Le paradoxe d'une mère
- “ MAMAN ! J’peux savoir ce que tu fais ?! ”
Le cri de la jeune femme fut si strident qu’elle parvint à faire sursauter l’ensemble des interlocuteurs de cette réunion improvisée.
- “ M’man ! “ s’écria joyeusement l’une des petites filles.
- “ Amaryllis ! Ma fille ! Comment vas t- ? ”
Avant même de lui laisser le temps de finir sa phrase, la jeune femme se jeta sur les deux enfants et reprit leurs pelles.
Si la jeune fille avait hérité du teint hâlé et des cheveux de jais de sa mère, la comparaison s’arrêtait la. Ses vêtements simples, courts et terre-à-terre contrastaient radicalement avec la tunique chargée et bouffante de doyenne et gardienne du savoir de sa génitrice. Ce simple constat servait de parfaite allégorie de leurs mentalités divergentes.
- “ Amaryllis ? “
- “ Non ! Il n’y a pas d’Amaryllis qui tienne ! QU’EST CE QUI VA PAS CHEZ TOI ?! ” hurla la jeune fille.
Sous la tension qu’avait pris la conversation, les deux enfants s’éloignèrent et partirent jouer quelques mètres plus loin, usant de leurs petites mains comme de pelles de substitution.
- “ J’enseigne aux futures générations leurs devoirs en tant que descendants du Peuple du Météore, je ne vois pas pourquoi tu juges nécessaire de me crier dessus de la sorte. “ rétorqua la doyenne, visiblement agacée.
- “ Tu embrigades des enfants à faire du sale boulot pour des histoires dont tu ne peux même pas prouver la véracité et tu essayes de me faire passer pour la folle ? Marie-Lise est fragile et tu es prête à la laisser creuser seule jusqu'à la tombée de la nuit ?! Quel genre de grand-mère penses-tu être ?! “
Sur ces mots, Amaryllis jeta un rapide coup d’oeil à sa fille. Il ne fallait pas observer bien longtemps pour se rendre compte qu’elle fatiguait bien plus vite que son compère, haletant sous la chaleur et les mouvements répétés pour retourner la terre. La voix de sa mère la sortit immédiatement de ses pensées :
- “ Embrigader ? Voilà un bien grand mot. Notre rôle en tant que descendants des doyens est de transmettre le savoir de nos ancêtres pour garantir bénédictions et sécurité sur notre village. Tu devrais le savoir en tant que future doyenne de ce village alors ma fille, reprends tes esprits.” répondit la doyenne, tentant de canaliser la rage de sa fille
- “ Arrête de te foutre de moi, le village est tellement focalisé sur ces légendes qu’ils en oublient leurs propres besoins. Ils préfèrent déterrer des rochers plutôt que travailler les terres ou s’occuper de leurs familles et ils en meurent ! Cela fait des jours que ton beau-fils est parti en excursions pour déterrer des caillasses sans aucune nouvelle alors qu’il pourrait s’occuper de sa propre fille ! Tout ça pour vénérer un pseudo-dieu que personne n’a jamais revu et qui aurait dû ne pas exister tant il gangrène la structure même de notre vie ! “ fulmina sa fille, les yeux commençant à larmoyer.
Les yeux de la doyenne s’écarquillèrent devant cette déclaration, Amaryllis a souvent été une forte-tête mais pour la première fois, elle faisait preuve d’un hérétisme qui pourrait coûter l’avenir du village qu’il fallait corriger immédiatement.
- “ Cesse tout de suite ces balivernes ! Je ne me souviens pas avoir élevé une égoïste impie dans ton genre ! Nous faisons tout ça pour garantir la sécurité des Hommes et des Pokémon et vivre de plus beaux jours, alors à moins que tu ne préfères succomber au fond d’un cratère de météore avec le reste de ton village, tu participeras à la cérémonie et tu hériteras même de ma place de Gardienne du Savoir ! “ s’énerva la gardienne.
- “ Q-quoi ? Jamais ! Je ne participerai pas à quelque chose dont je refuse les principes ! Et mon opinion dans tout ça ? “ répliqua Amaryllis, visiblement déroutée par cet ordre.
- “ Tu n’as pas le choix car c’est décidé. Tu es la future gardienne du savoir et en tant que telle, tu as des devoirs et des responsabilités que tu dois remplir pour le bien de tous, que tu le veuilles ou non ! "
Amaryllis se tut et fixa le sol, tourmentée. Elle était allée trop loin. Son pragmatisme et son individualisme venaient de lui attirer les foudres de sa mère, et par extension de tout le village. Elle haïssait au plus haut point la foi aveugle de ses compères mais elle savait pertinemment que si elle venait à se faire exclure à cause de ses idées, vivre seule dans ces conditions était du suicide et elle n’avait pas d’autre choix que d’accepter. Son propre pragmatisme la forçait à plier le dos face à ses détracteurs, et elle avait horreur de ça. C’était le paradoxe d’Amaryllis.
- " Bien, ta responsabilité pour aujourd'hui est d'aider le village à trouver des météorites à la place des enfants, puis nous organiserons la cérémonie d’appel de Rayquaza avec toi en son sein. Est-ce clair ? " poursuivit la doyenne sans même attendre de réponse.
Bouillonnante de colère, Amaryllis ne pouvait que fixer la doyenne avec amertume, ses yeux larmoyants floutant sa vision, qui se dirigeait vers sa grande demeure au centre du village, les deux pelles symbolisant son échec dans les mains. Après que sa rage viscérale s’atténua un peu, elle tourna les talons, se dirigea vers sa fille encore pleine de terre et l’embrassa.
- “ Ne t’éloignes pas trop, d’accord Marie-Lise ? Si tu es fatiguée, rentre à la maison. ” lui murmura-t-elle
La petite fille acquiesça et, sans n’avoir ne serait-ce qu’une once d’attention pour l’autre bambin, Amaryllis s’enfonça, pelles en main, vers les reliefs en pestant.