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La treizième heure de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 28/07/2020 à 18:50
» Dernière mise à jour le 04/08/2020 à 11:38

» Mots-clés :   Kalos   Présence d'armes   Présence de personnages du jeu vidéo   Suspense   Terreur

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1 • La première heure
Kalem contemplait d’un air dubitatif le prospectus coloré qu’il tenait dans la main gauche. « Venez apprendre la Danse Karaté avec le grand Maître Karatéka venu tout droit du dojo de Safrania, dans la lointaine région de Kanto : Koichi ! » proclamait fièrement le tract où se dressait la silhouette d’un homme en kimono blanc, pieds nus, portant une ceinture noire et un bandeau rouge sur la tête. Le jeune adolescent aux cheveux de jais soupira : « de la Danse Karaté ? Comment est-ce que Tierno et Sannah ont réussi à embarquer tout le groupe là-dedans ? Ils ont au moins dû promettre à Trovato de lui offrir le dernier modèle de Pokédex pour le convaincre, je vois que ça… » songea-t-il en souriant.

Les yeux sombres de Kalem se posèrent ensuite sur l’adresse du fameux Dojo, situé sur la rue Septentrionale. « Entre le stand de galettes et la porte de la route 14. » précisa le jeune homme en pensée. « Il faut que je me dépêche, les autres m’attendent sûrement déjà. » Rollers aux pieds, Kalem s’élança à toute vitesse dans les rues animées d’Illumis. Le jeune dresseur slalomait entre les Pokémon joueurs, les enfants espiègles et les adultes amusés, toujours aussi fasciné par cette métropole qui fourmillait de vie. Même après tout ce temps passé à arpenter Kalos depuis son déménagement, Kalem était toujours autant impressionné par la riche activité de la région.

Illumis, en particulier, débordait de vie, comme si Xerneas en personne avait fait don à la ville d’une énergie inépuisable. « Enfin… C’est peut-être le cas, finalement. » songea le Maître de la Ligue en jetant un coup d’œil au sac noir qu’il portait en bandoulière, et dans lequel reposaient ses Poké Balls. Un sourire plus grand encore envahit son visage, et il accéléra le rythme. Porté par ses songes autant que par le vent, Kalem arriva rapidement au lieu de rendez-vous : un immeuble noir et blanc à la façade moderne, d’où sortaient fréquemment quelques touristes au sourire angélique.

« Pas l’endroit le plus adapté pour installer un Dojo…. nota Kalem. Mais bon, s’ils sourient comme ça, c’est que ce fameux cours de Danse Karaté doit être vraiment intéressant, je suppose… » se dit-il pour se motiver. Il enleva ses Rollers, qu’il glissa ensuite dans son sac, puis contempla un instant le flot ininterrompu de passants, immobile : les touristes marchaient sereinement, d’un pas régulier, l’air si calme que rien ne semblait pouvoir les faire réagir. Ils disparaissaient ensuite aussi vite qu’ils étaient apparus, s’engouffrant dans l’embrasure de la porte menant à la Route 14 pour ne plus jamais revenir.

Saisi d’un léger malaise qu’il n’aurait su expliquer, Kalem entra fébrilement dans l’immeuble. Il fut accueilli par une scène des plus triviales. Le hall d’entrée était en effet plutôt sobre : sol à carreaux gris, murs blancs et gris anthracite. Deux plantes en pot tentaient d’égayer cette entrée peut-être un peu trop simple. Juste à gauche de l’entrée, une femme aux cheveux châtains semblait perdue dans ses pensées. Devant elle, au fond, la réceptionniste blonde se tenait bien droite derrière le comptoir. Et, en face de ce dernier, une jeune femme rousse attendait patiemment sur un canapé prévu à cet effet.

Dans la partie droite du vestibule, deux petits enfants, un garçonnet brun et une fillette blonde, jouaient ensemble autour d’une immense fontaine en pierre entièrement recouverte de feuilles et de fleurs roses, tandis que la télévision, installée au fond à droite, diffusait les informations en continu. Enfin, au fond de la pièce, au milieu du mur, dans un renfoncement, trônait fièrement l’ascenseur aux portes métalliques. En somme, rien qui sortait de l’ordinaire. Kalem poussa un soupir de soulagement. « Il faut que je me détende… C’est un cours de danse, rien de plus ! » s’encouragea-t-il en pensée.

– Bonjour Monsieur, l’interpella la réceptionniste avec un grand sourire. Vous venez pour le cours de Danse Karaté, je suppose.

