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» Auteur : Astrale - Voir le profil
» Créé le 21/07/2020 à 16:58
» Dernière mise à jour le 31/08/2020 à 18:44

» Mots-clés :   Famille   Kalos   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

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Chapitre 2 : Convictions
Les jours qui suivirent furent parmi les plus exténuants dans la vie de Violette. Levée très tôt, couchée très tard, elles passaient ses journées à parcourir la région et à faire cliqueter son appareil photo dans tous les sens, à la recherche du cliché parfait pour illustrer le prochain numéro de l’Edition d’Illumis. Si elle avait pensé que Kaï aurait rendu son expérience en tant que journaliste nettement moins agréable, il n’en fut rien. Elle ne le croisait que très rarement – étant déployés sur des missions différentes – et lorsque c’était le cas, il prenait avec elle le même ton mielleux et poli qu’il employait avec Rachel. Il se révélait même être de très bon conseil lorsqu’il entreprit de donner son avis sur les photos de Violette. Celle-ci, qui était restée méfiante au début, avait fini par oublier leur querelle et accueillait de bon cœur la discussion.

Même si elle découvrait chaque jour un endroit différent de la région, son travail restait globalement le même. Elle se rendait avec une équipe chargée de la chronique du jour sur les lieux de l’interview ou de l’enquête, prenait le maximum de photos, revenait au bureau et tirait les photographies les plus « journalistiques » (Violette pensait que le terme « banal » était plus approprié) que Rachel choisissait personnellement pour les intégrer au numéro du lendemain.

A son arrivée au bureau ce jour-là, elle sut instantanément que cette journée serait différente. L’habituelle odeur de café, les conversations légères avaient laissé place à une agitation et un empressement général. La plupart des journalistes couraient dans tous les sens, attrapant un carnet, un crayon et parfois un manteau au passage. D’autres encore, pas tout à fait debout ni assis sur leur chaise, tapaient frénétiquement sur leur clavier. L’énorme Excavarenne sautillait sur place, et beaucoup d’autres Pokémon non identifiables se faufilaient entre les pas des journalistes pressés. Avant que Violette ait pu demander l’origine de ce tapage, Rachel fondit sur elle. Il y avait une lueur un peu folle dans son regard.

- Violette ! Violette j’ai besoin de toi, tu pars tout de suite avec l’équipe. Un Igualta fou détruit tout sur son passage à la centrale de Kalos, s’écria-t-elle dans un souffle.

A peine eut-elle le temps d’assimiler ce que Rachel venait de lui dire qu’elle fut poussée vers la sortie. Elle eut tout juste le temps d’entendre Rachel répondre à Kaï, de l’autre côté de la porte :

- Ne discute pas, je t’ai dit que je prenais Violette avec nous. Je veux que tu ailles à la Confiserie d’Illumis pour illustrer notre dernière chronique. Ai-je été claire ?

Elle n’entendit pas la réponse de Kaï mais elle vit son visage se décomposer. A la seconde d’après, Rachel avait refermé la porte du bureau, et demandait à Violette de se dépêcher de rentrer dans le taxi.

Elle fit le voyage serrée entre sa sœur et la portière, ballottée dans tous les sens. Pour éviter la foule du petit matin, le taxi et les deux autres qui suivaient passaient par les rues étroites et peu fréquentées d’Illumis. Sur le siège passager de devant, Rachel, hystérique, bombardait les trois journalistes assis à l’arrière d’informations et d’instructions. Mais avec le tapage du moteur et le choc des pneus sur les pavés de la rue, il était très difficile pour Violette de comprendre ce qu’elle disait. Elle comprit seulement qu’on avait appris que l’incident s’était déclaré à 7h57 ce matin (et voyant qu’il était 8h09, elle avait glissé deux mots au chauffeur que Violette devina être une demande d’accélérer encore) ; que le champion d’arène d’Illumis était déjà sur place ; et que sa photo devait retranscrire toute la brutalité de la scène et montrer l’ampleur des dégâts. Rachel avait précisé dégâts « matériels », « Pokémon » et « Humains » et Violette pria de toutes ses forces pour qu’ils ne soient que matériels.

