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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 15/02/2016 à 07:56
» Dernière mise à jour le 07/07/2018 à 14:58

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 25 : Les pions sont en place sur l'échiquier...
Quelques dernières braises s'éteignirent à l'horizon, marquant la fin d'un affrontement sanglant, d'une orgie violacée, écorchée de rose et de safran. Le couché de soleil s'était éternisé... une mort lente. Morte aussi, la chaleur infernale qui les avait lacérés, brûlés tout le jour durant, lumière incandescente frappant avec brutalité leur peau et leurs prunelles humides. Depuis l'est lointain la nuit étreignait le désert. Et l'air bouillonnant se dissipait dans l'immensité aride, s'élevant, peu à peu—les abandonnant au froid sec, aux ombres des dunes.

Au creux de l'obscurité s’élevaient les rumeurs de la faune qui s’éveillait une fois le soleil vaincu. Les petits cris des Tutafeh. Les grincements des Maraccachi. Des coulées brusques de sable retraçaient leurs pas hasardeux, des éclats jaillissant d'un vallon éloigné témoignaient d'un combat, de la violence du désert. Seul s'endormait un petit campement perdu au milieu des dunes, comme à rebours du temps. Les trois fines tentes plantées dans le sable coulant luisaient d'un blanc léger sous la fraîcheur de la lune. Tout était immobile...

... tout ? Non ! Une petite silhouette résistait encore vaillamment au sommeil, perchée sur la crête soyeuse d'une dune. Ses boucles reflétaient gracieusement la lueur des étoiles, ondoyant sous la brise du désert, au détour d'un soupir.

Elsa tenait un petit carnet entre ses doigts élancés, ses yeux parcourant la fine calligraphie qu'elle y avait laissé. Elle caressait doucement les pages blanches de l'index quand elle retrouvait un passage qui lui plaisait, et souriait franchement. Parfois, elle se frottait les yeux mais, désireuse d'oublier sa fatigue pour écrire encore, elle reprenait sa plume et noircissait de nouvelles lignes... quand sa vision se brouillait jusqu'à faire saigner les lettres d'encre, elle relevait le visage, et contemplait le paysage nocturne. Un grand vide se creusait autour de son corps et dans son esprit. L'adolescente se sentait... apaisée.

L'écriture était un moyen de se retrouver. Devant le cahier tous ses sentiments devenaient légitimes, et elle s'acceptait avec sérénité.

La préface du carnet vert débutait ainsi : « Nous sommes le 31 Juin, et Artie, le Champion de Volucité, m'a offert un carnet pour m'exprimer, alors je le remplirai... »

— Yosh.

Elsa sursauta, refermant avec brutalité son carnet et le ramenant précipitamment à sa poitrine. Elle se tordit pour mieux détailler Élin, qui grimpait la dune à quatre pattes, les cheveux en bataille et seulement vêtue de son pyjama. Dans sa main droite, qu'elle posait avec précaution contre le sol, la gamine tenait un Pokédex.

— Fais attention ! la conseilla vivement Elsa, se penchant vers elle. Des grains de sables pourraient rentrer dedans et ça l’enrayerait !
— Ah bon ? s'étonna la dresseuse, levant l'engin pour le scruter sous tous les angles. Mince...

Fronçant les sourcils, elle l'alluma, sa frimousse cernée s'auréolant soudain d'une lueur bleutée. Le halo donnait à ses mèches blondes la couleur d'une pomme, et Elsa sourit, trouvant la ressemblance avec un Pokémon Plante frappant. Il n'y avait qu'Élin pour ressembler autant aux créatures magiques qui enchantaient leur quotidien.

— Ça va... énonça lentement la dresseuse, appuyant sur de multiples boutons. Il a pas l'air cassé.

Puis, elle retint un bâillement, se frottant les yeux comme Elsa auparavant. Cette dernière, constatant la fatigue de la plus jeune, lui lança un regard perplexe.

— Pourquoi es-tu debout si tard ? Je croyais que tu avais envie de dormir.
— Ah... réfléchit Élin, se frottant la nuque. En fait, moi aussi je le croyais... puis je suis retombée sur cet engin de malheur—elle désigna le Pokédex d'un air courroucé—et il m'a comme ensorcelée. J'ai revu trois fois mon match de cette aprem' avec Syd, alors même que j'ai gagné ! Je comprends vraiment pas pourquoi je me tracasse…

À cet aveu, la blonde s'installa aux côtés d'Elsa. Ses yeux s'écarquillèrent en contemplant pour la première fois le paysage nocturne, l'étendue d'ombres et d'argent. L'adolescente relâcha un souffle émerveillé, qui se cristallisa un instant dans l'air froid. Ensemble, les jeunes filles frissonnèrent.

— ... tu peux m'interroger sur les Attaques des Pokémon de Syd ? lui demanda Élin d'une toute petite voix.
— ... je croyais que tu refusais d'apprendre les Capacités de tes Pokémon, sans parler du reste des espèces... hasarda Elsa, avec douceur, et incertitude.
— Les temps changent, répliqua d'un ton neutre Élin. Et moi je grandis... ce voyage...

Et elle désigna l'ensemble du désert, toutes les crêtes blanches comme de l'écume qui ondoyaient jusqu'à l'horizon ténébreuse ; elle désigna la lune et les étoiles qui les dardaient de leurs aiguilles éthérées ; elle se désigna, et elle désigna Elsa. Son regard noir, ses pupilles dilatées coulèrent vers le camp, Syd et Mélis endormis. Le spectre d'Oscar se dessina entre leurs deux figures, tout aussi éphémères que leur souffle gelé. Elles avaient changé. Plus que le froid, ce constat les glaça, mais aussitôt elles sourirent, se recroquevillant pour plus de chaleur. N'était-ce pas un bonheur, d'évoluer ?

— J'ai fait des erreurs, admit Élin.
— Tu les regrettes ?
— Oui.

Un silence plana.

— Et toi Elsa, est-ce que tu regrettes de d'être trompée ?
— Est-ce que je me suis déjà trompée ?
— Je ne sais pas. On fait tous des bourdes, non ? On s'prend des gamelles, ou des gifles...
— Non, je ne regrette rien.

Elle se sentait sereine, apaisée. Malgré sa solitude de la semaine, sa rancœur. Elle considérait son amie, la gamine encore tâtonnante, avec bienveillance. Et les yeux d'Élin ne fuyaient pas, affrontant le regard métallique de l'aînée.

— Tu ne devrais pas regretter tes erreurs, lui conseilla Elsa, ses prunelles s'aiguisant. On a tous le droit de se gameller, comme tu dis, et tant pis si on prend des gifles.
— Peut-être... souffla Élin. Peut-être que c'est comme ça, pour toi. Mais moi... je suis toujours emportée, et je dis des choses que je ne pense pas pour faire rire, ou alors, je ne réfléchis pas et je blesse les autres.
— Beaucoup de gens s’emportent. Tout le monde est blessant, parfois.

Lui souriant, Élin se laissa choir sur le sable doux, et fixa son regard sur la lune, ses prunelles obscures semblant se liquéfier sous les rayons d'argent.

— Mais Elsa, j'arrive pas à tout lâcher. Je regrette d'avoir fugué pour voyager, je regrette, de m'être imposée dans le voyage de Bianca, de vous avoir forcé à affronter les Plasmas deux fois… et d'avoir parlé et défié Syd quand il ne voulait pas. J'aurais dû lui laisser du temps. Moi je veux toujours tout faire, moi je n'aime pas le temps...
— Pourtant si tu n'avais pas fugué, tu serais malheureuse avec un père qui ne parle pas, et si tu ne t'étais pas imposée, jamais nous ne nous serions rencontrés. Elsa ne la regardait pas, elle traçait le contour de son carnet d'un index tendu, tendu comme l'esprit dont s'échappaient les mots de la nuit. Élin, si tu n'avais pas poussé, tiré sur Syd, si tu n'avais pas insisté, si tu ne l'avais pas forcé, il ne serait jamais sorti de sa carapace.

