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Echos Infinis de Icej



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Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:02
» Dernière mise à jour le 04/04/2020 à 05:02

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 01 : Le grand commencement
(Corrigé par Biditchoun le 26/05/2019. Merci à lui !)

(Modifié le 04/04/20)

Cette fic commence par un Voyage Initiatique mais l'intrigue déviera. Gaffe. :p
(Note, 32 épisodes plus tard : je n'ai pas la même conception de "rapide" que certains de mes lecteurs, semble-t-il. ;) Par rapide, je veux dire que l'intrigue dévie dès que les personnages sont bien encrés (jdm pourriii), ont pris vie sur la feuille, je dévie. Mais je prends d'abord le temps de vous montrer qui sont les personnages dans une situation normale—le voyage initiatique—avant de les faire grandir et évoluer face à une situation anormale—ladite déviation.)

J'ai été influencée par fan-à-tics et Silver Zekrom sur Pokébip, Arrowfoot the Dragon et shamelessliar sur ff.net, et bien d'autres...
J'utilise parfois des illustrations de Yuumeideviantart dans le cours de ma fic, en rappelant que c'est elle la dessinatrice à chaque fois ! Je vous encourage à visiter sa page, elle a des illustrations et des visual novels magiques.

Merci de lire. :)


(Élin)
Toute la première semaine de juin fut marquée par l'humidité et la grisaille. Avec le vent du large s'abattit une pluie lourde et persistante, trempant jusqu'aux os humains et Pokémon. La terre de la région se gorgea d'eau au point d’en vomir par ruisseaux entiers, repue. La marée n'avait jamais été aussi haute, et certaines bourgades de bord de mer se virent inondées, ruelles envahies par une onde glacée, parcs, boutiques et mairies engloutis sous les flots gris du mauvais temps. Pavonnay elle-même ne résista pas longtemps aux assauts glacés des cieux ; la rivière Nay sortit presque de son lit, si bien que les habitants précautionneux durent ériger des remparts de sable autour du cours d'eau. On pouvait à présent à peine apercevoir son cours sombre et tumultueux par-dessus les énormes sacs qui l'entouraient !

Heureusement, avec la remise des Pokémon, arriva le soleil.

Et avec le soleil débarqua Élineera Hei. Après un voyage (ou plutôt une fugue, murmurait la petite voix de la conscience endormie) éreintant de plus d'une journée–ce qui ne l'empêchait pas de péter la forme—la gamine atteignait enfin Pavonnay. Pile à temps pour la remise !

Seul bémol : Élineera ne faisait pas du tout partie des trois adolescents sélectionnés par la thésarde Bianca pour son programme de voyage initiatique encadré. En vérité elle s'amenait comme un cheveu sur la soupe : son père, Black, ignorait tout de son départ, ayant toujours refusé que sa fille partît en voyage car il considérait cela trop dangereux, allant jusqu'à la scolariser à domicile. Mais elle ne doutait pas une seule seconde que Bianca lui remettrait un Pokémon et l'inclurait dans le voyage ! Bah ouais hein, que pouvait bien faire la thésarde, interdire à la fille d'un de ses plus vieux amis de participer à son programme ? Bahh nooon !

Vraiment, Élineera Hei ne doutait de rien.

Cela ne venait certainement pas de son père travailleur et silencieux, cela n'était certainement pas écrit dans ses gènes : de toute manière, elle avait été adoptée à ses six ans, laissée sur le pas du domicile familial par un étranger. Élineera était une perle abandonnée, un paquet chaud, précieusement confié à des étrangers. On ne le lui avait jamais caché. En même temps... elle était tombée sur la bonne famille puisque son père, Black Hei, avait battu la Team Plasma il y a sept ans, aux côtés de White, une des seules dresseuses d'Unys à avoir battu le Conseil Quatre et le Maître Goyah !

En conséquence de quoi, Élineera menait une vie de rêve. Pas de pression pour les devoirs, elle avait des professeurs particuliers qui pouvaient très bien se faire renvoyer après quelques pleurs et des petits mensonges. Aucun problème de santé, la gamine avait toujours eu une belle peau, de belles dents, de beaux yeux. Aucun souci d'argent : son père était millionnaire ! Tant pis si on l'avait abandonnée, la jeune fille était convaincue que sa famille actuelle était bien mieux que celle de ses origines… il fallait vivre dans le présent.

C'est pourquoi en ce 8 Juin 2999, Élineera arriva avec confiance au Belvédère de Pavonnay.

[...]