Ils arrivèrent bientôt. Ils étaient sortis d’Illumis et le paysage gris de la ville avait laissé place à la couleur argile du désert. Violette eut grand mal à ouvrir la portière tant les rafales de vent étaient violentes. Le vent faisait se soulever de grands nuages de poussières. Elle se protégea la tête dans son coude, si bien qu’elle ne vit pas tout de suite l’état dans lequel était la centrale solaire de Kalos en contrebas. Voyant qu’Alexia n’avançait pas, elle leva la tête à son tour. Son cœur se serra dans sa poitrine, encore plus qu’il ne l’était déjà. Sans l’épais volume de fumée noire, la couleur ardente des flammes et le trou béant laissé au sommet de la tour, on aurait pu aisément faire l’analogie entre la centrale solaire et la ville de Kalos. Une tour blanche se dressait vers le ciel, au milieu de cercles concentriques d’une couleur grisâtre. En plissant des yeux, Violette reconnut des milliers de panneaux solaires, qui s’apparentaient aux buildings entourant la tour prismatique. Mais la comparaison s’arrêtait là. Des camions par dizaines de la couleur du Centre Pokémon étaient disposés aléatoirement à l’entrée de la centrale. Des ambulances similaires étaient également postées tout autour. Au bon vouloir des rafales de vent, on pouvait entendre des hurlements, sans qu’il fût possible de déterminer s’il s’agissait d’Humains ou de Pokémon.

- Violette… s’exprima une voix douce mais ferme. N’oublie pas de faire ton travail.

La voix de sa sœur lui apparut lointaine. Violette cligna des yeux, comme si elle espérait se réveiller d’un mauvais rêve bien au chaud sous sa couette. Avec un effort considérable, elle décrocha son regard de ce qui restait de la centrale, empoigna son appareil photo, et s’efforça de contenir ses tremblements alors qu’elle le pointait dans la direction du drame. Clic - Le tintement caractéristique de l’appareil retentit. D’habitude, ce bruit évoquait quelque chose d’agréable, d’amusant et même de poétique dans l’esprit de Violette. Un doux bruissement d’ailes de Papilusion. Celui-ci avait résonné froidement dans les entrailles de Violette, comme le claquement de la mâchoire d’un Ptéra cruel et sanguinaire. Elle se demanda avec horreur si elle était préparée à cela. Si elle était préparée à devoir assister à tous les drames et tempêtes de la Terre, son appareil photo à la main. Si elle avait la force de chercher le meilleur cadrage et la meilleure luminosité dans un moment où la vie de Pokémon et de personnes était en jeux.

Violette s’avança avec l’équipe de l’Edition de Kalos tandis qu’elle s’efforçait de reprendre contenance. Du coin de l’œil, elle vit que d’autres équipes étaient également sur les lieux. D’autres presses écrites concurrentes mais également des équipes de télévisions et de radio. Tous ces gens étaient entassés à l’entrée d’une petite porte semblant sortir de nulle part gardée par un petit groupe de personne en uniforme bleu. La Police de Kalos. Rachel continuait d’hurler des choses que Violette n’entendait pas. Elle la vit s’avancer dans la foule, le bras levé haut, brandissant une sorte de badge et parler aux personnes en bleu. Puis revenir vers eux, avant de leur faire signe d’approcher. Sans vraiment se rendre compte de ce qui se passait dans cette ambiance confuse, elle se retrouva de l’autre côté de la porte. Elle vit à peine les deux énormes Mackogneur qui les encerclaient. Elle se rendit à peine compte qu’elle avait laissé son doigt sur la gâchette de l’appareil photo, et que celui-ci produisait des cliquetis sonores répétés. Elle marchait sans vraiment savoir où elle allait. La tempête de poussière avait cessé. Les sons stridents des ambulances paraissaient lointains. Ils avançaient dans un boyau obscur, vaguement éclairé par quelques Lugulabre et Mélancolux portant chacun une étrange combinaison du même bleu que les uniformes des humains. Il lui semblait que des gens courraient dans ce tunnel sombre. Mais elle ne pouvait pas les voir tant sa sœur se tenait près d’elle à sa gauche.

Un rugissement.