L'aînée se tourna avec force vers la gamine, son corps tout entier se tordant, avec colère, avec une intensité fulgurante.

— Tu penses que faire la martyre va t'avancer à quelque chose ? N'apprends pas les Attaques de tes Pokémon puisque ce n'est pas ton style, tu es naïve et spontanée, tu n'as besoin de plaire à personne !

On cherchait trop à plaire aux autres, tous le temps. Elsa cherchait aussi à plaire, à sa faire aimer, à donner plus, à prendre moins de place, pour enfin se faire des amis. C'était son cancer.
Mais la fureur se perdit dans le silence du désert, dissipé comme de la chaleur. Il ne resta qu'un froid stérile. Élin fixait toujours le ciel, sans bouger, pour une fois muette.

— Je suis désolée de t'avoir exclue cette semaine... Syd m'a dit qu'on avait été négligents...
— Et tu n'étais pas capable de t'en rendre compte seule ? fit la brune, tranchante.
— ... sur ce point-là, vous vous ressemblez plus que moi. Vous réfléchissez plus. Moi je suis mes envies.

Elles se regardèrent. Et Elsa haussa les épaules, leurs soucis semblant insignifiants face au désert.

— Excuses acceptées. Nous avons encore du temps à passer ensemble dans le désert... Nous allons sans doute trouver le Château Enfoui... En ce moment, une scientifique très reconnue y fait des fouilles—Oryse...
— ... Ah, oui... souffla la blonde, pensive. Je crois que je l'ai vue une fois...

Elsa ne dit rien, tentant de maîtriser un élan de jalousie. Oryse était son idole—depuis qu'Elsa était toute petite, elle rêvait de rencontrer cette femme, de l'observer travailler. Dire qu'Élin connaissait tous ces gens... sans mesurer sa chance...

— Les ruines enfouies sont le cœur des légendes d'Unys... dit-elle plutôt. On dit qu'un peuple ancien, les Gijinkas, y vivaient il y a des millénaires. Ce peuple a enfanté d'un des Champions qui a unifié Unys, l'élu du Réel.
— ... je ne connais pas cette histoire, murmura Élin, trifouillant son Pokédex.
— Non ? répondit Elsa, fronçant les sourcils. Pourtant, tous les livres d'enfants d'Unys racontent leur histoire...
— Peut-être...
— L'élu du galet blanc, ça ne te dit vraiment rien ?

Élin prit un air sombre.

— Je te l'ai déjà dit, mon père ne parle pas, alors me lire des histoires...

Elsa fut brutalement ramenée un mois plus tôt : au Pokéwood, au bal donné en leur honneur... et ce souvenir heureux la fit sursauter.
Elle secoua de la tête pour dissiper les embruns surannés de leur voyage.

— En tout cas, souffla-t-elle, j'espère que nous allons pouvoir explorer ce château... Je rêve de le voir depuis toute petite...
— Y a des Pokémon rares là-bas ? s'enthousiasma Élin.
— Ah non, vous n'allez pas encore me lâcher pour vous entraîner tous les deux... soupira Elsa. Il y a d'autres choses à faire dans le château que de taper sur des Tutafeh, c'est un haut lieu d'archéologie, un lieu chargé d'histoire, on peut encore voir des fresques et des gravures anciennes sur les murs...

Élin lui fit la moue, peu convaincue.

— T'es juste jalouse de nous, finit-elle par lâcher, tirant la langue.

Elsa tressaillit. Elle voulut attraper le poignet de la gamine, mais celle-ci s'était déjà éloigné, glissa le long de la dune, déchirant le sable en vagues soyeuses. Au fond de la vallée le campement l'attendait.

— Pas du tout ! s'écria Elsa après la figure fuyante, confuse et embêtée.

Elle se redressa et courut jusqu'au bord de la dune, silhouette se découpant contre le désert d'argent.

— Élin, tu m'entends ? C'est puéril, ce que tu dis !
— Lalala lalaaaa ! rétorqua Élin, sa voix lointaine. Je n'écoute pas les mots d'une jalouse !

Dans la nuit et dans le froid, les mots de la blonde résonnèrent longuement après son départ. Arrachant des frissons, creusant les incertitudes. Était-elle jalouse ? Non... elle refusait d'être jalouse de ses amis...
Élin et ses certitudes aveugles vivaient dans un monde d'enfant.


(Le retour de Rixi)

L’aube.

Un soleil pâle sur un ciel blanc. Un grand vent de l’Est qui se lève depuis la mer et bat le sable froid du désert. Un océan d’ondes obscures, aux senteurs de nuit. L’infini.

Rixi avait quitté Parsemille depuis un mois déjà. Il sillonnait les Routes de sa région, accompagné de ses Pokémon. Le jeune homme avait douloureusement appris à relâcher sa colère, relâcher sa peur. Il avait su dès le début qu’aimer San serait une entreprise longue, difficile, et effrayante. Après tout, comment s’établir avec une femme aux yeux de sang, une femme qui s’en va des semaines entières ? Une femme qui s’évapore…

… il avait su.

Il avait visité. D’abord le Bois des Illusions, lieu de leur rencontre. Il s’était fondu dans la brume aux senteurs de pin, avait escaladé la cascade cristalline et bravé ses morsures glacées. Puis il s’était rendu au Pont de l’Inconnu, cette jetée froide et déserte ; à l’Autel Abondance, l’appelant parmi la végétation exotique et les Pokémon méfiants… Mais dans ces lieux sacrés et mystérieux, Rixi ne l’avait pas trouvée. L’aura millénaire qui marquait ces lieux lui rappelait cruellement sa figure émaciée, les légendes qu’elle lui contait à mis-mots les bons jours. Mais sa chair semblait avoir fui les lieux…

Finalement, il avait échoué à Entrelasque, découragé et purulent de rancœur. Il avait écumé la petite bourgade, furieux de ne pas trouver de Centre Pokémon—et la nuit tombée, le silence avait recouvert de son voile obscur les ruelles de pierre. Une vieille femme l’avait enjoint, paniquée, de trouver refuge chez elle—selon elle, un monstre rodait à Entrelasque et dévorait tous les impudents encore debout. L’aînée lui avait paru folle. Et la situation lui avait arraché un rire, des larmes—bercé par les flammes de l’âtre, il avait évidé ses entrailles et sa rancœur, lui contant toute son histoire. Comme un nuage hirsute et menaçant, il avait déversé la pluie drue récoltée au long de son voyage. Une fois la tempête éclatée, il s’en était retrouvé apaisé.

La vieille femme l’avait cru. Elle l’avait considéré, gravement. Puis elle avait partagé avec son esprit fiévreux une histoire de famille qui, selon elle, remontaient à plusieurs générations déjà. Un de ses arrière-grand-oncles avait quitté Entrelasque en quête d’aventure. Il était descendu jusqu’au Désert Délassant, résistant à la rage des tempêtes, à la tristesse des dunes sans fin. Et au creux de la nuit, où la chaleur s’apaise et le sable même se fige, une étrange créature l’avait attaqué, souriant de ses dents effilées. L’oncle avait appelé ses Pokémon, paniqué, se dégageant avec peine de ce qu’il comprit était une femme… Mais elle avait fui sans appeler une de ces propres créatures. Et cette femme avait les yeux rouges.

« Comme ta San, fils. »

Bien évidemment, l’aînée lui avait déconseillé de poursuivre San—selon elle, un être qui possédait les iris du sang ne pouvait qu’être maléfique, servant de Darkrai ou de Giratina. Peut-être même était-ce une Zoroark déguisée en humain, se nourrissant de la croyance qu’on prêtait à ses illusions. Mais Rixi ne l’avait pas écouté.

