Chapitre 2 : Mortimer face à son destin
Mortimer s’avança à grande enjambée vers la tour Cendrée. Derrière lui, Eusine peinait à suivre.
— J’aurais dû me douter que tu revenais pour ton propre intérêt, lâcha le champion d’un ton sec.
Eusine accéléra son rythme pour le rattraper :
— Ralenti un peu, s’il te plait ! La tour ne va pas s’envoler… Attends-moi !
Mortimer pivota brusquement, le forçant à s’arrêter net :
— C’est une manie, de toujours me demander ça ?
Eusine se recoiffa, mal à l’aise.
— Sérieusement ? dit-il d’un rire jaune. Tu veux en reparler maintenant ?
— Quand, sinon ? Ton Pokématos est cassé depuis des mois !
— Pas exactement, je ne capte pas partout et, tu sais, quand je suis en investigation poussée pour trouver Suicune…
Mortimer lui tourna le dos, reprenant sa route. En passant devant sa boîte aux lettres, il attrapa le courrier et ouvrit une enveloppe. Le visage impassible, il lut d’une traite le message, sans toutefois maîtriser un léger rictus.
— Les nouvelles sont bonnes ? tenta Eusine en cherchant à adoucir l’atmosphère.
— Mieux que ton arrivée.
— Vraiment ?
— On veut me destituer de mon arène, répliqua Mortimer en jetant son courrier dans une poubelle de rue.
Eusine cligna des yeux.
— J’ai toujours du mal avec ton second degré, lança-t-il en haussant les sourcils.
— Et moi avec tes excuses.
Un Branette et un Polichombr passèrent devant eux, se chamaillant, suivis d’un Miaouss qui s’amusait à les pourchasser.
— Pourquoi te destituer ?
— Tu as tes secrets, j’ai les miens.
— Laisse-moi un instant pour t’expliquer, s’il te plait, renchérit Eusine.
Pour toute réponse, Mortimer accéléra le pas. À bout de souffle, Eusine lança une Poké Ball :
— Entrave !
Un Soporifik claqua des mains et Mortimer sentit ses pieds se figer au sol. Il le fusilla du regard :
— Tu sais que c’est interdit d’attaquer un humain ?
— J’avais déjà testé cette attaque sur moi, rassure-toi, lui dit Eusine. Jamais je ne te ferais de mal. Mais tu ne me laisses pas le choix.
Ectoplasma jaillit des pavés de la rue, menaçant, et lévita aux côtés de son dresseur.
— Tu as cinq minutes avant qu’il ne te corrige, prévint le champion d’arène.
Eusine lui sourit.
— J’y suis presque, Mortimer ! Suicune ! Je t’assure !
— Tu rabâches toujours les mêmes histoires.
— Pas cette fois. Hier soir, ses empreintes étaient aux portes de la ville. C’est pourquoi je suis là.
Mortimer détourna le regard, méfiant.
— En arrivant, j’ai entendu les cloches, reprit Eusine, ému. Je me suis dit que c’était un signe. Suicune est de retour chez lui.
Le sourire aux lèvres, les yeux pétillants, Eusine émit un petit rire.
— Toi aussi, tu es de retour chez toi, lui lança Mortimer. Mais ça, tu l’as oublié.
— Je ne suis…
— Je ne parle pas de Céladopole, coupa le champion.
Le visage d’Eusine se ferma.
— J’ai vu que mon nom n’était plus sur ta boîte aux lettres, soupira-t-il, presque inaudible.
— Un an à tout renvoyer chez tes parents, c’est trop.
Ectoplasma joignit ses mains, ce qui eut pour effet de libérer Mortimer. Le Pokémon se tourna vers Soporifik en attendant les ordres de son maître.
— On continue, lui lança-t-il en repartant d’un pas vif.
Eusine resta seul avec son Soporifik, ne sachant que faire. Son euphorie de s’approcher près de son but retomba comme un poids sur le cœur.
La brume engloutit le champion d’arène presque instantanément sous le regard d’Eusine.
Son agacement renforçant sa détermination, Mortimer franchit les barrières de sécurité autour de la tour Cendrée. Un policier l’interpella, son Caninos aboyant à gorge déployée. Une attaque Groz'Yeux d’Ectoplasma suffit à les calmer aussitôt.
— Je suis navré, je ne vous avais pas reconnu, bredouilla le policier.
Mortimer poussa les lourdes portes. Le champion avait le regard plus vif que la nuit dernière. Il s’avança vers le bord du cratère central avec précaution. Le plancher était fragile et l’odeur de brûlé flottait encore dans l'air, bien que plus subtil, cent cinquante ans après.
Aucun Pokémon sauvage n’était présent. Tous avaient déserté les lieux.
Le champion prit une grande respiration et ferma les yeux. À ses côtés, Ectoplasma en fit de même.
Ils restèrent un moment ainsi, cherchant des réponses aux questions, aux problèmes qui se posaient. Soudain, Ectoplasma fit volte-face, en position de combat.