C’était comme si Violette avait reçu une claque en pleine figure. Elle se réveilla enfin de sa stupeur. Ce rugissement, qui continuait de se répercuter en écho sur les murs, était terrifiant. C’était celui d’un Pokémon qui souffre. Un Pokémon qu’on torture.

Lorsqu’enfin elle arriva au bout de ce tunnel, malgré la distance qui la séparait du hall où se déroulait le drame (une vingtaine de mètres), elle le vit. L’Igualta, les paupières étroitement fermées, toutes écailles dehors, semblait se débattre contre une force invisible. Celui-là était d’une taille impressionnante. Il devait facilement atteindre deux mètres. Un flot d’étincelles scintillantes parcouraient son corps de la tête aux pieds. Il projetait dans des directions aléatoires des éclairs qui fracassaient encore un peu plus l’équilibre précaire de ce qui restait de la tour. Le haut de la tour s’était tout à fait écroulé à présent, emporté par le vent, et s’était écrasé quelques mètres plus loin. Le soleil de plomb éclairait complètement ce qu’il restait du rez-de-chaussée. Ses épais rayons se matérialisaient dans les amas de poussière que le reptile à collerette produisait en se cognant dans les divers monticules de gravas et d’éboulis. Violette pouvait presque ressentir la douleur du Pokémon jusque dans ses propres entrailles.

Une nouvelle gerbe d’étincelle fusa dans sa direction, et elle se retrouva projetée derrière un des rares murs encore debout par le Mackogneur à sa gauche. Soudain, elle prit conscience de son environnement. Les gens qui couraient étaient ceux qui secouraient les Humains et Pokémon blessés. Les secouristes humains et Pokémon se lançaient à corps perdus dans ce qui était devenu une arène mortelle pour essayer d’extirper les employés de la centrale coincés sous les décombres, en proie à la folie de l’Igualta. Et à la vue de l’état dans laquelle se trouvait le bâtiment, certains d’entre eux étaient probablement déjà morts.

Toujours à l’abri, elle vit passer une brigade d’Hommes et de Pokémon en uniforme bleu. Une femme un peu replète accompagnée d’un majestueux et puissant Arcanin hurlait des ordres à ses Hommes en couvrant difficilement le tapage provoqué par le reptile fou. Violette put néanmoins comprendre les mots « Encercler » ; « Attaquer » ; « Maîtriser ».
Elle vit la brigade se déployer rapidement autour de l’Igualta. Elle vit les Hommes donner des ordres à leurs Pokémon. Elle vit les attaques feu, eau, électrique, psy, de toutes les couleurs viser le Pokémon déjà torturé. Elle le vit recevoir les attaques de toute part. Elle ne pouvait plus détacher les yeux de ce massacre. La douleur qui lui transperçait le ventre était devenue indescriptible. Le Pokémon allait mourir. Sous ses yeux. Elle le voyait se ratatiner un peu plus sur lui-même. Il se recroquevillait… se recroquevillait…
Puis l’atmosphère éclata. Une vague d’énergie secoua toute la pièce, faisant trembler les murs à la manière d’un tremblement de terre. Elle ressentit toute sa puissance, même de là où elle se trouvait. Le Pokémon aveugle, soumis à un trop plein d’énergie, était à l’origine de cette explosion. Il n’était pas mort. Elle n’était pas sûre de pouvoir en dire autant de la brigade de Police.

Alors qu’elle reprenait difficilement ses esprits, elle aperçut une tache écarlate sur le sol, minuscule, ridicule, au milieu du vaste plancher détruit. Elle reconnut l’Arcanin, qui était étendu par terre, à moitié enseveli sous les décombres, tel une vulgaire poupée de chiffon. Elle vit la femme replète qui avait donné l’ordre d’attaquer. Elle la vit serrer son Pokémon dans ses bras. Elle vit ses petits bras courts, si faibles, étreindre le cou de son Pokémon, comme si elle essayait de le remettre debout. Elle refusait de l’abandonner là. Tous deux paraissaient si frêles, si fragiles.

Puis soudain, quelqu’un attrapa brusquement le bras de Violette :

- Tu l’as eu ?? Tu l’as pris ?