Le lendemain, il l’avait remerciée et avait quitté les pierres d’Entrelasque. Une semaine s’était écoulée sans qu’il n’arrête de marcher, se reposant à peine la nuit, effrayant les dresseurs qu’il croisait. Et il était arrivé aux prémices du désert, limite marquée par d’immenses chantiers, squelettes noirs, poussiéreux, abandonnés par les humains… la Route 4 était ravagée par une guerre des gangs. Les loubards et motards s’étaient faits maîtres des lieux depuis des années.

Rixi les avait évités avec peine, cœur battant, très conscient du fait qu’il n’était pas bon dresseur. Il s’était enfoncé dans le sable et l’azur, remerciant Arceus que ses Pokémon connaissent des Attaques de Type Eau. Aucun humain ne pouvait s’enfoncer dans le désert et espérer survivre sans posséder une source stable.

Rixi avait rapidement découvert ce qu’était la vraie chaleur, aride, écrasant. Assez violente pour l’assommer de maux de têtes, ravageant sa carcasse décharnée.
Il avait rapidement découvert ce qu’était le soleil, le mauvais œil, boule de feu et de mort. Assez violent pour brûler le sable, écorcher sa peau de zébrures rouges, à vif.

Il comprenait mieux pourquoi ses Pokémon refusaient de sortir de leurs Pokéball—lui aussi aurait aimé en avoir une…

Mais le pire venait la nuit tombée. Car en entrant dans le désert, l’on prévoyait de faire face à la chaleur et au soleil… mais l’on n’anticipait souvent pas la froideur des nuits. Le crépuscule venant, l’air qui avait écorché Rixi tout le jour durant s’élevait brutalement, ne laissant que le regard glacé de la lune. Et, pourvu d’un simple sac de couchage, il tremblait, suait, luttait contre des haut-le-cœur.

Mais l’aube était venue.

Le soleil pâle était paru dans le ciel blanc. Le grand vent de l’Est qui s’était levé depuis la mer, et avait battu le sable froid du désert. Rixi s’était remis à marcher, au creux d’un océan d’ondes obscures, aux senteurs de nuit. Perché sur une crête soyeuse, lavée de soleil, il avait contemplé l’infini…

Et après quelques heures de marche, les dunes avaient commencé à s’aplanir, les vents ne balayant qu’une immense plaine de sable. L’horizon était devenu plate, tranchante, divisant de sa lame éthérée l’azur et l’or. Au loin avait grossi, lentement, au fil de sa marche hasardeuse, un immense tertre aux rondeurs imposantes. Rixi avait consulté sa carte, n’en croyant pas ses yeux.

Une tempête se levait derrière lui, ouragan de sable acéré, sombre masse, hirsute de nuit. Il ne l’avait pas remarquée.
Car enfin, il était arrivé.
Le Château Enfoui.


(Le retour des MystèreBall)
Ailleurs, le soleil ne s’était pas encore levé.

Une sonnerie déchira brusquement le silence ouaté de la chambre, et Tcheren se redressa, en sueur. Quelques secondes s’écoulèrent urgemment au rythme du chant strident, avant qu’il ne comprenne que le bruit infernal ne venait pas de son réveil. Alors son cœur se serra, il se jeta vers sa commode, attrapa l’engin—le numéro de la penthouse de White à Vaguelone !

Son cœur bondit, il se passa une main dans les cheveux, fébrile, attrapant ses lunettes pour confirmer ce qu’il n’osait croire—oui c’était bien ça ! Ses orteils se crispèrent sur le parquet ciré, il serra la douce chemise de son pyjama, dont les replis cachaient encore la chaleur du sommeil.

Comme sur un coup de tête il décrocha.

— W-WHITE ? claqua sa voix en un espoir suraigu.
— Pourquoi tu m’as pas parlé des MystèreBall ? éclata un timbre furieux.

Encore une fois, Tcheren mit quelques secondes à comprendre.
Il faut dire que son cerveau ralentissait la nuit.
Non, Tcheren n’était pas une créature nocturne.
Tiens, d’ailleurs, quelle heure était-il… ?

— Tcheren ? gronda de nouveau la personne à l’autre bout du fil. Et cette fois, il comprit finalement qui lui parlait : Bianca.
— O-Oui, répondit-il finalement. Eh bien…

Mais son esprit s’était entièrement vidé. En cherchant quelle réponse il pourrait bien donner à Bianca, le Champion ne rencontra qu’un mur blanc. Glacé.
(Si seulement White…
… mais White ne l’avait pas appelé. White ne l’appellerait jamais.)

— Quelle était ta question déjà ? s’enquit-il faiblement.
Il y eut un soupir agacé.
— Je te demandais, pourquoi tu ne m’avais pas parlé des MystèreBall.
— Ah, énonça-t-il. Oui.

Un silence pesa lourdement sur le fil de la communication. À vrai dire, il n’y avait pas de raison. Il avait même quelque peu oublié les Ball depuis l’affaire du Ferry… la recherche des Plasma s’était intensifiée, il avait dû se replonger dans l’étude de la Team pour y trouver un indice concernant la cachette de Ghetis… cependant, à chaque nouvel angle qu’il travaillait, il ne se heurtait qu’à du vide. Un mur blanc. Glacé.

— J’ai été emporté par le travail, soupira Tcheren, simplement.
Il sentait déjà la critique venir. Et il avait raison.
— T’es vraiment plus pareil, depuis que t’es Champion, grinça Bianca.
— C’est faux, siffla-t-il en retour, furieux qu’elle réveille de vieilles colères au beau milieu de la nuit.
— Ah oui ? souffla-t-elle, acide. Pourquoi tu ne nous as pas prévenu pour le Ferry, alors ? Pourquoi tu n’es pas venu ?

P-Pourquoi… ? Son esprit s’enrailla une seconde, sa mâchoire se contractant silencieusement. Puis tout redémarra. La journée fatale revint, sa décision de couvrir ses amis, la réaction conséquente d’Iris et les regards noirs d’Artie. Et Bianca osait lui dire qu’il n’avait rien fait pour eux ! C’était la remarque de trop !

— Je n’ai pas prévenu Iris de votre plan non plus, alors même que White m’avait appelé ! s’écria-t-il, vexé et furieux. Et ça fait des semaines que les Champions me suspectent de vous avoir aidé et qu’ils me mettent à l’écart, alors franchement, viens pas me donner des leçons sur qui aide qui !
— Ça va, répliqua une Bianca à peine gênée. Comment étais-je censée savoir ! Tu ne nous l’as même pas dit !
— Évidemment, je n’allais pas venir m’en vanter à votre porte, comme un Ponchiot battu qui en redemande, siffla Tcheren, mauvais.

Le silence s’éternisa, le même qui pesait sur leurs discussions depuis qu’il était Champion. Pourtant, si Tcheren avait les mains liées par sa fonction, et ne pouvait plus agir aux côtés de ses amis comme auparavant, ils avaient tort de douter de sa loyauté. Aucune information qui pourrait les compromettre n’était jamais tombée de ses lèvres.

— J’ai l’impression que la Team prévoit un plan de grande envergure, soupira finalement Bianca.

L’esprit calmé, acceptant cette réplique comme une tentative de paix, Tcheren vint s’asseoir sur le bord de son lit. Ses rideaux bleus se tordaient sous la lune, laissant filtrer les froides lueurs de la nuit. Une voiture pressée vrombit au loin.

— Comme une Trioxhydre… poursuivit son amie. La troisième morsure, c’est pour mutiler…
Tcheren sursauta.
— Artie a dit la même chose, après le Ferry.
— La première fois, ils cherchaient les Galets.
— La deuxième fois aussi.
— Mais la deuxième fois ils ont fait quelque chose en plus : ils ont fusionné Kyurem et Zekrom…

Tcheren n’évoqua pas Anto, ni le témoignage d’Élineera Hei. Iris avait classé ces informations dans la catégorie « sensible ». Le Champion serra les lèvres.

