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Métal Hurlant de Flageolaid



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» Auteur : Flageolaid - Voir le profil
» Créé le 03/02/2019 à 09:32
» Dernière mise à jour le 03/02/2019 à 12:47

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Médiéval   Mythologie   Présence d'armes

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Épisode 5
Le toucher s'éveille avant les autres sens, comme d'habitude. Les yeux clos, à demi consciente, Kainis commence à étudier son environnement proche. Il fait une chaleur insupportable, la sueur dégouline le long de son dos nu. La présence d'un petit corps, légèrement moite, blotti contre son épaule est rapidement identifié par la texture caractéristique des ailes de Zaro. L'odeur de la fourrure entourant le cou du sonistrel vient confirmer cette supposition. L'absence de poids au niveau des poignets et des chevilles suggère qu'on lui a ôté son équipement. La courbure de son corps reconnaît une surface lisse, dure et tiède. Sans doute de la pierre.

Une sensation étrange interpelle sa perception tactile. La jeune femme sent ses jambes croisées l'une sur l'autre, mais il manque quelque chose. Elle a beau remuer, son mollet gauche continue de chercher le droit sans le trouver. Cette absence gênante ravive bientôt ses derniers souvenirs. Un combat contre un monstre des temps anciens, des crocs aiguisés comme des épées, une mâchoire qui se referme...

Soudain Kainis se redresse d'un bond, réveillant Zaro au passage. Son regard se porte avec horreur sur le morceau de tissu imbibé de sang, noué autour de son genou. Ou plutôt, de son moignon. La jeune femme réprime une envie de vomir tandis qu'elle palpe fébrilement sa jambe à la recherche du membre sectionné. Une larme solitaire coule lentement le long de sa joue ; elle aurait préféré perdre un bras. Un guerrier mutilé peut parfois reprendre les armes, mais dans son cas, il n'y aura pas de retour possible à la vie martiale. Et surtout, elle ne pourra pas sauver Lucil si elle ne peut tenir debout sans aide.

Écœurée, Kainis frappe la surface du piédestal sur laquelle elle est assise d'un poing rageur. Dans sa frustration, c'est à peine si elle sent la douleur. Son poing s'abat à nouveau avec violence contre la dalle, lui arrachant quelques gouttes de sang.

« ASSEZ !!! tonne une voix semblable à un coup de tonnerre. »

La guerrière en reste interdite. Deux grands yeux flamboyants, encadrés d'un visage de métal, illuminent alors la pièce sombre. Sans un bruit s'avance une créature que l'on devine massive. La chaleur se fait plus étouffante au fur et à mesure qu'elle s'approche, pourtant Kainis est parcourue d'un long frisson. Elle ne l'a jamais vu qu'en gravure, mais elle reconnaît au premier coup d'œil ses dents larges, ses deux cornes latérales et ses brassards lourds. La jeune femme se laisse tomber à terre, front contre le sol, dans une position de soumission. Le Protecteur de Sicane se tient debout, devant elle, nimbé de sa divine majesté.

« Seigneur Heatran, je vous salue.
– Bienvenue dans ma forge, fière guerrière ! clame l'être légendaire. Relève donc la tête, nous n'avons guère de temps pour les révérences. Tu dois sauver le prince Lucil au plus vite.
– Pardonnez-moi, seigneur Heatran, mais j'ai failli à ma mission, soupire Kainis en indiquant sa jambe droite. »

À demi dans la pénombre, Heatran reste stoïque. Si son visage d'acier ne trahit aucune expression, son regard ardent semble empli d'une certaine compassion. D'inquiétude également. Il garde ses distances vis à vis de la guerrière, de peur de l'accabler de sa chaleur magmatique. La forge ressemble à un long couloir parfaitement droit, à peine éclairé par quelques fours en pierre, creusés dans les murs. Contrairement à ce que racontent les contes et légendes, l'endroit est austère, dépouillé de tout ornement. Malgré la température torride qui y règne, Kainis s'y sent bien.