Kalem hocha timidement la tête. La jeune femme reprit alors aussitôt :

– Très bien. Il vous faut donc vous rendre à l’étage num…

– Oh regarde ! Z’est le monsieur à la télé ! s’écria soudainement le petit garçon qui jouait de l’autre côté de la pièce.

Kalem se retourna brusquement, alors que le petit garçon lui agrippait déjà la jambe. Un rapide coup d’œil à la télévision lui permit de constater qu’en effet, celle-ci diffusait un reportage sur la Ligue Pokémon qu’il avait tourné un mois auparavant.

– Dis, z’est vrai que t’es trop trop fort ? demanda le petit garçon.

– Et c’est vrai que t’as un « Zer-nez-asse » ? s’enquit à son tour la fillette blonde.

– Haha, oui, c’est vrai, répondit Kalem, à la fois gêné et flatté d’être reconnu. Je suis très très fort, et j’ai bien un Xerneas. Par contre je suis désolé, les enfants, je dois y aller : mes amis m’attendent et je suis déjà en retard… Mais je repasserai tout à l’heure ! leur assura-t-il.

– Chouette ! s’enthousiasma le petit garçon.

Mal à l’aise, Kalem s’enfuit sans demander son reste, à la seconde même où le petit garçon lui lâcha la jambe puis il se précipita dans l’ascenseur. Une fois arrivé dans l’étroite cabine métallique, il se rendit compte avec dépit qu’il n’avait pas entendu à quel étage il devait se rendre, puisque le petit garçon avait coupé la parole à la réceptionniste. « Et bien sûr, ce n’est pas écrit sur le prospectus… pesta-t-il en son for intérieur. Et si j’y retourne, non seulement j’aurais l’air idiot, mais en plus les petits vont à nouveau me sauter dessus… » Et cette idée ne réjouissait pas vraiment Kalem.

« Maître de la Ligue et je ne suis même pas capable de faire face à des enfants… Pathétique. » L’adolescent poussa un soupir et avisa les boutons de l’ascenseur. Il se sentit soudain encore plus stupide : « il n’y a que deux étages ! C’était bien la peine de paniquer ! » Agacé par lui-même, le jeune homme se frappa le front avec le plat de la main gauche avant d’enfin se ressaisir : il appuya avec aplomb sur le bouton qui menait au premier étage : « si c’est pas celui-là, c’est forcément le deuxième ! » pensa-t-il avec une logique implacable.

L’ascenseur de métal se mit alors en branle dans un grincement strident. L’ascension fut rapide, l’arrêt brutal. Le petit tintement sonore d’arrivée trancha nettement avec la violence inouïe de l’ouverture des portes. Kalem fut comme éjecté de la cage d’ascenseur. La surprise première fit alors instantanément place à la peur. La peur se propagea dans tous les membres de Kalem. Mais, alors même qu’il était paralysé par l’effroi, une force irrépressible le poussa à faire un pas en avant.

Alors les lumières s’éteignirent pendant une fraction de seconde.
Puis elles se rallumèrent.
S’éteignirent.
Se rallumèrent.

Kalem ne le savait pas encore, mais désormais, il n’était plus seul.

Une présence s’état glissée dans son dos, dans cet interstice créé par ce pas inconscient qu’il avait été forcé à faire. Une femme au teint cadavérique et au regard ténébreux fixait l’horizon, cachée derrière Kalem. Le noir se fit une dernière fois, et la lumière reparut enfin. Mais ce n’était pas une lumière salvatrice pour Kalem. Au contraire, elle lui révéla la noirceur profonde qui venait de pénétrer dans la pièce.

La silhouette se mit à flotter au-dessus du sol et passa à gauche de Kalem, frôlant la main du jeune homme de sa robe sombre sertie d’une toile d’araignée.

Alors seulement il la vit.

Son cœur rata un battement. Il se mit à transpirer à grosses gouttes. Mais, plus que son corps, c’était son esprit qui venait d’être frappé de terreur. Le sentiment d’horreur qui l’envahit était si profond, si abyssal, qu’il ne put même pas crier. Il demeura parfaitement immobile, les yeux rivés sur la chevelure bleu nuit de cette apparition qui lui tournait le dos. Il aurait voulu s’évanouir. Fuir à tout prix cette effrayante et morbide réalité.

Mais était-ce seulement la réalité ?

