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La plume fantôme de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 22/07/2023 à 15:15
» Dernière mise à jour le 19/08/2023 à 09:33

» Mots-clés :   Drame   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh   Slice of life   Unys

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Chapitre 2 – Plume Santé
— Alors Anis, êtes-vous prête à nous raconter votre rencontre tragique – si j’ai bien compris – avec votre Funécire et Maître Goyah ?

Le cœur lourd, Anis hoche la tête. Ce souvenir-ci ne va pas être facile à raconter. Car il est hanté par elle.

— Pour commencer, il faut que je vous révèle quelque chose, déclare Anis avec appréhension. Tout à l’heure, j’ai brièvement mentionné le fait que je suis longtemps restée seule, sans amis, lorsque j’étais petite, car Arpentières n’était pas très peuplée.

— En effet, confirme Brittany.

— Mais j’ai aussi mentionné ma première véritable amie, continue Anis. Elle…

Les mots se coincent dans sa gorge. Malgré toutes ces années, elle ne parvient toujours pas à parler d’elle. Elle ne veut pas parler d’elle.

— S’agissait-il de Funécire ? lui demande Brittany, comme pour l’encourager à poursuivre.

— Non… Mon amie… était une petite fille, comme moi, continue Anis avec courage. Je l’ai rencontrée peu avant de trouver ma plume porte-bonheur. Un jour, alors que je lisais dehors, elle est venue me voir, ravie de trouver quelqu’un de son âge avec qui jouer. Elle venait d’emménager à Arpentières avec sa famille. Moi aussi, j’étais contente d’avoir enfin une amie. Nous jouions tous les jours ensemble… Jusqu’au jour où elle n’est plus venue.

Le regard sombre d’Anis se perd dans le vague. Les mots sortent tout seuls de sa bouche, comme une automate parlante. Ne pas songer à ce qu’elle raconte rendra le souvenir moins douloureux. Du moins, c’est ce qu’elle espère. Mais c’est faux. La douleur dans sa poitrine lui enserre le cœur comme un étau.

— Que s’est-il passé ? demande Brittany.

Anis revient alors à elle, comme si elle venait de se rappeler la présence de Brittany, ainsi que des milliers d’yeux rivés sur elle.

— Elle est tombée malade. J’ai eu beau essayer de me rendre chez elle pour la voir, ses parents ne m’ont jamais laissée entrer. Puis…

Anis sent les larmes lui monter aux yeux. Elle ne peut pas raconter ça. C’est au-dessus de ses forces. Et pourtant, il le faut. C’est la raison de sa présence ici. Il faut qu’ils sachent. On s’illusionne trop sur sa vie. Sur la vie des personnalités célèbres en général. On imagine le faste. Le hasard d’être né dans la bonne famille. Une belle vie toute tracée. Mais ce n’est qu’une facette de la réalité. En vérité, la personne que l’on devient… dépend d’un concours de circonstances. Mais aussi et surtout, des choix que l’on décide de faire, ou de ne pas faire. Des décisions que l’on prend.

On devient Conseil 4 et écrivaine car on a su profiter de sa chance… et surmonter les moments de malchance. Anis a eu surtout de la chance. Mais pas son amie.

D’une voix cassée, Anis poursuit dans un sanglot :

— Puis… Elle a… succombé à la maladie.

Les larmes roulent sur ses joues. Elle s’empresse de les essuyer de sa main gantée.

— Quelle horreur ! Partir si jeune… s’épouvante Brittany.

Un silence de mort suit cette déclaration. Un immense frisson parcourt le plateau tout entier. Au bout de plusieurs secondes interminables, Brittany reprend :

— Mais… si je peux me permettre, quel est le lien entre cette tragique histoire et votre rencontre avec Funécire ?

Anis, toujours secouée par le souvenir qu’elle vient de ressasser, accuse le coup. Comment peut-on faire preuve d’aussi peu de considération ?

