La couleur de la lumière de MissDibule

La première chose que Shaïna put constater lorsque Beladonis ouvrit la porte, c’était l’air fatigué de l’inspecteur. Il devait vraiment se passer quelque chose d’important… Beladonis posa ses yeux cernés sur le petit groupe formé des quatre enfants et de l’inconnue aux cheveux blonds et les salua :
- Bonjour, les enfants. Merci d’avoir fait si vite. Bonjour à vous également, Amelle. Nous avons désespérément besoin de vous, notre système de Boîtes nous a lâchés… Enfin, je soupçonne plutôt la Team Éclat de l’avoir piraté.
- Oh mais ne vous en faites pas, inspecteur, il n’y a pas de problème. C’est mon métier après tout. J’ai fait aussi vite que j’ai pu, j’ai même emmené Douce avec moi ! répondit la dénommée Amelle d’un ton enjoué. D’ailleurs… Où est-elle ?

La jeune femme blonde se mit à regarder tout autour d’elle et arrêta son regard sur Shaïna. Bientôt cinq paires d’yeux se fixèrent sur la jeune fille dont les yeux écarlates reflétaient son inquiétude : « pourquoi la fixait-on ainsi ? ». Puis elle trouva bien vite la réponse : elle réalisa qu’elle tenait encore dans ses bras la petite Évoli appartenant à Amelle, et qui s’appelait visiblement « Douce ». Shaïna comprenait pourquoi : sa fourrure était si duveteuse, comme un nuage !
- Oh je suis désolée ! Je vous la rends tout de suite. C’est juste que… elle avait l’air de s’ennuyer autant que moi, dans la salle d’attente, alors j’ai un peu joué avec elle, s’expliqua l’adolescente, penaude.

Amelle lui sourit :
- Mais pas de problème ! Merci de t’en être occupée. Elle a l’air de beaucoup t’aimer, c’est fou, commenta-t-elle.
- Oui, les Pokémon s’attachent très facilement à Shaïna. En plus, c’est une super dresseuse ! ajouta Candice, qui avait bien remarqué depuis le temps à quel point Shaïna avait le contact facile avec les Pokémon.
- C’est vrai ? demanda Amelle, plus pour elle-même que pour Candice. Elle semblait visiblement pensive.

Shaïna prit la question pour elle-même et répondit :
- Euh… c’est vrai que les Pokémon m’aiment bien en général, mais j’ai encore beaucoup à apprendre…
Amelle ressortit soudain de sa profonde réflexion et déclara :
- Écoute, Shaïna, c’est ça ?
La concernée hocha la tête, intriguée. Qu’est-ce que la jeune femme avait en tête ?
- Je suis informaticienne, je gère le système de Boîtes Pokémon de Sinnoh. Cette Évoli m’a été confiée par un ami et collègue du nom de Léo, qui vit à Kanto. Malheureusement, je n’ai pas vraiment le temps de m’occuper d’elle.

Shuno voyait très bien où elle voulait en venir :
- Vous voudriez confier Douce à Shaïna, c’est cela ? devina-t-il.
- Oui, acquiesça-t-elle. Après ce que je viens d’entendre, et étant donné que tu connais Beladonis, je n’ai aucune inquiétude à te la confier. Je sais que tu t’en occuperas bien, et qu’elle sera plus heureuse qu’avec moi, constamment entourée de machines. Qu’en dis-tu ?
- Eh bien… hésita Shaïna. Puis elle plongea ses yeux rouges dans les doux yeux bruns du petit félin.
Elle l’aimait déjà beaucoup… Elle finit donc par accepter la proposition ô combien inattendue d’Amelle. Cette réponse fut accueillie par de grands sourires. Amelle lui confia donc la Poké Ball de Douce.
- Bienvenue dans l'équipe, Douce ! s'exclama Shaïna en caressant sa nouvelle amie qui ronronnait de plaisir. Puis, à regret, elle la fit rentrer dans sa Poké Ball.

