Chapitre 14 : Le Yin et le Yang
Tout droit. A droite au prochain. Encore tout droit sur cent mètres puis à gauche. C'était d'instinct que Lucas se déplaçait dans l'immensité du labyrinthe à présent éclairé par les étranges mots qui s'étaient mis à briller lorsque lui-même avait enclenché le processus permettant de faire apparaître le Pokémon Ténèbre. Sans vraiment comprendre comment cela était possible, il arrivait maintenant à se diriger sans la moindre difficulté et bien qu'il n'avait encore aucune idée de quel était son but, il savait qu'il devait aller jusqu'à la sortie. Cependant, il avait eu le temps d'émettre quelques hypothèses, toutes aussi farfelues les unes que les autres. D'abord, il s'était imaginé un énorme pistolet style Men-In-Black capable de renvoyer Giratina dans sa dimension pour toujours puis, plus réaliste, un Pokémon surpuissant capable de terrasser son adversaire en une seule attaque mais Darkrai en avait à peu près la capacité. Ensuite, il avait pensé à une formule magique, une incantation qui délivrerait Aurore de sa malédiction, mais cela lui semblait impossible.
C'est alors qu'à force d'errer, il entra dans un étrange couloir qui paraissait très profond puisqu'aussi loin que Lucas pouvait regarder, il ne voyait que du noir. Mais le plus étrange dans tout cela était sans nul doute le fait que les parois de cette longue route vers l'inconnu n'étaient autres que des miroirs, lisses et immaculés. Il devait s'approcher de la fin.
Il s'avança, fit un premier pas sur le sol noir. A sa gauche se tenait, droit comme un i, lui-même. A sa droite, idem. Il serait son seul allié lors de cette traversée. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il y avait autre chose de l'autre côté du miroir. En effet, bien qu'il soit seul dans le couloir, il vit que ce n'était pas le cas pour ses reflets. A droite, il y avait un décor somptueux cousu de nuages et de ciel dans lequel évoluaient des espèces de petites fées scintillantes. A gauche, au contraire, était dressé un horrible décor de roches et de lave où la vie semblait impossible malgré les étranges créatures noires qui s'y déplaçaient. C'était vraiment un phénomène curieux.
Peu confiant, Lucas fit quelques mètres. Rien ne se produisit. Soulagé, il en conclut, non sans une touche de scepticisme, que ces miroirs n'étaient là que pour la décoration.
Soudain, sur sa gauche, un des démons fondit sur lui. Bien qu'étonné, il n'eut pas le réflexe de bouger et attendit de voir ce qu'il allait se passer. Le petit monstre attrapa alors son reflet et bien qu'il n'y eut absolument rien dans la réalité, Lucas ressentit une forte pression sur son avant-bras. A ce moment, il vit d'abord ses vêtements puis sa chair brûler à vif et une foule de souvenir douloureux l'envahirent. Il hurla tout en essayant de se dégager le bras de cette chose invisible mais pourtant bel et bien présente qui lui consumait son corps et son âme. Finalement, il parvint à s'extraire de l'étreinte de son opposant mais son bras était déjà grièvement blessé. Il était recouvert de cloques et des fibres de son muscles pendaient piteusement. Lucas se sentait très mal. La tête lui tournait. Un épais brouillard s'installa dans son esprit. Désespérément, il fit de grands mouvements dans les airs en espérant attraper une fée. Il finit par en avoir une en s'aidant tant bien que mal du miroir de droite.
Aussitôt, comme il l'avait prévu, son bras se régénéra, la douleur disparut et une lueur d'espoir s'alluma en lui. C'était magique. Il était prêt pour un sprint. C'est alors qu'il eut des doutes. Et si le couloir faisait plusieurs kilomètres de long ? A pleine vitesse, il s'épuiserait avant la fin et, s'il n'allait pas assez vite, les démons l'attaqueraient de nouveau.
N'ayant aucune autre possibilité si ce n'est que celle de faire demi-tour, Lucas préféra ne pas songer à cette éventualité. Il poussa un long souffle et se prépara mentalement. Et sans prévenir, il se lança dans sa course folle à pleine vitesse. Dans chacun des miroirs, ce fut comme si une bombe venait d'exploser. Les fées s'agitèrent dans tous les sens autour de Lucas tandis que les démons se mirent à lui courir après à vive allure. A peine deux secondes après qu'il eurent tous commencer à sprinter, d'affreuses douleurs prirent Lucas de part et d'autres de son corps. En même temps qu'il courait, il agitait les mains autour de lui pour essayer d'attraper ne serait-ce qu'une fée mais sans résultat. Son cœur battait à tout rompre. Ses muscles se contractaient tous sous le poids de l'effort incommensurable qu'était celui de courir tout en résistant à la douleur qui se faisait de moins en moins supportable. Soudain, une force le retint par le bras. Un simple coup d'œil à gauche lui permit de voir qu'il s'agissait d'un monstre qui le tenait fermement par le poignet. D'un coup de pied, il s'en débarrassa. Hélas, la perte de temps engendrée avait permis aux autres de le rattraper. Des dizaines de brûlures apparurent sous ses vêtements en lambeaux. Il cria, il était à la limite de l'épuisement total. Usant de ses dernières forces, il recommença à courir dans ce couloir de la mort.
