Une ville où il fait bon mourir de GumZ80

Tous les jours, aux premières heures de l’aube, Lavanville retrouvait le calme mortuaire qui faisait la réputation de cette ville.
Même lorsque l’heure de se rendre au travail sonnait, les habitants se déplaçaient d’un pas léger, d’un pas fantomatique. Sans un bruit.

Mais pas ce matin.

Sur la place centrale de Lavanville, avait été installée, durant la nuit, une estrade sur laquelle se tenait CROMAN, le maire récemment élu de la ville. Croman était un homme à la silhouette athlétique et à la peau halée.
Petit à petit, les habitants se réunirent, sans un bruit, face à l’estrade.

Bien que cela fasse maintenant 8 mois que lui et sa famille s’étaient installés à Lavanville – et 1 mois qu’il avait été élu maire – Croman ne s’était toujours pas habitué à l’ambiance pesante de sa nouvelle ville.
Originaire de Galar, région qui vit au rythme des matchs endiablés dans les Stades Pokémon et où il fut maire de la ville de Skifford, Croman avait toujours eu l’habitude de se déplacer accompagné de gardes du corps.

Force est de constater qu’aujourd’hui, à Lavanville, ses deux gardes du corps et leur Tartard respectifs n’étaient pas d’une grande utilité.

Quand la foule fut réunie, Croman débuta alors son discours.

- Lavanvillois, Lavanvilloises, mes chers concitoyens, mes chères concitoyennes.

Le maire ne peut s’empêcher un soufflement de lassitude face à l’absence totale de réaction de la part des habitants.

- Nous sommes en guerre. reprit-il. En guerre contre nous-même !

Croman avait mis du temps à choisir ces mots qu’ils qualifiaient d’électro-chocs. « Il semblerait que nos concitoyens soient de type sol », pensa-t-il en ricanant. Il continua son discours :

- Notre bien aimée ville, est décriée par nos voisins. Ce torchon de « Voix du Kanto » l’a même surnommée « la ville où il fait bon mourir ».

Sur ces mots, le maire lança son exemplaire du journal aux pieds de la foule qui ne broncha pas.

- Et ceci, je vous le dis, mes chers concitoyens, est inacceptable.

A la réaction des habitants, Croman devina qu’eux l’acceptaient.

- Quand vous m’avez élu, je vous ai fait la promesse de faire de Lavanville une ville meilleure. Je vous ai fait la promesse qu’un jour, les touristes se bousculeraient pour venir chez nous. Et ce jour-là, c’est aujourd’hui !

Toujours aucune réaction.

- Lavanville possède toutes les ressources pour devenir la ville numéro 1 de Kanto. Nous avons aussi bien la mer au Sud de la ville que des montagnes au Nord. Nous sommes proches d’autres grandes villes de la Région comme Céladopole ou Parmanie. Il est hors de question, je vous le dis, que nous restions « une ville où il fait bon mourir » !

Bien que Croman se prenne au jeu de son propre discours, l’attention des Lavanvillois et Lavanvilloises est toujours aussi spectrale.

- Pour transformer notre ville, j’ai consulté de nombreux architectes. Ensemble, nous avons convenu que la pièce maîtresse de Lavanville était notre Tour Pokémon ! Et ensemble, nous avons convenu que cette Tour deviendrait la prochaine Tour Radio du Kanto !

Les deux gardes du corps de Croman initièrent un « oh » d’émerveillement. Aucun retour de la foule ne fut entendu.

Croman reprend :

- Notre nouvelle Tour Radio sera entièrement écologique et dépendra d’énergies naturelles. Au pied de celle-ci sera installé un jardin fleuri pour permettre aussi bien aux habitants qu’aux gens de passage de déjeuner et de passer du bon temps tout en écoutant les derniers hits de la région. Nous allons également étendre Lavanville le long de la route 12 sur laquelle nous bâtirons différents espaces de restauration et d’activités nautiques comme le Jet-Lamantine ou le Rapasdepic-Wing. A l’intérieur même de la Grotte au nord de notre ville, nous allons construire le premier Escape Game en milieu naturel. Croyez-moi, mes chers concitoyens et mes chères concitoyennes, Lavanville va devenir Lavan-Vivre !

Les deux gardes du corps applaudissent timidement, plus par obligation professionnelle que par réelle envie.
N’ayant aucun retour des habitants, les applaudissements se turent.

- A partir de demain, conclut Croman, vous croiserez dans notre ville les employés, humains et Pokémon, de Mackonstruction, la société que nous avons choisie pour être celle qui redonnera vie à notre magnifique ville. Je vous prie de leur faire un accueil des plus chaleureux que vous seuls avez le secret.

Si Croman avait tenu ce même discours à Paldea, il est persuadé qu’il aurait aperçu un Virovent rouler derrière la foule comme dans les vieux films de Western qu’il regardait dans sa jeunesse. Croman s’égara dans ses pensées et se souvint du film « Le Bon, la Brute et le Bourrinos » qu’il avait découvert avec son père, alors que lui n’avait que 10 ans et qu’il avait dû regarder une bonne cinquantaine de fois depuis. Les films de l’époque était quand même d’un tout autre niv ...

... Un raclement de gorge de la part de ses gardes du corps ramena Croman dans le monde réel.
La foule s’était éparpillée d’un pas aussi fantomatique qu’à leur arrivée.

Seul un jeune garçon restait.
Alors qu’il s’approcha de Croman, les deux gardes du corps et leur Tartard s’interposèrent. Le jeune garçon s’immobilisa.

- Voyons messieurs, ce n’est qu’un petit garçon, interféra Croman. Je ne pense pas qu’il soit une menace.

Le maire descendit de son estrade et s’approcha du jeune garçon.

- Puis-je faire quelque chose pour toi ?
- Que faites-vous des âmes, monsieur ? demanda le garçon ?
- Des âmes ? Quelles âmes ?
- Les âmes des défunts. Celles qui peuplent votre ville mais que vous ne considérez pas.
- Mon garçon, inspira Croman. Je ne sais pas si tes parents t’ont déjà parlé de tout ce qui touche à la vie et à la mort mais ... Comment le dire avec tact ... Quand une personne quitte notre monde ... Hum ... Disons qu’il ne reste plus rien d’elle. Et même s’il en restait quelque chose, je pense ... Non, je suis même sûre que ces personnes souhaiteraient que nous avancions et que nous continuions à vivre.
- Vous leur avez demandé ? interrogea le jeune garçon
- A qui ?
- Aux âmes.
- Mon garçon, les âmes ne parlent pas.

Sur ces mots, Croman tapota la tête du jeune garçon et se mit en route vers son bureau, accompagné de ses deux gardes du corps.

Le jeune garçon regarda autour de lui.
Il vit les habitants qui se déplaçaient, qui parlaient et qui riaient.
Des habitants qui ne se croisaient mais qui passaient t les uns au travers des autres.

Lavanville n’était pas une ville morte mais bien une ville vivante.
Une ville où les défunts vivaient.