— La Team va sans doute se tenir tranquille pendant un moment, dit-il plus tôt, essayant d’être rassurant. Assez pour que nous regroupions nos forces. Ça a été son modus operandi les deux fois…
— Mais qu’est-ce qu’elle prépare entre les deux ? souffla Bianca, lasse. Je préfèrerais ne pas avoir de répit si cela voulait dire qu’elle n’a pas de plan.

Les murs semblèrent se pencher vers Tcheren, comprimant l’air de sa chambre. Les rideaux tremblèrent. Oppressé, le jeune homme se leva brusquement, s’accolant à la vitre gelée. Il ne pouvait pas voir l’école, d’ici. Mais il distinguait la ville entière, coulant dans une vallée sombre, ses boulevards et avenues éclairées d’or et d’ambre. Au loin, le belvédère en pierres massives… là où tout avait commencé, comme diraient quatre adolescents.

— Est-ce que White va mieux ? hasarda-t-il, le cœur battant.
Un silence plana. Puis il crut percevoir un sourire.
— Beaucoup mieux. On dirait qu’elle n’a jamais rien eu…

La lune les dominait, ronde et grosse, auréolée de ces étoiles uniquement visibles à la campagne. Il lui semblait voir une femme enceinte et généreuse, guide de ses semblables lointaines.

— Bon, les MystèreBall, dit Bianca.
— Les MystèreBall… soupira-t-il.
— Les MystèreBall… sa voix s’éteignit puis elle reprit : J’ai connu un expert de Pokéball à Kanto : Fargas. Si Aloé n’a rien vu, lui pourrait peut-être trouver leur origine ou leur utilité. Je… Tcheren, imagine si ces Ball sont importantes pour comprendre leur plan !
Le jeune homme déglutit.
— Je te les transfère demain.


(Tu peux courir, mais pas te cacher.)
L’inconfort le meurtrissait comme s’il dormait à même des graviers. Pulsait comme une vague de plaies mal ressoudées. Un éclat éphémère perça le coin de sa vision et s’écrasa au loin, scintillant tel un bijou ancien. Il tendit la main et attrapa la bague dorée comme une promesse, un sentiment de honte brouillant les traits de son corps—sans qu’il ne comprenne pourquoi. Il lui semblait qu’on refusait de le guérir de toutes les lésions bleuâtres qui marquaient son torse, alors qu’une simple pommade, ou de la tendresse, aurait suffi. Il ne méritait donc pas de compassion.

D’un coup le monde flou s’obscurcit. Le bijou qu’il tenait au creux de sa paume se ternit, se noircit, alors même qu’il le gardait collé à son cœur moite. Oxydé ! Une voix déterminée déchirait les ombres avec fougue; des mèches blondes lui apparurent, mais il recula, méfiant. Il serra son trésor de plus en plus fort, se coupant sur les courbes de l’or, la tâchant d’un bouillon… blanc. Ses yeux se gelèrent, irisés comme de la glace. L’éclat de la vague n’était plus vivace, cristal d’espoir; il avait pris la couleur de la rouille ou du sable… et s’effrita.

Brusquement il émergea, s’étouffant sur une goulée d’air glacé. Mais aussitôt s’était-il relevé que la fatigue le repris et, les yeux brouillés par les larmes, l’esprit encore submergé par son rêve, il s’écroula sur son sac de couchage.

Tout changea. Il se revit assis sur un océan d’herbe trempé, avouant qu’il avait des amis, qu’il aimait ses amis. Il se revit petit assis sur un banc, jouant aux cartes avec des gamins de l'école, sourcils froncés. Il vit Rosa dans l'ombre d'une salle-de-bain, jambes noires écartées, une crème blanche à la main. Il entendit Otis se moquer de lui parce qu’il n’arrivait pas à atteindre l’étagère où leur mère avait caché le chocolat. Il sentit le chocolat, par ses narines, l’odeur du cacao, dans ses mains, la pâte fondante. Tout changea. Il entendit papa lui demander de s’asseoir sur le canapé, et il s’entendit dire qu’il avait des devoirs, mais papa insista avec des yeux meurtris.

Tout changea. Il lâcha son jeu de cartes et les cartes irisées tombèrent dans un abysse, un abysse—blanc ? Le cri du train siffla comme une lame contre leurs tympans chauds et l’engin sur le départ gronda, étouffant sa sourde colère. L’acier glissa contre l’acier, emporté par des rails sans fin. Il cracha qu’elle s’en aille, ce n’était même plus sa sœur mais il se prit une claque. Les yeux électriques de sa tante le heurtèrent et il entendit « et va pas t’attirer des ennuis non plus ! » comme une claque. Le timbre clair claqua.

Son cœur s’emballa, ruisselant de malaise. Les yeux d’Aloé se fondirent en un bleu glacial, une voix suave le remercia pour sa corde sortie, ou alors c’était l’infirmière qui le remerciait pour ses croissants. Elsa lui murmura que c’était inestimable, de se souvenir de son prénom, et elle se transforma en perle. Enfin une fière clameur retentit et Élin lui cria « Je te défie ! », ses prunelles noires aussi profondes que celles d’un fauve, sa démarche agitée comme—son cœur résonna-raisonna contre le sien. Elle couru et se lança dans un salto fou, plongeant sur lui—

— Syd ? le secoua Elsa, ses prunelles s’étalant sur lui comme deux lagunes. C’est l’heure du petit-déjeuner…

Il se leva et s’avança au soleil. Un mal de crâne le vrillait déjà. Les yeux d'Elsa étaient soupçonneux.

La marche subséquente n’aida pas à améliorer son humeur noire. Les consignes d’Anto trottait dans son esprit : il avait beau essayer de penser à autre chose, elles lui faisaient face à chaque virage ou détour, scandant avec mépris Nord, Nord ! Est, Sud, Sud, Est !. En plus de cette chanson harassante revenaient les brumes de son rêve, dont l’adolescent ne retirait qu’un vague sentiment d’insatisfaction. Il se rappelait avoir tenu une bague puis… Élin était intervenue ? Comme d’habitude ! Et le bijou s’était effrité, n’est-ce pas…

Syd lança un regard courroucé à la blonde qui, débordant d’innocence, lui répondit par un coucou.

Rah ! Elle ne pouvait pas comprendre, cette idiote, elle ne pouvait même pas s’imaginer ce qu’il traversait ! La rancœur d’avoir perdu leur match de la veille se mêla à la fatigue du jour, à l’effroi causé par Anto. Anto qui savait où habitait sa famille, qui lui donnait des ordres… Ces sentiments, pareils à un venin poisseux, s’insinuèrent en chacune de ces pensées, les teintant d’une colère brûlante. Syd serra les poings et la mâchoire, tremblant de violence à peine contenue, et prit la tête du groupe avec fureur.

Elsa l’observa s’éloigner de son pas lourd, et arqua un sourcil. Le dresseur changeait... au début de leur voyage, jamais il n’aurait laissé filtrer ses émotions. Ce comportement l'inquiétait, et malgré les vexations de la semaine... elle désirait parler à son ami, voir s'il allait bien.

— Tu en sais beaucoup sur les Cryptéro ? s’enquit Mélis, qui traînait les pieds à ses côtés.

Le dresseur légendaire ne semblait pas avoir remarqué la colère de Syd, gardant un air étourdi plaqué sur sa figure. Elsa sursauta, se recentrant sur sa conversation avec l’adulte, dont son attention avait dérivé à la vue de son ami.

— Ah, euh—eh bien ce n’est pas un Pokémon que l’on a étudié en cours, mais il m’intéressait beaucoup, alors j’ai fait des recherches de mon côté.

Des souvenirs l’enlacèrent tendrement. Ses doigts qui effleuraient des légendes reliées, un vieux tome de cuir enluminé, perdu dans le froid silence de la bibliothèque. Cryptero et Elgylem. Le CDI qu’elle avait exploré en vain, fouillant les pâles étagères que caressait le crépuscule. Kaorine et Noctunoir. Les heures passées sur Internet, agrippée au mastodonte essoufflé de son père, à contempler des Seleroc et des Zarbi.