Plutôt que prendre ses jambes à son cou, il resta là, tétanisé, comme enraciné dans le sol de ce bâtiment de malheur. Ses pieds étaient ancrés dans le sol, et ses yeux ne pouvaient se détacher de cette silhouette obscure. La femme s’éloigna en flottant, et Kalem crut que son calvaire était enfin fini. Mais il se trompait. La présence se figea brusquement, dos à lui. Il crut alors qu’elle allait se retourner, et que son regard de mort sonnerait le glas pour lui. Mais il n’en fut rien.

« Non, ce n’est pas toi que je cherche… »

La voix d’outre-tombe résonna avec force dans la tête de Kalem, à tel point qu’il eut l’impression que sa boîte crânienne allait imploser. Il frissonna alors de toute son âme. Un frisson de frayeur, qui, étrangement, lui procura aussi quelque soulagement : il n’était pas celui qu’elle cherchait. Elle ne lui ferait pas de mal. Puis il ferma doucement les yeux, comme pour se rendormir suite à un cauchemar particulièrement traumatisant. Au bout d’une éternité, il rouvrit les yeux.

Elle avait disparu.

Elle s’était volatilisée. Sans laisser de traces. Elle était partie, mais Kalem demeurait figé sur place, terrorisé. Il ne comprenait plus rien. Il ne parvenait plus à raisonner correctement. Son esprit était comme possédé par la peur. « Qu’est-ce que j’ai vu ? Qu’est-ce que j’ai vu ? Qu’est-ce que j’ai VU ? » se demandait-il inlassablement. Mais il le savait. Malgré son état de choc, il le savait. Il peinait à formuler l’idée, même en pensée, tant elle lui paraissait absurde. Et pourtant, en ce moment même, rien d’autre ne semblait avoir de sens. Rien ne semblait avoir plus de sens.

« J’ai vu… J’ai vu… »

Un fantôme.

Ce simple mot explosa comme un électrochoc dans l’esprit tourmenté de Kalem. Lorsqu’il reprit enfin ses esprits, il n’avait plus qu’une idée en tête : fuir. Il se retourna et martela le bouton de l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent tout à fait normalement. Comme d’habitude. Comme si rien ne s’était passé. Il appuya avec empressement sur le bouton du rez-de-chaussée. Pour Kalem, les misérables secondes qu’il fallut à l’ascenseur pour enfin toucher terre parurent durer une éternité.

Lorsqu’enfin, la cage de métal daigna libérer son prisonnier, ce dernier se rua violemment dehors tel un Némélios en furie.

Les deux petits enfants de l’accueil, ravis de le voir déjà revenir, firent un pas vers lui. Mais lorsqu’ils virent le visage hagard et sombre du jeune Kalem, ils s’arrêtèrent net, terrifiés. Le concerné, qui était encore complètement sous l’emprise de l’expérience qu’il venait de subir, ne s’en aperçut même pas et fonça vers la sortie, bien déterminé à quitter cet immeuble hanté.

Il ne connaissait qu’une seule personne capable de l’aider à élucider ce mystère. Une fois hors du bâtiment, il sortit machinalement ses Rollers de son sac et les enfila, avant de s’élancer à toute vitesse dans les rues d’Illumis. Il savait exactement où il allait. Sa destination se situait tout près de cet antre surnaturel. Il tourna à gauche et s’engagea dans la ruelle qui jouxtait le Centre Pokémon. Puis il entra dans le premier bâtiment à sa droite, sans même prendre le temps d’enlever ses Rollers.

L’Agence Beladonis.

« Millie ! » hurla-t-il en entrant dans l’agence.

Affolée par ce cri, une jeune fille, qui se tenait non loin de l’entrée, se précipita vers lui, suivie de près un Psystigri. Elle atteignit le jeune homme à la seconde même où celui-ci perdit connaissance. Le choc de toutes les émotions qu’il avait ressenties avait fini par le rattraper, au moment précis où l’adrénaline avait cessé de faire effet. Il eut cependant le temps de murmurer : « j’ai vu… un… fant… » avant de s’évanouir dans les bras hâlés de la jeune fille répondant au nom de Millie.

Lorsque Kalem rouvrit enfin les yeux, tout était brumeux autour de lui, et sa tête le faisait atrocement souffrir. La première chose qu’il aperçut en se réveillant fut le visage de Millie, encadré par ses tresses noires bouclées. Son regard bleu foncé était rivé sur lui, et il brillait d’inquiétude.