Ça allait être une superbe journée. Bianca Lenoir, le sourire aux lèvres, en était convaincue. Bon, durant la semaine passée elle avait été tout aussi été persuadée que ce voyage allait être une catastrophe, qu'elle avait sélectionné les mauvaises personnes et que sa thèse allait lamentablement échouer—mais elle mettait ça sur le compte du climat, elle avait été vraiment trop affectée par la grisaille. 

Oui, à présent elle en était réellement convaincue, rien ne pouvait ruiner son projet ! Mèches blondes dans le vent, béret enfoncé sur le crâne, elle soupirait d'aise, surveillant langoureusement la magnifique campagne qui s'étendait jusqu'à l'horizon pâle, l'encre délavée des autoroutes, les pastels détrempés des champs de blé, les quelques traînées vertes des talus... Ce formidable paysage n'était autre que l'immensité des perspectives qui s'offriraient à elle après cette thèse.

Bianca pourrait devenir une professeure de renom. Elle pourrait peut-être remplacer la professeure Keteleeria, ou s'installer dans une région lointaine et encore inconnue... la fédération de Poképolis ne venait-elle pas de rentrer en contact avec les îles lointaines d’Alola ?

Des embruns salés chatouillaient ses narines, quelques-uns s'accrochant à ses cils, faisant fi de ses lunettes rouges. Ah, quelle belle journée, quelle—

— Yosh Bianca, je suis arrivée en avance t'as vu ! Trop classe ! Alors tu vas bien, c'était comment Kanto, dis est-ce que t'as rencontré Red ?

La thésarde tressaillit. Oh non. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas la voix de...

— Élineera ? s'écria-t-elle d'un ton catastrophé, faisant vivement volte-face.

À la vue de la jeune fille, son cœur rata un battement. En effet c'était bien elle, la fille de... mais que faisait-elle là ? Black lui aurait-il donné l’autorisation de voyager ?  Rah mais pourquoi ne lui avait-il pas dit que sa fille voulait participer ? Oh, Élineera portait encore sa queue de cheval en palmier complètement ridicule... Ah mais quel culot de venir sans prévenir ! 

La gamine blonde en face d'elle fit la moue, puis lâcha d'un air pas du tout gêné :

— Dis, t'aurais quand même pu retenir, après tout ce temps, que je préfère qu'on m'appelle Élin... 

À ces mots, Bianca s'empourpra. Cela faisait trois ans qu'elle n'avait pas vu la petite Hei, ni parlé à son père d'ailleurs, mais la jeune scientifique aurait espéré qu'elle était devenue plus mature. Clairement : non. 

— T'es bien gonflée, toi ! s'exclama Bianca. Je te signale que pour participer à ce voyage, il fallait compléter un dossier, passer un entretien et...
— Mais justement, tu me connais, pas besoin d'entretien et tout le schmilblick... je suis sûre que je peux t'aider, il est sur quoi ton doctorat déjà ? sourit Élin.
— C’est une thèse, pas un doctorat, répliqua l'adulte avec agacement .
— Euh ouais cool ! Ben c’est pas grave, c'est pas mal aussi les doctorats, je veux bien t'aider quand même !
— Mais je n'ai jamais rien demandé, Élin !

Il y eut un moment de flottement. La gamine fixait Bianca avec une mine défiante, un soupçon de découragement dans ses prunelles sombres, vite chassé par la lueur de l'espoir. 

— Mais tu dois bien avoir des Pokémon de rechange, non ? tenta la jeune fille.
— Peut-être, répondit la scientifique, méfiante.
— Ben si t'en as qu'est-ce que ça te coûte de m'en donner un, si c'est pas difficile de m'aider à accomplir mes rêves, pourquoi tu refuserais ?

Tant de naïveté désarçonna Bianca, et il y eut quelques secondes de silence.

— Ces Pokémon ne sont pas pour toi, répliqua-t-elle finalement, affichant une moue embêtée. 

Son Vokit lui indiquait qu'il était bientôt seize heures, les autres candidats n'allaient pas tarder... Il fallait qu'Élin disparaisse, et vite, sinon cela allait être gênant ! Tout à coup résonna un sourd grondement. Levant les yeux au ciel, les deux interlocutrices aperçurent un immense et noir nuage. 

— Oh non... gémit Bianca, sentant ce qui restait de sa bonne humeur s'évaporer. 
— Tu veux que je t'aide à déplacer tes affaires ? proposa immédiatement Élin. On peut rentrer à ton laboratoire ! Je suis sûre que les autres candidats devineront où tu te trouves...
— Je n'ai pas encore de laboratoire, maugréa l'adulte.

