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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 30/06/2020 à 19:20
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:03

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 3 : Mouvements
Gorbak recula d’un pas et planta son épée dans le sable, en faisant de son mieux pour ne pas la laisser glisser. Elle avait beau ne rien trancher, elle pouvait facilement lui briser un os si elle tombait sur son pied.

En face, le lancier se détendit, s’appuyant négligemment sur son arme dont il planta aussi le talon dans le sable. Il y avait une touche de déception dans son regard, mais mince. Depuis le début de ce combat, il n’avait pas réussi à exploiter ces pauses une seule fois, et il était maintenant trop fatigué pour garder espoir.

Le Guerrier s’essuya soigneusement les mains dans son habit, avant d’essuyer la poignée de l’épée elle-même. C’était une épée de Guerrier des Sables : une lame large et sans tranchant, à la garde ornée d’un œil immobile et de deux rubans noirs qui tenaient un bouclier d’Acier circulaire. Tout l’arme était faite d’Acier, le même Acier qu’on ne trouvait que dans le désert. Mais contrairement aux Regs d’Acier, cette épée ne chauffait pas. Le soleil déjà vif de cette fin de matinée n’avait pas le moindre effet sur sa garde, qui restait glaciale.

Néanmoins, l’épée restait lourde, terriblement lourde. Gorbak avait besoin de ses deux mains pour la manier, et elles suaient toute l’eau de son corps dans l’affaire ; ce qui rendait régulièrement la poignée glissante.

Il termina de l’essuyer et la reprit en mains. Une arme aussi lourde n’était pas adaptée à un combat d’entraînement : elle épuisait son porteur comme son adversaire. Si Gorbak ne portait qu’une petite dizaine des cinquante krammes de l’épée, le lancier, lui, en subissait le poids entier — il était forcé d’esquiver. Sa lance se serait brisée au moindre choc trop affirmé, et le bois était trop précieux pour être gaspillé.

Cela ne faisait donc qu’une dizaine de nutes, peut-être un quart d’heure, que le Guerrier et le garde du village se battaient, et ils ne tiendraient pas beaucoup plus longtemps. Mais le vieil homme se sentait d’essayer une dernière passe d’armes ; son adversaire la méritait bien. Ce simple garde de village — comme s’appelait-il, déjà, Kilin ? — maniait sa lance avec une sacrée habileté. C’était un plaisir d’avoir un tel adversaire.

Gorbak lança sa lame vers le haut, d’un mouvement mobilisant tout son corps ; le lancier se contenta de reculer pour l’esquiver, tout en revenant en position de combat. Son adversaire s’y attendait : il poursuivit son mouvement et laissa l’épée retomber, forçant Kilin à se décaler d’un bond.

Au passage, un coup de lance tenta de passer par-dessus la garde du Guerrier et de l’atteindre à la tête, talon en avant. Il se laissa retomber plus bas que prévu, décalant une jambe dans la direction prise par son adversaire ; d’un large mouvement du bassin, il changea de jambe d’appui et décrivit une courbe mortelle avec l’épée.

Le garde ne put esquiver autrement qu’en se jetant au sol, plus ou moins derrière Gorbak ; le temps que ce dernier arrête son mouvement et fasse demi-tour, le lancier l’attaquait par-dessous.

Le talon de sa lance rencontra un des bords de l’épée ramené à la hâte : elle ne se brisa pas cette fois non plus, mais fut déviée sans rien pouvoir faire. Gorbak récupéra et amplifia ce mouvement maladroit, pour projeter sa lame vers l’avant une fois de plus — ses mouvements étaient assez limités.

Là encore le garde se jeta au sol, en poursuivant le mouvement de sa lance ; il se releva d’une roulade, mais tituba en la terminant, et dut appuyer sa lance au sol pour retrouver son équilibre. Gorbak, de son côté, sentait la lourde lame tenter de lui échapper : elle ne glissait pas encore contre sa paume, mais un filet de sueur coulait du dos de sa main droite entre ses doigts, et plus il changerait de position, plus il perdrait de prise sur le manche.

« Bon, grommela-t-il. On arrête là ? »

Ce n’était pas vraiment une question, la décision s’imposait. Le lancier acquiesça, soulagé que cet exercice complexe soit finalement terminé. Il ne répondit pas ; son souffle rauque ne laissait pas penser que sa gorge puisse produire autre chose qu’un croassement. Sa voix n’appartenait pas au désert.

