Chapitre 7 : La chute de Mortimer
Près de la tour Cendrée, un dresseur ordonna à son Électrode d’utiliser Tonnerre sur un Magirêve. Avant d’être touché, ce dernier lança un Rayon Gemme, provoquant une nouvelle explosion.
Mortimer et Eusine accoururent sur les lieux de la bataille, suivis par Ténéfix et Noctunoir. Plusieurs habitants de Rosalia faisaient face aux Pokémon spectres sauvages.
– Que se passe-t-il ici ? demanda le champion d’arène.
– On t’a pas sonné, toi ! lui lança le dresseur d’Électrode. Ces Pokémon sont nuisibles, ils se croient chez eux, traversent les murs de nos maisons quand ça leur chante et nous jouent des tours.
– Et maintenant, ils évoluent ! cria une femme.
– C’est impossible, souffla Mortimer pour lui-même.
Pour qu'un Feuforêve se transforme, il fallait recourir à une Pierre Nuit. Or, il n’avait pas eu connaissance de leur existence à Rosalia. Mais sa priorité était de venir en aide à ce Magirêve encerclé :
– Ce n’est pas une raison pour les attaquer comme…
– Tais-toi ! scandèrent plusieurs personnes. On ne veut plus t’entendre !
La foule lui fit des gestes obscènes. Mortimer était sous le choc. Ses concitoyens ne le respectaient plus. D’abord, les institutions – à commencer par la police – désormais les habitants. Eusine s’avança vers eux, l’air revêche :
– Vous devriez avoir honte de vous comporter ainsi ! cria-t-il. Il est votre champion !
Mais les insultes et propos malveillants redoublèrent :
– Ferme-la, sale Larveyette !
– Rentre à Céladopole et amène ton p’tit copain avec toi, on ne veut pas de lui !
– On ne veut pas de gens comme vous, ici !
– C’est à cause de lui qu’il y a tous ces spectres ! C’est lui, le problème !
Puis, pour appuyer leurs propos, l’Électrode lança Destruction.
La brume se dissipa sous le souffle, révélant les visages des habitants déformés par la haine. Grâce à son type, le Magirêve ne subit aucun dégât. Voyant cela, le dresseur d’Électrode le rappela.
– Les imbéciles, murmura Mortimer pour lui-même.
Quelqu’un lança une Poké Ball et un Cadoizo en sortit. Le Pokémon ouvrit son bec et une sphère bleutée se forma. Mortimer reconnut aussitôt l’attaque Laser Glace.
– Va aider Magirêve ! cria-t-il à son Ténéfix.
Mais Ténéfix ne fut pas assez rapide. L’attaque frappa de plein fouet le Magirêve qui tentait de s’enfuir sous le rire gras des habitants.
Le Pokématos de Mortimer sonna : Agatha.
– Réponds ! ordonna-t-il à Eusine en le lui lançant.
Le champion courut vers le Magirêve étendu à terre et se retourna vers la foule. En voyant leur haine apparente, il comprit qu’il lui était impossible de les raisonner. Leur fureur était si démesurée qu’ils ne pouvaient rien entendre.
Ténéfix se positionna face à lui et utilisa Détection sans attendre. Noctunoir lança Groz’Yeux pour intimider la masse de gens.
– Vous voyez ? scanda un homme. Il est de leur côté ! Butez-le !
Les habitants se mirent à lui jeter des pierres. Noctunoir entra dans une rage folle et débuta l’attaque Vibrobscur.
– Arrête ! ordonna Mortimer en se protégeant le visage. Emmène-moi au Centre Pokémon, ajouta-t-il en lui lançant son écharpe.
Aussitôt, le Pokémon l’attrapa et inversa son attaque Gravité après que son maître eut pris Magirêve dans ses bras. En s’installant, le visage de Mortimer fut exposé et il reçut un caillou sur le front. Des étoiles scintillaient devant lui sous l’impact. Le galet qui l’avait blessé étincelait sur le sol.
– Une Pierre Nuit ? s’exclama-t-il en plissant des yeux.
Les paroles de Keiko lui revinrent : « On dit que, dès la première nuit, le climat change afin que l’Évoli s’adapte à son environnement… Ce climat est celui qui déterminera le type de l’Évolition. »
Il n’y avait plus de doute : même de vulgaires cailloux s’adaptaient et devenaient des Pierres Nuit. Néanmoins, la vitesse à laquelle le climat changeait au point que les minéraux se transforment ainsi était incroyable. Le rituel de cette deuxième nuit avait dû accélérer les choses. Il fallait à tout prix s’assurer qu’il soit interrompu par l’absence de Tamao au risque de voir Rosalia devenir une ville fantôme.
Il voulut rappeler Ténéfix qui tentait de maîtriser les projections les plus volumineuses, mais il ne pouvait pas attraper sa Poké Ball avec Magirêve dans ses bras. Pourtant, comme s’il avait entendu, Ténéfix se retourna vers lui, dans l’attente d’ordre.
– Essaie de revenir, lui dit le champion.
Le Pokémon s’élança vers lui et la lumière rouge émanant de sa Poké Ball l’enveloppa et le ramena à l’intérieur.
Noctunoir s’éleva, tenant l’écharpe sur laquelle était assis Mortimer soutenant Magirêve.
– Il s’enfuit ! cria une femme.
Eusine le regarda s’envoler, l’air paniqué, le combiné collé à son oreille :
– Ton arène ! hurla-t-il à Mortimer.
Le champion tourna la tête en direction de son arène tout en continuant à monter dans les airs. Il ne pouvait rien apercevoir, le brouillard empêchait de voir si loin.
