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Une ville à moitié de weivern



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Informations

» Auteur : weivern - Voir le profil
» Créé le 13/07/2025 à 11:55
» Dernière mise à jour le 21/07/2025 à 19:03

» Mots-clés :   Absence de combats   Organisation criminelle   Sinnoh   Suspense

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Une ville à moitié – Version Droite
Le Centre Galaxie est désormais achevé, ce qui m’intéresse à peu près autant que mon côté droit.

Les choses ont un peu changé. De nouvelles boutiques ont ouvert, la ville est plus dynamique, les jeunes ne partent plus systématiquement pour Voilaroc, Unionpolis ou Féli-Cité, du moins tant que le Groupe Galaxie leur promet un poste. C’est plutôt une bonne chose.

Il y a aussi moins de festivités. Ensuite, je comprends, c’est des vieilles traditions qui intéressent plus grand monde, même s’ils ne se rendent pas compte qu’ils ratent des bières gratuites et des jeux à faire tourner la tête des 6-10 ans. Ouais, c’est pas une grande perte parce que jouer à un demi chamboule-tout ou tirer sur une demi-cible c’est pas ouf (quoique ça fait bien rire les forains).

Mais c’est quand même dommage, je veux dire, la ville est censée être plus vivante alors… C’est dommage quoi.

Je me suis arrêté devant la statue. Je m’arrête toujours devant la statue parce qu’elle brille et que la créature qu’elle représente a fière allure. Dressée sur ses pattes arrière, sa gueule ouverte en un cri imaginaire, ses ailes immenses fendues en trois et le plastron qui couvre son poitrail bombant. C’est sans doute l’une des plus belles statues de Sinnoh, la plus entretenue aussi même si dernièrement…

Quelqu’un a subtilisé la plaque. Je ne sais pas quel idiot a fait ça, et ok, les gens ne s’en sont pas vraiment préoccupés, moi non plus d’ailleurs, mais faut vraiment être débile pour voler une plaque. Enfin… je m’énerve, je m’énerve, mais dans le fond mieux vaut cette plaque que la statue, pas vrai ?

D’accord, j’arrête de parler des statues de ma ville et tous ces trucs qui amusent que les fana de l’urbanisme (ces monstres qui arrivent à vous dire la différence sans sourciller entre une métropole et une mégalopole) et j’en reviens à ce qui nous intéresse vraiment : les jours se raccourcissent contrairement à mon temps passé au parc.

Partez pas ! Je vous explique, c’est important parce qu’il faut bien comprendre que maintenant je dois rentrer de nuit, je dois passer devant le nouveau bâtiment tout-beau-tout-propre de nuit…

Ça ne me dérange pas, hein ! Les rues sont bien éclairées, et il n’y a plus de pokémons sauvages qui trainent dans le coin et vous chipent vos affaires parce qu’ils savent que vous ne pourrez pas les poursuivre dans le noir, donc ce n’est pas vraiment que ça me fait peur de passer par là, c’est juste que…

Je sais pas. Quand je longe le Centre Galaxie, quand je vois cette camionnette que je peux pas m’empêcher de fixer tant qu’elle reste du bon côté de la route, j’ai souvent la furieuse envie de presser le pas. Je pourrais peut-être changer d’itinéraire, aller au parc par la rue du Centre Galaxie, sauf que j’y arrive pas et j’arrive pas non plus à me dire que je pourrais tout simplement ne pas y passer. Mon petit chemin à moi, je le connais et j’ai mes automatismes. C’est très important les automatismes quand votre cerveau galère à capter la moitié de votre ville, donc pas question de changer.

Je garde donc le même chemin, mon attention attirée par les mêmes choses, et j’oublie l’autre côté, l’autre moitié de la ville parce que ma ville, c’est celle vers laquelle ma tête se tourne.

Pourtant, aujourd’hui, contrairement à d’habitude, je décide de m’arrêter. Une première, et je crois savoir pourquoi : deux étourmis se chamaillent sur le toit et leur piaillement est si fort que je ne peux pas m’empêcher de rester planté là pour comprendre ce qu’il se passe – ça n’a rien à voir avec la camionnette qui existait encore il y a quelques secondes mais qui s’est volatilisée dans cet espace que je ne reconnais plus.

