XLI- La phobie des grandeurs
L’air mécontent, la troisième commandante de la Team Éclat contemplait pour la seconde fois l’intérieur de la statue à l’effigie du Pokémon légendaire Regigigas. Rien n’avait changé. La statue était toujours entièrement vide. Et, comme la fois précédente, elle pesta. Décidément, rien n’allait comme elle le voulait, aujourd’hui ! Déjà, ses hommes et elle avaient bien failli se faire emporter par les puissantes rafales de vent qui provenaient du Mont Couronné, d’où leur arrivée retardée dans la ville enneigée. Mais ce n’était évidemment pas tout, puisqu’en arrivant au Temple, la commandante avait pu constater la disparition de la tant convoitée Chromazurite.
Après ce désagrément fâcheux, la commandante était entrée dans une colère noire, et avait décidé de passer ses nerfs sur tout ce qui lui tombait sous la main. Alors, quoi de mieux que les soi-disant « dresseurs d’élite » des F.P.I. venus rôder dans le coin ? La commandante avait d’abord commencé par les vaincre en combat Pokémon, une simple formalité pour la dresseuse d’exception qu’elle était. Des dresseurs ordinaires, mêmes bien entraînés, ne pouvaient pas grand-chose face à son talent et son expérience. Puis elle s’était un peu « amusée » avec eux, comme elle avait l’habitude de le faire.
Mais aucun d’entre eux ne l’avait vraiment divertie, et elle s’ennuyait déjà à nouveau. Cependant, il lui semblait avoir entendu l’une de ces vermines appeler les renforts, avant d’être assommée par l’un de ses indélicats gardes du corps. La commandante ignorait pourquoi, mais elle avait le pressentiment que ces nouveaux arrivants allaient lui plaire… Ainsi, alors que ses hommes de main lui avaient conseillé de fuir au plus vite - car de toute façon la mission était un échec – elle avait décidé de patiemment attendre ses futures victimes à l’intérieur du Temple. Ce serait un plaisir de les tourmenter, elle en était intimement persuadée. À cette pensée, un sourire malsain et sadique se forma sur son visage.
***
Le groupe composé des quatre adolescents ainsi que de Leïla et Beladonis courait à perdre haleine vers le Temple de Frimapic, paniqué. Leïla ne cessait de hurler dans son talkie-walkie, en vain. Il fallait absolument tirer cette histoire au clair. Deux ou trois glissades sur le sol enneigé plus tard, les deux policiers et les quatre enfants – habillés comme des policiers – parvinrent enfin au Temple. Une scène désolante s’offrit alors à eux : une quinzaine d’hommes et de femmes en uniforme brun gisaient sur le sol, l’air hagard, en gémissant. Seul l’un d’entre eux était bâillonné et ligoté à un arbre, non loin de là.
Il s’agissait d’un homme d’âge mûr, à la barbe argentée et l’air mécontent. Forcément. Leïla se précipita vers lui pour le libérer. Dès qu’il fut à nouveau en pleine possession de ses mouvements, il vociféra :
- Quelle peste !
- Que s’est-il passé, sergent Anton ? demanda Leïla avec bienveillance.
On pouvait cependant lire dans ses yeux turquoise une réelle inquiétude.
Le vieil homme contempla ses hommes à terre et murmura :
- La troisième commandante de la Team Éclat…
- Comment est-elle ? s’enquit Beladonis.
- Ah tiens, c’est vous, commenta simplement Anton en se tournant vers l’inspecteur. Eh bien, je ne l’ai pas vue, mais… Pour avoir mis mes hommes dans cet état…
Il prit un air grave et poursuivit :
- Elle doit être très forte.
Beladonis s’en voulait d’avoir ainsi manqué de diligence. Encore une fois, la Team Éclat les avait pris par surprise… Déjà, au casino… L’inspecteur frissonna en y repensant. Il avait récemment appris qu’il y avait eu des victimes, encore non-identifiées. La nouvelle lui avait glacé le sang. Mais c’était pour cette raison qu’il ne pouvait pas laisser cette organisation criminelle lui filer entre les doigts. Ils devaient payer.
