mahdid s'était concentré sur les commanditaires.

Il avait passé la matinée à son bureau de l'hôtel de police, à examiner à la loupe la liste des collectionneurs qu'il avait imprimée la veille. Elle contenait bien quelques noms qui lui étaient familiers, des people qui faisaient la une des magazines d'actualités, mais la plupart lui étaient inconnus. Ce n'était pas son monde.

Pendant plusieurs heures, il avait surfé sur la toile pour en savoir un peu plus. Mais ce qu'il avait trouvé était assez inégal et somme toute, décevant.
Soit c'était une profusion d'articles sur une même personne, souvent contradictoires ; soit les informations se résumaient à quelques lignes lorsque la personne menait une vie discrète, voire même secrète pour certains.

Le seul point commun qui les reliait, c'était leur richesse. Mais ça, Bob s'en doutait…
Sur les sept noms de sa liste, trois faisaient partie de la Jet-set. Des héritiers de grandes familles ou de grandes fortunes. Deux étaient des grands patrons. Les deux derniers semblaient être de véritables passionnés, qui ne laissaient pas transpirer grand choses de leur vie privée ou de leurs activités. Il n'était dit nulle part que l'un ou l'autre s'intéressait plus particulièrement aux Pokémon préhistoriques.
L'impasse.

A midi, il était rentré chez lui, les yeux piquants et les épaules nouées d'avoir passé tant d'heures devant l'écran. Il n'avait pas l'habitude. Ce n'était pas sa tasse de thé.

Bob était à table quand le téléphone sonna.

Il avait horreur d'être dérangé quand il mangeait. Sa pause de midi, c'était sacré.
Il regarda avec regret la salade de germes de soja au concombre et au jambon de dinde bio – c'est-à-dire sans polyphosphates - qu'il venait de se préparer et soupira. Bon, il n'y avait pas encore versé la vinaigrette à l'huile de sésame, donc son déjeuner pouvait attendre un peu sans être gâché.

L'écran du téléphone affichait le numéro direct de son chef. Si Lestienne se donnait la peine de l'appeler en personne à l'heure du déjeuner, c'est que ça devait être urgent.
- Mahdid ? On vient de recevoir un appel pour vous. D'une certaine madame Letellier. Letellier Nathalie. Ça vous dit quelque chose ?
- Hum… Comme ça, de prime abord, non…
- Ah, j'ai bien fait de ne pas lui donner votre numéro personnel alors. Oui, j'ai bien fait ! Ce n'est donc pas une de vos connaissances. Une voix charmante pourtant. Vraiment charmante… Jenny avait espéré que ce serait peut-être votre petite amie…

Bob commençait à s'impatienter sérieusement. Quelqu'un – son chef en l'occurrence – le dérangeait en plein repas, simplement parce qu'une bonne femme qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam avait téléphoné au poste ?
- Elle a dit qu'elle était journaliste. C'est ça, journaliste. Et que vous vous étiez rencontrés hier au Musée d'Argenta…

Ah oui, il la remettait maintenant ! Une grande et forte femme qui l'avait apostrophé sans façon pour lui soutirer des infos…
- Et qu'est-ce qu'elle voulait ?
- Vous parler… Il paraît qu'elle a découvert quelque chose qui pourrait vous intéresser. Une découverte importante…
- Mais elle n'a pas précisé ?
- Non, elle ne voulait parler qu'à vous. Seulement à vous. Oh, j'ai bien essayé d'insister, mais elle n'a rien voulu savoir. Rien. Une forte tête apparemment… Occupez-vous en rapidement, car c'est une chroniqueuse très connue à Johto. Vraiment connue. Et réputée pour son sérieux. Ce qu'elle a à vous dire peut être intéressant.

Bob nota le numéro de cette Nathalie Letellier, remercia son patron et raccrocha.
Il estimait qu'il n'y avait aucune urgence et qu'il avait le temps de finir tranquillement son repas.
Et ce n'est qu'un peu plus tard, confortablement installé sur le canapé de son salon, un expresso fumant à la main, qu'il décrocha enfin son portable.

Après les politesses d'usage - qui étaient très limitées du côté de Nathalie – il lui demanda ce qu'il pouvait faire pour elle.
- C'est à propos de cette histoire de fossiles Dôme, entama-t-elle sans préambule. J'imagine que vous avez déjà réfléchi à la question et que vous l'avez approfondie… Mais j'ai pensé que…

Mahdid ne voyait pas du tout de quoi elle voulait parler.
- Quels fossiles Dôme ? la coupa-t-il.
- Mais vous savez bien, ceux qui ont disparu du Musée d'Argenta et des Souterrains de Sinnoh !
- … Attendez, commencez par le début : qu'est-ce que c'est que cette histoire de souterrain ? Et pourquoi les fossiles Dôme en particulier ?
- Comment, vous n'êtes pas au courant ?!

Le lieutenant n'appréciait pas particulièrement la tournure que prenait la conversation. En particulier le ton moi-je-sais-et-pas-vous un peu exaspérant de la journaliste. Mais en même temps, ce qu'elle venait de dire lui avait mis la puce à l'oreille et il avait envie d'en savoir davantage.
- Au courant de quoi mademoiselle ? Pouvez-vous développer un peu ?