Oui, c’est sans doute ça qui m’a stoppé, parce qu’il n’y a que ce côté. Des jolies maisons aux volets fermés, tous fermés (j’en suis certain même s’il me manque une moitié d’espace parce que…) et quoi de plus normal quand il fait nuit, on ne veut pas être réveillé par une fenêtre brisée, par les cris, par les disputes des gars qui ont un verre de trop dans le nez. Alors on ferme les volets, on occulte la rue et la nuit, tout ce qui peut vous déranger à l’heure où vous voulez juste être tranquille.

C’est ça ma ville.

Ma moitié de ville.

Tiens, et si je finissais en courant ? Mon cœur est déjà en train de battre à deux cents à l’heure pour ça. Que voulez-vous, c’est ça les grands sportifs : toujours dans l’anticipation.

***
Pas de bière aujourd’hui. Ça fait tilt dans ma tête dès que je vois le visage livide de Rad et ses cheveux en bataille (une sorte de binégligence capillaire ?)

Je garde cependant ma remarque pour moi, et je crois que je fais bien. Rad empoigne ma veste et me tire vers lui, je sens son haleine et la délicate caresse des postillons quand il me crie au visage :

- Où est-ce qu’elle est ?! Tu l’as forcément vue, alors dis-moi où elle est !

Je cligne plusieurs fois des yeux et fais un effort immense pour que mon attention parcourt l’ensemble de la pièce et que je me rende compte que le petit pokémon rose n’est pas là, vraiment pas là. Je pense brièvement à toutes ces histoires qu’on entend, celles qui ne passent plus à la TV ou à la radio, mais dont on parle toujours dans les bars. Je repense au parc et à la plaque dérobée, au fait que je croise de moins en moins de promeneurs avec leurs pokémons, que j’en remarque même certains qui du jour au lendemain ne viennent plus avec eux.

Mais c’est pas forcément quelque chose que je ressasse une fois chez moi, parce que pour ressasser il faut quand même un petit signal qui maintien votre attention comme par exemple voir le parc depuis son balcon… Je suis négligent je vous rappelle !

Sauf qu’aujourd’hui Rickshaw s’en fiche de mon problème, de ma néglicence, de mon incapacité chronique à m’orienter vers un hémiespace. Il me repousse, titubant vers l’arrière, il ne remarque pas dans son champ de vision amputé le gros tournevis qui pointe hors de sa boîte à outils. Il le sent par contre, et je l’entends hurler de douleur quand il tombe au milieu des vélos.

Je reste sans bouger, sans rien dire, le secret désir de détourner le regard, juste un petit quart de rotation de la tête. Mais les négligents à droite ne peuvent pas se détourner de la gauche.

Rad se relève après un temps avant de sortir du magasin. Je le suis parce qu’il est de ma ville, de ma moitié de ville même si de temps en temps il me joue des mauvais tours à disparaitre de l’autre côté.

Heureusement, Rad est mon ami. Rad est mon ami donc je sais qu’il reviendra toujours de mon côté en riant.

- Ça me fout les jetons, dit-il.

C’est vrai que c’est pas rassurant, mais je suis certain que Mélofée finira par réapparaitre. Un pokémon sait se débrouiller, il sait aussi retrouver le chemin vers son dresseur, donc je suis sûr que dans quelques jours, Rad m’accueillera avec une bonne bière et on pourra à nouveau se marrer ensemble.

- Tu veux de l’aide ? je propose.
- Tu veux dire de l’aide d’un gars pas fichu de voir la moitié de l’espace devant lui ?

Je me renfrogne. Inquiet ou pas, je ne crois pas que je mérite des insultes pour un truc que je ne contrôle pas.

- Déso… soupire Rad.
- Parle à ma droite.
- Non, écoute, je… Toi, je t’en veux pas, je peux pas t’en vouloir parce que quand tu détournes la tête je sais que… Tu es honnête, tu le fais parce que tu n’as pas le choix, mais au moins tu es honnête.