— C’est bien d’être curieuse, commenta Mélis tandis qu’ils gravissaient une nouvelle dune. Tout ce que tu étudies maintenant est précieux, car tu auras peu de temps pour l’apprendre plus tard.
— Hm. Peut-être, mais je pense que ma soif de connaissance ne disparaîtra jamais, alors… son regard se perdit sur les couleurs de Cryptero, qui flottait juste devant Syd. Je pense que je ferai du savoir mon métier.
— Belle ambition.

Ils atteignirent le haut de dune, grains de sable s’effrayant sous leurs semelles de caoutchouc. Perché sur la crête, un sentiment de vertige saisit le groupe. Le vertige de l’infini, du désert qui s’étendait au-delà de l’horizon, vagues d’or uniformes sous l’azur céleste. Quand se traîneraient-ils hors du désert ? Marcheraient-ils un jour assez loin… il leur semblait qu’ils ne faisaient que se perdre, ou tourner en rond. Dix jours qu’ils gravissaient des dunes…

— Hey, courage, on va y arriver ! lança Élin, avec un sourire réconfortant.

Ses prunelles s’écarquillèrent, et ses lèvres s’ouvrirent, la gamine comme saisit d’une illumination. Elle lâcha un rire malicieux et, tournant sur elle-même, leur révéla naïvement :

— On est les plus forts !
— Certainement, grinça Mélis, levant les yeux au ciel. Mais il ajouta plus posément : On peut surtout remercier notre guide Cryptéro.

Gris, ambrés, bleutés et noirs, tous les iris en présence se tournèrent vers le gardien antique, qui sembla presque rougir. Depuis les aurores, il traçait un sillon déterminé dans le désert, coupant dunes et vallons, n’hésitant pas plus qu’une machine bien huilée. Elsa espérait juste qu’il ne suivait pas sa patrouille habituelle, sinon il les faisait tourner en rond depuis cinq heures et le groupe mourrait de faim dans le désert—Amaryllis s’assurait peut-être qu’ils aient toujours assez d’eau, mais la nourriture se faisait rare !

— Sinon, et si on faisait une pauuuse… sourit mielleusement Mélis avec des étoiles dans les yeux.
Les regards se détournèrent du Cryptéro soulagé, et on fixa le dresseur d’un air consterné.
Non. répliqua Syd avec un ton patient, doux, pédagogique—du moins à ses yeux.

C’était la dixième fois que l’adulte les suppliait de s’arrêter en une heure, déjà que c’était agaçant, là ça devenait pathétique ! Il lança un regard à ses deux amies, en quête d’approbation, cependant Élin croisa les bras et secoua ses mèches blondes.

— Profitons-en pour nous affronter, j’en ai marre de trucider des Maracachi avec une simple Roue-de-Feu !

Peut-être était-ce les instructions d’Anto qui entraînaient son esprit en une boucle effrayée, ou le mal de crâne, ou la frustration d’avoir perdu la veille. Ou encore, les restes de son rêve désagréable. Mais Syd sentit la colère qu’il contenait péniblement depuis l’aube brûler de plus belle, fouetter l’enveloppe humide de sa chair, et exploser par sa mâchoire crispée :

— J’ai pas le temps de t’affronter ! De toute façon tout dans ta vie tourne autour du combat—grandis un peu, ça te fera peut-être pousser des neurones !

Furieux, il entama la descente de la dune d’un pas lourd, ruinant la crête fragile sur laquelle le groupe reposait. Cryptéro, confus, reprit avec inquiétude la tête du groupe, concluant que les humains souhaitaient poursuivre la Route. Mais Elsa et Mélis restèrent immobiles, observant Élin avec inquiétude. La première se sentait bouillonner face à l'attitude de Syd. Le dernier s’attendait à un caprice d'Élin, et un soupir fuyait déjà sa moue lassée.

À la grande surprise des deux, Élin ne fit que se tendre, fermer les yeux, et souffler un grand coup. Quand elle se tourna vers un, ce fut avec un sourire, qui les frappa de sa sincérité.

— Bon, on continue ?

Rapidement, la blonde sortit ses Pokémon : Baggy, Lucky, Hope. Le premier demanda immédiatement à rentrer, grognon, mais elle le força à marcher à ses côtés, clamant que s’aérer un peu lui ferait du bien. Quant aux chiens, ils s’amusèrent à se poursuivre malgré la chaleur et leur épaisse fourrure, affrontant avec l’aide d’Élin les Pokémon sauvages qu’ils rencontraient : Sabelette, Mascaiman, Maracachi. Baggy fini par se joindre à eux, apercevant un autre Baggiguane de loin et voulant asseoir sa supériorité. Qu’il ose encore montrer sa gueule alors que Sire Wesh passait, ‘çui là !

Elsa, à l’arrière du groupe, fixait Syd. Elle discutait toujours des légendes d’Unys avec Mélis, qui possédait une connaissance étonnamment profonde du sujet, mais elle n’arrivait pas à se concentrer sur la conversation. Son estomac se contractait, elle avait des palpitations. Elle ne comprenait pas ce qui lui prenait. Élin semblait trouver son comportement normal, mais pas elle. Syd...

— … et de même que l’existence d’un « Peuple de Reshiram » a été prouvée, on a trouvé les preuves qu’un « Peuple de Zekrom » aurait vécu aux alentours du Mont Renenvers…

Les répliques de Mélis se faisaient endormies à mesure que les minutes s’égrenaient, et le pas du dresseur ralentissait. Bientôt Elsa se retrouva seule, l’adulte titubant derrière elle, et l’adolescente mesura l’opportunité qu’on lui offrait—sans qu’elle ne le sache, Mélis avait remarqué son trouble et avait fait exprès de la laisser tranquille—.

C’était le moment. Hâtant son pas, jupe blanche virvoltant, Elsa rejoignit le dresseur. Elle sortit Amaryllis au dernier moment, prise d’un mauvais pressentiment, puis se jeta sur la dune que le dresseur en colère escaladait actuellement. Élin s’était perdue dans un vallon adjacent, combattant un Baggiguane sous le soleil fou. Sa cible ne l’avait pas encore remarqué, crispée, prisonnière de ses pensées. Elsa inspira.

— Syd.

Il se figea et elle le rattrapa en deux pas essoufflés. L’adolescent ne lui offrit qu’un profil fermé, et passé la surprise, se remit en marche, plus rapide qu’auparavant. Cependant Elsa avait des grandes jambes, et elle ne se laissa pas distancer. L’esquive puérile ne fit que l’agacer.

— Syd, qu'est-ce qui te prends ? Pourquoi tu te comportes si bizarrement ?

Il ne lui répondit pas. Ne fit que raidir son allure altière.
Ce geste eut le don de l’excéder, et elle lui attrape l'épaule, le forçant à se tourner vers elle, à l'entendre.

— Qu'est-ce que tu nous caches ?
Il plissa les yeux.
— Ton frère va mal ? souffla-t-elle.

Sous sa main, Syd se tendit encore davantage. Mais son visage resta de marbre. Il ne tiqua pas. Seules ses pupilles s'étrécirent, se réduisant à deux points noirs dans un bouillon ambré.

— Je ne sais pas, énonça-t-il lentement, la voix rauque. Mon téléphone portable ne capte rien dans le désert.

Il se dégagea de son emprise. Le cœur d'Elsa s'emballa et le monde se rétrécit. Dans le regard d'or du garçon elle voyait—elle voyait quelque chose de grave se profiler, une ombre noire—ne voulait-il rien lui dire ? N'était-elle pas son passé ?
Il se détachait d'elle, continuait sa route dans le désert, sa silhouette découpée contre le soleil.