Beladonis se racla brusquement la gorge :
- Hum… Maintenant que ceci est réglé, peut-être pourrions-nous passer à la raison de votre venue ici ?
- Euh, oui bien sûr, désolée, se confondit Shaïna en excuses.
- Il n’y a pas de quoi, Shaïna. Bien, allons dans mon bureau, leur suggéra l’inspecteur.
Tous hochèrent la tête et suivirent l’inspecteur. Le groupe traversa une grande salle entièrement remplie de bureaux et d’ordinateurs, sur lesquels s’affairaient des dizaines d’hommes et de femmes. Les visages étaient fatigués, et les échanges, brefs. La tension était presque palpable.

Shaïna ne fut pas mécontente lorsqu’ils sortirent enfin de cette pièce à l’atmosphère oppressante pour finalement arriver dans un couloir. Plongée dans ses pensées, elle ne faisait pas trop attention à ce qui l’entourait, et rentra dans une jeune fille de quelques années son aînée –elle devait avoir dans les dix-huit ans- aux nattes rouge vif avec d’immenses lunettes rondes. Ses petits yeux bruns –du moins, ils semblaient petits, à cause de ses lunettes- encadraient son visage constellé de taches de rousseur. Elle transportait une épaisse pile de documents, qu’elle faillit faire tomber en percutant Shaïna.

Catastrophée, la jeune rousse s’écria :
- Oh là là, je suis désolée !
- Non, non, c’est de ma faute, pardon. Tout va bien ? s’enquit Shaïna.
- Oui, mer… commença son interlocutrice, avant de s’interrompre. Elle observa Shaïna sous toutes ses coutures et s’exclama, surexcitée :
- OH ! Vous êtes Shaïna, n’est-ce pas ?
- Euh… oui, confirma la jeune fille, un peu méfiante. Mais comment le savez-v…
- Mais enfin, tout le monde le sait ici ! Vous êtes la fille de…
- Aleya, je crois que l’on vous attend autre part, la coupa soudainement Beladonis d’un ton sec, voire cassant.

La dénommée « Aleya » regarda alors sa montre et sursauta :
- Oh là là, vous avez raison, inspecteur ! Bon eh bien, je file, ravie d’avoir fait votre connaissance, Shaïna !
- De même… marmonna la jeune fille alors qu’Aleya s’éloignait déjà à toute vitesse.
Elle se demandait ce qu’elle avait voulu dire par : « tout le monde le sait ici ! ». « Comment ça ? Pourquoi tout le monde saurait qui je suis ici ? Combien de choses me cache-t-on, encore, au juste ? ». Elle était dévorée par autant d’interrogations. Avant qu’elle puisse en formuler ne serait-ce qu’une seule à l’oral, Beladonis déclara :
- Ah là là… Désolée pour ça. Aleya aime beaucoup les commérages, ne fais pas attention à ce qu’elle dit. Néanmoins, c’est une assistante des plus efficaces, on peut au moins lui reconnaître ça. Bien, nous arrivons à mon bureau.

« Mouais… Il ne m’ôtera de l’idée que c’est bien louche tout ça, et c’est pas sa justification qui va me convaincre… », pensa Shaïna, agacée, alors qu’elle pénétrait à l’intérieur du bureau de l’inspecteur. La pièce était dans le désordre le plus total : les étagères étaient pleines à craquer, des cartons de dossiers à moitié ouverts gisaient sur le sol, et le bureau était à peine visible tant les documents s’entassaient. Une demi-douzaine de chaises était posée de manière désordonnée devant le meuble, comme si elles avaient été amenées dans l’urgence. On disait souvent que l’état d’une pièce reflétait les pensées de son propriétaire. Si c’était vrai, l’inspecteur devait avoir un bon nombre de choses qui lui occupaient l’esprit. Ce qui était très probablement le cas.