Elles restèrent immobiles un temps, surveillant avec inquiétude pour l'une et enthousiasme pour l'autre, le paysage noircissant. Le vent se faisait progressivement plus intense et humide, balayant les toisons blondes des deux femmes, et emportant presque le béret de Bianca. Saisie d'un doute soudain et affreux, la scientifique s'approcha d'Élin, luttant pour se faire entendre.

— Mais dis-donc, ton père sait que tu es ici ?

Pendant des années, Black avait refusé que sa fille parte en voyage, même à l'aube de ses dix ans, l'âge auquel les bambins devaient traditionnellement partir pour découvrir le monde... Pourtant, il avait toujours refusé d'expliquer pourquoi, et seule White semblait avoir une idée de la raison. Élin en avait toujours souffert. Chaque semaine depuis ses dix ans, lui avait raconté White avec amusement, la gamine cherchait un nouveau programme de Voyage Initiatique Encadré—V.I.E.—à présenter à son père. Elle souriait, le cajolait, criait, pleurait, tapait du pied, mais rien ne fonctionnait. Black cédait à tous les caprices de sa fille adoptive… sauf au plus beau de ses rêves.

Cependant, au visage de la gamine, Bianca sut que quelque chose avait changé, Black devait avoir cédé aux larmes d’Escroco de la peste. Oui, la scientifique comprit tout de suite qu'elle avait perdu la lutte ; elle ne pouvait pas refuser si son meilleur ami lui confiait sa fille. Cette dernière question était un aveu de défaite, un dernier recours. La jeune fille sourit largement, puis lui remit une fine note gribouillée à la va-vite :

« A Bianca

J'espère que tout va bien. Comment s'est passé le voyage à Kanto ? De mon coté aucun problème, si ce n'est une Elin un peu envahissante. Elle souhaiterait participer à ton programme de V.I.E, cela te dérange-t-il ? Je m'excuse d'avance pour cette décision intempestive, dans le pire des cas renvoie-la chez moi. Sache par ailleurs que tu ne pourras pas me contacter du 7 au 12, je suis en entrainement intensif en prévision de la ligue de Kalos... 

Bien à toi. 

Black »


Bon, l'écriture ressemblait parfaitement à celle du père d'Élin, la missive était courte mais c'était normal venant de lui... Et puis c'était vrai que la ligue de Kalos commençait le douze... Pourtant Bianca ne pouvait se débarrasser du doute qu'Élin lui présentait un faux : la gamine était capable de tout ! La scientifique voulut poser des questions supplémentaires, mais une rafale de vent lui arracha brusquement son béret, l'envoyant valdinguer par-dessus la barrière.

— Merde ! hurla-t-elle, se couvrant ensuite la bouche d'un air catastrophé. Elle venait de jurer devant une enfant ! 

... mais merde, son béret ! 

— Raah, geignit-elle, tapant violemment du pied par terre pour passer sa colère. Manque plus que la pluie... 

À ces mots, de lourdes gouttes s'écrasèrent contre ses lunettes et son crâne mis à nu. La scientifique devint livide, fixant une Élin toujours souriante avec un regard dangereux.

Toi, grogna-t-elle, appuyant un index tendu sur la poitrine de la gamine, si t'as menti, tu vas entendre parler de moi. Et tu pourras dire adieu au voyage.
— ... Ça veut dire que tu me laisses participeeer ? s'étonna faussement la petite blonde.

Oh, Bianca sentait qu'elle allait profondément regretter cette décision. Mais elle ne savait pas encore à quel point...

— ... oui, soupira-t-elle. 

Alors Élin se fendit d'un sourire plus large que son visage, rigola, et sauta au cou de la scientifique et l'assaillit d'un énorme câlin, diffusant une douche chaleur dans le cœur pourtant exaspéré de son aînée.

— Oh merci, merci Bianca ! Oh je te jure, je te jure que tu vas pas le regretter, je ferai tout ce que tu me diras et je capturerai toouus les Pokémon que tu veux ! Promis !
— D'accord, d'accord... sourit la scientifique, sans pour autant le laisser voir à Élin.

Puis l'étreinte dura. Et dura.

— Bon maintenant aide-moi à ouvrir la valise et sors-en les Pokéball, tu vas m'aider à accueillir les candidats, gémit Bianca en se sentant étouffer, peu à peu.

