Chapitre 1 : Les cloches
Des cloches éclatèrent dans le silence. Douze coups parfaitement espacés.
La ville endormie tressaillit sous une bourrasque glaciale faisant claquer Les volets des maisons.
Mortimer ouvrit les yeux. Dans la pénombre de la chambre, Ectoplasma flottait près de la fenêtre, ses yeux rouges scrutant l’horizon. La pleine lune éclairait de sa lueur spectrale les contours de deux tours dont une était entièrement détruite.
— Pourquoi la tour Carillon sonne à cette heure-ci ?... murmura le champion de l’arène en s’approchant de la fenêtre.
Ectoplasma lui lança un regard et pointa du doigt les ruines de la Tour Cendrée. Mortimer pâlit.
— Impossible…
Une brume épaisse glissa dans les rues, comme tombée d’un souffle invisible. Des silhouettes se dessinèrent dans le brouillard ressemblant à des Feuforêve, des Fantominus, des Skelénox, des Polichombr et d’autres Pokémon fantôme. Mortimer n’en revint pas.
— Des spectres… ici ?
Au même moment, une horde de Pokémon composée de Rattata, Rattatac, Nosférapti et Smogo s’échappèrent de la Tour Cendrée.
— Que leur arrive-t-il ?! s’exclama Mortimer, inquiet.
Ectoplasma planta son regard dans celui de son dresseur puis désigna à nouveau les ruines de la tour.
En un geste, Mortimer enfila son manteau et ajusta son bandeau. Il sortit dans la nuit, Ectoplasma sur les talons. Les Pokémon spectres semblaient indifférents à leur présence et déambulaient simplement à travers la ville.
Arrivé face à la tour, le panneau d’information attira l’attention du champion :
« DEtruiTe paR un mYstérIeuX iNCendie. ResteZ à L'écart Pour vOtre propre SécUrIté. »
Les lettres paraissaient difformes. La fatigue, certainement. Il n’en tint pas compte et poussa la lourde porte noire des ruines de la tour. Malgré l’absence de toit, l’air semblait ici plus froid. Trop froid.
Ectoplasma émit un son guttural, méfiant. Avec une légère inquiétude, Mortimer appela :
— Il y a quelqu’un ?
Un bruit sourd répondit. Une ombre fila au loin, disparaissant dans un escalier à demi effondré.
— Regard noir ! ordonna le champion à son Pokémon.
Un éclair violet jaillit de yeux d’Ectoplasma, illuminant un instant les murs calcinés.
Mortimer dévala les escaliers, le cœur battant, prêt à faire face au mystérieux inconnu. Mais l’étage inférieur était vide. D’un geste rapide et silencieux, il attrapa une de ses Poké Ball et l’ouvrit. Ténéfix en sortit silencieux, tendu.
— Détection, murmura Mortimer.
Les yeux de Ténéfix brillèrent et sondèrent les lieux, prêt à se protéger.
Ectoplasma se plaça devant son dresseur et agita brièvement ses bras. Une lumière sombre émergea de son corps et émit une vibration qui se propagea dans la tour.
— Bien vu, chuchota Mortimer en ayant reconnu l’attaque Lien du Destin.
Ils patientèrent tous trois pendant quelques instants, à l’affut du moindre bruit, de la moindre vision.
Ténéfix se détendit et secoua la tête. Il n’y avait personne. Ni humain, ni Pokémon.
Ectoplasma paru soucieux. Presque inquiet. Pour la première fois.
Au petit matin, la brume n’avait pas quitté Rosalia, empêchant les rayons de soleil d’illuminer la ville. Les Pokémon spectre erraient toujours dans les rues, se glissant entre les passants. Devant le commissariat, une foule agitée se pressait. L’agent Jenny, le visage marqué, tentait difficilement de contrôler la situation :
— Merci de garder votre calme. S’il vous plait !
— Que s’est-il passé ? cria une femme.
— C’est un avertissement, j’vous dis ! menaça un vieil homme.
— Un coup monté ! Une farce de mauvais goût ! maugréa un autre.
— Cette brume est effrayante ! protesta la fleuriste de la ville.
Mortimer se fraya un chemin à travers la foule. Des regards accusateurs l’accrochaient.
— Que font vos Pokémon spectre dans les rues ?
— Vous êtes derrière tout ça ?
— Alors Mortimer, vous allez faire quelque chose ?
Il ne ralentit pas. Arrivé au niveau de l’agent Jenny, celle-ci lui ouvrit la porte derrière elle et souffla :
— Entrez, vite !
Sur le seuil, il se tourna pour s’adresser à la foule :
— Ces Pokémon ne m’appartiennent pas, mais ils sont inoffensifs. Ne leur faites aucun mal, je vous en prie.
Le brouhaha redoubla derrière lui quand il pénétra dans le hall. Jenny fit signe à deux officiers de garder l’entrée et conduisit Mortimer dans un bureau. A
l’intérieur, le Maire de Rosalia l’attendait en compagnie d’une jeune femme.
— Merci d’être venu, lui dit le Maire en lui serrant la main. Vous connaissez bien sûr Tamao, l’ainée des sœurs Kimono.
La jeune femme s’inclina légèrement. Noctali, à ses pieds, demeurait immobile, ses yeux jaunes fixant Mortimer sans ciller.
— Je suis heureuse de te voir, Mortimer, dit Tamao d’une voix fatiguée.
— Nous attendons juste… enfin, passons, se reprit le Maire. Je vous ai convié tous les deux pour échanger sur ce qu’il s’est passé cette nuit. Je vous avoue que je suis très inquiet et, comme vous l’avez vu, nos concitoyens également. Il me faut des réponses claires et rapides. C’est pourquoi j’ai besoin de votre expertise. Que pouvez-vous me dire ?
Le champion de l’arène raconta son exploration nocturne des ruines de la tour Cendrée, sans grand succès.
— Quelqu’un serait donc responsable de la sonnerie des cloches ? demanda le Maire.
— Quelqu’un… ou un Pokémon, rectifia Mortimer.
— Il n’y a plus de cloches depuis l’incendie, il y a cent cinquante ans, corrigea Tamao.
Un silence lourd s’installa.
— Celles de la tour Carillon sont en rénovation depuis quatre jours, précisa le Maire. Alors comment…
Mortimer reprit :
— Les spectres ne sont pas là par hasard. Il n’est pas rare qu’un bruit comme des cloches ou une hallucination précèdent l’apparition des Pokémon spectre.
— Une hallucination qui touche toute une ville ? s’exclama le Maire, surpris.
— Ça, c’est plus rare, en effet, reconnu le champion.
Tamao resta silencieuse, le regard dans le vague.
— Tu n’as rien remarqué d’inhabituel ? lui demanda Mortimer.
— Non, répondit-elle en secouant la tête, comme pour chasser une idée. Juste la brume, les cloches et… rien d’autre.
Soucieuse, la jeune femme fixa la fenêtre, où l’on distinguait, derrière le voile blanc, un Skelénox traversant lentement la rue.
Mortimer chercha ses mots pour la rassurer :
— On va trouver qui est derrière tout ça.
La jeune femme ne détacha pas son regard de la fenêtre, l’air absente.
— Si les cloches sonnent, c’est pour annoncer le retour de Suicune, dit une voix à l’entrée du bureau.
Tous trois se retournèrent. Dans l’encadrement de la porte, un jeune homme vêtu d’une cape immaculée dégagea la mèche de son front.
A cette vision, le cœur de Mortimer se serra.
— Eusine, dit-il, plein de mépris.