- Pourquoi avez-vous été ligoté ? Vous êtes le seul dans ce cas, fit remarquer une petite voix.
Tout le monde se tourna vers celui qui avait parlé : Shuno. Au vu de tous ces regards pointés sur lui, il baissa la tête, gêné.
« Bonne question… Il a raison, pourquoi est-ce le seul à avoir été neutralisé par la force ? » se demanda à son tour Shaïna.
- Tu as une petite tête bien remplie, mon petit ! À vrai dire, je ne sais pas vraiment. Peut-être parce que je suis le chef d’unité, va savoir, lui répondit Anton en se lissant la barbe.
- Hum… marmonna alors Shuno, l’air songeur.
- Nous n’avons pas de temps à perdre, décréta soudainement Leïla. Nous devons attraper cette criminelle qui a attaqué mes hommes. J’en fais une affaire personnelle !
- Vous avez raison, Leïla. Dépêchons-nous ! s’écria Beladonis qui commençait déjà à se ruer à l’intérieur du Temple. Vous les enfants, vous…
- On vient ! le coupa Candice avec force, d’un ton sans réplique.
« Elle m’a ôté les mots de la bouche » pensa Shaïna avec un sourire. Beladonis soupira, mais ne fit pas d’autre tentative pour arrêter les enfants : ils étaient incorrigibles. Et puis, de toute façon, il n’avait pas le temps. Laissant derrière eux le sergent Anton, inquiet pour son unité, le groupe – désormais plutôt conséquent – se précipita à l’intérieur du Temple de Frimapic. Le rai de lumière provenant de l’extérieur n’éclairant pas beaucoup, l’entrée du Temple était sombre. Et une silhouette les y attendait, enveloppée d’une aura sinistre.
L’inspecteur se demandait vraiment comment une seule personne avait pu réduire à néant toute une unité de police. Ou plutôt, puisque c’était une réalité, quel genre de monstre cela pouvait être. Il frissonna. Il avait peur. Comme dans ses missions les plus extrêmes. Lorsque leur adversaire consentit enfin à sortir de la pénombre, il n’en crut pas ses yeux : ils faisaient face… à une petite fille. Plus jeune encore que Shaïna et ses amis, elle devait avoir environ douze ans. Ses cheveux mauves étaient attachés en couettes, et ses yeux gris bleutés fixaient les nouveaux venus d’un air mauvais.
Malgré le climat froid et glacial de Frimapic, la jeune fille portait un kimono court où étaient brodés des motifs de volutes bleues et violettes, et des sandales aux pieds. Rien qu’à la voir, Shaïna avait envie de grelotter. Un silence de mort s’installa dans le Temple suite à cette apparition remarquée. Les nouveaux arrivants s’entreregardèrent, ne sachant s’ils devaient rire ou avoir peur. À la vue de cet échange, la petite fille les toisa :
- Ha ! Je sais ce que vous pensez ! affirma-t-elle avec force, un index accusateur pointé vers ses interlocuteurs. Mais me prenez pas pour une gamine.
Nouvel échange de regards interloqués. Tous pensaient la même chose : « mais enfin, C’EST une gamine après tout… ». Le visage livide de la petite fille vira alors à l’écarlate :
- Je sais absolument tout ce que vous pensez ! répéta-t-elle. Vous allez regretter de m’avoir sous-estimée, moi, Moonrise, troisième commandante de la Team Éclat, la face cachée de la Lune ! Et je vais vous le prouver tout de suite. Vous allez avoir la chance de connaître le même sort que ces abrutis là dehors !
- Je ne te laisserai pas faire ! hurla l’inspecteur Beladonis avant de se jeter sur elle.