Aussitôt Élin la relâcha, s'élançant vers le bagage noir et luisant que Bianca avait apporté au belvédère. Hm. La scientifique devait admettre que la petite Hei était efficace, une fois qu'elle avait obtenu ce qu'elle désirait.

Sous l'observation prudente de la thésarde, Élin s'agenouilla devant la valise, évitant avec adresse une flaque d'eau boueuse qui s'était formée non loin de l'équipement. En un clic, le tout était ouvert, et retombait maladroitement par terre. La jeune fille retint sa respiration, sentant son cœur battre avec émerveillement... sur ce tapis de velours reposait ce qui allait être le compagnon de toute une vie, de ses joies et de ses peines, de ses réussites, de... de ses échecs... 

Elle sourit tendrement, resserrant machinalement sa courte queue de cheval, et se mordit la lèvre. Lequel des trois ? Lequel des trois... allait-elle choisir ?

— Tiens, voilà le Pokédex et ton Pokémon, annonça Bianca en lui tapotant l'épaule. 
— H-hein ? balbutia Élin, prise au dépourvu. Je ne peux pas choisir mon Pokémon de départ ?

Elle se retourna, choquée et déçue, vit Bianca arquer un sourcil, une encyclopédie électronique et une petite boîte de velours à la main. Dans cette dernière reposait une simple Pokéball rouge et blanche, luisant au milieu de l'écrin noir.

— Eh bien non, je n'ai qu'un Pokémon de rechange et il va falloir faire avec. Tu ne peux que t'en prendre à toi-même et à ton père de ne pas m'avoir prévenue plus tôt !

Oh bah... Tout ne se passait pas comme elle l'avait prévu, finalement... Élin était comme Sacha Ketchum dans le célèbre animé, recevant le seul Pokémon qui restait au Professeur Chen. Mais elle n’était pas une héroïne d’animé. Il n’y avait aucune garantie que tout se passe bien par la suite. Aucune garantie que Bianca ne découvre son secret : elle avait fugué. La gamine frissonna. 

Bec radicalement clos, elle prit la Pokéball et le Pokédex sans plus de commentaire. Elle n'ouvrit cependant pas la boule contenant sa créature, la contemplant pensivement. Quel Pokémon était-ce ? Le hasard avait fait que Bianca avait choisi cette créature pour l'accompagner, ce jour-là, le hasard avait fait qu'elle n'eût que celui-là dans ses poches... et qu'il rencontre Élin. La blonde espérait qu'il était classe au moins, comme les trois Starters d'Unys, qu’elle aurait le temps de se lier d’amitié avec lui avant que son père ne revienne de Kalos et ne découvre sa fugue. Et après ces deux mois ? Non, elle n’y avait pas pensé. Elle ne voulait pas y penser.

Elle espérait... Non. Quoiqu'il arrive, ils deviendraient meilleurs amis du monde. Et c'est alors que sa confiance revint, plus chaleureuse et brillante que jamais. Après tout la blonde était tenace, elle ne se laissait jamais longtemps déstabiliser ! 

Sa mine se détendit. Elle fixa sa Pokéball avec bienveillance, la caressant doucement. Et à cet instant, Bianca annonça en un murmure ému :

— Voilà les autres élèves... 


(Syd)
Avec Syd Redding-Park revinrent les nuages. Un coup, une arrivée grinçante de métro. Et Pavonnay fut plongée dans l'ombre, ses allées envahies par des ténèbres vaporeuses, ses tuiles et murailles de noir léchées, les silhouettes des passants brouillées par la grisaille. Ombres anonymes qui se succédaient avec une langueur monotone. 

Mais Syd était à la limite des nuages, de la lumière, sa silhouette coupée entre deux mondes—comme un présage. Il ne prit pas garde à l'obscurité floue qui s'étalait sur la ville. Du haut du belvédère filait le dernier rayon de soleil qui osait défier l'orage, un intense fuseau diaphane... c'était cet éclat solitaire seul, qui captait ses yeux pensifs. Bientôt les prunelles d'ambre, les prunelles de sa mère, se voilèrent. De courts cils de charbon se posèrent sur ses pommettes brutes.

Défier tous les Champions d’Arène, amasser de l’argent pour guérir Otis…

Syd tenait dans sa main un portable, et sa mère lui parlait, et sa tante lui parlait. [Rosa te souhaite bonne chance et ton père et Otis sont très fiers.] Mais qu'est-ce qu'il s'en fichait de Rosa ! Rosa s'était enfuie à Hoenn, qu'elle y reste ! Son frère, son père seuls éveillaient son cœur, lui arrachaient un sourire... [Alors tu as choisi ton Pokémon ?Ne t'attire pas d'ennuis, neveu.] Mais... si c'était nécessaire pour Otis, il s'attirerait des ennuis. Il s'attirerait tous les ennuis du monde. [On a ramené Otis à l'hôpital.]

