( ndla : l'épilogue est illustré par les paroles de la chanson Father and Son de Cat Stevens )L’homme était dans un bon jour, pour une fois. Il se sentait fatigué, évidemment, mais moins que les autres jours. Il avait plutôt bien dormi, d’un sommeil réparateur sans rêve. Sans cauchemar, plutôt. Il faisait tellement de cauchemar ces derniers temps qu’il en était venu à se demander si le légendaire Darkrai ne s’était pas penché au-dessus de son lit. Il n’avait jamais cru à ces histoires qu’on lisait aux enfants pour les endormir, mais, qui sait ? Peut-être qu’Arceus existait vraiment, peut-être que les légendaires Lugia et Ho-oh veillaient sur les hommes et les Pokémon de Johto. Il allait sans doute ne pas tarder à le savoir.
L’homme essaya de se lever et il arriva, en se tenant aux barreaux de son lit, à se mettre debout tout seul. Fier de lui, il ne put s’empêcher le sourire qui fleurissait sur son visage. Gourmand, il tenta de faire un pas, mais ses jambes se dérobèrent, et il manqua de tomber. Cela l’irrita. Le temps où il pouvait courir avec son fils dans le Parc Naturel semblait bien loin. Beaucoup trop loin…
It's not time to make a change
Just relax, take it easy
You're still young, that's your fault
There's so much you have to know
Find a girl, settle down
If you want you can marry
Look at me, I am old, but I'm happy L’homme s’assit sur le bord de son lit. Il ne voulait pas se fatiguer plus, alors qu’il était dans une relative bonne forme. Son fils. La meilleure chose qu’il avait faite dans sa vie. Son regard se porta tendrement sur la photographie posée sur la table de chevet. On pouvait y voir un homme, une femme et un jeune garçon. Tous les trois respiraient le bonheur et cela lui réchauffa le coeur. L’homme avait des cheveux bruns et une barbe de trois jours. Son sourire était éclatant, il avait l’air d’avoir la joie d’un homme qui a tout ce qu’il lui faut dans la vie pour être heureux. Et c’était le cas. La femme était la plus jolie femme qu’il n’avait jamais vu. Elle avait de magnifiques cheveux violets, un regard séduisant de la même couleur, des traits fins et un sourire qui, encore aujourd’hui, faisait fondre son coeur. Mais celui qui paraissait le plus heureux, c’était le jeune garçon. Il avait seulement sept ans à l’époque, que le temps passait vite ! Il portait un chapeau un peu trop grand pour lui et la tenue habituelle des scouts. Comme la femme, il avait les cheveux violets, mais il avait les mêmes yeux que son père. Le garçon souriait de toutes ses dents et tenait entre ses petites mains une Pokéball.
L’homme se souvenait parfaitement de ce jour. Il avait emmené son fils au Parc Naturel pour que celui-ci capture son premier Pokémon, avec l’aide de son Insécateur. Il se souvenait des éclats de rires de l’entomologiste en herbe lorsqu’il regardait son Pokémon tailler les hautes herbes devant lui ; il se souvenait de son sérieux lorsqu’il donnait des directives à son Insécateur face à un Scarabrute sauvage ; il se souvenait de sa joie lorsque la Pokéball qu’il venait de lancer s’était refermée. Ces souvenirs étaient impérissables.
Puisqu’il se sentait mieux, il avait envie de revoir sa famille. Il appuya sur le bouton accroché au lit qui lui permettait d’appeler les infirmières. Il ne reconnut pas celle qui arriva quelques minutes plus tard, ce n’était ni Jade, ni Agathe, ni Maude. Mais cela n’avait pas d’importance. Il lui signala qu’il se sentait bien, et qu’il voulait voir sa famille. L’infirmière inconnue acquiesça et sortit de la chambre. L’homme fixa la photo.