— J’y viens, assure Anis en lui jetant un regard glacial. Ce que je viens de vous raconter était un préambule nécessaire pour comprendre le contexte de ma rencontre avec Funécire. Voici comment, le même jour, j’ai rencontré mon tout premier Pokémon… et le futur Maître de la Ligue.

***
Anis se sentait vide. Son petit corps desséché avait pleuré toutes ses larmes. Plus rien ne lui semblait réel. Elle flottait constamment dans un état second, comme ses amis fantômes.

Elle était morte.

Son esprit juvénile n’arrivait pas à assimiler cette information. Mais son corps la ressentait, au plus profond d’elle-même. Elles ne joueraient plus jamais ensemble. Elles ne se disputeraient plus jamais pour des choses futiles. Elles ne parleraient plus jamais de ce qu’elles voudraient faire quand elles seraient plus grandes.

Car désormais, Anis poursuivrait son chemin vers l’âge adulte seule.

Nul ne savait comment réconforter la petite Anis. Ses parents ne trouvaient pas les mots justes. Leurs discours d’adultes glissaient sur la petite fille, comme les larmes qui roulaient sur ses joues. Elle se renferma alors sur elle-même, obnubilée par l’idée de préserver le peu qui lui restait.

La curiosité qu’elle éprouvait auparavant pour les spectres se changea alors en une fascination morbide. Elle avait enfin compris les paroles de sa mère : « Ce sont d’anciens amis qui reviennent nous rendre visite, sous forme de spectres. ». Les Pokémon Spectres sont des gens morts qui reviennent parmi les vivants. Alors, peut-être que si Anis continuait à les côtoyer… Elle pourrait la revoir un jour.

Mais même une telle pensée ne suffisait pas à l’apaiser. Alors, lorsque le chagrin devenait insurmontable, Anis se réfugiait dans les livres. La lecture était un autre monde. Son monde préféré. C’était un monde où la souffrance d’Anis devenait celle de personnages fictifs. C’était un monde où elle pouvait s’extirper de sa propre histoire pour en découvrir de nouvelles. C’était un monde où elle pouvait s’oublier, l’espace de quelques heures.

Bien des auteurs préférés d’Anis s’attachaient à dire qu’écrire était souvent un acte motivé par la tristesse. Pour eux, l’écriture était un exutoire capable d’alléger les plus grands maux. Jusqu’alors, elle n’avait pas compris pourquoi. Pour elle, il n’était rien de plus beau que les récits de bonheur avec une fin heureuse. Mais désormais, elle comprenait. Il ne peut y avoir d’histoire sans épreuve. Il ne peut y avoir d’histoire sans souffrance. Il ne peut y avoir de fin heureuse si l’on n’a pas été malheureux d’abord.

Et malheureuse, elle l’était. Jour après jour, elle sombrait un peu plus dans le désespoir. Peut-être était-ce une bonne occasion de s’essayer à ce métier qui la passionnait depuis qu’elle était en âge de lire : écrivain. Mais, dès qu’elle tenta d’écrire ce qu’elle ressentait, sa main gauche fut agitée d’horribles tremblements. Elle tenta de la maîtriser à l’aide sa main droite, afin d’apposer sa plume sur le papier pour y inscrire les mots libérateurs. Mais les secousses redoublèrent, et Anis ne parvint qu’à consteller la feuille d’une multitude de taches d’encre. Une pluie noire se déversa sur la page.

Le drame était trop récent pour pouvoir mettre des mots dessus.

Anis fondit en larmes. Les larmes se mêlèrent à la pluie d’encre, souillant davantage la page blanche sur laquelle il lui était impossible d’écrire. Pourquoi l’avait-on empêchée de voir son amie ? Elle n’avait même pas pu lui dire au revoir. C’était tellement injuste. Tout était si injuste.