- Bon, je vous mets au parfum, reprit-elle. Mais… C'est à charge de revanche, hein ? Si je vous dis ce que j'ai découvert, vous me promettez en retour de me tenir au courant des développements de l'affaire ?
Elle ne perdait pas le nord, la garce ! Mahdid promit, à tout hasard… Il pourrait toujours se réfugier derrière le secret de l'instruction le moment venu.

Nathalie lui relata sa visite aux Souterrains de Sinnoh et en arriva à ses conclusions personnelles :
- A Argenta comme à Vestigion, c'était les fossiles qui étaient visés. Et plus particulièrement, les fossiles Dôme. A Argenta, les voleurs ont tout emporté. Probablement pour donner le change. Mais à Vestigion, seuls les fossiles Dôme manquent à l'appel. Personne ne l'a encore remarqué, étant donné la masse de débris. Mais quand le tri sera fini, ça ne manquera pas de sauter aux yeux des enquêteurs.

Bob médita un instant ce qu'elle venait de dire et fit une réponse à la fois polie et prudente :
- Vos déductions sont très intéressantes… Je vais appeler mes collègues de Vestigion pour avoir confirmation en ce qui concerne les fossiles Dôme.

Si l'info s'avérait exacte, il tenait là une piste importante. La meilleure depuis le début de l'enquête. Son esprit fonctionnait à plein régime. Il voyait déjà les implications possibles : trouver tous les lieux ayant un rapport avec ce type de fossiles ; les faire mettre sous surveillance ; avec un peu de chances, coincer les malfaiteurs ; chercher aussi ce que les fossiles Dôme pouvaient bien avoir de si attractif ; et par là même, remonter jusqu'au commanditaire…

La voix de la journaliste l'interrompit dans ses réflexions :
- Allô ? Vous êtes encore là ?
- Oui oui, je prenais seulement des notes…
- J'ai également pensé à autre chose, continua Nathalie. Si les voleurs recherchent surtout des fossiles Dôme, le Musée de Charbourg est certainement dans leur ligne de mire…

Mahdid ne put qu'admirer l'esprit de déduction de son interlocutrice : il venait d'aboutir exactement à la même conclusion. Mais lui, il était flic. Ça faisait partie de son métier…

Il fallait absolument qu'il prévienne Charbourg. Ensuite, il irait lui-même sur place. Le temps de donner quelques coups de fil, de régler les détails administratifs et il décollerait pour Sinnoh.
- Mademoiselle Letellier, je vous remercie beaucoup pour vos précieuses informations. Elles vont contribuer à faire avancer l'enquête. Encore merci de votre coopération !
- Hey, attendez ! On avait un accord il me semble ?
- Pour l'instant je n'ai pas le temps. Mais… Si j'ai bien suivi, vous êtes à Vestigion là ?
- Plus exactement à Verchamps. Je suis descendue à l'hôtel qui se trouve à l'est, route 213.
- Écoutez, je vais aller enquêter sur place. Je vous retrouverai là-bas.
- Où ? A quelle heure ?

Mais Bob avait déjà raccroché. Il n'avait pas une minute à perdre.

Il appela aussitôt son chef et lui relata sa conversation avec la journaliste. Lestienne approuva les mesures qu'il comptait prendre et sa décision de se rendre à Vestigion :
- Beau travail Mahdid, beau travail ! Mais foncez d'abord à Charbourg ! A Charbourg vous m'entendez ? Je m'occupe de les prévenir de votre arrivée. Oui, je m'occupe de tout. Qu'ils placent le Musée sous surveillance en attendant. Je fais aussi rédiger votre ordre de mission. Faites un saut au bureau pour le récupérer. N'oubliez pas de venir le récupérer !

En effet, un flic de Kanto ne pouvait pas enquêter comme ça dans une autre région, simplement parce qu'il en avait envie. Les services de police de Sinnoh allaient coopérer sans problème, mais seulement s'il pouvait leur montrer un ordre de mission. Les joies de l'administration…

Le lieutenant commença par donner un coup de fil aux collègues de Vestigion pour savoir si, réellement, seuls des fossiles Dôme avaient disparu des Souterrains. Un vieux réflexe à la Saint Thomas… au cas où cette journaliste l'aurait mené en bateau.
On lui demanda de patienter. Visiblement, personne n'avait rien remarqué et on s'occupait de vérifier.
Au bout d'un long moment – il connaissait maintenant par cœur les premières mesures du Printemps de Vivaldi - on lui donna la réponse : effectivement, les débris contenaient toutes sortes d'objets, sauf des Dôme.

Ses bagages étaient prêts.
Il gardait en permanence un sac de voyage déjà garni, pour justement gagner du temps quand survenait ce genre d'imprévu. Il y avait ajouté ses affaires de sport et sa trousse de toilette pendant qu'on le faisait lanterner au téléphone.

Dix minutes plus tard, son ordre de mission en poche, il décollait sur son Noarfang en direction de Sinnoh.