De quoi Rachel lui parlait-elle ? Elle n’en avait aucune idée. Elle ne réfléchissait plus, ne pensait plus. Elle s’élança au-dessus du mur qui avait fini par s’écrouler. Surement les aurait-il ensevelis, elle et les autres, si le Mackogneur n’était pas intervenu. Quelqu’un la retint par la taille. Elle sut tout de suite que c’était sa sœur. Elle l’entendit hurler son prénom. Mais à ce moment-là, plus rien n’avait plus d’importance dans l’esprit de Violette que de venir en aide à cette femme et à son Pokémon. Arakdo, son petit Pokémon chétif sortit de sa Pokeball sans même qu’elle eut besoin de l’appeler.

- Arakdo, utilise Toile Gluante !!

Et elle pointa son doigt dans la direction du Arcanin. Mais Arakdo n’avait pas besoin qu’on lui explique. A la seconde où un éclair perdu allait porter son coup fatal, la Toile Gluante du Arakdo atteignit sa cible, et la femme fut loin projetée en arrière. Le mouvement de recul n’était pas assez puissant pour permettre de déplacer l’Arcanin, mais Violette avait compris que si le Pokémon n’était pas rentré dans sa Pokeball, c’est certainement qu’il n’était plus de ce monde.

Elle prit alors conscience de sa propre situation. A découvert, elle était à la merci de n’importe quel éclair perdu ou éboulement. La peur soudaine qui lui inonda la poitrine la paralysait sur place.

Sans qu’elle ne sût trop comment, elle se retrouva propulsé vers la droite, sentant un éclair la frôler de près.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle ne vit qu’une grosse touffe de poils blonds.
Comment avait-elle atterri dans la fourrure d’un Wattouat ? Elle prit appui sur ce qu’elle crut être le sol avant de se rendre compte que le sol criait.

- Ouïe !!

Elle retira alors précipitamment ses mains, n’osant plus faire le moindre geste. Le sol se souleva alors, elle retomba en arrière sur les fesses. Et il se trouva que le « sol » était en fait un garçon couvert de poussière, et que la fourrure du Wattouat était en fait les cheveux du même garçon. Il se gratta l’arrière de la tête en regardant une Violette stupéfaite :

- Désolé. Mon Méga-Bras-Mécanique-Super-Articulé fait un peu des siennes en ce moment.

- P-pas grave, bredouilla maladroitement Violette, toujours les fesses par terre.

Cette fois-ci, elle fut sûre que le garçon était plus jeune qu’elle malgré la poussière qui lui recouvrait le visage et la combinaison bleue qu’il portait. Sous sa tignasse jaune, d’épaisses lunettes rondes recouvraient la moitié de son visage. A cause du reflet de la lumière du soleil, leur surface était parcourue d’un éclat blanc, si bien qu’on ne pouvait discerner ses yeux.

- Bon alors, je pense que tu vas solutionner notre problème, et sauver ce pauvre Igualta par la même occasion. La Toile Gluante de ton Arakdo (il jeta un coup d’œil à la petite araignée bleue qui était venue se loger sur les genoux de Violette) Elle va permettre à Igualta de calmer sa douleur.

- A-ah bon ?

Il lui fit signe de s’accroupir à côté de lui. Violette risqua un regard au-dessus de l’encadrement de la fenêtre brisée. La scène était toujours terrible. Cette fois-ci, plus personne n’essayait d’assener de coups à l’Igualta. Des gens et des Pokémon se pressaient pour venir au secours de la brigade vaincue. Avec un pincement au cœur, elle aperçut le corps sans vie du Arcanin, et pria pour que sa dresseuse soit en sécurité.

- Bon alors, reprit la voix déterminée du garçon aux cheveux jaunes à côté d’elle. Igualta a perdu le contrôle de lui-même lorsque le générateur dont il avait la supervision a explosé ce matin. Une brèche s’est ouverte dans l’Est de la tour. Cela fait des mois, si ce n’est des années qu’Igualta ne s’est pas retrouvé en contact direct avec la lumière du soleil. Naturellement, sa collerette s’est ouverte ce qui a représenté un surplus d’énergie qu’il n’arrive pas du tout à gérer. Il est en train de s’épuiser, et les attaques lancées par la Police ne l’aide pas à se calmer. S’ils m’avaient écouté un peu plus…

Une étincelle blanche traversa de nouveau ses verres de lunettes. Il reprit la parole :

- Il faut absolument couper le contact du soleil avec Igualta. Et pour ça, je pense que ton Arakdo pourrait faire l’affaire. Mes Pokémon à moi n’ont pas ce genre de capacités.