Des taches de lumière apparurent soudain sous ses paupières closes. Elle ouvrit les yeux et avisa la fenêtre. À travers la brume de ses larmes, elle distingua l’aube, qui nimbait le ciel d’orange et de rose. Son amie se trouvait-elle au milieu des nuages, en train de veiller sur elle, comme le lui disaient ses parents ? Elle l’ignorait.

En revanche, ce dont elle était certaine, c’était que son amie avait disparu. Sa famille aussi était partie. Mais leur manoir, lui, trônait toujours fièrement à l’est de la ville. Ce même manoir dans lequel on l’avait empêchée d’entrer.

Anis sentit la colère monter en elle. On lui avait interdit de la voir, sans aucune raison. Elle, sa seule amie ! Pourquoi les adultes décidaient-ils toujours tout ? Désormais, plus personne ne pouvait lui interdire d’entrer. Furieuse, le visage baigné de larmes, la petite fille ouvrit sa fenêtre d’un geste rageur et sortit de chez elle.

Aussitôt, ses pas la guidèrent hors de la ville. L’argile crissait sous ses pieds. Les chaudes couleurs d’Arpentières s’illuminaient peu à peu sous le soleil naissant. Mais même le plus chaleureux des soleils ne pouvait réchauffer le corps d’Anis, cette tache de violet sombre dans l’océan d’argile orangé.

Enfin, elle arriva devant la demeure. Elle songea qu’elle n’était pas si impressionnante que ça, pour un manoir. Elle ressemblait à n’importe quelle maison d’Arpentières. En bien plus grand. Et bien plus vide. Anis frissonna. Maintenant qu’elle se tenait devant, elle sentait ses jambes flageoler. Si la colère l’avait poussée à venir jusqu’ici, le chagrin reprenait désormais le dessus.

C’était là qu’elle vivait… Et c’était là qu’elle avait perdu la vie.

Elle songea qu’elle allait de nouveau pleurer. C’était inévitable.

Mais il n’en fut rien.

Elle se sentit soudain légère. Libérée du fardeau de ses émotions.

La porte du manoir s’entrouvrit. Une petite créature blanche, semblable à une bougie, se présenta devant Anis. La fillette ne recula pas. Elle se sentait vide. La créature lui tendit la patte. Anis ne réagit pas. Alors, la bougie prit la petite fille par la main pour l’entraîner avec elle dans le manoir. Anis se laissa faire.

À l’intérieur, il faisait noir. Mais la flammèche bleue de son petit guide illuminait chaque pas d’Anis sur les dalles de pierre marron. Anis et la petite bougie avancèrent ainsi main dans la main dans les ténèbres. Elles gravirent une à une les marches de l’imposant escalier qui trônait au centre du séjour. Anis sentait son cœur battre à tout rompre. Ses pas ne lui appartenaient plus.

Une lueur funeste luisait au bout de l’escalier. Là où aurait dû se tenir une porte, un trou béant déchirait les murs de la demeure. Dans cette fissure, Anis apercevait des tourbillons d’énergie pourpres et violets. C’était fascinant et effrayant à la fois. La petite créature tira sur la main d’Anis pour l’inciter à avancer vers le gouffre.

Anis était déchirée entre la peur panique qui s’insinuait entre ses entrailles et l’envie irrépressible de se jeter tout entière dans le néant. Elle ne savait pas ce qui l’attendait au-delà de ce trou béant, mais elle s’en doutait.

La mort.

À cet instant, elle lui apparut comme une douce issue. Ne plus rien ressentir, ni le chagrin ni la peur… Cela devait être merveilleux. Elle pourrait même peut-être la revoir.

Anis fit un pas. Elle était désormais si proche du gouffre qu’elle pouvait presque le toucher. Elle tendit le bras…

— Ne fais pas ça !

Le cri figea le mouvement d’Anis. Il provenait d’en bas, où la porte d’entrée du manoir venait de s’ouvrir avec fracas. Anis entendit quelqu’un dévaler les marches derrière elle. Elle fit encore un pas en avant.