Beladonis les invita à s’asseoir sur les chaises prévues à cet effet. Les enfants ainsi qu’Amelle s’exécutèrent, et, pendant que l’inspecteur fouillait dans un tiroir, Shaïna laissa son regard vagabonder dans la pièce. Il s’arrêta finalement sur un élément qui lui paraissait intéressant : le journal d’aujourd’hui, posé sur le bureau de l’inspecteur. Il s’agissait de journal « Les échos de Sinnoh », qui titrait en première page : « Recrudescence de Pokémon chromatiques à Frimapic : les shasseurs ravis mais perplexes. ». Les Pokémon chromatiques étaient de plus en plus nombreux dans la ville enneigée ? Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Car qui disait Pokémon chromatiques disait Team Éclat.

Shaïna n’eut pas le temps de s’interroger davantage : Beladonis avait trouvé ce qu’il cherchait, et il reporta bien vite son attention sur eux :
- Tenez, Amelle, voici la clé de la salle des machines. Vous avez l’habitude, depuis le temps, je suppose ?
- Bien sûr ! Je file de ce pas vous réparer ce système défectueux ! assura-t-elle en prenant la clé avec enthousiasme. Au revoir les enfants !
Ces derniers saluèrent l’informaticienne, et le silence revint bientôt dans le bureau exigu.

L’homme aux cheveux de charbon brisa presque immédiatement la glace :
- Vous vous demandez sûrement pourquoi je vous ai fait venir… Eh bien, je dois vous parler de quelque chose. Peut-être en avez-vous entendu parler : récemment, de nombreux Pokémon chromatiques ont commencé à apparaître aux alentours du Temple Frimapic.
- Vraiment ? s’enquit Chrom, très intéressé.
Shuno aussi semblait enthousiasmé.
- Oui. Mais ce n’est pas une si bonne nouvelle. Cela signifie fatalement que la Team Éclat va venir causer du grabuge à Frimapic. Nous sommes certains que cette bande de criminels projette quelque chose.
- Alors pourquoi vous n’envoyez personne là-bas ? demanda Candice.

Beladonis la fixa d’un regard étrange et répondit :
- On aimerait… Mais on ne peut pas envoyer toute une équipe aussi loin juste à cause de conjectures. Frimapic est la ville la plus coupée du monde de Sinnoh. Si jamais ça s’avérait être une diversion, par exemple, nous serions dans de beaux draps. Je vous ai fait venir pour vous demander d’ouvrir l’œil lorsque vous vous rendrez à Frimapic. J’avais peur que la Team Éclat apprenne que nous les surveillons. Cela aurait mis nos indics en danger, vous comprenez…
- Et donc… Vous comptez simplement attendre que ça se passe ? fit Shaïna à son tour.
- Écoutez les enfants, c’est très sérieux. Nous attendons d’avoir plus d’infor…
L’inspecteur fut interrompu par une sonnerie stridente. C’était le téléphone fixe posé sur le bureau, à moitié recouvert par des dossiers, qui sonnait.
- Excusez-moi, les enfants, je suis à vous tout de suite.

Beladonis décrocha, puis engagea une conversation courte, mais néanmoins animée, ponctuée de « quoi ? » et de « comment ? » de la part de l’inspecteur. La discussion se conclut par un « il n’y a pas de temps à perdre ! » alarmé de la part de Beladonis.
- Qu’est-ce qui se passe, inspecteur ? s’enquit Shuno, inquiet.
- Apparemment, d’après nos indics situés sur la route 217, trois individus suspects ont été aperçus volant sur des Pokémon dans le ciel de Sinnoh. L’un de ces Pokémon était un Grodrive, or, d’après nos informations, la deuxième commandante de l’organisation est une spécialiste du Type Spectre !
- Et donc ça, c’est une conjecture suffisante pour se rendre à Frimapic ? railla Candice.