En lisant ce message, lui pensait : bientôt Otis n'ira plus à l'hôpital.

L'adolescent à l'orée des nuages savourait ce rêve, son rêve, les yeux fermés et une comptine au bord des lèvres. Si un travail dur et acharné, si la négation de ses ambitions et de son bien-être, permettaient de ramener son frère, de réparer cette cassure dans la vie de famille alors soit. Il ne pensait qu'à son plan depuis des années—le voyage initiatique n'était qu'une nouvelle étape. Dans l'apparence il se conformait à tout, mais en réalité, tout son être se tendait vers un seul but.

Les yeux fermés, Syd savourait l'humidité, l'ombre et le vent. Le repos. Et les yeux fermés, il voyait son frère danser au soleil. 

Bon. Maintenant venait la réalité, la maîtrise de soi. L'adolescent, le futur dresseur, délaissa cette vision comme une couverture chaude, la plia proprement et la déposa dans un lointain recoin de son esprit. Il referma l'étagère avec une clé d'argent. Ce tiroir à trésor ne serait rouvert que la nuit tombée, au creux du secret, pour tenir le coup. Non, ça n'allait pas. Il ne pouvait pas totalement nier que ce voyage l'intéressait, le terrifiait, l’enthousiasmait ! Il pensait déjà aux stratégies à employer pour défaire Tcheren, le Champion de Type Normal qui avait remplacé sa tante. Il faudrait que Syd fasse honneur à son deuxième nom de famille, le nom de sa tante, Park.

Bon gré, mal gré, son esprit d'adolescent normal revenait—l’excitation et l'appréhension du voyage de son futur de dresseur l'envahirent d'un coup, une vague salée d'émotions et de rêves. Puis les sentiments refluèrent avec la marée, le laissant dans le noir de son monde intérieur. Inspirant, le dresseur rouvrit les yeux et se replongea dans le présent : il fallait gravir les marches du belvédère, obtenir son Pokémon grâce au test de personnalité qu'il avait passé—il espérait recevoir Gruikui—puis supporter ses camarades de voyage. 

Ses prunelles expertes repérèrent deux silhouettes au loin. Un grand dadais insouciant suivi d'une tige maigre et timide. Ils tournèrent au coin de la rue et escaladèrent lentement le belvédère, ne repérant pas la silhouette trapue de Syd, ensachée d'ombre. Peut-être ces adolescents allaient-ils l'accompagner durant son voyage ? Ça devait être eux. Ils allaient atteindre le point de rendez-vous avant lui—mince, Syd devait se dépêcher, ça n'irait pas d'être en retard le premier jour ! Cependant, s'il voulait recevoir un Pokémon, rencontrer ses camarades de voyage ne l'enthousiasmait pas. Syd ne s’était jamais beaucoup intéressé aux autres enfants de son âge, il préférait passer du temps avec sa famille, avec Otis.

Mais l'adolescent ne pouvait pas se débarrasser de ses camarades, sinon, cela voudrait dire renoncer au voyage. Il allait devoir faire de son mieux pour « faire avec » et mener à bien son projet malgré eux. 

Après une réponse rapide à ses textos, Syd gravit la première marche du belvédère. 


(Et les Pokémon)
Aux mots de Bianca, Élin se tendit. Ses prunelles sombres, après quelques minutes de nerveuse recherche, s'arrêtèrent sur trois silhouettes qui se dessinaient lentement à l'autre bout du belvédère. L'un était beau gosse, à la peau mate éclatante, aux yeux de prairie verdoyante et au sourire enjôleur. Il arborait un air détendu et confiant, une petite queue de cheval brune et des vêtements colorés qui pouvaient facilement passer pour hippie. 

Derrière lui s'avançait timidement une grande jeune fille à la mine rosie, vêtue d'habits sombres et sérieux. Son visage osseux était mangé, rongé par l'ampleur de ses boucles noires, délicates arabesques d'encre qui voltigeaient autour de sa pâle frimousse à chaque petit pas que la jeune fille entamait. Ce fut, en revanche, son regard qui accrocha les prunelles noires d'Élin. Il était profond, gardé, triste mais magnifique, piqué d'argent.

