Chapitre 12 : Le bain glacé
-Où suis-je ? demanda Aurore à haute voix en scrutant les ténèbres qui l'entouraient.
Tout d'abord, la jeune fille crut qu'elle était morte, qu'enfin tout était fini et elle fut soulagée pour Lucas. Ils n'auraient pas à faire un choix fatal. Puis, après avoir repris pleinement ses esprits, elle se rendit compte qu'elle était allongée dans un lit, très confortable par ailleurs. Peu à peu, ses yeux s'accoutumèrent à l'obscurité et un faible rai de lumière qui filtrait sous la porte de la pièce lui permit de voir l'endroit où elle se trouvait. Elle était dans une petite salle modestement décorée à l'aide de deux ou trois meubles dont une commode et une armoire et il n'y avait rien d'autre sur les murs qu'un seul petit cadre dont elle ne distinguait pas la photo à cause de l'obscurité ambiante.
Aurore se leva en prenant soin de ne pas faire de bruit afin de ne pas être remarquée par d'éventuels kidnappeurs. Lentement, elle s'approcha de la porte puis en saisit la poignée dorée qui tourna sans problème. Au moins, elle n'était pas enfermée. La chambre donnait sur un immense couloir où d'autres portes identiques à celle qu'elle venait de passer s'alignaient. Elle fit un pas en avant et sentit sous sa chaussure une chose à laquelle elle n'avait pas prêté attention : une lettre avec son prénom était posée au sol. Elle la ramassa et défit le cachet de cire représentant un Milobellus. Aurore commença sa lecture debout dans le couloir :
« Chère Aurore,
Vous me voyez heureux de vous savoir en bonne santé. Certes, rien de grave ne vous est arrivé mais, à mon départ, je n'étais pas tranquille de laisser dans mon manoir deux personnes qui ressortaient d'un terrible accident. Vous l'aurez compris, l'habitation est déserte, seuls vous et Lucas y habitez. Je vous demande d'en prendre soin jusqu'à votre départ, je déteste faire le ménage après de longs voyages. Après avoir lu cette lettre, vous devriez pouvoir trouver votre ami dans la chambre voisine à la vôtre. J'ai déposé à son chevet une potion dont vous n'aurez qu'à lui donner une cuillère pour qu'il se remette d'aplomb. Sur ce, je vous souhaite bonne chance, l'avenir vous réserve des moments difficiles.
Signé : votre hôte. »
Intriguée par cette lettre, Aurore s'empressa d'aller donner à Lucas son médicament pour avoir son avis sur leur situation quelque peu étrange. Elle suivit minutieusement les instructions et lui versa dans la bouche une cuillerée de l'étrange produit argenté contenu dans la bouteille. Une douce odeur émanait du flacon et elle-même, qui se sentait un peu faible, aurait bien aimé en boire une petite gorgée mais, par sagesse, ne connaissant pas les effets de ce produit, elle n'y toucha point. Trente secondes plus tard, Lucas gémit, remua légèrement puis ouvrit les yeux.
-Bon retour chez les vivants, lui dit gaiement Aurore, soulagée.
-Euh, salut, répondit Lucas.
Il se redressa lentement et observa les alentours. Sa chambre était semblable à celle d'Aurore quoique vaguement plus meublée. Il s'y trouvait un miroir, une table, une chaise et une télé de plus que dans la salle d'à côté. Depuis son lit, Lucas reconnut par la porte restée ouverte l'endroit où il s'était déjà réveillé après une attaque, l'endroit où il avait appris à invoqué Darkrai, l'endroit où, un jour, un vieil homme l'avait très certainement tiré des griffes de la mort… Il se leva brusquement.
-Tu as vu la personne qui habite ici ? Depuis combien est-ce que je dors ? Tu as des nouvelles sur le temple ?
Aurore lui lança un petit regard désolé et lui tendit la lettre :
-Je viens de me réveiller et j'ai trouvé ceci. Elle m'était adressée. Dans une minute, tu en sauras autant que moi.
Lucas lu la lettre lentement, la relu, laissa échapper un long soupir puis la rendit à Aurore.
-Donc, nous sommes seuls. Il y a peu, j'aurais été content d'être seul chez moi. J'aurais pu voler une petite tablette de chocolat, me planter devant la télé toute la journée sans que mes parents ne s'en plaignent et me coucher à cinq heures du mat' pour lire un livre et ne m'endormir qu'à six heures et demi. Mais là… Lucas s'arrêta quelques secondes, laissant sa phrase en suspens. Bon, allons voir s'il y a quelque chose d'intéressant en bas.