Shaïna se demandait pourquoi Candice était de si mauvaise humeur, tout à coup. Mais l’inspecteur n’avait visiblement pas le temps de s’appesantir là-dessus. Il répliqua simplement :
- Oui, et je pars dès maintenant ! Navré, mais je dois écourter notre entrevue. L’heure est grave !
- Comment allez-vous vous rendre à Frimapic si rapidement ? s’étonna Shaïna.
- Je vais prendre l’hélicoptère des F.P.I. ! répondit Beladonis qui enfilait son blazer marron. Être un inspecteur, ça a des avantages !
Les quatre amis échangèrent un regard : tous pensaient la même chose.

Le policier, qui n’était pas né de la dernière pluie, s’en aperçut et s’écria :
- Ah non, pas question que vous veniez avec moi ! C’est trop dangereux !!
- Oh vraiment ? le défia Chrom, en se plaçant devant la porte pour bloquer le passage à l’inspecteur, rapidement rejoint par ses trois amis.
Beladonis soupira. Il n’avait pas le temps de se chamailler avec ces enfants.
- Bon… Vous pouvez venir… Mais je vous en supplie, promettez-moi d’être prudents !
- Oui ! firent en chœur les quatre adolescents.
- Maintenant, en route !! leur intima l’inspecteur.

Le petit groupe quitta alors le bureau et se mit à courir dans les couloirs du Quartier Général des F.P.I., gravissant les multiples étages à la hâte, croisant sur leur passage des gens soit éberlués, soit trop occupés pour leur prêter attention. Bientôt, les cinq compagnons atteignirent leur destination : le toit du bâtiment, qui servait également d’héliport, où les attendait justement l’hélicoptère de fonction des Forces de Police Internationales. Le conducteur hurla –pour couvrir le vacarme- à Beladonis :
- Vous comptez sérieusement embarquer avec ces gosses ?
- Écoutez, mon vieux, on n’a pas le temps de tergiverser plus longtemps ! Ils viennent, un point c’est tout !! riposta Beladonis.
- Ok, ok, c’est vous le patron !

Beladonis se précipita alors à l’intérieur du véhicule. Puis il entreprit d’aider Shuno, Chrom, Candice et enfin, Shaïna, qui semblait un peu inquiète, à monter. Ainsi, alors que ses trois autres amis étaient entrés sans problème dans l’hélicoptère, la jeune fille semblait un brin angoissée par les gigantesques pales qui tournoyaient.
- Allez, Shaïna, monte ! Ne t’en fais pas, tout va bien ! Prends ma main ! la rassura Beladonis.
Shaïna hésita encore quelques instants, les yeux clos. Puis, rassemblant tout son courage, elle saisit la main tendue de l’inspecteur et s’engouffra dans l’hélicoptère.

***
Lana Keteleeria courait. Elle courait comme elle n’avait jamais couru. Le personnel des F.P.I. s’écartait sur son passage, sentant bien qu’il ne fallait pas essayer de l’arrêter. La scientifique avait été prévenue par son assistante, la très bavarde Aleya, que sa fille se trouvait dans le bâtiment en ce moment-même, et elle allait à nouveau lui échapper ! Elle voulait juste… la revoir… une dernière fois… Et s’excuser. Pour la gifle. Pour tout. Lana accéléra encore le pas à cette pensée. Elle avait également appris d’Aleya que l’hélicoptère dans lequel se trouvait sa fille allait partir d’une minute à l’autre !

Enfin, elle la voyait ! La lumière qui s’échappait de la porte menant à l’héliport. Le professeur Pokémon l’ouvrit en grand et se précipita sur le toit, juste à temps pour voir l’hélicoptère décoller.
- Non ! SHAÏNA !! s’écria Lana dans un cri déchirant.

Lana Keteleeria contemplait, impuissante, sa fille unique s’envoler sous ses yeux. Il était trop tard pour elle… Shaïna volait à présent de ses propres ailes.