Cependant, si Élin n'examina que brièvement les deux premiers adolescents, la troisième figure la tint plus longuement captive. Elle était à l'arrière, ramassée sur elle-même, comme méfiante—un garçon. Un feu contenu semblait rugir sous sa peau noire, rougeoyant à chaque nouveau pas, une puissance seulement domptée par les limites de la chair. Sa peau contrastait si vivement avec ses prunelles mordorées que cela en coupait le souffle. Élin contempla son visage, ses traits bruts taillés à la serpe, ses épaules droites, sa détermination, et se sentit immédiatement graviter vers lui.

— Va les accueillir ! s'exclama alors Bianca, un peu nerveuse et désirant puérilement que la jeune fille très confiante brise la glace à sa place.
— Hein ? s'écria en réponse Élin, clignant des yeux comme tirée d'un rêve. 
— Vas-y ! lui ordonna à nouveau Bianca.

Étonnée, la plus jeune des deux obéit, et franchit avec incertitude les quelques mètres qui la séparaient du groupe. Les adolescents s'étaient arrêtés, hésitants eux aussi—la fille et le garçon hippie se tenaient derrière le dernier arrivant. La gamine tenta de ne pas trop le fixer, forçant ses prunelles noires à se reporter sur les deux autres.

Syd serra les dents. Que faisait cette autre ado ici ? Allait-il devoir se la coltiner aussi ? On l'avait seulement prévenu qu'il devrait supporter deux compagnons, pas trois ! Avec agacement, il étudia la nouvelle venue : plus petite que lui de quelques centimètres, elle était blonde, la bouille ronde, et affichait un sourire rayonnant, semblable à ceux des publicités pour dentifrice. En plus, elle le scrutait avec impolitesse.

— Yosh... lança alors la petite Hei, recollant les parcelles éclatées de son courage. Je m'appelle Élin et je vais voyager avec vous !
— Impossible, asséna alors Syd d'une voix froide.

Élin se raidit instantanément, posant un regard encore plus noir que coutume—comble pour ses sombres iris—sur le dernier arrivé, que sa présence semblait mécontenter pour une raison quelconque.

— Ah bon, et pourquoi ? renvoya-t-elle à son tour, irritée. T'as besoin de lunettes ! Si je suis devant toi, c'est que je suis possible !

Syd arqua un sourcil, puis se pinça le nez en lâchant un souffle exaspéré. Il ne s'attendait pas à buter contre de la résistance. D'habitude, les autres ados avaient peur de lui et se taisaient. En tout cas, cette fille ignorait manifestement tout du programme dans lequel ils s'étaient enrôlés, ou elle ne comprenait pas l’Unyssien. Ce qui faisait d'elle une idiote dans les deux cas. L'adolescent espérait vraiment qu'elle ne fasse pas partie du voyage—déjà qu'il devait s'accommoder de deux autres dresseurs !

— Peut-être, mais Mme Lenoir n'a sélectionné que trois personnes, répondit-il en tentant de garder l'air tranquille. Donc c'est impossible que tu fasses également partie du groupe, puisque, regarde attentivement, nous sommes déjà trois : un !—dit-il en se désignant—deux !—cette fois en pointant le garçon hippie—et trois !—en balayant l'autre fille d'un geste impatient. 

Certaines personnes ne sont pas faites pour s'entendre : elles s'opposent et se repoussent fondamentalement, comme deux pôles positifs ou négatifs. Eh bien cela semblait être le cas d'Élin et de Syd : devant les deux autres adolescents gênés, ils se rapprochaient et se fixaient avec détestation, de nouvelles répliques enflant déjà dans leurs gorges furieuses. 

Élin sentit son visage se froisser. Affichant une grimace irritée, elle considéra ce garçon dont elle ne connaissait même pas le nom. Tout dans sa posture l'agaçait—le calme qu'il dégageait, son sourire poli d'une fausseté méprisante, l'assurance avec laquelle il l'excluait du voyage !

Quant à Syd, sentant qu'il irritait la gamine, il ne manqua pas de se redresser de toute sa hauteur, affichant bien sa taille supérieure comme une preuve de maturité et fixant l'autre avec condescendance. Cette fille immature n’avait certainement aucune idée de ce que c’était de s’occuper d’un grand-frère paralysé. 

— Et si les circonstances avaient changé, hein ? s'écria ladite fille immature avec colère. Tu peux te l'imaginer une seconde au lieu de me prendre de haut ? T'as été éduqué chez les Spoink ou quoi ?
— Ne critique pas ma famille. Je suis le neveu de l’ex-Championne Aloé. Et moi au moins, je suis accepté dans ce voyage, siffla Syd en réponse.