Soudain, Élin, heurtée de plein fouet par l’Attaque d’un de ses propres Pokémon, s’échoua à ses pieds.

— Raaah pourquoi ça n’arrive qu’à moii… bava-t-elle, levant de grandes prunelles noires vers son amie.

Elsa ne l'aida pas à se relever. La blonde ne lui faisait pas confiance—Elsa ne pouvait pas lui demander conseil, lui répéter sa discussion avec Syd, car la blonde était enfermée de son monde de convictions enfantines.
Dans sa tête, ses peurs et ses émotions tourbillonnaient.
Que pouvait-elle faire ?


(Et ignorant ta fuite… le piège se referme.)
Oryse essaya une énième fois d’emprisonner sa toison violette en un chignon convenable. En s’enfonçant dans le Désert Délassant, elle n’avait pas anticipé que son épaisse crinière lui tiendrait aussi chaud ! Sous les mèches sombres, elle avait l’impression de cuir vapeur ! Tellement que la sueur formait un ragoût atroce entre ses omoplates, ruisselant le long de sa colonne vertébrale avant de tremper le bas de son dos… tout cela parce qu’elle n’avait pas pensé à acheter de bons chouchous ! Gnnn…

En réalité, Oryse répondait parfaitement au cliché de la scientifique distraite : quand elle était plongées dans ses recherches, elle ne pensait à plus grand chose d’autre. Tout juste se doucher de temps en temps—quand Mushi lui faisait savoir qu’elle puait—ou faire les courses—quand Muni l’attaquait pour manger, affamée—. Voilà pourquoi, entraînée par les découvertes époustouflantes qu’elle avait réalisé en liant le Monde des Rêves aux légendes d’Unys, elle s’était embarquée dans le Désert Délassant sans même préparer son voyage. Heureusement qu’elle avait une assistante.

Enfin, son étourderie se justifiait : ses travaux l’avaient menée à constater la présence d’un nombre anormal de Pokémon des Rêves autour des Ruines Enfouies ! De plus, en étudiant les mythes sur le Peuple de Reshiram, elle avait constaté que les capacités de voyage dimensionnel qu’on leur prêtait ressemblaient à ses tentatives personnelles d’accéder au Monde des Rêves. Couplés avec la présence des Pokémon, ces liens intrigants constituaient une raison suffisante pour se rendre sur place.

Découragée, Oryse abandonna finalement ses mèches violettes, délaissant le coin salle-de-bain de sa roulotte. Le véhicule avait déjà été envahi par des tonnes de paperasse, des diagrammes sans queue-ni-tête, un Pokédex meurtri par la vie, un ordinateur high-tech et des tas d’autres bidules électroniques qui clignotaient bruyamment. Au-dessous de ce bazar, le faux-bois clair et la couchette mal bordée ne se distinguaient même plus, et ne parlons pas des comptoirs de la cuisine, colonisés par des livres volumineux. Sans commentaire pour l’évier débordant de vaisselle putride.

Finalement, il y planait comme une odeur étrange dans cette roulette, Oryse étouffait, bizarre non ?

Mystérieusement saisie de nausée, Oryse fit coulisser la porte en mauvais bois de sa roulotte, révélant le désert. La scientifique pénétra dans la chaleur cuisante du sable, immédiatement terrassée par la violence du soleil. Plus loin, son assistante, Maëlle, surveillait un de leurs engins tout en faisant sa propre vaisselle—deux fois plus efficace grâce à sa Musteflott besogneuse. Oryse se braqua, jalouse, puis s’avança vers son employée en lui offrant un sourire lumineux, (essayant d'ignorer de force la magnifique Pokémon qui rangeait toutes les assiettes une par une dans le placard encastré de leur roulotte... pourquoi Mushi et Muni ne l’aidaient-ils jamais à faire la vaisselle, hein ? Ils savaient pourtant qu’elle détestait ! Et le repassage, hein, pourquoi ne l’aidaient-ils pas à faire le repassage ? Franchement, elle—)

— Oh ! sursauta l’assistante, la remarqua soudain. Vous revoilà madame !

Oryse résista à l’envie de lui répondre « bravo, ne crois que ce que tu vois… ».
Elle hocha simplement de la tête.

— Rebonjour Maëlle.

La jeune femme se leva précipitamment, ses yeux bleus excités, et lui montra alors l’engin que la paire surveillait depuis plusieurs jours, une sorte de carte interactive des Ruines. La machine fonctionnait comme un radar qui repérait les Pokémon des Rêves grâce aux ondes particulières qu’ils émettaient, et traquait tous leurs mouvements.

— Madame, notre hypothèse se confirme ! s’exclama Maëlle, se mordant la joue pour ne pas hurler dans l’oreille de sa cheffe. Tous les Pokémon des Rêves semblent apparaître dans le Passage Meloëtta, à l’endroit de la coulée de sable…
Oryse fronça les sourcils.
— Mais le détecteur confirme qu’il n’y a qu’un mur derrière ce sable… à part les Tutafeh, aucun Pokémon n’est capable de traverser un mur…

Au pied du mur, ou plutôt de ce paradoxe défiant toute logique scientifique, les yeux de la chercheuse s’illuminèrent ! Scintillant comme mille saphirs ou perles des abysses ! Son instinct lui commandait de retourner au passage Meloetta, de creuser derrière tout ce sable, de trouver la solution à ce mystère !

— Allons-y TOUT DE SUITE ! décréta-t-elle d’un ton émerveillé, pointant l’entrée des ruines, qui dépassait à peine de la mer de sable.

Malheureusement, Maëlle ne répondit que par une moue embêtée. Et quand son assistante répondait par une moue embêtée, c’était qu’Oryse avait du souci à se faire.

— Madame, débuta-t-elle avec force. L’emploi du temps—sur lequel nous nous sommes mises d’accord hier—indique qu’aujourd’hui, nous devons tester tous les Mascaïman capturés, pour vérifier qu’ils sont bien des Pokémon des Rêves.

… Oryse soupira. Elle fixa dangereusement son assistante, lunettes glissant vers la pointe de son nez sous le poids de la tension. Maëlle ne cilla pas, levant brusquement le menton. L’air se fit électrique, tordant la chaleur aride.
… Oryse soupira.

— Bien, d’accord, maugréa-t-elle, puis la suite de sa phrase se perdit en grommellements agacés.

Comme un enfant gâté à qui on aurait ordonné de faire ses devoirs, elle leva le poing et se traîna vers l’arrière de sa roulotte, disparaissant au tournant. Elle était partagée entre maudire Maëlle et se maudire elle-même, car après tout, c’était la scientifique qui avait précisé « personne capable de me tenir tête », dans son annonce d’embauche. Elle se savait depuis longtemps assez insupportable, et avait besoin de quelqu’un qui tienne le coup… comme Boletta, sa sœur, qui était malheureusement partie étudier auprès de Léo, à Kanto… et contrairement à tous les amants qui l'avaient largué dès la première semaine, terrifiés par toutes les demandes qu’elle leur faisait, et son caractère de vieille Ursaring. Hrmpf.

Maëlle, de son côté, soupira d’aise. Elle en avait pour dix minutes de tranquillité au moins, le temps que sa cheffe retrouve les Pokéball dans son bazar, puis les engins nécessaires. Pensive, la jeune femme replaça quelques barrettes azurées dans ses courtes mèches blondes, et se surprit à sourire. Oryse agissait peut-être comme une Polagriffe asociale—ou un Polarhume capricieux, c’était selon… —mais elle était aussi drôle, et tolérante.

Le regard clair de l’assistante s’assombrit tandis que sa Mustéflott la rejoignait avec souplesse. Elle laissa ses ongles dériver légèrement sur les babines sensibles de sa Pokémon, qui ronronna. Il y a deux ans, quand Oryse l’avait embauchée, Maëlle était seule au monde, et terrifiée. Depuis l’incendie de Vaguelone… elle refusait de voir sa famille, car… Mais Oryse l’avait embauché. Elle l’avait même gardée quand Maëlle avait fini par lui avouer toute la vérité, écrasée par ses souvenirs. Par la honte.