Shaïna – ainsi que tous les autres ici présents – n’eurent pas l’occasion de lui dire que c’était sûrement une très mauvaise idée.
Stoïque, Moonrise ne bougea pas. Elle demeura immobile, un sourire narquois figé sur le visage, jusqu’au tout dernier moment, celui où l’inspecteur s’apprêtait à la plaquer au sol. Quand soudain, un éclair blanc illumina la pièce, aveuglant toutes les personnes présentes. Lorsque la luminosité revint à la normale, un spectacle accablant s’offrit aux alliés de l’inspecteur : Beladonis gémissant, enchaîné par un étrange Pokémon en forme d’ancre de bateau.
La petite Moonrise s’esclaffa devant la scène :
- Oups… On dirait que mon petit Sinistrail est pas du même avis que vous. Il me vient de ma grande sœur, qui vit à Alola, vous savez. Il s’est fait la promesse de me protéger quoi qu’il arrive, alors vous comprenez, il a tendance à réagir très vite dès qu’on veut s’en prendre à moi. Personne a jamais réussi à me blesser. Tant qu’il veille sur moi avec sa capacité Ancrage, j’ai rien à craindre.
- Tu oublies que nous sommes encore là, prêts à t’arrêter ! s’écria Shaïna, la main sur ses Poké Balls.
Les rires de Moonrise redoublèrent :
- J’en suis pas si sûre. Essayez de me faire quoi que ce soit… Et mon petit Sinistrail adoré réduit votre ami en miettes, répondit-elle avec un sourire effrayant.
Tout le monde se figea suite à cette menace. Leïla fulminait. Elle aimait bien Beladonis, mais il venait de les fourrer dans un sacré pétrin. Et ce n’était malheureusement pas la première fois…
Moonrise sourit jusqu’aux oreilles à la vue de leurs visages désemparés, puis se tourna ensuite vers l’inspecteur :
- Ah là là… Vous êtes du genre impulsif, vous. Le cœur sur la main, certes… Mais un peu inconscient, hein ? Cela dit, votre esprit est très embrouillé. Hum… Vous êtes plus complexe qu’on pourrait le croire. Sauf que bon, si vous voulez mon avis, faire le courageux pour sauver vos amis puis finalement les mettre en difficulté, c’est pas top. Ils doivent en avoir marre de vous, à force. Elle, par exemple, fit-elle en désignant Leïla, elle vous en veut. Et elle a pas tort. C’est pas la première fois que vous vous plantez. Vous essayez, mais au final, votre bonne volonté peut jamais rattraper votre incompétence. Votre vie est une longue série d’échecs, je me trompe ? Non, bien sûr que non. Je me trompe jamais.
- Gnnh… gémit Beladonis, toujours entravé par les chaînes de l’Ancrage. Comment… oses-tu ?
La fillette secoua la tête, l’air faussement attristé :
- La vérité… C’est toujours le plus difficile à entendre.
- Ce ne sont que des mensonges, affirma Leïla sans flancher, les yeux brillant de haine. Comme elle s’en voulait de ne rien pouvoir faire face à cette petite prétentieuse !
- Tiens, un esprit un peu combatif. Ce sera trop long de vous briser. Je vais plutôt m’amuser avec vous alors, déclara Moonrise, en s’adressant aux quatre adolescents. Vous en faites pas, je partirai dès que j’aurai vu vos visages désespérés…
- Tu racontes vraiment n’importe quoi. Viens te battre si tu en as le cran, plutôt que de te servir d’une vie humaine pour nous faire chanter, lui assena violemment Shuno. C’est pathétique !
Shaïna ne l’avait jamais vu aussi remonté. Ses traits s’étaient durcis, et ses yeux grenat brillaient de haine et d’incompréhension. Elle comprit alors rapidement que son ami était en train de tomber le piège de Moonrise. Mais elle ignorait complètement comment l’en extirper.