Ils se quittèrent donc sans un mot de plus, juste un salut rapide. Kilin partit sans doute se reposer quelque part ; Gorbak, lui, décida d’aller se poster dans l’arbre tout proche, et de contempler le désert. Il ne le faisait plus aussi souvent qu’autrefois, mais il n’était tout de même pas si vieux : il pouvait tout à fait espérer vivre dix ans de plus. Autant pouvoir en passer encore quelques-uns en pouvant grimper dans cet arbre.

Il ne lui fallut que quelques pas pour atteindre les premières excroissances de l’arbre. Elles s’écartaient de lui de plusieurs mètres, facilitant ainsi son escalade : Gorbak gagna plus que sa propre hauteur en se contentant de marcher sur cette échelle naturelle et inclinée.

Mais à partir du tronc proprement dit, il fallait escalader. Heureusement, l’écorce de l’arbre était large et craquelée, offrant nombre d’excellentes prises. Le Guerrier pouvait aisément glisser sa main entière dans les interstices, et prendre des appuis solides sur ses pieds ; la vraie difficulté était que les prises étaient écartées, demandant une certaine souplesse. Et puis l’épée qu’il avait raccrochée dans son dos lui pesait, encore — mais la force, il l’avait.

Il s’éleva donc, prise après prise, mètre après mètre, grimaçant plus à cause de l’inconfort des positions que l’arbre le forçait à prendre qu’à cause de son propre poids. Il y était habitué, à force de passer des journées entières agrippé à un Démon des Sables.

Le tronc d’une vingtaine de mètre finit par laisser la place à une profusion de branches. La progression n’était pas plus facile, mais le plus gros du chemin était fait ; bientôt Gorbak atteignit la cime de l’Arbre à contes, à une trentaine de mètres au-dessus des tentes. Les guetteurs ne montaient pas aussi haut : ils cheminaient sur les branches elles-mêmes, pour sortir du large plateau de feuilles et avoir un semblant de vue des environs du village. Il fallait donc quatre guetteurs, à chaque heure du jour. Pas négligeable, pour un village de quelques centaines d’habitants.

De là où il était, Gorbak voyait loin. Les dunes étalaient leurs ombres et leurs versants dorés aussi loin que portait l’œil, se confondant dans le lointain comme une brume pâle ; et au-dessus d’elles, le ciel étalait un bleu aveuglant, uniforme, tout autour du fourneau solaire. C’était un paysage calme, simple, agréable. Le Guerrier appréciait cette sérénité.

Le désert était un peu à l’image de ses Arbres à contes. Simple en apparence, plus paternel qu’à première vue, mortel de mille façons.

Il n’y avait aucun prédateur en vue, mais cela ne voulait rien dire. Le ciel protégeait efficacement tous les prédateurs, que ce soient les Phénix, les Noir-Bec ou même les Ailes d’Acier et leur plumage éclatant, qui réfléchissait la lumière tout autour d’eux. Dans le ciel, il fallait plisser les yeux pour voir quoi que ce soit, même à courte distance.

Et sur le sable, les limites changeantes des dunes jouaient des tours à l’œil, tout comme le vent qui envoyait voler le sable parfois à plusieurs mètres de hauteur. Difficile de voir un mouvement dans cette immensité et d’en être certain.

Gorbak se contentait de laisser son œil errer, sans chercher à comprendre ce qu’il voyait. De se remplir de cette immensité de vide, de tout ce qu’elle pouvait abriter dans ses recoins hors de vue.

Comme l’arbre, comme les Arbres. Ils apportaient une touche de verdure rare, qui semblait difficilement à sa place ; mais en se concentrant sur leur taille énorme, visible à des kètres et des kètres à la ronde, on passait totalement à côté de ce qui les rendait vraiment majestueux. Tout ce qu’ils cachaient en sous-sol.

Le désert abritait bien des espèces. Parmi les plus redoutées, les Tortues-Plateau, ou Torterra, ou Graines de Contes... Dommage que tous les noms de ces êtres soient bien trouvés, alors que d’autres n’en avaient aucun de remarquable.