Violette ne répondit pas. Elle était complétement dépassée par les évènements. Le garçon se tourna vers elle, et elle put pour la première fois se rendre compte de la couleur de ses yeux à travers ses lunettes. Ils étaient d’un bleu électrique, et on pouvait y lire une détermination et un sang-froid sans égal.

- Si nous n’essayons pas, Igualta et des centaines d’autres Pokémon et Humains vont y laisser la vie.

- D’accord.

Il lui adressa un petit sourire.

- Je t’explique le plan. Arakdo est un Pokémon rapide. Demande-lui de jeter une Toile Gluante à tout ce qui tient encore debout. L’objectif est de fabriquer une sorte de toile d’araignée au-dessus de nous pour protéger Igualta du soleil.

- Arakdo est du type eau, il ne résistera pas à une attaque d’Igualta…

- Mon Emolga viendra en assistance. Il pourra constituer un mur de protection avec sa capacité Mur Lumière.

Ce plan paraissait risqué à Violette. Mais elle n’avait pas le choix. Elle sentait l’araignée bleue trembler d’impatience et d’envie d’en découdre sur son épaule. La vie d’Igualta était en jeu. Elle acquiesça d’un hochement de tête, et le garçon sourit de nouveau.

- Au fait, repris le garçon, qui es-tu ?

Poser une question aussi futile dans un moment aussi grave la désarçonna.

- Euuuh… Je… Je suis Photographe-rep…

- Photographe ?

Sa propre réponse la foudroya sur place. Elle prit conscience de l’appareil photo qui pendait inutilement autour de son cou.

- Que fais-tu là alors ? Tu m’as l’air de savoir te battre, je pensais au moins que tu étais dresseuse !

Violette n’eut pas le temps de réfléchir davantage à la question. Un nouveau fraqua retentit. Igualta venait de percuter de pleins fouet le maigre reste de la tour, et la lumière du soleil sembla tomber sur lui comme une cascade d’eau bouillante. Si elle n’agissait pas très vite, il n’y aurait plus assez de fondation pour fabriquer la toile géante.

- Aradko, grimpe et utilise Toile Gluante !!

Le petit Pokémon s’exécuta. Il prit appui sur le maigre reste d’un pilier et un filet blanc fusa en direction opposée. La substance gluante s’accrocha à ce qui semblait être les restes d’un escalier en métal et Arakdo bondit en arrière pour venir se reposer délicatement sur un autre pan de mur. Un premier filet opaque était posé. Dans le même temps, l’Emolga, voletait au-dessous, lançant des Mur Lumière presque invisible dont on ne devinait la présence qu’à cause d’un léger scintillement irisé.
Arakdo reproduisait silencieusement la même opération. Les éclairs que projetait malgré lui l’Igualta aveugle ne parvenait pas endommager les fils qui s’étiraient, se déformaient mais ne rompaient point. L’araignée bleue voltigeait courageusement entre les éclairs fous. Par deux fois, une étincelle l’atteignit. Mais l’attaque était affaiblie par les Mur Lumière, et la vitesse qu’avait pris le petit Pokémon en utilisant la capacité Hâte lui évitait d’être touché de plein fouet. Il était si rapide qu’il était presque impossible de l’apercevoir. Violette, cependant, n’avait aucun mal à savoir où il se trouvait.

Bientôt, le squelette de la toile était fait, mais cela ne suffisait pas à affaiblir suffisamment les rayons brulants.

- Arakdo, passe au-dessus et finit le travail !

L’instant d’après, une fine couche opaque de Toile Gluante fut projetée par le haut, et vint combler les vides, s’appuyant sur la toile déjà posée. Petit à petit, la pièce tombait dans l’obscurité. Quelques rugissements de la bête résonnèrent encore. Puis plus rien. Juste un bruit sourd sur le sol. Igualta s’était tout à coup effondré, parcouru de mouvements convulsifs. Il y eu un silence.