– Il faut que j’aille au Centre Pokémon ! lança-t-il à l’adresse d’Eusine avec la voix tremblante.
– Ne t’occupe pas de moi ! l’assura celui-ci alors que des habitants commençaient à lui jeter des projectiles à son tour.
Eusine sortit un Alakazam et ils se téléportèrent.
– Vous avez entendu ? cria un homme. Il va au Centre Pokémon ! Allons-y avant lui !
Le dresseur de Cadoizo ordonna à son Pokémon d'utiliser à nouveau Laser Glace, mais Noctunoir était suffisamment haut, à présent, pour l’éviter. Le brouillard les enveloppa et leur permettait d’être un peu plus à l’abri des regards.
Noctunoir continua son ascension, mais Mortimer était toujours dérangé par la brume pour voir son arène.
– Feu Follet, demanda-t-il calmement, avec une pointe d’inquiétude.
Malgré ses mains prises par l’écharpe, le Pokémon réussit à faire naître quatre flammes de taille modeste qui s’éloignèrent au loin. Le brouillard se dégagea suffisamment pour offrir à Mortimer un spectacle effroyable.
La toiture de son arène était dévorée par le feu.
Son cœur se déchira.
Un brouhaha se fit entendre sur la ville. Des sirènes de pompier mêlées à celle des policiers. Des bruits sourds d’attaques. Des cris de Pokémon. Rosalia plongea dans un chaos sans précédent.
Ils se dirigèrent vers le Centre Pokémon, survolant les bâtiments. En s’approchant du symbolique toit rouge, il entendit des hurlements de voix :
– Il est là !
– Dégage, avec tes Pokémon spectres ! Vous n’êtes plus chez vous !
Quelques rares personnes prirent sa défense :
– Laissez-le ! C’est notre champion, il sait ce qu’il fait !
Mais leurs paroles étaient vite étouffées par les autres :
– Qu’il s’en aille !
– Reprends tes parasites !
Au milieu de ce vacarme, l’infirmière Joëlle tenta d’apaiser l’assistance :
– Calmez-vous, je vous en supplie ! Nous sommes ouverts pour tous les Pokémon et tous les humains qui en ont besoin. Mortimer est votre…
– Où était-il, hier soir, lors de l’incendie ? la coupa un homme. On ne l’a pas vu nous aider !
– Ce sont ses fichus spectres qui ont mis le feu à la tour, c’est certain !
– Occupez-vous plutôt des Pokémon qui sont blessés et qui ont défendu notre patrimoine, cette nuit ! hurla une femme à l’infirmière.
– Mais nous nous en occupons, déjà, assura Joëlle, s’il vous plait ! Gardez votre calme.
Il était trop dangereux de descendre au Centre Pokémon. Mortimer demanda à Noctunoir de s’élever davantage, au plus haut qu’il pouvait.
Vaillant, le Pokémon montra des signes de faiblesse en resserrant sa prise sur l’écharpe. Il obéit et emporta son maître au loin en continuant leur ascension.
Mortimer devina par des ombres et des bruits, dans les rues, les combats de Pokémon.
– Il y a deux Skelénox, ici ! scanda la voix d’une femme.
Il se crispa à l’idée que les spectres sauvages étaient pris d’assaut par les habitants. Ceux-ci les considéraient comme responsables de l’incendie. Leur apparition mystérieuse avant l’évènement effroyable de la nuit dernière suffisait aux gens de faire un lien direct et sans relativité.
Ils étaient si haut à présent que le vent glacé de l’altitude fouetta le visage de Mortimer. Ayant dépassé l’épais brouillard, il vit la ville d’en haut et ressentit une tristesse infinie. Comme un immense coton, la brume recouvrait tout Rosalia, mais n’étouffait pas le vacarme de la ville. À l’ouest, la fumée noire due au vandalisme de son arène s’élevait après avoir transpercé le brouillard, emportant dans les flammes l’héritage de sa mère.
Son cœur se serra et il ne put retenir ses larmes. Il n’avait nulle part où aller. D’une main, il tenait le Magirêve, de l’autre l’écharpe pour garder l’équilibre. Peut-être fallait-il apporter le Pokémon blessé à un Centre Pokémon voisin ? pensa-t-il, mais la route serait trop longue pour Noctunoir. Et si, par malheur, à pied, il croisait des personnes hostiles sur son chemin, cela ne fera que le retarder. Revenir chez lui aurait été trop dangereux, des vandales pourraient l’attendre.
Le soleil offrit ses rayons dorés de fin d’après-midi, comme pour attendrir la violence qui se déroulait en bas. Au milieu du ciel de Rosalia, surplombant la ville et sa brume fantomatique, Mortimer lévitait, démuni. Il contemplait la perte de tous ses repères. Jamais encore des concitoyens ne s’étaient retournés ainsi contre son champion. Même à Jadielle lorsque l’on avait appris que Giovanni était à la tête de la Team Rocket.
Pourtant, les habitants de Rosalia ont toujours eu un certain respect pour lui jusqu’à présent. Mais en fermant son arène, les institutions locales n’ont fait qu’attiser la méfiance de la population à son égard. Il faut croire que l’ignorance mène à la peur… puis à la haine.
Ses yeux se brouillèrent de larmes. Sa gorge se noua.
Il se revit, enfant, seul sur sa balançoire, pleurant la perte de sa mère. Celle qui lui a tricoté son écharpe violette légendaire. Cette même écharpe qui le portait au-dessus de sa ville à cet instant. Il ressentit les mêmes émotions qu’autrefois et baissa la tête, accablé par le chagrin.