Les Tortues-Plateau étaient complètement autonomes : elles pouvaient se nourrir de sable et de lumière, et se contenter de la rosée pour leur eau. Ce qui ne les empêchaient pas d’interagir avec d’autres créatures du désert : leurs semblables tout d’abord, mais aussi les quelques monstres qui se sentaient assez redoutables pour les chasser. Certains l’étaient à juste titre ; tous devaient se méfier. Les troupeaux de Tortues-Plateau étaient pacifiques, mais capables de manger eux-mêmes les cadavres de leurs prédateurs.

Pour un tel troupeau, pouvoir se déplacer à une vitesse suffisante était important : ils arpentaient continuellement le désert et ne s’arrêtaient que pour quelques jours. Or ces esprits du désert ne cessaient jamais de grandir, de s’alourdir, et de ralentir. Parfois, les plus vieux faisaient donc le choix de passer à une autre forme d’existence. Ils s’enterraient.

Là, dans le sable, ils se figeaient. Leur arbre dorsal grandissait dans des proportions prodigieuses, et leur corps avec lui, donnant naissance à ces veines qui jaillissaient du sol ; et à l’opposé, leurs pattes se voyaient prolongées par des réseaux de racines qui, dans le désert, ne craignaient pas de descendre à des kètres de profondeur.

En surface, un arbre somme toute modeste. En profondeur, une montagne de graisse entourée d’une muraille d’écorce impénétrable même pour toute une meute de Chiens des Enfers ; d’ailleurs, quiconque déterrait un de ces titans végétaux se retrouvait vite infesté de graines aux racines fouisseuses, capable de vider un corps de son sang en une poignée de nutes.

Ce n’était pas étonnant si l’arbre était au centre des villages. Il offrait une ombre bienvenue, du bois pour compléter l’os de Lapin-Sapeur, des sucs permettant entre autres nombreux usages d’entretenir un troupeau de Rocs-Oreille et donc de Lapins… Alors c’était autour de lui qu’on mangeait, qu’on se mariait, qu’on disait des contes, qu’on pleurait les morts ; c’était entre ses racines qu’on les enterrait, pour les confier aux bons soins de ses graines et ainsi leur offrir une deuxième vie, végétale.

Contempler le désert et le ciel enflammés par le soleil qui approchait de son zénith, au sommet d’un tel colosse tranquille, apaisait toujours le vieux Guerrier. Il ouvrit les yeux, sans se rappeler les avoir fermés. Il inspira profondément, remplissant ses yeux d’une nouvelle rasade de vide. La fatigue due à l’escalade et au combat qui l’avait précédée était déjà oubliée.

Il y avait quelque chose, un peu sur sa droite. Il plissa les yeux sans conviction ; un nuage, une tempête peut-être ? C’était trop petit. Sans doute un Démon, qui sautait de dune en dune. S’il venait vers le village, le Guerrier descendrait de son perchoir. Il n’y fit pas attention.

Quelques nutes plus tard, un remue-ménage inhabituel se fit dans l’arbre. Ce n’était pas le vent, pourtant enjoué à cette altitude : c’était plus localisé, plus confus, et surtout beaucoup trop soudain et brutal.

Dans un froufroutement de feuilles tourmentées et de branches repoussées, le Démon de Gorbak émergea du feuillage en ayant l’air de se retenir de le déchiqueter. Il savait, bien sûr, que l’arbre se défendrait, et brutalement ; aussitôt qu’une griffe ou un croc arracherait le moindre fragment d’écorce, l’Arbre à contes se servirait de ses nombreuses feuilles comme autant de projectiles étonnamment tranchants, et ses graines redoutables sortiraient de nulle part pour venir se planter aux endroits les plus inattendus.

Gorbak tendit la main, par habitude, pour gratouiller la tête rugueuse de son compagnon de route. Ce dernier ne réagit pas, pointant le désert du museau en grognant d’un air peu engageant. Son Guerrier suivit son regard tout droit vers ce mouvement de sable, dans le désert. L’autre dragon approchait bien du village.

« Hum, grogna Gorbak. Je te ramène en bas. »

Peine perdue ; avant que le Guerrier n’ait pu attraper son épée, le Démon était retourné sous les feuilles et commençait à remonter une branche de son pas pataud. Gorbak ne prit pas la peine de le suivre ; il avait l’air de bien apprécier cette acrobatie.

Il posa la main sur le manche qui dépassait de son épaule. Faire le vide. Aucune pensée parasite. Voir, comme s’il y était, un point précis des dunes autour du village.