– Kalem ! Tu te réveilles enfin ! Tu nous as fichu une de ses frousses, à moi et Gribouille ! Nan mais t’imagines ? Tu débarques à l’agence en hurlant mon nom puis tu t’écroules devant moi !

Le jeune homme avait du mal à comprendre ce que lui racontait la jeune enquêtrice. Il se redressa avec peine. Il se rendit alors compte qu’il était allongé sur le canapé rouge qui se trouvait à gauche de l’entrée de l’agence Beladonis. D’après Millie, il s’était… évanoui ? Comment cela se faisait-il ? Et puis pourquoi était-il venu ici, d’abord ?

– Bon, en tout cas, j’suis heureuse de voir que tu vas bien , et Gribouille aussi. Ah oui, aussi, tu devrais r’garder ton Holokit, j’crois que t’as reçu au moins dix messages…

Son… Holokit ? Avec difficulté, Kalem extirpa l’appareil vert de sa sacoche noire et l’alluma. Il avait sept messages en attente : deux de Sannah, un de Tierno, un de Trovato, et trois de Serena. « Désolé les amis… J’ai loupé la séance de Danse Karaté, je crois bien… » Mais pourquoi avait-il manqué la séance, d’ailleurs ? Le jeune homme se força à fouiller son esprit malgré le brouillard qui s’acharnait à l’obscurcir. Quand soudain, il se souvint, horrifié.

– Un… Un fantôme ! hurla-t-il de terreur, ce qui fit sursauter Millie et Gribouille.

– Non mais ça va pas la tête ? Pourquoi tu cries comme ça, Kalem ? s’écria à son tour Millie. Tu es en sécurité, à l’agence. Avec nous, tenta-t-elle de le rassurer en posant une main affectueuse sur son épaule.

Effrayé, Kalem ramena les jambes contre son torse et se prit la tête dans les mains :

– Je… Je sais bien Millie, mais… Je te jure, je… Je… J’ai vu un fantôme ! lui assura-t-il avec force.

– Q-quoi ? Un fantôme ? Mais enfin de quoi tu parles ?

Encore vivement secoué, Kalem se mit à débiter une série de propos incohérents : « le cours de Danse Karaté, les enfants dans le hall, la télé, l’ascenseur, trompé d’étage, et là le fantôme d’une femme, couru ici, me souvenais de rien ! ». Complètement perdue, Millie le coupa :

– Oulà, toi, t’as l’air d’avoir besoin de repos. Donc tu vas dormir un peu, et on reparlera quand t’auras à nouveau l’esprit clair. Pendant ce temps, je vais te faire un thé, suggéra-t-elle.

Kalem ne se fit pas prier pour dormir : il en avait besoin. Il s’affala de tout son long sur le canapé rouge et s’endormit aussitôt. Quant à Millie, elle se dirigea vers la petite cuisine rouge qui occupait le coin droit de la pièce, au fond. Il restait encore quelques-uns des sachets de thé que son bienfaiteur, Beladonis, avait achetés lorsqu’il avait mal interprété les propos d’une touriste étrangère, quelques semaines auparavant. Comme il lui manquait…

Non, elle ne devait pas se laisser aller. Pour une fois, c’était Kalem qui avait besoin d’elle. Elle ne savait pas encore pour quoi mais… Il avait tant fait pour elle dernièrement… Alors il fallait qu’elle reste forte pour lui venir en aide à son tour. Emplie d’une énergie nouvelle, elle remplit la bouilloire d’eau du robinet puis la mit à chauffer. Elle ouvrit ensuite la boîte de thé et en extirpa deux sachets : « je crois qu’un thé ne m’fera pas de mal, à moi non plus… Beladonis disait que ça fait du bien. »

Sa mine attristée poussa Gribouille à venir se frotter contre son collant noir pour essayer de la réconforter. Millie se fendit d’un léger sourire pour rassurer son ami :

– T’en fais pas, ça va, Gribouille. On va aider Kalem !

– Griiii ! approuva avec force le petit Pokémon, qui semblait pourtant un peu fatigué.

Cela n’échappa pas à Millie, qui entreprit alors de sortir une Poké Ball flambant neuve de sa jupe orange pour le faire rentrer à l’intérieur. En effet, maintenant qu’elle en avait les moyens, Millie avait acheté une Poké Ball à Gribouille, et malgré sa réticence première pour y rentrer, Gribouille s’était rapidement rendu compte que l’intérieur d’une Poké Ball était un endroit plutôt agréable. « Je suis contente qu’il se repose un peu. Comme Kalem. » songea-t-elle en avisant son ami allongé sur le canapé.