Alors que le gouffre s’apprêtait à l’aspirer corps et âme, Anis sentit des bras l’envelopper pour la tirer en arrière. Ce fut à cet instant qu’elle perdit connaissance.

***
— Quelle horreur ! répète une nouvelle fois Brittany, effarée. Mais alors, cette personne qui vous a sauvée…

— C’était Maître Goyah, oui, confirme Anis d’une voix éteinte.

Raconter ce souvenir l’a ébranlée au plus profond de son âme. Elle ne comprend pas comment les mots parviennent encore à sortir de sa bouche. Mais elle continue tout de même, armée d’un courage qu’elle n’aurait pas cru posséder.

— À cette époque, il arpentait Unys sans but. Ce jour-là, il venait d’arriver à Arpentières. Quand il m’a vue moi, une petite fille à l’air absent, entrer dans un manoir abandonné, guidée par un Funécire, inutile de dire qu’il a immédiatement flairé le danger. Il s’est précipité dans le manoir pour me sauver. Et il a réussi. J’ai eu beaucoup de chance.

— En effet, mais… de quoi vous a-t-il sauvée, exactement ? Ce trou mystique dans le mur du manoir, de quoi s’agissait-il ?

— Je pense que vous connaissez déjà de la réponse à cette question. C’était un portail. Vers le monde des esprits. Autrement dit… le monde des morts.

À ces mots, un silence écrasant s’empare soudain de la salle. Mais Anis ne se soucie plus de l’effet que produisent ses paroles. Le simple fait de les prononcer lui fait du bien. C’était comme si les mots qu’elle n’avait pas su écrire il y a toutes ces années s’échappaient enfin d’elle pour enfin exprimer ce mal-être enfoui. Ainsi, indifférente au malaise ambiant, Anis poursuit son récit.

***
— Petite ! Hé ho, petite, tu m’entends ?

Un bourdonnement sourd résonnait dans sa tête. Anis sentait qu’on l’appelait. Mais elle n’avait pas envie d’ouvrir les yeux. Pas envie de retrouver le carcan oppressant de la pleine conscience.

— Allez petite, réveille-toi…

Soudain adoucie, la voix grave et puissante se fit presque implorante. Anis ne pouvait continuer à l’ignorer. Alors, enfin, elle ouvrit les yeux. Elle découvrit un homme à l’impressionnante chevelure rouge et orange. Anis plongea son regard dans le sien. Leurs deux regards étaient violets, mais celui d’Anis était aussi sombre que celui de l’inconnu était clair. Anis vit aussitôt une étincelle de soulagement briller dans les prunelles lilas de l’homme.

Que s’était-il passé ? Anis essaya de se remémorer les derniers événements : le manoir, la petite bougie… Le trou béant. Rien de d’y repenser, Anis ressentait une peur incommensurable. Elle se souvint avoir essayé de franchir le trou… Mais, maintenant qu’elle observait ses alentours, elle se rendit compte qu’elle se trouvait à l’extérieur du manoir, allongée sur un rocher plat. Mais alors, cet homme…

— Merci… murmura-t-elle faiblement. Vous m’avez… sauvée…

Anis se laissa aller contre la pierre, les yeux fermés. Elle se sentait exténuée.

— Y’a pas de quoi, petite, répondit-il d’un ton enjoué. Dis-moi, c’est quoi ton nom ?

— Anis.

— Enchanté Anis, moi c’est Goyah. Dis-moi Anis, qu’est-ce que tu faisais dans un manoir hanté, toute seule ? T’as eu de la chance que je passe par là. Funécire t’a prise pour une âme égarée. C’pour ça qu’elle a essayé de t’amener dans le monde des esprits.

Le monde des esprits.

Anis avait failli connaître le même sort que son amie, au même endroit.