- Enfermez-le ! Hurla alors une voix.

Mais le garçon aux grosses lunettes blanches fut plus rapide. Violette le vit s’avancer de deux pas, une télécommande à la main. Un bras télescopique surgit de l’énorme masse blanche qui lui servait de sac à dos. Au bout du bras une étrange boule pourvue de trois doigts semblait tenir une petite balle rose. De son pouce, le garçon actionna une manette de sa télécommande vers l’avant. Dans le même temps, le bras télescopique décrivit un large mouvement, se pliant puis se dépliant, et alors que le garçon basculait en avant, entrainé par la force du bras infernal, la petite boule rose vint rebondir sur le corps toujours étendu du reptile à collerette. Elle sembla l’aspirer tout entier, et retomba sur le sol. La ball remua une fois. Deux fois. Trois fois. Et émit un son similaire à celui du déclencheur d’un appareil photo. Celui-ci résonna dans la pièce où régnait désormais un silence presque oppressant. Il venait de capturer l’Igualta. Et certainement de lui sauver la vie.

***
Violette l’apprit un peu plus tard, ce « garçon aux cheveux jaunes » n’était autre que Lem, le jeune champion de l’arène d’Illumis. En effet, à la radio, on ne parlait plus que de la façon dont Lem avait lancé une Soin Ball pour capturer le Pokémon fou qui avait détruit la centrale solaire de Kalos. Ils parlaient également du mystère de la « couverture en toile » qui avait calmé l’Igualta. Les journalistes se disaient impatients de pouvoir interviewer Lem, qui s’était de son côté précipité au Centre Pokémon en face de la Tour Prismatique. Le nombre de victimes n’était pas encore connu, mais tout le monde s’attendait à ce que le bilan soit lourd. Violette ne put en entendre davantage, car le taxi venait de s’arrêter en face des bureaux de l’Edition d’Illumis.

A ce moment-là, elle aurait tout donné pour rentrer à la maison, poser la tête sur son oreiller bien douillet, et dormir pendant au moins une semaine. Mais son souhait ne fut pas exaucé.

Elle se trouvait maintenant debout, à l’entrée du bâtiment. Tous les journalistes étaient occupés à marteler frénétiquement leurs claviers pour que l’article paraisse dès le lendemain. Alexia aussi semblait concentrée à sa tâche. Mais Violette sentait chaque regard en biais que sa sœur jetait dans sa direction et qui venait lui brûler la nuque. Violette, elle, était perdue dans la contemplation de ses chaussures. La voix scandalisée de Rachel se répercutait dans chaque recoin de la pièce :

- Tu es donc en train de m’expliquer…

Elle prit une grande inspiration, comme si elle s’apprêtait à révéler la mort du dieu des Pokémon.

- Que tu n’as pas été foutue…

Formuler ces mots semblait lui faire mal

- De prendre une photo du Igualta, comme je te l’avais demandé ???

Violette n’eut pas la force de répéter encore une fois. Mais son absence de réponse constituait comme un aveu.

- Mais à quoi t’a donc servi ton foutu appareil lorsque nous étions là-bas, hein ?? Tu n’as vraiment ZERO…. AUCUN cliché ???

Violette se racla douloureusement la gorge, irritée par l’inhalation de poussière. Mais sa voix n’en ressortit que plus rauque.

- J-j’ai quelques… quelques photos de… de certaines… choses.

La voix de Rachel se fit douloureusement ironique. Presque sadique.

- Des photos de « choses ». Voyez-vous ça.

Elle explosa d’un rire sans joie.

- Eh bien ma petite. Va me développer les « choses » dans le studio de tirage. Et après, nous verrons si je te laisse encore le droit de fouler ce carrelage !!