Une fois le thé prêt, Millie attendit qu’il refroidisse un peu avant d’aller réveiller Kalem qui dormait d’un sommeil agité sur le canapé rouge. Après que le thé eut atteint la température idéale, Millie plaça la théière, deux tasses, et un sucrier sur un plateau, qu’elle alla ensuite déposer sur la table basse qui se trouvait en face du canapé ; puis elle s’approcha doucement de son ami endormi. Il s’agitait encore un peu, mais il semblait nettement plus calme qu’à son réveil. Millie se pencha vers son ami et répéta plusieurs fois son prénom, jusqu’à ce qu’il se réveille enfin.

– Tu t’sens mieux ? s’enquit-elle. J’t’ai préparé du thé.

– Oui, ça va un peu mieux, merci de m’avoir permis de me reposer un peu, la remercia-t-il en saisissant la tasse de thé qu’elle lui tendait.

– Alors… Tu voulais me parler de quelque chose ? lui demanda-t-elle en s’asseyant sur le petit siège recouvert d’un coussin rouge qui se trouvait en face de la table basse en bois. Une histoire de euh… fantôme ? se remémora-t-elle, sans conviction. Qu’est-ce que tu entends par là ? Des Pokémon Spectre t’ont fait peur ?

– Non, non… répliqua-t-il en secouant vigoureusement la tête. Ce n’était pas un Pokémon. C’était une femme. Et… elle avait l’air aussi réelle que toi et moi. Sauf qu’elle… elle s’est mise à flotter devant moi ! balbutia Kalem, la voix tremblante.

– Quoi ? Mais…

Millie suspendit sa phrase, éberluée par ce qu’elle venait d’entendre. Elle n’était absolument pas convaincue par l’histoire de Kalem. Cependant, elle le connaissait bien. Elle savait qu’il ne lui mentirait pas. Ce n’était pas son genre. Mais… il pouvait très bien se tromper sur la nature de ce qu’il avait vu. Peut-être que ce qu’il avait vu n’était rien d’autre qu’une illusion créée par des Pokémon Spectre pour s’amuser. Elle lui suggéra aussitôt l’idée :

– Peut-être que c’était juste une illusion provoquée par des Pokémon Spectre qui voulaient te faire peur, alors ?

– Tu crois ? Mais… mais… elle m’a parlé ! Elle m’a dit quelque chose !

– Et elle a dit quoi ? voulut savoir Millie, toujours sceptique.

– « Ce n’est pas toi que je cherche » ou quelque chose comme ça… Je pense qu’il y a beaucoup plus là-dessous qu’une simple farce provoquée par des Pokémon ! fit valoir Kalem, sûr de lui. Je pense que cette fille… Je pense que cette fille veut qu’on l’aide.

– Qu’on l’aide ? Mais réfléchis, Kalem, si c’est un fantôme ça veut dire qu’elle…

Les mots restèrent en travers de sa gorge : elle ne pouvait se résoudre à formuler l’idée qu’elle avait en tête.

– …qu’on ne peut plus rien faire pour elle, rectifia-t-elle par un euphémisme.

– Mais… alors… pourquoi m’a-t-elle parlé ? À moi ?

– J’sais pas, Kalem… Je suis aussi perdue que toi, j’t’avoue…

Le silence se fit pendant de longues secondes. Chacun semblait perdu dans ses pensées… ou ailleurs. Puis soudain Kalem s’anima de nouveau :

– Je ne sais pas exactement ce que veut le fantôme de cette fille, ni pourquoi il est apparu devant moi… Mais ce qui est sûr, c’est que… vu ce qui m’est arrivé… Moi j’ai envie de savoir. Je veux savoir quel mystère se cache derrière ce spectre. Rends-toi compte ! J’ai vu un fantôme ! Un vrai fantôme ! Je veux… non, je dois découvrir qui est cette fille. C’est pour ça que je suis venu te voir toi, Millie. Tu es la seule personne que je connaisse – avec Beladonis – qui soit capable de résoudre ce mystère. Alors, est-ce que… est-ce que tu accepterais de m’aider ? lui demanda-t-il timidement.

– J’t’avoue que j’y connais rien aux fantômes, et j’suis pas sûre d’y croire… Mais t’es mon ami et j’ai confiance en toi. Et puis, tu m’as tellement aidée… Alors c’est à moi de t’aider maintenant.