Ces mots résonnèrent douloureusement en elle. Ils ravivèrent sa peur que Bianca découvre qu’elle avait fugué, sa peur de se faire bouler, de rester enfermée dans l’appartement de son père sans Pokémon, sans liberté.

— M'attaquer sur ma taille, super recherché bravo ! renvoya-t-elle, la gorge nouée. Tu vas vite perdre ton sourire quand tu verras que non seulement je fais partie du programme, mais que je vais voyager avec vous tout du long à travers tout Unys !
— Ah oui, trancha Syd d'un air glacial. Alors pourquoi n'es-tu pas sur cette liste ? Il lui montra une liste de trois noms affichés sur son portable, dont aucun ne comportait « Élin ». Tu es en train de mentir et c'est pathétique. Si c'est comme ça que tu crois réussir à devenir dresseuse… tu te trompes !
— Je ne MENS PAS ! rétorqua la blonde encore plus fort que l'autre impoli. Je ne mentirais jamais à propos de mon rêve !

Syd haussa un sourcil. Cette réplique était complètement niaise, comme si elle sortait tout droit d’un animé. Trop idéaliste. Les gens qui vivaient dans le bonheur, sans aucune difficulté, l’avaient toujours agacé—au moins depuis l’accident de son frère. Il avait toujours envie de les renvoyer dans leurs cordes, de leur faire découvrir la réalité un peu ! Il ne se priva pas de rire, pour la plus grande colère d’Élin.

— Oh et tu rêves de quoi, se demanda-t-il sarcastiquement. De devenir la meilleure dresseuse du monde à la Sacha Ketchum ?
— PARFAITEMENT ET ALORS ? rugit Élin. C’est le meilleur rêve qu’on puisse avoir—découvrir le monde avec ses amis, capturer plein de Pokémon et vaincre les méchants ! Une aventure complète !
— Waouh, je constate juste qu’en plus d’être une menteuse, t’es complètement GAMINE. Contrairement à toi, je pars en voyage pour des raisons valables : aider ma famille.
— Je ne suis pas une MENTEUSE ! Tu vas voir si je suis impossible ! ÇA—cria-t-elle en montrant le Pokédex qu'on lui avait confié, et dont elle venait de se rappeler—ÇA, c'est le Pokédex que Bianca vient de me donner, tu peux lui demander si tu ne me crois pas ou si tu es aveugle !

À ces paroles, Syd se raidit, s'approchant encore plus de la blonde impertinente car il ne pouvait plus contenir sa frustration. Mais sa réplique incrédule fut coupée par Bianca, qui avait pris l'exclamation forte d'Élin pour le signal que tous avaient fait connaissance, et qu'elle pouvait s'avancer pour se présenter, distribuer les Pokémon. Tous durent se reculer pour lui faire de la place, ce qui arrêta net la dispute enragée.

— Bienvenue, bienvenue ! s'écria la scientifique, souriante. J'espère que vous avez fait bon voyage...

Les trois hochèrent silencieusement de la tête, Élin et Syd avec des mines orageuses. Inquiet, le beau gosse à la queue de cheval fit un « yo » de la main, tentant de remonter l'ambiance... en vain.

— Bien, débuta alors la thésarde, ne ressentant absolument pas la tension qui plombait l'air. Aujourd'hui va débuter votre voyage initiatique, c'est un grand moment, j-j'espère que vous ê-êtes prêts...—la scientifique rougit, perdant contenance, puis en une inspiration se reprit. Je souhaite vous rappeler certains points avant de vous remettre vos Pokémon. Premièrement, il est obligatoire que vous voyagiez tous ensemble, vous participez après tout au programme « l'influence des relations interhumaines sur les Pokémon ». Deuxièmement vous ne devez surtout pas oublier de m'envoyer des comptes-rendus et des vidéos d'une manière systématique et régulière, sinon ce voyage n'a pas lieu d'être... Troisièmement, faites attention à vos Pokédex : ils coûtent cher et chaque donnée est précieuse. E-ensuite je vous présente Élineera...

C'était donc le vrai prénom de cette gamine infernale... malheureusement, ça voulait dire qu'elle participait au voyage ! Serrant les dents, Syd entendit à peine la réponse de l'intéressée, qui grommela un « je m'appelle Élin » agacé. Quoiqu'il en soit, Bianca poursuivit en l'ignorant, confirmant les doutes de l'adolescent aux yeux d'ambre :

— ... qui vous accompagnera durant votre voyage et fera aussi partie du programme. Sur ce, je vous remets vos Pokédex et vos Pokémon, je les ai choisis en fonction de vos résultats aux tests de personnalité, et j'espère qu'ils vous plairont.