« Mais moi, contrairement à elle, je ne suis pas malade. Je serais morte à cause d’une décision stupide. » songea-t-elle. Elle sentait déjà les larmes lui venir. Mais elle ne les laissa pas couler. À la place, elle se redressa et répondit :

— Ce n’est pas un manoir hanté… c’était là… qu’elle habitait…

— Elle ? Qui ça, elle ? demanda Goyah avec douceur.

Anis ne sut pas quoi répondre. On lui avait toujours dit de ne pas se fier aux inconnus. Mais d’un autre côté, Goyah venait de lui sauver la vie. Et puis… Elle avait besoin de parler à quelqu’un d’extérieur. Elle décida donc de confier à Goyah ce qu’elle avait sur le cœur. Ce dernier l’écouta avec attention durant tout son récit, et ne parla que pour réconforter Anis, lorsque les mots restaient coincés dans sa gorge. Lorsqu’elle termina son récit, Goyah adressa à Anis un sourire compatissant, empreint de mélancolie.

— Je suis désolé pour toi, ma petite Anis. Mais tu sais, je comprends très bien c’que tu ressens…

Anis leva les yeux vers lui, étonnée. Elle avait du mal à envisager que quiconque puisse comprendre ce qu’elle ressentait. La douleur lui semblait si personnelle, si ancrée en elle-même… Elle était certaine que les paroles de Goyah avaient pour seul but de la réconforter, et qu’il ne pensait pas vraiment ce qu’il disait.

Mais elle se trompait :

— Vraiment ? s’enquit-elle, d’un ton plus sceptique qu’elle ne l’aurait voulu.

— Oui. Moi aussi, je viens de perdre un ami. Mon plus vieil ami, en fait… C’était mon tout premier Pokémon. Le plus extraordinaire Pyrax que j’ai jamais rencontré. Tous les deux, on cherchait sans cesse à être plus forts. Mais la force ne m’a servi à rien quand il est tombé malade… Je n’ai rien pu faire, et la maladie l’a emporté.

Le visage de Goyah, jusque-là si souriant, se recouvrit d’un voile de tristesse. Le même voile que celui que voyait Anis dans le miroir.

« Il a vécu exactement la même chose que moi… » pensa Anis. « Il me comprend. »

Elle s’apprêtait à répondre quand soudain, la porte du manoir se mit à grincer. Sur le qui-vive, Goyah sauta sur ses pieds, prêt à défendre une nouvelle fois Anis face au danger. Cette dernière fixait la porte avec appréhension. Elle s’entrouvrit pour révéler la Funécire qui avait pris Anis par la main.

La petite créature s’approcha timidement d’eux, sous l’œil méfiant de Goyah, et le regard intrigué d’Anis. La Funécire vint se poster devant Anis, et inclina la tête en poussant un petit cri. Anis ne sut comment interpréter ce geste.

— J’ai l’impression qu’elle essaye de s’excuser auprès de toi, l’éclaira Goyah. Pour t’avoir guidée par erreur vers le monde des esprits. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, les Funécire prennent par la main les âmes égarées pour les y emmener.

Anis eut un faible sourire et secoua la tête.

— Ce n’est pas grave, Funécire. Après tout, c’est ce que j’étais, une âme égarée…

La petite bougie, soulagée qu’Anis ne lui en veuille pas, vint se blottir contre la jambe de la petite fille. Cette dernière, réchauffée par ce doux contact, souleva le petit Pokémon pour le serrer dans ses bras.

— On dirait qu’elle s’est attachée à toi, remarqua Goyah.

— Je l’aime bien aussi, déclara Anis en reposant Funécire au sol.

Goyah mit sa main en visière pour observer le ciel, où le soleil brillait désormais de mille éclats.

— Bon, c’est pas tout ça, Anis, mais il faut que je te ramène chez toi. Tes parents doivent être morts d’inquiétude.