– Merci beaucoup, Millie. Je savais que je pouvais compter sur toi.

– Maintenant, il va falloir que tu me dises ce que tu as vu dans les moindres détails. Tu ne m’as même pas dit où tout ça s’est passé.

Kalem hocha la tête et entama un récit détaillé de ce qui lui était arrivé, en commençant par l’invitation de Sannah et Tierno au cours de Danse Karaté jusqu’à la description précise de l’ectoplasme qu’il avait aperçu.

– Une fille à la peau très blanche, aux longs cheveux bleu nuit, avec un serre-tête violet dans les cheveux, une longue robe sombre avec une toile d’araignée dessus, des collants blancs et des chaussures fermées noires, c’est bien ça ? demanda Millie, qui notait frénétiquement ce que lui disait Kalem dans son calepin.

– Oui. Je n’ai pas vu son visage, mais… Elle avait tout à fait le style de ces jeunes filles passionnées d’occultisme qu’on appelle…

– Des Mystimaniac, compléta Millie.

– En effet, approuva Kalem.

– Bon. J’pense que tu m’as donné suffisamment d’éléments. Maintenant, il faut qu’on aille enquêter sur le terrain. J’comprendrais si c’est trop dur pour toi de revenir là-bas, alors j’peux y aller toute seule si tu veux… lui suggéra l’enquêtrice, conciliante.

– Non, répliqua Kalem en secouant vivement la tête. C’est trop risqué. Je m’en voudrais s’il t’arrivait quoi que ce soit par ma faute. En plus, je pense que c’est nécessaire pour toi d’avoir mon témoignage sur place. Je veux t’aider un maximum. Après tout, c’est moi qui t’ai embarquée là-dedans... Et puis… j’ai besoin de revenir là-bas. Pour me prouver que tout ça était bien réel. Il faut que je sois fort.

– Comme tu veux… céda Millie. Alors on y va.

Elle tendit sa main vers son ami, qui était encore assis sur le canapé pour l’aider à se relever. Kalem se saisit de l’avant-bras de Millie et cette dernière le releva avec force tout en s’exclamant :

– Allons-y, partenaire !

*
Kalem sentit les battements de son cœur s’affoler à mesure qu’il approchait de la redoutée cage d’ascenseur. Il jeta un regard en arrière : le hall d’entrée de l’immeuble était bien plus déserté qu’il ne l’était quelques heures auparavant. Les enfants avaient disparu, tout comme les deux jeunes femmes. Il ne restait plus que la réceptionniste blonde, toujours fidèle au poste. Pour les besoins de l’enquête, Millie lui avait demandé si le premier étage était occupé. La réceptionniste lui avait alors répondu que non, qu’il était même inoccupé depuis dix ans, d’après la rumeur.

Étrange…

Légèrement inquiète, Millie se tourna vers Kalem :

– Si t’as peur, tu peux encore repartir à l’agence, t’sais…

– Non, ça va aller, je crois. Et puis, tu es là. Quand on est deux, c’est moins flippant.

Elle lui adressa un léger sourire, puis appuya sur le bouton de l’ascenseur. Celui du premier étage. Celui-là même que Kalem avait pressé quelques heures plus tôt, et qui l’avait mené à une expérience aussi mystique que traumatisante. Le cœur battant, le jeune homme s’engouffra à la suite de Millie dans la cabine métallique. Il frissonna au son des portes qui se fermaient.

L’ascenseur monta tranquillement jusqu’au premier étage, et signifia son arrivée par le même petit tintement sonore que Kalem avait entendu la première fois. Enfin, vint le moment fatidique : celui de l’ouverture des portes. Elles s’ouvrirent sans encombre, presque avec douceur, comme pour railler Kalem, qui avait raconté à Millie la violence avec laquelle les portes s’étaient ouvertes la première fois. Celle-ci fronça légèrement les sourcils, mais ne dit rien : elle croyait en Kalem.

Les deux amis sortirent de l’ascenseur et atterrirent dans une pièce que Kalem découvrait presque autant que Millie, étant donné qu’il n’avait pas vraiment pris le temps de l’observer la première fois qu’il y était venu. Kalem profita de leur sortie de l’ascenseur pour raconter en détail son expérience à Millie, à l’endroit même où elle s’était produite.