Elle remarque alors de petites formes brillantes qui sautillent autour du maître des lieux. Quatre pokémons inconnus se dirigent vers elle en grésillant. Leur corps semble constitué de métal fondu, tandis que leur tête se compose d'une bille lévitant au centre d'un hexagone doré. Le plus gros des quatre, de la même taille que Zaro environ, traîne derrière lui un étrange bloc de bronze évoquant un tibia et un pied.

« Voici les meltans, présente Heatran de sa voix puissante. J'ai créé ces habiles ouvriers pour m'aider dans ma forge. Ce sont eux qui t'ont ramené ici et soigné.
– Meeeel ! saluent les créatures en chœur.
– Pendant que tu dormais, je t'ai forgé une jambe d'airain pour remplacer celle que tu as perdu. Ne bouge pas, guerrière de Sicane, les meltans vont la fixer à ta chair grâce à leurs pouvoirs.
– Je... Seigneur Heatran, je vous remercie pour ce cadeau, mais comment je pourrais me battre avec ce poids mort ? Je serai lente et lourde.
– La foi n'a jamais été ton fort, douterais-tu donc de moi ? s'indigne faussement le Protecteur de Sicane.
– Pas du tout... Seigneur Heatran, répond la guerrière en baissant la tête. »

Penaude, Kainis s'assoit contre le bloc de pierre, laissant les meltans défaire le linge entourant son moignon. Zaro s'installe sur le pavé et regarde les artisans métalliques s'affairer à leur ouvrage. Le plus gros approche le tibia de bronze près de la blessure encore sanguinolente, tandis qu'un autre envoie une décharge électrique dans le corps de Kainis pour le paralyser. La jeune femme comprend que l'opération sera douloureuse.

Un des meltans sort une poignée de filaments de cuivre de son corps et les tend à ses compagnons. Ceux-ci les électrisent, avant de les insérer sans ménagement dans le moignon ensanglanté. La guerrière rousse retient un premier cri en se mordant les lèvres. Ses trapèzes se contractent, sa respiration s'accélèrent. Puis ce sont des fils plus épais que les ouvriers enfoncent là où aurait dû se trouver le genou de Kainis. Un hurlement rauque déchire le silence solennel de la forge, suivi de petits gémissements. La jeune femme sent les larmes perler au coin de ses yeux.

Le plus précis des meltans tire alors un minuscule trait de lumière dans l'os qui ressort légèrement de la blessure, avant d'encastrer une dernière tige métallique dans l'orifice ainsi creusé. Les créatures s'appliquent ensuite à connecter tous ces fils à la jambe d'airain. Alors la souffrance se fait insoutenable. Kainis beugle, jure, pleure, hurle à s'en briser la voix. Elle maudit Heatran et ses serviteurs pour la torture qu'ils lui infligent. Ses blasphèmes résonnent dans ce lieu sacré sans que le maître des lieux ne s'en offusque.

Puis progressivement, la douleur s'estompe. La paralysie se dissipe également, tandis qu'un des meltans offre un pichet d'eau tiède à Kainis. Celle-ci s'en saisit et avale son contenu d'un trait, laissant couler le liquide qui déborde de sa bouche le long de sa gorge, puis de sa poitrine nue. La balafrée ne remarque sa nudité que maintenant ; trop tard pour faire bonne figure devant le Protecteur de Sicane.

Sa soif étanchée, l'androgyne rousse reporte son attention sur la prothèse de bronze rattachée à son genou. Étrangement, elle ne pèse pas plus qu'une jambe normale. Les yeux écarquillés, Kainis se rend compte qu'elle peut incliner le pied, bouger les orteils, contracter le mollet. La sculpture d'airain, parfaitement semblable au membre perdu, réagit comme s'il faisait partie du corps de la jeuen femne. Ce prodige s'étend jusqu'à la perception tactile ; Kainis sent le sol sous son pied métallique.