Penaude, Anis acquiesça. Elle était partie de chez elle sans rien leur dire. En quelque sorte, elle avait fugué. Et elle avait bien failli ne pas revenir de cette fugue. À cette pensée, un frisson lui parcourut l’échine. Elle ne comprenait pas ce qui lui était passé par la tête. Elle devait la vie à Goyah. Et comme s’il n’en avait pas déjà fait assez, voilà qu’il lui proposait de la raccompagner chez elle. Le cœur d’Anis débordait de reconnaissance envers lui. Elle aurait voulu utiliser tous les mots savants de son vocabulaire de lectrice pour lui faire part de sa gratitude, à la manière de ses auteurs favoris, mais elle n’y parvint pas.

Elle se contenta alors simplement de répondre :

— Oui, merci… Suivez-moi, c’est par là.

Elle prit donc la direction d’Arpentières, à l’ouest, talonnée par Goyah… et Funécire.

***
— Vous avez pardonné à Funécire le fait d’avoir essayé de vous tuer ? s’étrangle Brittany, choquée.

Anis grimace. Il est évident que Brittany n’a rien compris de ce qu’elle vient d’expliquer. Anis soupire. C’est le problème des Pokémon Spectre. Ils sont souvent incompris.

— Elle n’a pas essayé de me tuer, dément Anis d’un ton irrité. Elle a cru que j’étais déjà morte, et que j’errais encore sur Terre. Elle m’a prise pour un fantôme, explicite-t-elle devant la mine sceptique de la présentatrice.

— Hm. Je vois. Et que s’est-il passé lorsque Goyah vous a raccompagnée chez vous ? s’enquiert Brittany, visiblement désireuse de changer de sujet.

— Mes parents étaient soulagés de me retrouver saine et sauve. Lorsque Maître Goyah leur a raconté ce qui s’était passé, ils ont eu l’air horrifié, à juste titre. Ils ont essayé de chasser Funécire de la maison.

— Oui, ça se comprend, commente Brittany d’un ton entendu.

— Mais je ne les ai pas laissé faire. Après tout, c’était bien ma mère qui avait essayé de défendre la cause des Pokémon Spectre quand j’avais peur d’eux. Alors j’ai retourné son argument contre elle. Je lui ai rappelé que la plupart des Pokémon Spectre ne sont pas méchants. Ce cas-ci ne faisait pas exception. Funécire n’a pas cherché à me nuire. Mais bien sûr, mes paroles n’avaient que peu de poids. Ce qui a fait la différence, c’est le fait que Maître Goyah aussi a plaidé en faveur de Funécire, en expliquant qu’elle ne songeait pas à mal, et qu’elle était venue me présenter ses excuses. Alors elle a pu rester avec nous.

— Goyah est-il reparti après cela ?

— Non, mes parents ont tenu à lui offrir au moins une tasse de café pour avoir sauvé leur fille unique. Je me rends compte maintenant que s’ils ne l’avaient pas fait, ma vie aurait peut-être pris une tournure radicalement différente.

— Vraiment ? Pourquoi cela ? demande Brittany, une lueur de curiosité dans le regard.

Anis sourit et reprend son récit.


***
— Alors comme ça, M. Goyah, vous voyagez à travers Unys ? demanda la mère d’Anis en déposant une tasse de café fumant devant son hôte. Dans quel but ?

— Eh bien… Sans but, justement, expliqua Goyah. Comme je l’ai dit à Anis tout à l’heure, la mort de mon compagnon – mon fidèle Pyrax – m’a beaucoup ébranlé. J’étais autrefois un dresseur qui rêvait d’être le plus fort, avec lui à mes côtés… Mais lorsqu’il a disparu, cet objectif m’a soudain paru futile. Alors je suis parti visiter Unys, en quête de nouveaux horizons. Aujourd’hui, j’ai un nouvel objectif.

— Ah oui ? Lequel ? s’enquit le père d’Anis d’un ton poli.

— Je souhaite former le prochain Conseil 4 d’Unys.