— Tu es trop troublé, lança une voix trainante dans son dos.
— Pas assez pour ignorer ta présence, Agatha, répondit Mortimer en souriant.
La doyenne du Conseil 4 s’avança, son Ectoplasma à ses côtés. Celui de Mortimer se détendit.
— Ton Pokémon à l’air bien dressé, dit-elle en le jaugeant du regard.
— Je te remercie, mais je ne l’ai pas encore assez entrainé pour qu’il égale le tien.
— Tu es trop humble, Mortimer.
Agatha se pencha doucement vers le trou central des ruines où l’on pouvait voir le sous-sol.
— Tu es ici pour avoir ma réponse ou pour savoir ce qui s’est passé cette nuit ? lui demanda le champion.
— Les deux, affirma-t-elle. Ça constitue une assez bonne raison pour me déplacer.
— J’ai reçu la lettre. Je refuse de quitter mon arène.
Un silence pesant s’installa. Les deux dresseurs se tenaient face au vide, leurs Ectoplasma respectifs près d’eux. Agatha se redressa, sa canne entre ses mains et le sermonna en souriant :
— Pour s’élever, il faut parfois savoir se délester du poids du passé.
— De quoi parles-tu ? demanda Mortimer, embarrassé.
— Du p’tit mignon que t’as laissé dehors avec son Soporifik. De ton arène. Des deux. Ça constitue une assez bonne raison pour s’élever.
La brume les enveloppait comme en réponse au trouble du jeune homme. Agatha lui tendit un objet sphérique.
— C’est une Gemme Sésame, expliqua-t-elle. En tant que champion d’arène, il t’est interdit de l’utiliser. Mais si tu acceptes ma proposition, tu pourras y avoir recours dans la Ligue.
Surpris, Mortimer saisit la gemme avec précaution sous le regard de son Ectoplasma.
— Comment ça se fait ? demanda-t-il, ébahi.
— Nouvelles directives, sourit Agatha. La Ligue doit être plus sélective. Les mégaévolutions sont cautionnées pour les membres du Conseil 4. C’est pour cela que tu serais parfait pour me remplacer avec ton Ectoplasma.
— Je pensais que Marion…
— C’était temporaire. Ayant l’âge que j’ai, et une certaine renommée, j’ai le loisir de choisir mon successeur. Ne m’oblige pas à argumenter davantage, j’ai horreur d’implorer.
Le champion émit un petit rire. Son rêve pouvait devenir réalité : être un membre du Conseil 4 des régions Kanto et Johto. L’unique condition était d’être destitué de l’arène de Rosalia. Le double poste était impossible. Mais l’idée de laisser son arène était difficile à accepter. Elle était l’héritage de sa mère. Il se devait de la garder au sein de sa famille, mais il n’avait plus personne, aucune descendance. Il pensa à Koga. Lui n’avait pas eu ce problème : lorsqu’il s’est vu proposer cette opportunité quelques mois plus tôt, il avait formé sa fille pour reprendre l’arène de Parmanie.
Agatha coupa le champion dans ses réflexions :
— Qui connaît vraiment l’histoire de cette tour ?
Ne sachant où elle voulait en venir, Mortimer mit un temps avant de répondre :
— Tous les habitants. Nous sommes tous au…
— La véritable histoire, enchérit la vieille femme. Sans secret ! Sans fioritures ! Des cloches mystérieuses sonnent au beau milieu de la nuit, il est évident que ça fait écho à ce qu’il s’est réellement passé ici, autrefois. Si tu désires résoudre les problèmes, il faut peut-être remonter à la source même de l’histoire.
— Les sœurs Kimono, je pense, ajouta Mortimer. Elles perpétuent la tradition et la légende de ces deux tours.
— Je ne parle pas que de ce problème-ci, dit Agatha en désignant le trou central. Le vide n’est pas que sous mes pieds, mais aussi là.
D’un geste vif, elle pointa le cœur de Mortimer.
— De quoi… commença le champion.
Elle tapa le sol de sa canne et marcha vers la sortie.
— Je m’interroge réellement sur la raison pour laquelle les Pokémon légendaires de cette région se sont retrouvés ici, il y a cent cinquante ans… Les sœurs Kimono en savent peut-être plus que ce qu’elles ne prétendent dans leur spectacle.
Sans rien dire, Mortimer la regarda partir.
— La gemme sésame irait bien sur ton bandeau, mon garçon, ajouta-t-elle en se dirigeant vers la porte. Mais seule, elle ne fera rien.
Son Ectoplasma se retourna et lança une bille colorée avant de suivre sa dresseuse vers la sortie. L’Ectoplasma de Mortimer la rattrapa au vol et, tout penaud, la tendit à son maître.
D’un coup d’œil, le champion reconnu l’Ectoplasmite. D’abord surpris, il voulut retenir Agatha, mais celle-ci avait déjà franchi la porte. Alors, il se résigna :
— Garde-la, mon ami, lui dit-il en posant sa main sur son Pokémon.