Il s’agissait d’une salle de travail tout à fait banale, composée d’un sol en damier gris, des mêmes murs blanc et gris qu’au rez-de-chaussée et de cinq bureaux individuels séparés par deux cloisons bleues en angle à bordure blanche. Les bureaux disposaient d’ordinateurs noirs - alimentés par trois grandes unités centrales aux diodes clignotantes - et de chaises bleu foncé à dossier blanc. Seuls les deux bureaux situés à droite disposaient d’une corbeille rouge. Comme dans le reste de l’immeuble, une plante en pot située au fond à droite de la pièce tentait vainement de donner un peu de vie à cette urbanité morte.

L’endroit semblait désert, et pourtant, une armoire en fer blanc pleine à craquer de classeurs bleus, jaunes et rouges, juste à droite de l’ascenseur, laissait à penser que l’endroit avait autrefois été occupé. En effet, les portes du meuble étaient recouvertes d’une ardoise et de quelques papiers retenus par des aimants. Ce fut l’élément que Millie inspecta en premier, mais la déception se lut rapidement sur son visage : tous les classeurs sans exception étaient vides. Presque comme si la salle entière constituait une sorte d’alibi géant pour masquer les vraies activités qui s’y étaient tramées – ou même peut-être, qui s’y tramaient…

Quant aux notes placardées sur le meuble, elles n’étaient pas vierges, mais elles étaient des plus énigmatiques, comme en témoignait celle-ci, qui disait : « Le Plan : 1) A vole le colis. 2) On va à l’hôtel. 3) On rend le colis. 4) ON EMPOCHE LE FRIC ! 5) Chacun part vivre sa vie ! ».

– On dirait que des choses plutôt louches ont eu lieu ici… commenta Kalem.

– Ça, c’est le moins qu’on puisse dire, approuva Millie. T’avais raison. S’intéresser à ce fantôme va nous mener à des pistes intéressantes, j’ai l’impression… Je vais prendre ces notes pour les examiner à l’agence.

– Par contre, aucune trace du fantôme… soupira Kalem.

– Bah, c’est logique… C’est un peu le principe d’un fantôme. Je doute qu’on en trouve, mais bon… Enfin, continuons à chercher, on sait jamais.

Mais comme l’avait deviné Millie, leurs recherches furent en effet infructueuses, et ils rentrèrent à l’agence Beladonis avec pour seul indice les mystérieuses notes. Ils étaient restés longtemps dans l’immeuble : dehors, Illumis commençait déjà à s’illuminer de ses célèbres lumières. Une fois arrivés à l’agence Beladonis, ils constatèrent avec surprise que les lumières étaient déjà allumées là-bas aussi. Kalem, qui avait eu son lot d’émotions fortes pour la journée, commençait déjà à imaginer le pire, mais Millie entreprit de le rassurer :

– T’en fais pas, je suis sûre que c’est juste Mitzi, Hohneck et Roxie.

– Ah oui, le gang des Allumés… murmura Kalem.

– Ils sont très gentils, tu sais. Ils m’aident à l’agence : Roxie tient les comptes, Mitzi fait la cuisine et Hohneck m’aide avec les enquêtes. Alors, même s’ils continuent à s’appeler comme ça, ils n’ont plus rien d’un gang, lui rappela Millie.

En effet, les trois jeunes gens qui se faisaient autrefois appeler le « Gang des Allumés » étaient désormais un trio honnête qui assistait Millie à l’agence, depuis que Beladonis et Kalem avaient fait équipe pour les ramener dans le droit chemin et sauver Millie des plans diaboliques de Xanthin. Millie était certaine qu’ils venaient la voir, comme souvent. Kalem, lui, n’était toujours pas serein, mais il faisait confiance au jugement de son amie.

La tension était néanmoins palpable lorsque Millie fit son entrée dans l’agence. Elle songea un instant à faire une blague à Kalem, mais elle se ravisa : il avait suffisamment eu peur aujourd’hui, au moins pour la décennie à venir. Elle le tranquillisa donc immédiatement : c’étaient en effet Mitzi, Hohneck et Roxie qui se trouvaient dans l’agence. Kalem ne put retenir un soupir de soulagement.

Ce fut Hohneck qui les accueillit en premier :

– Millie ! T’es enfin rentrée ! Ah salut, Kalem, la forme ? Vous étiez où ?

– Coucou vous deux ! Asseyez-vous, je prépare le dîner ! Tu peux rester, Kalem, si tu veux, y’a bien assez pour tout le monde ! intervint à son tour Mitzi d’un ton joyeux.