Violette s’en fut, sans demander son reste. Comme elle s’y attendait, le tirage fut catastrophique. Mise à part la photo du Skitty qu’elle avait croisé en chemin sur la Route 4 (mais qui n’avait bien sur aucun intérêt pour l’article) et le plan large, mal cadré de la centrale au loin, les clichés se résumaient à une succession d’images floues et sombres qu’elle avait accidentellement prises dans l’entrée de la centrale. Rachel passa les photographies en revue, dépitée. Elle se laissa aller à une nouvelle vague de colère :

- C’est un désastre ! Demain, que se passera-t-il à ton avis, lorsque que les lecteurs habitués à l’Edition d’Illumis trouveront un article non illustré ?? Ils feuillèteront le journal d’à côté, celui où l’Igualta incontrôlable apparaît en première page. Et puis le lendemain, quand ils reviendront, ils auront retenu que notre journal était incomplet, et nous aurons perdu notre prestige et notre clientèle. Tu es beaucoup trop jeune et irresponsable pour travailler chez nous, j’aurais dû l’anticiper. C’est un dé-sastre ! répéta-t-elle en séparant bien chaque syllabe.

Une vague glacée submergea Violette tout entière. Elle sentit que Rachel allait se remettre à hurler, jusqu’à qu’une voix claire et posée retentit à l’arrière de la pièce sombre.

- Si je peux me permettre… J’ai peut-être une solution pour parer à cette bavure

Rachel se retourna précipitamment, avide. Elle semblait prête à tout pour rattraper ce cauchemar.

- Je ne voudrais pas vous contrarier davantage, continua Kaï de sa voix mielleuse. Après avoir admirablement bien effectué les photographies pour la Confiserie comme vous me l’aviez demandé, j’ai décidé de me rendre sur le lieu des évènements. Je me suis dit que vous auriez peut-être besoin de renforts…

Il baissa la tête, comme s’il s’attendait à ce que Rachel s’énerve contre lui pour lui avoir désobéi. C’était un bon comédien, mais le rictus qui persistait au coin de sa lèvre ne mentait pas.

- J’ai donc quelques clichés qui devraient vous intéresser…

Rachel se précipita à sa rencontre.

- C’est… C’est parfait !! s’écria Rachel en jetant un coup d’œil rapide à la pellicule. Merci Kaï, tu me sauves la vie. J’ai encore beaucoup de travail, je te laisse les développer.

Elle sembla se diriger vers la sortie avant de se retourner précipitamment.

- Violette, tu vas aider Kaï, nous n’avons plus beaucoup de temps. Ne me déçois pas cette fois.

Elle réfléchit le temps d’une seconde, presque à bout de souffle :

- A moins que tu sois capable de me dégoter le scoop du siècle dans les prochains jours, je ne veux plus te voir ici Violette. Tu peux t’estimer heureuse que Kaï ait été là pour corriger ta bêtise.

Et elle repartit en coup de vent, claquant la porte derrière elle.

Complètement sonnée, déboussolée, Violette s’assit sur la chaise la plus proche. Mille pensées se bousculaient dans sa tête, elle n’y voyait plus très clair, et ce n’était pas dû à l’obscurité ambiante du studio de tirage.

- Tiens, ça va te faire du bien.

Kaï déposa une tasse de café devant elle. Elle le remercia d’un signe de tête.

- Je suis virée… marmonna Violette comme pour essayer de s’en convaincre.

Elle avait échoué. Elle était de nouveau la petite fille irresponsable, volage, capricieuse qui était incapable de faire quelque chose de sa vie. Elle l’avait toujours été. Alexia avait raison… Sa sœur devait avoir honte d’elle. Elle l’avait bien senti tout à l’heure. Elle l’avait toujours senti plus ou moins.

- Tu n’es pas encore virée je crois, objecta Kaï.

- « Le scoop du siècle ». C’est vrai qu’on trouve ça à chaque coin de rue, ironisa-t-elle d’un ton amer.

Kaï s’activa pour développer la pellicule.
Si c’étaient les derniers moments qu’elle devait passer dans ces locaux, autant se rendre utile. Elle se leva donc, et rejoignit Kaï pour l’aider. Au bout d’un moment, Kaï se stoppa dans ses gestes :

- J’ai peut-être le « scoop » qu’il te faut.

Violette leva la tête vers lui, sans vraiment y croire.

- Pendant mon tour de la région, on m’a parlé d’un lieu… Une légende en fait, que personne n’a été capable de cartographier.