Brusquement, son téléphone sonna.
Maëlle fronça les sourcils.
Sa main frôla l’engin, elle hésita. Déjà qu’elle captait très mal si près des Ruines… Qui donc pouvait bien l’appeler ?
L’écran affichait « numéro inconnu ».
Elle n’osa pas comprendre. Son cœur s’arrêta.

— Allô ?
— Ma petite Maëlle.

Pendant un instant, la jeune femme sourit, entraînée par des réminiscences excitantes et douloureuses à la fois. Inconsciemment, sa main se posa sur le haut de sa cuisse... l’effleurant avec toute la délicatesse du monde. La voix du fil caressa doucement sa joue, vivante à travers le téléphone.
Puis la suite de sa vie revint. La réalité. La chaleur du désert qui lui rappelait tant celle de l’incendie—

— Ne pense même pas à raccrocher, lui ordonna glacialement la voix.

Son pouce se figea sur le bouton rouge de son portable, tremblant. Elle resta figée, incapable de comprendre comment il aurait pu deviner l’instant de son geste avec tant de précision. Tout simplement, incapable de comprendre.

— An-Anto, balbutia-t-elle.

Puis elle claqua une main sur sa bouche, choquée et effrayée que ce nom ait une nouvelle fois franchi ses lèvres.
Il l'avait retrouvée.

— C’est moi, confirma-t-il avec douceur.

Son corps trembla, elle aurait presque pu vomir.
Oryse pouvait revenir à tout moment.

— J-Je –
— Schhht… l’encouragea-t-il tendrement, et elle sentit, elle sentit son cœur ralentir, comme avant.

À ses côtés, Mustéflott émit un grognement, reconnaissant les réactions physiques de sa dresseuse, mais Maëlle était déjà loin. Elle avait fermé les yeux, baignait dans l’incendie de ses seize ans, l’étincelle dans ses mains, des mots fiers et satisfaits ruisselant autour de son corps moite. Elle revoyait tout ce qu’elle avait accompli, sotte et amoureuse. Son cœur bondit au creux de la nuit. Elle contemplait videment l’obscurité déchirée par les flammes.

— Un garçon noir arrivera à ton camp. Demain ou après-demain, peut importe.
Elle hocha de la tête puis murmura :
— Oui Anto.
— Tu t’arrangeras pour que lui et son groupe puissent pénétrer dans le Château, quoiqu’en dise Oryse.
— Oui…
— Et tu lui glisseras le Galet factice qui se trouve dans ta roulotte.
Maëlla sursauta :
— M-Mais je n'ai p-pas de Galet factice dans m-ma roulotte !

Elle perçut presque le sourire de l’autre côté de la ligne, alors que l’ombre d’Oryse se dessinait au coin de sa roulotte.
Avant de raccrocher, Anto susurra :

— Vérifie encore.


(Encore sur les traces du Seigneur, hey, encore…)
Une lourde brume s’élevait du Lac Savoir, le brouillard compact s’accrochant à l’eau noire. Des tentacules irisés se faufilaient jusqu’à ses rives enneigées, dentelées de neige et de glace. Ils s’accrochaient aux pins sombres de la vallée, cette armée d’épines hirsutes, qui coulait depuis les blanches hauteurs vers le lac gelé. Le ciel, chargé de nuages, reflétait parfois les rondeurs de la lune, ou miroitait quelque rayon égaré, ces faisceaux qui ruisselaient comme de l’argent.

Une brise fragile sifflait parmi la forêt obscure, mais le brouillard l’absorbait. Le vent se fondait à son ouate moelleuse. Une écorce morte craquelait parfois, blessée par l’hiver. Mais quand sa souffrance restait muette, c’était le silence qui s’imposait.
Il régnait comme une atmosphère de bout du monde.

— Ici non plus, chuchota Anthéa, prostrée au cœur de la brume et la neige.

Sa compagne, grande gigue blonde, à peine habillée malgré le froid, resta silencieuse. Elle ne posa pas de main réconfortante sur les frêles épaules de sa partenaire. Elle ne frissonna pas. Elle ferma les yeux.

— Nous avons sillonné Sinnoh, domaine des Anciens… murmura la plus petite, la femme aux cheveux roses. Nous avons prié devant le Lac de la Vérité… devant le Lac de la Volonté…
— Nous nous inclinons face au Lac des Savoirs, reprit finalement l’autre, en un murmure docile...
... elle s’agenouilla aux côtés de l’autre.
— Nous avons visité les Ruines d’Alpha, où l’Humain s’est révolté…
— Le Temple du Golem, celui qui ne fait qu’un avec le Monde...
— Nous nous sommes prosternées face à la Source des Adieux, implorant Giratina de nous guider…
— Nous avons supplié Darkrai et Cresselia sur les îles jumelles.
— Nous avons mandé Shaymin, messager du Dieu parmi les Dieu, Arceus.

La brume sembla onduler, éthérée, habitée d’une présence surnaturelle. Le lac murmura froidement des mots anciens. Un nuage éclipsa brusquement la lune, son obscurité doucereuse dévorant ses rayons laiteux. Les bois cessèrent brutalement de craquer. Leurs épines se hérissèrent.

— Nous nous inclinons face au Lac des Savoirs ! s’écrièrent les femmes, en cœur.

D'un coup leurs corps se recroquevillèrent, comme si le froid auquel elles étaient restées insensibles les touchait soudain. Elles abattirent leurs mains sur la neige et posèrent leurs fronts sur le sol froid, découvrant leurs prunelles aux pupilles dilatées.

— Déesse miséricordieuse, toi qui as accordé la Raison aux Humains ingrats… murmurèrent-elles, se redressant avec les mains jointes, loin au-dessus de leur tête.
— Accorde-nous ta bénédiction, accorde tes auspices à deux créatures pitoyables…
— Permets-nous de visiter les versants sacrés de Sa création, permets-nous de nous élever au Temple de l’Origine, là où les colonnes de Son pouvoir se dressent encore !
— Ô Gardienne, puisse ta protection nous permettre de pénétrer le Mont Couronné…

À l’annonce de leur prochaine destination, la brume frémit de nouveau. De longs tentacules s’étirèrent vaguement, enlaçant Anthéa et Concordia de nuages vaporeux. La nébuleuse luisit faiblement...
Puis, les embruns gelés se rétractèrent, et les femmes se retrouvèrent seules.


(Obscurcie)
Les tentacules douloureux des ténèbres étreignaient sa carcasse. Une chaleur poisseuse suintait le long de son échine. Manifestation externe d’une terrible puissance, dont les radiations déchiraient ses muqueuses palpitantes. Elle plaqua deux paumes moites sur ses yeux et ses lèvres, gémissant, serrant ses cuisses autour de sa chair brutalement asséchée.

Il lui semblait qu’une autre présence, massive, la dominait de toute sa force, mais elle ne parvenait pas à déceler qui c’était ! Elle se tordait seule dans le noir, seule dans sa douleur, impuissante ! Un soubresaut la parcouru brusquement, elle crut se disloquer…

Puis Élin se dressa, la douleur se dissipant dans le froid de la nuit.
Elle haleta, hébétée.
Tout son corps crispé, courbaturé.
Comme depuis toute petite, elle ne se rappelait pas de son cauchemar. Tout juste était-elle consciente d’en avoir fait un.

Mais une peur chaude coursait le long de ses omoplates, frissonnant parmi ses méninges, lui arrachant un hoquet.

Les ombres mouvantes de sa tente semblaient contenir l’horreur. Toutes les terreurs de ses rêves. Le silence ruisselant du sable lui arrachait des sursauts. Elle gémit de nouveau, ses doigts frêles cherchant ses Pokéball, enfouies dans la taie de son sac de couchage. Ses poings se serrèrent autour du métal lisse, puis elle relâcha tous ses muscles, la peur se vidant.