— Voilà une tâche ambitieuse ! s’exclama le père d’Anis. Le Conseil actuel me semble pourtant avoir quelques belles années devant lui.

— Oui, justement. Dans quelques années, la question de sa succession se posera. Et à ce moment-là, je présenterai les dresseurs que j’ai entraînés pendant tout ce temps comme candidats. Je souhaite aider les jeunes générations à révéler tout leur potentiel. Leur apprendre tout ce que j’ai mis des années à réaliser… Et leur montrer ce qui est important.

À ces mots, Goyah baissa la tête, perdu dans ses pensées. Il fixait la tasse de café posée devant lui. Comme personne ne souhaitait le déranger, le silence perdura encore quelques secondes. Puis, enfin, il se tourna vers Anis :

— Et toi Anis, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? Quel âge tu as, d’abord ?

Anis bomba le torse pour apparaître plus grande et répondit :

— Je viens d’avoir dix ans.

— Oh, alors tu as atteint l’âge où les jeunes dresseurs en herbe partent à l’aventure !

— Oui, c’est pour cette raison que nous comptions appeler le Pr Spruce Keteleeria pour qu’il lui donne un Pokémon et qu’elle commence son voyage initiatique, expliqua la mère de la jeune fille.

Anis secoua la tête :

— Non. Je ne veux pas d’un autre Pokémon. J’ai décidé : mon premier Pokémon, ce sera Funécire.

Elle souleva alors la petite bougie du sol pour la poser sur ses genoux et l’entourer de ses bras, sous l’œil affolé de ses parents.

— Cette Funécire-là… ? commença sa mère, anxieuse.

— Tu es sûre, ma chérie… ? renchérit son père, tout aussi inquiet.

Avant qu’Anis ne puisse répondre, Goyah intervint :

— Ah mais c’est super, ça ! Mais alors, Anis, tu veux devenir dresseuse ?

Anis baissa les yeux vers la petite Funécire, qui lui rendit son regard. Voulait-elle devenir dresseuse ? Faire comme tous ces autres enfants qui faisaient combattre leurs Pokémon ? Elle n’en était pas certaine. Elle n’avait jamais fait de combat Pokémon. Elle avait toujours vécu ici, coupée du reste du monde. Elle se rendit alors compte de tout ce qu’elle ne connaissait pas. Le monde était vaste, et elle n’en connaissait qu’une infime parcelle isolée : son minuscule village, déjà chargé de souvenirs trop lourds à porter pour une fillette de dix ans.

Elle prit une profonde inspiration.

— Je ne sais pas… Je ne suis pas sûre. Mais je veux découvrir ce que ça fait d’être forte. Pour ne plus jamais me sentir faible… et impuissante.

Même si ce qu’elle disait lui semblait vrai, Anis ne pouvait s’empêcher de rêver d’autre chose. Un métier lié à sa véritable passion.

La littérature.

Mais lorsqu’elle repensa à sa pitoyable tentative d’écrire le moindre mot, ce matin même, elle songea qu’elle n’avait pas l’étoffe d’une écrivaine. Mais cela ne l’empêchait pas de rêver.

— Mais j’aime aussi beaucoup les livres, alors…

Sa phrase demeura en suspens. Formuler l’idée qu’elle puisse un jour devenir écrivaine lui paraissait ridicule. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’espérer un jour réaliser ce rêve. La phrase inachevée resta donc tapie dans les tréfonds de son esprit juvénile, comme un trésor enfoui que l’on redécouvre bien des années plus tard.

Goyah sourit.

— Que dirais-tu de t’entraîner avec moi ? Si ça ne te plaît pas, tu pourras bien sûr arrêter à tout moment.

Anis plongea son regard dans le sien. Le violet de leurs yeux se mélangea.

Un petit sourire se dessina également sur le visage d’Anis lorsqu’elle répondit :

— C’est d’accord.