Voyant qu’il avait capté l’attention de Violette il poursuivit.

- Il s’agirait d’une sorte d’asile, comme un refuge pour les Pokémon insectes. Ceux qui s’y sont trouvés par hasard évoquent des édifices de l’ampleur d’une cathédrale. Ça m’a beaucoup intrigué, mais peu de temps après je suis tombé sur l’annonce de l’Edition d’Illumis, alors…

Violette connaissait beaucoup de contes et légendes sur sa région, mais elle n’avait jamais entendu parler d’une telle histoire.

- Où as-tu entendu parler de ça ?

Elle oublia momentanément ses idées noires, piquée au vif par la curiosité.

- C’était lors de ma visite au Palais Chaydeuvre.

Violette ne s’y était jamais rendue. Le prix d’entrée de ce palais, à l’Ouest d’Illumis était réputé pour être hors de prix.

- Enfin bon, reprit Kaï, tu ferais peut-être mieux d’oublier ce que je viens de te dire, de toute façon, personne n’a jamais été capable de retrouver ce lieu par lui-même.

Il adressa un sourire navré à Violette.

Pendant le reste du temps qu’elle passa à finir le développement des photographies, elle réfléchit à ce que Kaï venait de lui dire.
Un lieu dont personne n’avait jamais retrouvé la trace, servant de refuge aux Pokémon insectes, et aussi majestueux et photogénique qu’une cathédrale ? Il lui semblait que ça faisait beaucoup de points communs avec ses passions. Après tout, il ne lui coûtait rien d’essayer. Ce n’était pas à se morfondre sur son sort dans son lit qu’elle aurait une chance de retrouver un poste à l’Edition d’Illumis.

***
En quittant les locaux ce soir-là, tard dans la soirée, elle se résolut à partir dès le lendemain, à sept heures précises. Ainsi, elle aurait le temps d’atteindre Fort-Vanitas avant midi. Elle pourrait se rendre au Château dans l’après-midi (en espérant que le prix d’entrée ne dépasse pas le montant de ses économies).

- Tu aurais pu te faire tuer.

Violette avait presque oublié la présence d’Alexia sur le chemin vers Neuvartault.

- De toute évidence, ça n’a pas été le cas. Répondit-elle d’un ton léger, reboostée par ses nouvelles résolutions.

- Violette, je suis sérieuse !

Elle se stoppa dans sa marche, obligeant Violette à faire de même et à se retourner.

- Je te répète ce que je t’ai dit il y a deux ans. Tu n’as AUCUNE idée de ce qu’implique le métier de journaliste.

Le cœur de Violette manqua un battement. Elle sentit une colère âcre lui remonter dans l’estomac.

- Tu ne crois pas que Rachel m’a suffisamment fait comprendre que j’étais incompétente et stupide ! Je n’ai pas besoin que tu en rajoutes, merci bien !

- Je ne parle pas de ça Violette.

Alexia prit une grande inspiration.

- Un journaliste, ce n’est pas un policier, ou un preux chevalier, ou encore un hér…

- Quoi, tu aurais préféré que je laisse mourir cette femme et son Arcanin ? Tu aurais voulu que je laisse l’Igualta se tuer ou se faire tuer, et par la même occasion, tuer tout le monde… TE TUER ??

Pour la première fois de la journée, les sanglots menaçaient de submerger Violette. Tout ce qu’elle avait vécu aujourd’hui, toutes les émotions qu’elle avait refoulées jusqu’ici, la peur, la détresse, l’horreur, l’injustice, ressurgirent face à Alexia.

- Comme d’habitude, tu as agi sur un coup de tête. Aujourd’hui, tu as perdu ton poste, mais tu aurais pu perdre beaucoup plus !!

Alexia ne pleurait pas, mais avait les joues rougies par l’émotion.

- Je n’ai pas encore perdu mon poste, chuchota Violette.

- Qu’est-ce que tu as dit ?

Mais Violette ne répéta pas, tourna les talons, et poursuivit son chemin.

Elle ne vit pas l’unique larme s’écouler doucement sur la joue déjà rougie de sa sœur ainée.