L’épée se saisit de la destination de Gorbak dans son esprit, et l’entraîna au cœur d’un voile d’ombres impénétrables, sifflant violemment à ses oreilles. Pendant un instant, il ne fut plus assis sur la plus haute branche de l’Arbre à contes ni nulle part dans Yspèri. Cela ne dura pas et il réapparut rapidement dans le sable, en haut de la dune qui lui faisait face.

Juste à temps pour voir son Démon arriver au bout de sa branche et sans une seule gonde d’hésitation, sauter.

Il s’écrasa une vingtaine de mètres plus bas, la tête la première. Son corps fusiforme s’enfonça sous le sable en projetant une large gerbe autour de lui. Sans doute le contrôle incompréhensible qu’il exerçait sur ce sable l’y aida-t-il. En tout cas, quand sa tête émergea, il n’avait pas la moindre séquelle. Même les deux appendices en amande qui la flanquaient de part et d’autre et qu’on appelait marteaux-bourgeons, pourtant d’apparence si gracile, étaient intacts.

Gorbak soupira. Son Démon ne changerait jamais : toujours partant pour une aventure inutilement risquée et spectaculaire. Mais telle était la nature des Démons des Sables.

En voyant son maître au sommet de la dune, le monstre décida de le rejoindre et d’attendre avec lui, plutôt que de partir à la rencontre de son congénère. Après tout, ça pouvait être un sauvage ; dans ce cas-là, autant avoir le soutien de l’Humain et de son épée. S’il y avait bien une chose que le Démon ne ferait pas de bon cœur, c’était se battre contre un de ses semblables. Eux seuls pouvaient rivaliser avec lui.

Ils attendirent. Ensemble, en première ligne pour défendre Yspèri si ce visiteur était hostile. Comme devaient l’être un Guerrier et son Démon.

***
Margar se douta que quelque chose d’inhabituel était sur le point de se passer quand elle vit le crachacrok s’acharner à grimper sur cet Arbre à contes, avec force grognements. Il n’avait pas des pattes très adaptées, et ses jambes étaient bien trop courtes ; il devait donc y aller presque exclusivement à la force des bras. Ceci dit, leur force était légendaire, et ses longues griffes lui assuraient une prise très décente.

Elle resta attentive, et en fut vite récompensée. Peu après, le Guerrier des Sables apparut au flanc de la dune la plus proche de la tente dont elle recousait le rabat. Il sembla glisser sur le côté, comme s’il avait toujours été là. Cette téléportation était flippante ; en plus, rien de ce que savait Margar ne l’expliquait. Les pokémons brisaient la plupart des lois de la nature sans la moindre forme de scrupule. Et cela faisait plus que la déranger : cela alimentait ses pires ennemis, les doutes.

Un instant plus tard, elle eut un frisson en voyant le carchacrok faire le saut de l’ange et transpercer le flanc de la dune comme un boulet de canon, avec une onde de choc qu’elle sentit de là où elle était. Il émergea du sable tout content, comme s’il faisait des chutes de vingt mètres tous les jours au réveil : c’était à se demander si ce truc était indestructible.

Lui et son maître se postèrent en haut de la dune, attendant quelqu’un ou quelque chose. Il y avait quelque chose d’assez sinistre à voir ces deux silhouettes, l’une trop sombre et l’autre trop mate, au milieu des couleurs éclatantes du désert.

Elle retourna à sa couture. Elle avait presque fini ; elle pourrait probablement se rapprocher d’eux avant qu’ils ne reçoivent leur visite. En faisant ça de manière naturelle, bien sûr. Être prudente n’empêchait pas d’être indiscrète.

Elle ne tarda pas à être récompensée. Un autre Guerrier des Sables émergea au sommet de la dune, juché sur son propre dragon. Et elle était à une distance assez proche pour peut-être saisir quelques paroles au vent, avec un peu de chance.

La discussion ne dura guère, mais elle lui sembla s’éterniser pendant des heures. Elle ne grapilla que quelques bribes, trop vagues pour être comprises. C’était frustrant, mais…

Gorbak invita l’autre à le rejoindre sous sa tente, dans le village. Eux et leurs deux carchacroks, qui se regardaient par en-dessous, passèrent juste à côté de Margar sans même lui accorder un regard. C’était une forme d’erreur de leur part, mais tant pis pour eux.