« C'est un miracle, finit-elle par articuler.
– J'ai infusé cette jambe d'airain de mon Pouvoir Antique, explique Heatran sur un ton neutre. Tant que j'en déciderai ainsi, elle sera comme une partie de ton corps.
– Merci, Seigneur Heatran !
– À présent, écoute-moi attentivement, guerrière de Sicane ! Les hommes qui ont enlevé le prince Lucil sont des adorateurs de Giratina, le titan maudit. Ils ont prévu de sacrifier huit jeunes garçons d'une grande noblesse d'âme ce soir, au sommet de l'île du Renégat, quand cette infecte lueur verte sera au plus près de notre monde, afin d'ouvrir un passage vers les limbes où est enfermé Giratina. Tu dois les en empêcher !
– Moi ? s'étonne Kainis. Ce serait pas plutôt à vous d'arrêter une telle menace ? Ou à Arceus ?
– Il nous est interdit de nous mêler des affaires des mortels. Tant que Giratina demeure prisonnier de sa Distorsion, nous n'interviendrons pas. Nul autre que toi peut mettre un terme à cette folie. »

Kainis reste un long moment interdite. Toute cette histoire la dépasse. Est-ce vraiment à elle d'empêcher le retour du titan de platine ? La jeune femme inspire profondément. Au fond, cela ne change pas grand chose à sa mission, elle doit toujours sauver son demi-frère. Dans la mesure où elle n'envisage pas l'échec, les conséquences lui importent peu. Seule l'urgence se fait à présent ressentir. Elle doit agir avant la tombée de la nuit. Kainis lance un regard déterminé au Protecteur de Sicane en guise d'acceptation. Celui-ci s'incline légèrement.

D'autres meltans font alors irruption, apportant avec eux un équipement tout neuf pour la guerrière. Un plastron, des protections pour les tibias et les avant-bras sont déposés aux pieds de la rousse, ainsi qu'un nouveau glaive dans son fourreau. Elle s'empresse de dégainer l'arme et de la soupeser d'une rotation lente du poignet. Le poids et l'équilibre lui conviennent parfaitement, à croire que l'on a forgé cette épée pour sa main. Kainis remarque alors le Fer Dansant posé à l'écart, que les meltans semblent éviter. Lorsqu'elle s'en empare, Heatran la met en garde :

« Il s'agit là d'une arme pour tuer, et non pour défendre, jeune guerrière.
– Je sais.
– Hélas, elle te sera nécessaire pour sauver le prince Lucil. Mais lorsque ce sera fait, tu auras une décision à prendre quant à cette épée maudite. »

La jeune femme acquiesce en silence. Elle a bien compris que le Fer Dansant a tué son précédent propriétaire pour s'offrir à elle. Il n'y a pas que la soif de sang du terrible Tranchenuit qui ait survécu à l'intérieur de cette lame. Saura-t-elle se défaire de cette arme le moment venu ?

Pour l'instant, Kainis préfère ne pas se torturer l'esprit avec ce genre de question.
Sans perdre plus de temps, elle enfile sa tunique de cuir, serre sa large ceinture, y accroche ses armes, enfile ses sandales et ses protections. Elle n'est pas assez pudique pour rougir de s'habiller devant le Protecteur de Sicane et ses ouvriers étranges. La guerrière ignore le plastron laissé devant elle. Elle préfère se sentir légère lorsqu'elle combat, une telle pièce d'armure risquerait d'entraver ses mouvements.

« Un des meltans te guidera vers la surface, au plus près de l'île du Renégat. Je ne peux malheureusement te tracer une voie directe vers tes ennemis, l'influence de cette lumière verte m'en empêche.
– Je vous remercie humblement pour tous vos présents, Seigneur Heatran. Je vous jure de réussir dans ma mission
– Puisses-tu empêcher Giratina de revenir en ce monde ! Adieu. »

Le plus grands des meltans se dresse alors devant Kainis, l'exhortant à le suivre. Un des murs de la forge s'ouvre devant la créature de métal liquide, comme si la roche était organique, formant un passage d'une rondeur parfaite remontant doucement vers la surface. En jaillit un air presque tiède, qui adoucit à peine l'atmosphère étouffante des lieux. Avant de s'engouffrer dans le tunnel ainsi apparu, la Sicanienne se tourne une dernière fois vers Heatran, le gratifiant d'une révérence solennelle, puis s'élance à grands pas hors de la fournaise, suivie de près par Zaro.