- Pathétique ? Ha ! Tu vaux pas mieux que moi. Tu vis que pour l’attention qu’on te porte. Tu es si orgueilleux et narcissique ! Tu fais tout pour que les autres t’aiment et soient à tes pieds, hein ? Tu veux être parfait sur tous les points, pour que tout le monde t’envie. Peut-être parce qu’au fond, tu désires plus que tout la reconnaissance de quelqu’un en particulier… Quelqu’un, comme par exemple ton p…
- TAIS-TOI ! hurla alors Shuno avec véhémence, provoquant la surprise générale. Seule Moonrise affichait un air satisfait.
Le visage habituellement si calme et placide du jeune garçon était déformé par la colère. Il voulut se ruer sur la fillette, mais fut retenu par Chrom et Candice, qui avaient réagi au quart de tour, sentant bien que la situation allait dégénérer. Fermement maintenu par ses deux amis, Shuno se débattait comme un diable :
- Lâchez-moi ! Je ne vais pas gentiment rester là à l’écouter salir mon nom !
- Tu crois que ça nous fait plaisir de te retenir comme ça ? On est aussi en colère que toi ! Mais il faut que tu contrôles, Shuno ! lui intima Candice.
- Qu’il est sensible et émotif, ce petit ! railla Moonrise, attisant d’autant plus la haine du jeune homme aux cheveux neige. Mais elle a raison, ton amie, Shuno. Car sinon…
À ces mots, elle claqua des doigts. Immédiatement, Sinistrail resserra son étreinte autour de l’inspecteur, qui geignit de plus belle. Si le regard pouvait tuer, Shuno aurait déjà réduit Moonrise en cendres.
- Enfin bon, elle est pas toute blanche non plus ! reprit la commandante aux cheveux violets. Elle a des choses à cacher, on dirait.
Candice devint soudain blême.
- Ha ha, j’ai visé juste, comme d’habitude. Tu peux sembler sûre de toi au premier abord, mais en réalité tu es pleine de doutes. Tu es empotée, alors tu dois toujours te reposer sur tes amis au final.
Candice baissa la tête. Elle n’avait rien à répliquer… Tout simplement parce qu’il s’agissait de la stricte vérité. Moonrise la contempla d’un air désappointé :
- Ah oui, et j’oubliais : tu manques sérieusement de courage et de répartie.
- Hé ! Fiche la paix à Candice ! intervint soudain Chrom, sous les yeux éberlués de Shaïna.
La jeune fille était comme tétanisée. Cette fillette hors du commun et son pouvoir d’analyse poussé à l’extrême la terrifiait. La façon dont elle avait pu se débarrasser de l’unité des F.P.I. lui apparaissait très clairement à présent. Ainsi, totalement impuissante, elle entendit Chrom se faire humilier à son tour par Moonrise, qui lui reprochait d’être « faible et pas très intelligent, sans la moindre personnalité ». Malgré la violence de ces paroles, Shaïna ne parvenait pas à s’en approprier le sens. Elle était complètement paralysée.
Pour la première fois de sa vie, elle avait peur. Non pas le genre de peur que l’on ressent lorsqu’un ami caché dans le noir surgit soudain des ténèbres en criant « bouh ! ». Non, la peur, la vraie. Celle qui ankylose les jambes et donne des sueurs froides. Shaïna avait peur. Face à une petite fille. Mais ce n’était pas une petite fille ordinaire, loin de là. Elle possédait un esprit digne des plus grands manipulateurs, sondant les personnalités pour y déceler le moindre défaut et s’en servir comme d’une arme aiguisée.
Shaïna réalisa soudainement pourquoi elle avait si peur. Elle le comprit dès que les yeux bleus-gris de Moonrise, emplis de sadisme, se posèrent sur elle. C’était à son tour de recevoir ses quatre vérités en face. Et elle n’était pas sûre de réussir à tout encaisser sans broncher. Connaissant son caractère, c’était même totalement impossible. Ce qui lui faisait d’autant plus peur.