Rad a l’air de souffrir, et j’ai l’impression que ce n’est pas juste à cause de la petite escapade de Mélofée. En fait, Rickshaw se plaignait souvent de la ville ces derniers temps, du fait qu’elle devenait de plus en plus invivable pour lui, qu’elle l’étriquait, de la même manière que ces bandes noires qui restreignaient sa vision.

Mais est-il vraiment à plaindre ? Rickshaw, lui au moins, il a juste à bouger la tête s’il veut tout voir, tout piger. Il a juste à la bouger, comme maintenant, alors qu’il fixe une à une les personnes qui passent dans la rue. Il serre ses poings pendant qu’il les dévisage de cette vision toujours droite, qui ne peut pas être autrement que droite. Et, je dois bien dire que pour la première fois, je la trouve justement beaucoup trop droite.

- Cette ville me fout les jetons.

Je n’ai pas compris sur le moment. Maintenant que j’y réfléchis, je crois que j’aurais dû le deviner. Rickshaw regardait à droite, vers cette moitié qui n’était plus ma ville.

***
Je suis revenu le lendemain. J’ai d’abord cru qu’il s’était caché comme il est si facile de le faire avec moi avant de me rendre compte que l’ensemble de l’espace que constituait l’atelier et la maison ne contenait plus la présence de cet homme nommé Rad Rickshaw.

Le genre de blague que je n’apprécie pas à 24h de la disparition de son pokémon adoré. Rad est un bon gars, il a cette manière de vous regarder droit dans les yeux, œillères ou pas, et plus que tout comme il aime si bien le répéter : « il est pas aveugle. »

Moi non plus en vérité. Je sais qu’après tout ce que j’ai raconté, vous devez croire que je ne peux ni « voir » ni « entendre » ni « sentir » ce qu’il se passe à ma droite, mais c’est pas aussi simple que ça, ce serait même une erreur de le croire parce que mon problème... J’entends, je vois et je sens comme vous, comme n’importe qui, sauf que moi, ce qui bloque, c’est de prendre conscience de toutes ces informations.

C’est ma négligence.

Tous mes sens fonctionnent et pourtant dans ma tête, seul une partie du monde existe. Donc j’ignore, je passe mon temps à ignorer.

Ignorer la moitié d’une ville.

Ignorer la moitié d’une rue.


Voilà pourquoi je peux toujours m’arrêter, le cœur battant, parce qu’au fond ce monde, ce côté droit, existe toujours bel et bien. C’est juste que je n’y fais plus attention.

Je cours, manque une ou deux fois de me faire renverser à une intersection, mais tant pis. Aujourd’hui je dois passer par là, je dois prendre la rue dans l’autre sens. Je le sais, dans toutes ces informations que j’ai ignorées mais qui existaient bel et bien, je sais que je dois le faire.

Il fait nuit quand je débarque dans la rue, quand pour la première fois je perçois le Centre Galaxie au plus près.

Qu’est-ce que je me disais de mon balcon déjà ? Ah oui : « oh, finalement ça va, c’est pas si mal ». Bah oui que c’était pas si mal, c’était même presque sympa avec le jardin qu’ils avaient ajouté : quelques arbres, un carré d’herbe, pas de quoi remplacer la vue sur mon cher parc mais j’appréciais l’effort. Ouais, c’était la gauche « pas si mal », sauf que la gauche « pas si mal » maintenant que je suis à son niveau, c’est un truc stupidement trop haut, une putain de façade qui s’est élevée encore et encore alors que je la regardais de loin, alors qu’elle disparaissait de ma ville quand je l’approchais. Et à présent qu’elle regagne toute mon attention, que je remarque l’énormité de cette chose et les pointes qui garnissent ses côtés, je peux pas m’empêcher de me dire que si elle le voulait, elle serait bien capable d'avaler la ville toute entière. Et ça, pour paraphraser un grand homme, ça me fout les jetons.

J’effleure la haie, et je devine du bout des doigts le grillage qui passe au travers. Je longe l’avenue, sans détourner la tête, sans détourner les yeux. J’ai plus le choix de toute façon, parce que c’est ma gauche maintenant, c’est devenu ma gauche et je peux plus l’ignorer.