Le mur se referme sur leur passage, ne laissant aucune trace d'une quelconque ouverture dans la paroi rocheuse. Le Protecteur de Sicane reste immobile au milieu de sa forge, alors que les meltans reprennent leur travail. Ses grands yeux flamboyants perdus dans le vague, il attend que vienne sa punition pour avoir outrepassé ses prérogatives. Il n'aurait pas dû offrir cette jambe à Kainis, ni la renseigner au sujet de Giratina. Les Légendaires n'ont pas le droit d'intervenir dans les affaires des mortels, pas plus que de s'attribuer un champion pour s'en charger à leur place. Toutefois, dans le cas présent, n'importe quelle sanction demeure préférable à un retour du Renégat. C'est pourquoi Heatran ne regrette pas ses actes s'ils peuvent éviter ruine et dévastation à ce monde.



Kainis perd rapidement la notion du temps à force de suivre le meltan dans un dédale interminable de tunnels. Le pokémon glisse devant elle à une vitesse insoupçonnée, éclairant la voie grâce à l'éclat naturel de son corps métallique. Peu à peu, la température descend, offrant quelques frissons à la Sicanienne qui transpirait pourtant à grosses gouttes en quittant la forge d'Heatran. La tête du petit ouvrier de métal produit une sorte de grésillement étrangement mélodieux, qui résonne à travers les galeries. On dirait que le meltan siffle ou chantonne.

« Hé, arrête-toi !
– Mel ? »

À la croisée de trois passages, le chemin s'élargit enfin assez pour que Kainis puisse étrenner sa jambe d'airain. La guerrière s'accorde un pas d'élan pour frapper la paroi de basalte d'un puissant coup de pied. Dans un violent fracas, le choc pulvérise la roche et crée un cratère difforme autour de la prothèse de bronze. Un sourire satisfait éclaire le visage de la Sicanienne ; la voici en possession d'une nouvelle arme dont elle saura tirer parti. Puis la marche vers la surface reprend de plus belle, égayée par les grésillements harmonieux du meltan.

Bientôt, le tunnel s'ouvre sur un ciel gris, mouillé d'une légère bruine. Kainis, Zaro et le meltan surgissent au beau milieu d'une plage de sable terne, qui s'étend à gauche et à droite sur plusieurs lieues. Derrière eux s'élève le massif de montagnes qui formait leur ligne d'horizon la veille. Les ravisseurs ont emprunté un passage souterrain pour éviter de contourner les monts, quitte à s'acoquiner avec les adorateurs du dinosaure gelé. Le trio fait face à ce qu'on devine être l'île du Renégat. C'est un roc nu et abrupt planté au devant de la mer à une lieue de là. Reste le problème de la traversée.

« Comment se rendre là-bas ? À la nage ? grommelle la guerrière d'une voix pleine de reproches.
– Mel, mel ! lui indique le pokémon de métal en agitant ses petits bras.
– Hum, bien vu. »

Un peu plus loin sur leur droite, un pêcheur et sa femme pousse laborieusement une barque pour la mettre à l'eau. Kainis les dévisage quelques instants. Ridés et échevelés, ils ont l'air beaucoup trop vieux pour qu'on puisse leur donner un âge. La Sicanienne s'approche d'eux à pas lents, pour ne pas les effrayer. Tout en marchant, elle fouille à l'intérieur de sa ceinture pour en tirer le bracelet de Lucil, repris aux marchands de Cité Blanche. Lorsqu'elle arrive à hauteur du couple, celui-ci se jette à ses pieds, dans une posture suppliante :

« Pitiez, ma bon sire, espargnez dont nous vies ! gémit le pêcheur, dévoilant une bouche presque dépourvue de dents. Sommes paulvres gens, sans li sou.
– Du calme. J'ai besoin ta barque, vieil homme.
– Ma commens j'y va nourrir sans li bag por picher ?
– J'achète ton bateau, répond Kainis en leur tendant le bracelet. Si on te demande d'où vient ce bijou, tu diras que c'est un cadeau du prince Lucil de Sicane. »

La vieille femme ratatinée s'empare du bracelet de ses mains tremblotantes. Son mari essaie de le lui prendre, mais elle l'en empêche d'une petite tape sur le poignet. Tandis qu'ils s'éloignent en direction de leur cabane un peu plus loin, on les entend se disputer dans un patois incompréhensible. De son côté, le meltan gratifie Kainis et Zaro d'une petite révérence et regagne le tunnel menant à la forge d'Heatran. Le trou dans le sable se referme derrière lui, comme par enchantement, laissant la Sicanienne et son pokémon seuls sur la plage.