En effet, un alléchant fumet se dégageait de la petite cuisine où Mitzi faisait revenir des pommes de terre dans une poêle.

– Hey les gars, les agressez pas, z’avez pas vu leurs têtes ? Vous voyez bien qu’ils ont l’air crevé, leur signala Roxie.

– Salut tout le monde, ça fait plaisir d’être accueilli chaleureusement comme ça, surtout après une rude journée comme aujourd’hui… les remercia Kalem. En effet, Roxie a raison, on est plutôt fatigué… Oh, et merci pour l’invitation, Mitzi, j’accepte avec plaisir.

– Salut les gars. Ça fait plaisir de vous voir, dit sobrement Millie, la mine cependant réjouie.

– Comment ça se fait que vous soyez aussi fatigués ? Vous avez fait quoi ? demanda Hohneck.

– Oulà, c’est une longue histoire… le prévint Millie en bâillant. On va vous raconter tout ça autour du dîner.

Aussitôt dit, aussitôt fait : les cinq compères se réunirent bien vite autour de la petite table basse de l’entrée. Le Gang des Allumés prit place sur le canapé, Kalem s’installa sur le petit siège au coussin rouge et Millie emprunta l’une des chaises de bureau pour s’y asseoir. La table étant trop petite et trop basse pour y poser cinq assiettes, chacun mangeait le gratin de pommes de terre de Mitzi avec son assiette sur les genoux. Lorsque tout le monde fut installé, Millie et Kalem entamèrent leur histoire.

– Un… un… un fantôme ? T’as vu un fantôme ? s’écria Hohneck, terrifié. Sa petite touffe de cheveux turquoise luisait de transpiration.

– Au… au premier étage de l’immeuble où y’a le Dojo de Danse Karaté…? murmura Mitzi d’une toute petite voix. Ses yeux gris étaient presque cachés derrière ses volumineuses tresses rose vif.

– Et il… il ressemblait à quoi ? demanda Roxie d’une voix inquiète.

Le Gang des Allumés échangea alors un regard lourd de sous-entendus, que Kalem et Millie ne manquèrent pas de trouver étrange.

– C’était une femme. Elle ressemblait à une Mystimaniac, répondit Kalem.

Le Gang des Allumés se raidit davantage. Hohneck croisa les bras et se mit à fixer le sol de ses yeux gris et Mitzi baissa la tête, les mains crispées sur ses genoux recouverts d’un collant jaune, tandis que Roxie jouait nerveusement avec le pendentif en forme de Poké Ball de son ras-de-cou. Une fois de plus, le malaise du trio n’échappa guère à Kalem et Millie. Cette dernière, de plus en plus soupçonneuse, décida de les confronter directement :

– On a trouvé pas mal de trucs pas nets dans cet endroit… Comme ça, par exemple, déclara-t-elle en sortant de la poche de sa jupe orange l’une des notes qui étaient placardées sur l’armoire blanche qu’elle avait inspectée avec Kalem. Vous sauriez pas quelque chose là-dessus par hasard ?

Le regard bleu de Millie était froid et dur. Elle exigeait une réponse. Et elle la voulait sur-le-champ. Le Gang des Allumés baissa la tête, mortifié. Hohneck mit les mains sur ses genoux et se mit à trembler. Tous trois semblaient au bord des larmes.

– Ça fait dix ans… dit doucement Mitzi d’une voix triste. Dix ans que c’est fini…

– Je croyais qu’on en parlerait plus jamais ! se mit à sangloter Roxie, les mains plaquées sur le visage.

Tête basse, Hohneck laissa échapper une larme qui vint s’écraser sur son jean troué. Millie, attendrie par cette scène totalement inattendue de la part de la bande de durs à cuire qu’était le Gang des Allumés, se radoucit aussitôt. Elle posa une main compatissante sur le bras de Roxie et demanda d’une voix douce :

– Racontez-nous ce que vous savez, s’il vous plaît…

– D’accord, Millie… Si c’est pour toi… On va le faire, accepta Hohneck, la voix brisée.

– Vous… Vous êtes sûrs ? demanda Kalem, soucieux.

– Oui… déclara à son tour Mitzi. Je veux arrêter d’y penser.

– Moi aussi. Je veux enfin refermer cette plaie que j’ai rongée pendant dix ans, conclut Roxie avec tristesse.

Les yeux noyés de larmes, ils entamèrent leur récit.