Évitant avec application les flaques d'eau, la scientifique s'approcha d'abord du dernier arrivé : le garçon magnétique avec qui Élin s'était disputé.

— Syd Redding-Park ?

Syd. C'était donc ça, son prénom. Elle lui envoya un regard noir qu'il lui rendit parfaitement bien.

— Oui madame, répondit-il néanmoins avec un sourire très poli.

Quel lèche-cul ! 

— Ah euh—oui, inutile de m'appeler madame... enfin...

Bianca sembla s'emmêler les pinceaux, se perdre dans le fil de ses mots et se tordre la langue. Stressée, elle finit par tout simplement inspirer un grand coup. À croire que ce Syd rendait tout le monde nerveux... Enfin, la scientifique tendit un Pokédex, et une Pokéball au garçon, qui les accepta avec un hochement de tête agréable. Élin se mordit la langue, essayant d’oublier l’inquiétude de ne pas savoir quel Pokémon elle-même avait obtenu en guise de starter. Quant à Syd, il lui jeta un regard supérieur, cédant à une impulsion gamine.

Bianca se rendit ensuite auprès de l'autre représentant de la gente masculine, hésita, et lui tendit les deux mêmes appareils.

— Oscar Pistil ?
— Ouais ! Merci beaucoup ! sourit l'adolescent, faisant rouler sa Pokéball le long de son bras.

À ces mots, le ciel émit un nouveau grondement, menaçant, et le peu de clarté qu'il restait à l'horizon disparut. Bianca fit vivement signe à la seule autre fille, restée timidement en arrière, de se rapprocher.

— Tu es bien Elsa Hirata ? s'écria-t-elle, luttant pour se faire entendre malgré le vent renaissant.
La réponse fut inaudible pour la totalité des personnes présentes.
— D’accord ! poursuivit néanmoins Bianca. Voilà ton Pokédex et ton Pokémon !

De nouvelles gouttes de pluie s'écrasèrent sur le belvédère, arrachant un juron discret à la scientifique, tandis que les quatre adolescents fixaient, émus et interdits, leurs Pokéball. À cet instant, toute dispute, toute velléité guerrière disparut miraculeusement, s'évanouissant dans l'atmosphère électrique. Car leur avenir entier était à présent entre leurs mains, contenu dans une minuscule balle : la créature qu'ils allaient élever et chérir... Même Élin et Syd en oublièrent leur irritation, Otis, tout, le souffle coupé.

— Bon, on les ouvre ? proposa Élin brusquement, voulant s'arracher au plus vite de cette torpeur nerveuse, de cette paralysie !

Ils hochèrent tous la tête, se regardèrent avec prudence, puis débutèrent en chœur, certains accompagnant et dominant le chant du vent, d'autre non... 

— Un... 

Un éclair brillant dans le ciel.

— Deux... 

Bianca les fixait avec appréhension.

— Trois...

Et en un flash blanc, aveuglant, quatre dresseurs ouvrirent à l'unisson leur Pokéball, quatre créatures se matérialisèrent devant eux sur le pavé mouillé.

Un Gruikui pour Syd. Le petit cochon se raidit prudemment dès son premier contact avec le sol.
Une Vipelierre pour Oscar. La serpente émit un cri suraigu et enthousiaste dès son premier instant de conscience.
Au contraire, la Moustillon d'Elsa se cacha derrière son coquillage, presque apeurée d'être au dehors.
Le Pokémon d'Élin se posta loin du centre du groupe. Il fixait déjà les Pokémon assemblés avec un air impérieux de chef incontesté, de gangster. C’était un Baggiguane. 

— WOW ! Trop classe ! s'écria la toute nouvelle dresseuse avec des étoiles aux yeux. 

Bianca sourit, voulant exprimer sa satisfaction que le Pokémon lui plaise. Cependant, elle n'eut même pas la chance d'intervenir. Car quand deux personnes, fondamentalement, ne se supportent pas... elles se défient. Aussi, accompagnée des deux autres adolescents Oscar et Elsa, elle ne put qu'assister, impuissante, à la marche du destin.

Élin se fit volte-face, et comme en slow-motion, déclara : 
— SYD MACHIN-PARK, JE TE DÉFIE !
Et celui-ci, le regard se durcissant, rétorqua :
— Soit. Je vais te coller une raclée !