La rousse s'empresse de mettre la barque à flot, avant de sauter à l'intérieur et de saisir les deux rames grossières. Zaro se pose à l'avant de l'embarcation. Environ une lieue les sépare de l'île du Renégat, rien d'insurmontable pour Kainis, habituée à manœuvrer sur l'Elii, fleuve marquant la frontière sud de Sicane. Chaque été, elle participe à la course d'aviron opposant la garde royale aux veilleurs d'Eduna sur ce cours d'eau sinueux. Elle ne tarde pas à trouver sa position et son rythme, afin de se fatiguer le moins possible en ramant. La formidable machinerie de ses muscles cuivrés s'active en un mouvement régulier de va-et-vient, accompagnant sa respiration en parfaite synchronie.

Rapidement, la brume humide se lève, puis la grisaille matinale cède sa place à de timides éclaircies, tandis que le soleil s'avance vers son apogée. Au milieu de la traversée, Kainis s'autorise une courte pause se pour masser les trapèzes. Elle croise un instant le regard inquiet de Zaro, qui scrute les environs à la fois avec ses yeux et ses oreilles. Le nombre croissant de viskuses qui nagent autour de la barque n'échappe pas à sa vigilance. D'ordinaire, on ne trouve ces spectres qu'à proximité des Ombres Marines, ces taches d'obscurité qui recouvrent certaines zones de mer. Leur présence ici n'augure rien de bon. Pourtant, ce n'est pas de ces créatures que vient le danger.

Quelque chose rôde sous la surface depuis quelques temps ; le sonistrel le suit à la trace grâce à ses ultrasons. Une forme imposante, mais agile, attend le moment adéquat pour passer à l'attaque. La créature réduit la distance entre la barque et elle à chaque fois que les rames frappent les remous de la mer, certain de surprendre ses proies. Toutefois, un léger crépitement dans la tête de Kainis la prévient d'un danger qui se rapproche patiemment. Sans cesser de souquer, la guerrière rousse modifie légèrement sa posture, afin de pouvoir dégainer vite, tout en conservant son équilibre.

Soudain, le monstre attaque. Une soixantaine de tentacules gris se referment prestement sur les rames et la barque, tandis que deux énormes globes oculaires rouges et luisants sortent de l'eau. À y regarder de plus près, les yeux de cette créature se trouvent plus bas, sous son crâne en triangle. Les lèvres de Kainis forment alors leur habituel rictus carnassier ; la jeune femme n'a plus mangé de tentacruel depuis que les pêcheurs d'Alagatia ont cessé de commercer avec Sicane, cela lui manque. Elle salive d'avance du repas qu'elle s'offrira une fois sur l'île. Pour s'assurer sa pitance, elle tranche net les tentacules les plus proches, qui tombent à l'intérieur de la barque.

Furieux, le pokémon mollusque assène un puissant coup d'estoc de son terrible bec, effilé et empli de poison. Kainis pare l'attaque avec le Fer Dansant. La lame noire se met à vibrer en un bruit strident, avant de sectionner le crochet saillant du tentacruel, avec une facilité déconcertante. Puis l'androgyne abat son second glaive de toutes ses forces sur le crâne bleu de la créature. La valse des épées ne s'arrête pas là, tailladant sans relâche le monstre marin, jusqu'à ce que ce dernier ne se décide à fuir, abandonnant une quinzaine de tentacules dans la bataille. Il ne s'est pas éloigné de dix mètres qu'un bataillon de viskuses fond sur lui pour l'achever. Par mesure de précaution, Kainis ne garde qu'un tronçon de tentacule pour son repas et jette les autres à la mer, que les fantômes voraces s'empressent d'engloutir.



Il n'est pas encore midi lorsque la Sicanienne et son sonistrel mettent enfin pied sur l'île du Renégat. Il leur a fallu contourner une partie du roc pour trouver un semblant de plage où accoster, sans que des récifs aussi aiguisés que des lames ne leur barrent la route. À leur arrivée, ils découvrent trois embarcations de taille moyenne, certainement celles des ravisseurs, retournées sur le sable. Kainis perce un trou discret dans leur coque avec le Fer Dansant, puis dissimule sa propre barque derrière un rocher recouvert de varech.