La camionnette. Cette camionnette gris pâle dans la lumière des lampadaires, celle qui était là un bref instant avant que je m’arrête cette nuit-là, la nuit avant que Mélofée… Elle est là. La camionnette est garée là, pas très loin de la grille d’entrée du Centre Galaxie. Pourquoi attirait-t-elle mon attention plus que n’importe quel véhicule qui passait dans le coin ? Je n’en comprenais pas la raison, je ne faisais pas attention à la raison…

Dans ma nouvelle moitié de ville, deux types ouvrent les portes du véhicule et en extraient un gros paquet qui fait presque leur taille. Un paquet qui se contorsionne, un paquet qu’ils laissent tomber et qui commence à ramper.

Dans ma nouvelle moitié de ville, Rickshaw apparait sous la lumière des lampadaires, sa main tendue, la joue et le nez gonflé, un de ses globes oculaires disparu sous le boursouflement de sa paupière.

Dans ma nouvelle moitié ville, les employés Galaxie le cinglent de coups de pieds. Qu’est-ce qu’ils vendaient ? Je crois que je l’ai enfin compris.

Dans ma nouvelle moitié de ville, j’essaye de décocher une droite (une gauche en fait), qu’ils évitent sans difficulté. Rad gémit, je vois ses dents qui trainent sur le trottoir.

J’aurais dû faire l’effort de tourner la tête, j’aurais dû… Mais je voulais juste rentrer peinard chez moi, sans m’embêter, sans avoir à faire l’effort de prendre conscience de ce qu’il se passait. C’est dur vous savez, c’est vraiment très dur, alors s’il vous plait, m’en voulez pas.

Ils ont dû comprendre rapidement et frapper depuis mon mauvais côté, ou bien je suis juste tombé tout seul, allez savoir. Ils vont me ruer de coup comme Rad, et encore on s’en sortira bien s’ils s’arrêtent là, s’ils n’ont pas peur des témoins…

Ah.

Je tombe, je vais tomber sur le ventre, je vais tomber de telle sorte que le Centre Galaxie, la camionnette, Rad, tout ça…

Ah Ah !

Ma ville est belle, non ? J’ai toujours aimé ces façades, les regarder et oublier ce terrain vague tout pourri et flippant.

Mais ce n’est pas une très bonne idée d’admirer les jolies maisons, parce que j’ai fait une mauvaise chute et j’ai bien l’impression que je me suis cassé quelque chose. En tous cas, ce qui est sûr, c’est que je n’arriverai pas à me relever seul.

J’ai quand même une chance. Il est tard, mais ce n’est pas ce qui en arrête certains de… Je vous ai dit que j’adore les joggers ?!

- Hey !

Ma voix siffle étrangement, et j’ai l’impression qu’une de mes dents est un peu trop proche de ma langue comparée à d’habitude. Zarbi. Heureusement, on dirait que le coureur m’a quand même entendu. Il ralentit, il s’arrête.

- H-Hey ! S’te plait !

J’articule aussi bien qu’un gamin de cinq ans. J’espère que c’est juste le choc… Ah ! Si ça se trouve il croit que je suis bourré ! Non mon gars, c’est pas de ma faute, j’ai juste la mâchoire un peu engourdie !

Il détourne la tête.

Je continue de le regarder, de mes yeux qui aiment tant s’orienter vers la gauche quand je n’y fais pas attention. Je continue de le regarder quand lui ne le fait pas, quand finalement il m’oublie et continue son chemin.

Il ne va pas appeler les secours. Je le sais parce que j’ai bien conscience que… Moi aussi, ça a commencé par ma tête qui s’est tournée d’un côté, je m’en suis rendu compte un bref instant avant de définitivement oblitérer tout ce qu’il y avait à ma droite que ce soit humains, pokémons ou objets. La décharge aussi, je me souviens maintenant que je passais devant la décharge et que j’avais déjà commencé à détourner la tête. Ils ont dit que ça m’était arrivé durant la nuit, mais les premiers signes étaient là, les premiers signes étaient même déjà là quand j’étais gosse, c’est sûr !

Ah… Après tout, on ne peut pas en vouloir à quelqu’un qui est presque comme nous. Je sais bien que c’est pas de sa faute. Ah… Hein ? Pourquoi j’ai dit presque ? Bah…

Lui, le pauvre, il néglige à gauche.