Elle passa sa langue sur le fil de ses dents, deux ou trois fois, pour reprendre contenance. Ce n’était pas tous les jours qu’on se retrouvait sous le nez d’un de ces prédateurs impitoyables. Mais… Il lui semblait avoir entendu, dans la discussion des deux Guerriers parler de laboratoire. Elle pouvait se tromper. Mais cela avait suffi à lui faire perdre contenance.

Laboratoire. Autrement dit, la phrase complète ressemblait sans doute à « il y a un laboratoire non loin, aide-moi à l’attaquer », ce qui aurait mobilisé à peu près tous les mots qu’un Guerrier était capable de prononcer en un jour. Cela embêtait Margar. Ce laboratoire, elle n’y avait jamais mis les pieds, mais son petit frère y travaillait.

Elle ne savait pas ce qu’il faisait là, et elle ne voulait pas le savoir. Il lui avait proposé de le rejoindre, quand il avait été embauché, mais elle avait refusé. Ce n’était pas en accord avec sa prudence maladive.

Et pourtant, elle comprenait qu’il ait accepté. Rechercher… Un mot aux accents enivrant, aux doubles-sens fascinants. Le rêve de tous les enfants comme eux, qui avaient appris la lecture, l’écriture et le calcul dans la solitude du désert. Faire progresser la science. Devenir scientifique, et non simplement scientiste. Sortir de douze millénaires de stagnation. Un véritable pied-de-nez à l’Ordre des Sables, avec peu de chances d’être jamais découvert !

Cela aurait presque tenté Margar. C’était l’employeur, qui ne lui plaisait pas. Une ancienne Guerrière des Sables, déchue de son rang… Que ferait-elle des découvertes faites dans ses labos ? Autant éviter de l’imaginer.

Et puis il y avait tout cet aspect de travail secret, de théories souterraines bâties par de gens qui n’avaient pas l’expérience des démonstrations. Cette vision-là, elle n’était pas d’accord avec. Elle aurait bien plus aimé rendre ses lettres de noblesse à la science ; former une génération de scientifiques, les laisser retrouver toutes les démonstrations perdues pour se faire les dents, et ensuite seulement reprendre les recherches.

C’était aussi le point de vue du Sèmèrès. L’organisation n’avait plus de tête pensante depuis presque aussi longtemps qu’elle existait, mais elle avait pris la précaution de définir sa ligne d’action à sa création.

Le Sèmèrès. Certains l’appelaient une secte, d’autres un fléau. On le traquait, on tentait de l’extirper du désert ; en vain jusqu’alors. Margar n’avait jamais rencontré que trois autres membres de l’organisation : ses parents et son frère. Une patrie bien maigre par rapport à tous les ennuis qu’elle pouvait apporter.

Et pourtant Margar se sentait liée au Sèmèrès, profondément. Bien plus, certainement, que les Guerriers des Sables n’étaient liés au désert. Le Sèmèrès, c’était la transmission de la science ou plus précisément des résultats qu’elle avait obtenus avant le Grand Cataclysme. Cette catastrophe même que l’Alchimiste avait contée la veille au soir.

Margar savait la différence entre réflexion et réfraction. Elle savait calculer une matrice, elle connaissait les fonctions de la plupart des organes de son corps, elle pouvait prévoir les mouvements des planètes et des étoiles. Mais elle n’aurait rien pu démontrer ; elle avait simplement appris par cœur tous les théorèmes que ses parents lui avaient présentés. Eux-mêmes les tenaient de leurs parents, de leurs grands-parents, une ligne de connaissances ininterrompue qui remontait jusqu’à l’âge d’or de l’Humanité. Et pour cela, l’Ordre des Sables voulait sa mort.

Aujourd’hui, elle échapperait certainement à ces Guerriers mystiques, à leurs montures meurtrières et à leurs épées possédées. Parfaites métaphores de l’obscurantisme… Mais son frère, lui, ne… elle ferait mieux de l’oublier.

Le Sèmèrès allait perdre un membre aujourd’hui, probablement plusieurs. Mais ce ne serait pas la première fois. D’autres survivraient, et comme chacun connaissait l’ensemble de l’édifice scientifique, il suffisait d’un seul scientiste pour tout reconstruire.

Margar sécha la larme qui avait perlé au coin de son œil, avant qu’elle ne rejoigne le sable.