Tandis que Zaro fouille les rares buissons des environs à la recherche de baies acides, la balafrée s'installe à même le sol, détaillant son tronçon de tentacule, posé sur le fourreau de son glaive, en tranches fines, à l'aide de sa dague. Il n'y a pas de poche de venin dans les membres flexibles du tentacruel, une chance pour elle qui peut se délecter de son repas sans crainte. En outre, on l'a immunisée à de nombreuses toxines depuis son enfance, ce n'est pas un pokémon empoisonné qui aura raison d'elle.

Sa pitance dûment avalée, Kainis s'empare d'une des rames de la barque et la plante dans le sable. Elle indique à Zaro, revenu de son exploration la bouche pleine, de la réveiller lorsque l'ombre de la falaise aura atteint la rame, puis se couche derrière une pierre recourbée masquant le soleil méridien. La traversée du bras de mer lui a demandé un bel effort ; l'androgyne doit reprendre des forces avant d'entamer l'ascension des hauteurs de l'île, où les adorateurs de Giratina ont conduit le prince Lucil. Quelques minutes lui suffisent pour gagner le pays des songes, la laissant sous la protection du sonistrel, pendant la petite heure que devrait durer sa sieste.

Zaro profite de la tranquillité qui lui est offerte pour étudier l'île du Renégat. Ses ultrasons ont moins de portée à l'air libre que dans une grotte, mais il distingue rapidement des formes qui brouillent ses ondes sonores. Situés à la limite entre le matériel et l'immatériel, les pokémons fantomatiques n'échappent pourtant pas à la vigilance du sonistrel. Ils sont une foultitude, tapis dans les ombres, épiant les intrus sans intervenir. Pour le moment.

Un des spectres ne résiste pas longtemps à l'envie de se sustenter des rêves de l'humaine, quitte à affronter son compagnon volant d'abord. C'est une ombre hérissée de pointes, plus grande que Kainis, pourvue d'une large bouche et de deux mains griffues flottant dans le vide. Zaro n'attend pas qu'il s'approche davantage pour engager le combat, projetant une lame de vent sur le fantôme. Celui-ci réplique immédiatement par un coup de poing brusque qui propulse le petit pokémon sur plusieurs mètres. La bourrasque tranchante fait mouche, toutefois le spectrum n'en a cure ; il s'apprête à se nourrir des songes de Kainis. Le voilà qui tire une langue énorme de sa bouche, prêt à la plonger dans l'esprit endormi de l'humaine, quand une rafale vengeresse s'abat sur lui. Blessé, mais non vaincu, Zaro revient à la charge, bombardant le fantôme de souffles acérés.

Le spectrum finit bientôt par disparaître sous les bourrasques furieuses. Excités par le combat, une trentaine d'ectoplasmes affamés se ruent alors vers Kainis. Les yeux écarquillés, le pauvre sonistrel voit se déployer cette charge démente de toutes parts. Il sait qu'il ne pourra pas arrêter seul tous ces ennemis. Il n'est pas aussi fort que l'intrépide Cylia, dont le souvenir en cet instant rend la mort d'autant plus regrettable. Alors qu'il se laisse submerger par le désespoir, Zaro sent une énergie nouvelle sourdre en lui. Enveloppé de lumière, son corps commence à se transformer subitement dans une agréable et chaleureuse douleur des muscles, des os, des nerfs et des tissus qui s'étirent. L'évolution, la formidable magie des pokémon est à l'œuvre, provoquant une mouvement de recul parmi les spectres.

Devenu bruyverne, Zaro inspire profondément avant de relâcher une salve d'énergie draconique. Tournant un long cou recouvert d'une fourrure hirsute, le pokémon balaie de son rayon indigo les fantômes avides des environs. Puis il vient se placer, menaçant, au-dessus du rocher sous lequel la Sicanienne dort toujours à poings fermés. Jusqu'à son réveil, les autres spectres resteront à distance, peu enclins à subir le courroux du terrible dragon noir et mauve.