Et la douleur revenant, vague brutale. Élin se frotta les yeux, bizarrement secs. Puis elle posa doucement les index sur le pavillon de ses oreilles, dont l’intérieur lui semblait comme brûlé. Ses doigts rencontrèrent un liquide doucereux, fines goulettes. La jeune fille se figea. Fixa son doigt raide, piqué de fluide noir.

Dans l’ombre, impossible de distinguer ce que c’était… peut-être juste de la cire liquéfiée par la chaleur du désert, après tout, elle n’était pas des plus propres hein… P-Peut-être juste de la cire ? Un hoquet, un tremblement. La gamine se demanda un instant si elle devait appeler Hope pour vérifier, pour affronter la chose à la lumière de son brasier. Mais une peur amère la fit reculer : que dirait-elle à son jeune Pokémon si ses oreilles saignaient… ? Elle ne voulait pas l’inquiéter.

Tremblante, la jeune fille posa son index sur une langue tendue, priant que pour que le goût repoussant de la cire lui réponde. Mais son muscle moite ne récolta que des saveurs métalliques.

Élin se recroquevilla, effrayée. Elle n’avait jamais eu de problème de santé, pourtant ; une fois on avait du lui faire une piqure dans les fesses pour des vaccins spéciaux machin-truc… mais sinon leur docteur privé lui avait toujours répété qu’elle était la gamine la plus résistante qu’il avait jamais vu… une vraie santé de Pokémon.

La gamine serra les dents, et posa la tête sur ses genoux. Elle resta immobile jusqu’à l’aube.

[…]

— Yosh, on s’bouge, oui ?

Syd répondit au large sourire d’Élin par un grommellement inaudible. Elsa étudiait son Cryptéro, qui avait à peine tenu en place au cours de leur petit-déjeuner, même lorsqu’elle lui avait distribué ses croquettes—qu’il avait peiné à avaler tant il flottait de manière erratique. Cela voulait sans doute dire qu’ils s’approchaient de leur destination—ou en tout cas, d’un lieu important du désert.

Bref, le comportement de Cryptéro était aux antipodes de celui qui caractérisait Mélis, allongé apathiquement sur le sable. En même temps, depuis le temps, les ados étaient habitués à s’occuper de Mélis. L’inversion des rôles les embêtait ou les amusait, c’était selon… Actuellement, ils penchaient plutôt pour la première option.

— Encore cinq minuuutes… chouinait le dresseur.

Il croyait être efficace. Il pensait sans doute glaner encore un peu de sommeil.
Il ne prévoyait certainement pas le Facteur Hei.

Comme dit précédemment, ce facteur serait un jour étudié par de grands spécialistes. En attendant son heure de gloire, il prouva une nouvelle fois son efficacité. Élin tentait encore d’oublier son cauchemar, le sang qui avait séché—quoi de mieux que d’embêter son ami d’enfance ?

Ricanant malicieusement, la gamine sauta sur le jeune adulte, le chevauchant puis le chatouillant de toutes ses forces ! … Mélis mit au moins quelques secondes à comprendre la situation, son cerveau s’enrailla. É-Élin ? Élin assise sur ses cuisses ? Puis le dresseur rougit brutalement, et, comme à Volucité, il envoya la gamine voler avec un hurlement embarrassé. Ce fut assez pour le réveiller une bonne fois pour toute, au moins, même si Élin vit des étoiles.

— Raahh mais pourquoi ça n’arrive qu’à moiiii… gémit-elle pathétiquement.

Ce fut difficilement audible, vu qu’elle s’était enfoncée tête la première dans une dune et que seules ses fesses dépassaient. Mélis refusant de toucher la gamine de nouveau, Syd et Elsa durent s’y mettre à deux pour la dégager, se jetant des regards méfiants tout du long. La tension enflait déjà, et rien ne semblait promettre d’apaisement…

Le groupe se relança donc divisé à l’assaut des dunes. Comme si se faire la gueule ne suffisait pas, ils étaient guidés par un Cryptéro de plus en plus pressé, et devaient marcher rudement vite pour ne pas le perdre. Parfois, le rythme effréné de leurs jambes ne suffisait pas, et le gardien majestueux disparaissait au détour d’une colline—ils ne le retrouvaient qu’en grimpant sur la dune pour scruter le paysage.

Peu de temps pour admirer le désert, donc… L’étendue sauvage se paraît pourtant des couleurs du jour. L’aurore rosée lavait les dunes de blanc, les rares buissons de traits vibrants. Le ciel pâlissait doucement jusqu’à l’horizon ondulé. Parfois, un Maracachi en quête de lumière vespérale étendait ses membres fleuris vers le ciel, se gorgeant de soleil. Quelques bruissements marquaient le réveil des Mascaïmans.

Mais sinon, un silence sec creusait le désert. Et ils ne tentèrent pas de le briser. Seul Élin marmonnait parfois une phrase fatiguée, lançait quelques mots encourageants.

Syd marchait au devant du groupe, plongé dans un sombre mutisme. L’air semblait assez électrique autour de lui pour déclencher une nouvelle tempête de sable, aussi, personne ne s’en approchait. Le jeune dresseur était glacé d’appréhension, si tendu qu’il aurait pu éclater, ses membres rigides, creusant des fourreaux dans le sable doré…

Nord, Nord. Est, Sud, Sud, Est.

Aujourd’hui, il allait devoir accomplir sa mission… Cette trahison se manifestait en un bloc de gel, suintant la peur, qui se logeait au cœur de sa poitrine. Sa tante lui revenait sans cesse, le prévenant de son timbre clair et tranchant qu’il serait la cible des Plasma, le ramenant à Volucité, cette journée en suspens, puis le plantant au tout début de son voyage, au tout début. « Et vas pas t’attirer des ennuis non plus, neveu ! ».

Aujourd’hui, il allait devoir accomplir sa mission… et il fallait à tout prix que personne (Elsa !) ne le suspecte.

Au bout d’une heure, Elsa remarqua que les dunes s’aplatissaient, le sable autour d’eux se nivelant. Bientôt, il ne se souleva plus qu’en de vagues ondulations, et l’immensité du désert les frappa d’autant plus… Le monde s’étalait en une plaine dorée.

— Nous allons bientôt arriver, la prévint tranquillement Mélis.

Le dresseur de légende avait noué une sorte de vieux chiffon autour de sa tête, le tissu azuré lui donnant un air de Resh—une ethnie, partagée en une nébuleuse de tribus, qui avait vécu dans le Désert Délassant après l’extinction supposée du Peuple de Reshiram. Aujourd’hui, ils s’étaient dispersés, leurs descendants se mêlant aux immigrés de Volucité et Méanville. Mais leur culture avait laissé de nombreuses traces, était célébrée lors de festivals saisonniers.

— Vous êtes déjà venu ici, n’est-ce pas ? s’enquit la dresseuse, curieuse.
— Il y a près de cinq ans, lui répondit Mélis. Il marmonna discrètement un : « et j’avais la flemme d’y retourner, maudits gamins… » rajoutant plus fort : Mais les sables bouchaient la plupart des entrées, il n’y avait pas grand chose à voir.

Ils marchèrent encore, le sable brûlant leurs chevilles. Dingue, plus ils avançaient, plus la distance semblait longue ! Enfin, Elsa distingua quelques ruines au loin, dépassant d’une dune particulièrement massive. La colline écrasait le désert de sa rondeur imposante…

Mirage pervers de la chaleur, la dune semblait les narguer, ondulant sous le soleil virulent.

— C’est là ? demanda-t-elle avec incertitude.
— Oui. Vous allez pouvoir observer les Darumacho.

C’est alors que Syd, au-devant du groupe, se braqua net. Et il annonça d’une voix glaciale :

— Il y a d’autres personnes à côté du Château.

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Vivent les commentaires, mes amis !