C'est alors qu'il eut la surprise de voir à quelques centaines de mètres de lui, en levant la tête, une porte. Divine providence ! Elle ressemblait à une tâche blanche sur une grande toile peinte exclusivement de noir, à la lumière au bout du tunnel. Cette vision, presque trop belle pour être vraie, le rassura et il redoubla de vitesse. Plus qu'une cinquantaine de mètres. Quarante-cinq. Quarante. Plus vite ! C'est alors qu'une lueur croissante sur la gauche attira l'attention de Lucas. Dans le miroir, le couloir se remplissait de feu ! Encore une vingtaine de mètres ! L'issue n'était plus loin ! Mais avant de l'avoir atteinte, Lucas sut qu'il était trop tard. La rafale arrivait beaucoup trop vite pour qu'il puisse être épargné. Dix mètres.
Lucas reçut la déflagration de plein fouet. Le souffle d'air chaud le propulsa en avant pour atterrir contre la fameuse porte en bois peinte de blanc et de noir. Au dessus se trouvait un symbole. Le Yin et le Yang.
Il n'y avait plus de feu dans le couloir mais les démons continuaient de courir et n'étaient maintenant plus très loin de Lucas. A bout de force, Lucas dut faire preuve d'une volonté d'acier pour réussir à se mettre en sécurité de l'autre côté de la porte qu'il referma derrière lui. Du sang coulait dans son dos cramoisi. Ses vêtements avaient été troués à de nombreux endroits par les petits démons, laissant apparaître sa peau fortement brûlée. Après avoir préalablement vérifié qu'aucun danger ne se trouvait alentours, le jeune dresseur alla s'appuyer comme il le pouvait contre un mur et ferma les yeux quelques instants. Il était à la limite de l'inconscience.
Il finit par rouvrir les yeux et regarda autour de lui. La salle dans laquelle il se trouvait ressemblait un peu au labyrinthe avec ses étranges motifs sauf que ce coup-ci, il ne risquait pas de s'y perdre tellement elle était petite. A vue d'œil, il jugea que sa taille était sensiblement identique à celle du labo du professeur Sorbier. Le seul détail qui le gêna fut que la seule issue qu'il y avait n'était autre que la porte par laquelle il était entré. L'adrénaline monta : allait-il devoir tout retraverser ? Il savait qu'il n'en aurait ni la force mentale ni la force physique ; il ne tenait presque plus debout. Tout ce que l'on pouvait dénoter dans cette pièce mise à part l'absence de sortie était la présence d'un coffre volumineux au centre de la salle, visiblement taillé dans la roche et portant les mêmes inscriptions lumineuses que les murs.
Dans un effort surhumain, Lucas chancela jusqu'au coffre et en souleva difficilement l'énorme plaque de roche qui lui servait de couvercle. Cette dernière bascula sur le côté dans un bruit fracassant. Lucas se pencha au-dessus de l'énorme boîte de roc pour en inspecter le contenu. Il y avait cinq objets et une lettre dont l'écriture était celle du propriétaire du manoir.
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Aurore était allongée par terre, inconsciente. C'est la sonnerie de son téléphone portable qui la réveilla. Affaiblie, encore sous le choc, elle hésita avant de décrocher mais après avoir regarder quelle était la personne qui essayait de la joindre, elle s'exécuta sur le champ.
-Professeur ! cria-t-elle en sanglotant. C'est affreux ! J'ai tout vu ! Ils sont morts ! ma sœur n'avait que sept ans ! Sept ans… répéta-t-elle en reniflant. Pourquoi eux !? Il n'avaient rien fait ! Mon grand père… POURQUOI ? JE NE VEUX PAS ! hurla-t-elle en s'écroulant au sol.
Le professeur attendit un instant.
-Aurore, commença-t-il d'un voix réconfortante. Je sais que c'est dur. J'ai connu ton grand-père et je l'aimais beaucoup moi aussi. Il faut que tu te calmes. J'ai réussi à échapper au Pokémon et je me suis réfugié quelque part où je continue mes recherches sur Giratina. Bientôt, tout sera fini Aurore.
Aurore avait écouté sans rien dire. Elle retenait les larmes qui étaient coincées dans sa gorge.
-Il faut que tu saches, continua le professeur Sorbier. Des personnes mal intetionnées peuvent t'en vouloir. Giratina possède une force que beaucoup voudraient avoir. Ils ne savent pas encore avec précision qui est la personne qu'ils cherchent mais ils le sauront bientôt. Certains savent même qu'il faut être né un quatre septembre. Il m'ont l'air d'avoir beaucoup de renseignements sur la Prophétie de Giratina. J'ai récemment entendu dire qu'ils avaient fait faire une liste de toutes les personnes nées le même jour que toi, toutes années confondues. Encore une chose. Ne panique pas mais Darkrai, le Pokémon Noirtotal, doit être à ta recherche lui aussi. Méfie-toi de tout le monde. Surtout, restez seuls toi et Lucas. Et ne lui dis rien sur ta Marque.
Aurore émit un faible son qui devait vouloir dire oui.
-Je suis désolé Aurore. Sois forte.
Il raccrocha. Aurore pleurait toutes les larmes de son corps. Quand cela allait-il recommencer ? Qui allait mourir ? Combien de familles seraient détruites ? Il fallait qu'elle mette fin à tout cela. Elle se leva et marcha, résolue, en direction de la cuisine. Là elle ouvrit tous les tiroirs en quête d'un couteau. Elle prit le plus gros qu'elle trouva et l'amena lentement à sa gorge.
Si elle mourait, il n'y aurait plus de victime. Et elle allait mourir.