Les deux adolescents descendirent le grand escalier de marbre et se rendirent dans la salle à manger. Sur la table étaient posés des dizaines et des dizaines de paquets de gâteaux et de biscuits salés, des boîtes de conserve et des sandwiches. Apparemment, on avait pris soin de leur laisser des vivres qui se conservaient longtemps. Au milieu de ce bazar se trouvait un mot griffonné sur un petit bout de papier.
« En ces temps, du règlement tu dois te moquer
Car aujourd'hui le danger il te faut braver
Plonge courageusement dans le bain glacé
De son éclat la beauté saura te guider. »
Les deux jeunes restèrent perplexes. Ce message était pour le moins énigmatique.
-Tu crois que c'est un message codé ? demanda Aurore.
-Sûrement… Essayons d'interpréter. Alors… « En ces temps, du règlement tu dois te moquer ». En ces temps, c'est à cause de Giratina, et pour le règlement… tu crois que je vais devoir tuer des gens ?
-Non ! Surtout pas, jamais quelqu'un ne pourrait t'obliger à faire ça quand même ! On n'a que quinze ans ! Passons à autre chose. « Car aujourd'hui le danger il te faut braver ». Donc : Tu ne dois pas te plier aux règles car elles pourraient te gêner dans ta tâche, c'est ça ?
-Je pense… « Plonge courageusement dans le bain glacé ». Il me semble avoir vu un ou deux étangs dans le parc du manoir pendant mon dernier séjour, ainsi qu'une piscine.
-« De son éclat la beauté saura te guider ». Je ne comprends pas…
-Je pense que tu vas devoir m'aider. La beauté, c'est toi. Ton prénom est Aurore, l'aurore est une source de lumière, d'où « l'éclat ». Je vais donc avoir besoin de toi.
-Mais comment ?
-On verra sur place, allons d'abord voir ces étangs.
C'est un soleil radieux qui les baigna de ses rayons lorsqu'ils sortirent du manoir. La température atteignait des sommets, et il n'était pas encore midi. Les deux ados commencèrent à chercher les étangs dans le parc qui était assez bien entretenu. Ils ne tardèrent pas à les trouver, tout au fond, vers la forêt qui appartenait ces terres, à l'ombre. Il y faisait moins chaud qu'ailleurs. Quelques Ptitard nageaient gaiement dans l'eau claire des étangs dont on ne voyait pourtant pas le fond.
-Tu vas plonger ? demanda timidement Aurore ?
-Dans le bain glacé, dit simplement Lucas en guise de réponse.
Il se dévêtit jusqu'à n'être plus qu'en t-shirt et en boxer, s'approcha au bord du premier étang et s'y assit.
-Tu as la lampe ? dit-il en se tournant vers Aurore.
-Oui, répondit-elle en sortant de son sac une énorme lampe certainement capable d'éclairer les ténèbres les plus profondes.
-Alors à trois… un, deux… trois !
Après avoir longuement inspiré, Lucas plongea dans ce qui s'avéra être un vrai « bain glacé », comme écrit dans l'énigme. L'eau était gelée, ses poils s'hérissèrent sur son corps tremblant, la tête lui tourna. Enfin, après cinq longues secondes, Lucas s'adapta à son nouvel environnement et commença sa descente. Même avec la lumière qu'émettait la lampe d'Aurore, il ne voyait pas le fond. Il descendait, descendait encore, toujours, lorsqu'enfin, après une bonne trentaine de secondes passées à brasser l'eau dans de puissants mouvements de brasse, il toucha le sol. Il tâtonna pendant quelques secondes tous les endroits qu'il pouvait mais dut vite se rendre à l'évidence : il n'y avait rien ici. Pis encore, l'oxygène lui manquait gravement. Il recommença sa nage frénétique, en sens inverse cette fois mais ses muscles avait besoin de force, force qu'il avait réduite à néant durant sa descente. Désespérément, il brassa, brassa encore, toujours, en direction de la surface. Enfin il vit au loin, dans le minuscule cercle que formait la surface depuis l'endroit où il était, la lumière d'Aurore qui le guidait. A sa vue, il se sentit rassuré, nagea plus vite ; il lui restait un espoir. Tout se troublait autour de lui. Il fallait qu'il se dépêche ! Ses dernières forces l'abandonnaient tandis qu'il tendait la main vers le Ciel. Cette lumière tout au bout, était-ce le paradis ou bien son amie ? Il ne savait plus. Il sombrait.
Soudain, il sentit une main attraper la sienne, il était tiré vers le haut. La première pensée qui lui vint à l'esprit, et qui n'était pas la plus logique, était que Dieu le tirait à lui. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était étendu à côté de l'étang, séché, vivant. A côté de lui se tenaient Galifeu et Aurore qui le regardaient d'un air inquiet.
-Euh… dit-il. Il fait un joli temps pour faire trempette non ?
Le regard d'Aurore se durcit.
-Euh… répéta-t-il. Merci vous deux.
-C'est moi qui irai dans le prochain, affirma-t-elle avec conviction.
-Pardon ? s'étrangla Lucas. Il n'en est pas question, c'est trop dangereux !
-Et alors, je ne vois pas pourquoi c'est toi qui prendrais tous les risques !
-Parce que…
-Stop ! l'interrompit-elle. J'y vais un point c'est tout ! J'en ai marre d'avoir à porter ce qui pourrait être ton cadavre ! cria-t-elle, les larmes aux yeux.
-Je ne l'avais pas vu comme ça… murmura Lucas, confus. OK, mais d'abord, nous te lesterons avec des pierres que tu abandonneras au fond, cela te permettra de descendre plus vite sans te gêner pour remonter.
Aurore commença donc à se dévêtir jusqu'à ne porter plus qu'un débardeur au-dessus de ses sous-vêtements. Ensuite, à l'aide de lianes, ils fixèrent à ses chevilles, sa taille et ses mains de gros cailloux. Une fois qu'Aurore fut prête, Lucas s'équipa de la lampe et elle plongea dans le second étang prêt duquel il était planté un panneau portant l'inscription :
« Interdit de nager dans les étangs »
-Ce panneau donne son sens au poème, dit Lucas à haute voix pour lui-même.
Il prenait soin de bien inonder le bassin avec la lumière de la lampe afin qu'Aurore puisse y voir le mieux possible. Le temps passait très lentement, Lucas pouvait voir les secondes défiler sur sa Pokémontre. 1… Tandis qu'il était seul, les souvenirs le submergeaient. 2… Il se souvenait de sa dernière visite ici. 3… Du moment où il avait failli se tromper de porte pour aller manger. 4… Mourir dans d'atroces souffrances. 5… Une poignée dorée représentant un Pokémon gracieux. 6… Un Milobellus, la Beauté à l'état pur. 7…8…
-Mais oui !! cria Lucas.
Il aurait voulu dire à Aurore de remonter tout de suite, qu'il avait tout compris, que ça ne servait à rien. Mais comment ? Son amie était là, à quelques mètres de lui, en train de risquer sa vie, et il ne pouvait même pas lui dire que c'était inutile. Juste un signe, un message ! Elle ne devait pas encore être bien loin ! 21 secondes… Il allait lui faire le signal du SOS ! Mais comment le faisait-on déjà ? Court-long-court ou l'inverse ? Il ne s'en souvenait jamais. Après tout, un signal était un signal. Il éteignit et ralluma la lampe au rythme que l'imposait le message en morse. Il espérait qu'elle le verrait ! Inlassablement, il faisait clignoter sa grosse torche. 47 secondes…
Soudain, il vit la tête d'Aurore sortir de l'eau. Des petites gouttes volèrent autour d'elle. Elle respira un grand coup.
-Je suis désolée, j'ai vu ton signal mais j'avais vraiment envie d'aller voir au fond, s'empressa-t-elle de dire comme pour justifier sa longue immersion. Qu'y a-t-il ?
-Je voulais te dire que c'était inutile, je viens de comprendre le poème !
-Ça explique pourquoi je n'ai rien trouvé ? demanda-t-elle.
-Oui, nous nous trompions du tout au tout ! dit-il. La vérité était beaucoup mieux cachée ! Le règlement, c'était en fait les consignes que m'avait donné le vieillard lors de mon premier passage ! Le danger, cela reste Giratina. « Plonge courageusement dans le bain glacé » Celle-ci est un peu plus dur. Le bain glacé est la porte interdite. « Bain » c'est à cause du Pokémon représenté sur la poignée de porte qui est du type eau et « glacé » parce que cela évoque la Mort, qui est sensée… m'attendre derrière cette porte.
-Et le dernier vers ? interrogea Aurore.
-La Beauté, c'est parce que le Pokémon aquatique est un Milobellus, le plus beau des Pokémon.
-Impressionnant, souffla Aurore. Je n'aurais jamais trouvé.
Une fois qu'ils furent prêts, les deux adolescents se rendirent au manoir. Postés devant LA porte, ils se préparaient.
-Bon, commença Lucas. Le message m'étant adressé, je pense qu'il faut que j'y aille…
-Ah non tu ne vas pas recommencer ! s'énerva Aurore. Je t'accompagne.
-…que j'y aille seul ! termina Lucas d'un ton décidé. Je ne te laisse pas le choix, tu ne m'accompagneras pas.
Aurore hésita.
-C'est d'accord, finit-elle pas dire. Mais surtout… sois prudent.
-Voyons, tu dois me connaître maintenant, non ? plaisanta Lucas.
-Justement, fit-elle en rigolant. Allez. Bonne chance, Lucas. Reviens vite.
-A plus Aurore.
Et il passa la porte qu'il referma derrière lui.