I was once like you are now
And I know that it's not easy
To be calm when you've found
Something going on
But take your time, think a lot
Think of everything you've got
For you will still be here tomorrow
But your dreams may not Quand Hector entra dans la chambre de son père, son coeur se serra. L’homme qu’il avait connu, grand et fier, qui paraissait invincible, n’était plus là. En sept semaines, il avait perdu une dizaine de kilos environ. Il était maigre, trop maigre. Ses joues étaient creusées et ses yeux cernés, ses bras et ses jambes tremblaient, ses cheveux avaient perdu leur éclat. Même son sourire était différent. Hector avait face à lui un homme affaibli.
L’adolescent lu dans le regard de sa mère le même désemparement que le sien. Hector s’approcha de son père pour le prendre dans ses bras, mais il avait peur de le serrer trop fort et de lui faire mal. Son père avait l’air tellement fragile…
Ils discutèrent tous les trois comme si de rien était, comme si son père ne vivait pas avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, retenue par un fil plus fin que le fil d’un Mimigal. Ce dernier s’inquiéta de son arène. En l’absence du Champion, c’était Hector qui devait affronter les challengers. Le jeune entomologiste était Champion par intérim, en quelque sorte. Mais il n’avait pas envie de le rester. Il voulait que son père guérisse et reprenne la direction de l’arène. C’était un meilleur dresseur, et à seulement seize ans, Hector ne se sentait pas capable d’assumer cette responsabilité.
Ils passèrent le reste de la journée à parler. Quand l’heure de partir arriva, Hector sentit un vide se former au fond de lui.
How can I try to explain?
When I do he turns away again
It's always been the same, same old story
From the moment I could talk
I was ordered to listen
Now there's a way
And I know that I have to go away
I know I have to go L’homme se réveilla en hurlant. Mauvais jour, cette fois. Il était en train de rêver qu’une femme sans visage l’emmenait vers un endroit inconnu, l’éloignant de sa famille. Il essayait de résister, en vain. Il était attiré, inexorablement. La douleur le tira de son cauchemar. Il haletait, cherchant à reprendre son souffle. Son coeur s’accéléra.
Ses mains cherchèrent le bouton, mais elles se refermèrent sur du vide. Sans s’en rendre compte, il tomba du lit, et sa tête frappa violemment contre le sol, l’assommant à moitié. Il essaya d’appeler à l’aide, mais aucun son ne voulait sortir. Alors il resta allongé sur le parquet froid, plié par la douleur, attendant désespérément quelqu’un.
Une infirmière arriva, mais l’homme ne savait pas combien de temps s’était écoulé. Il souffrait toujours autant, mais il commençait à s’habituer à la douleur. L’infirmière le réinstalla sur son lit, ouvrant frénétiquement la bouche, sans qu’aucun son n’en sorte. Son visage était flou, comme si elle n’existait pas et n’était pas vraiment ici, avec lui. Il sentit quelque chose lui piquer la peau du bras, et la douleur diminua. Quelques instants plus tard, il s’endormit.
Quand il se réveilla, l’homme avait retrouvé ses esprits. Une infirmière, Agathe, se trouvait à son chevet et le regardait en souriant aimablement. Elle lui expliqua qu’il avait fait une nouvelle crise, plus virulente que les autres, mais il ne l’écoutait pas. Il allait mourir. Il le savait, au fond de lui. Le combat contre la maladie était différent des combats auxquels il était habitué. Ce combat, là, il ne pouvait pas le gagner. Il pouvait lutter, mais, dans quel but ? Pourquoi se battre contre quelque chose que l’on ne peut vaincre ?
Traditionnellement, on dit que l’on voit sa vie défiler devant ses yeux avant de mourir. L’homme, lui, pensait à ce qu’il laissait sur la Terre. Il était Champion de l’arène d’Ecorcia, et son titre de Champion reviendra à son fils, conformément à son testament. Mais il ne voulait pas qu’Hector prenne cela comme une obligation. Son héritage, ce n’était pas l’arène, c’était Hector lui-même. Il voulait que son fils soit heureux, qu’il se marrie, qu’il ait des enfants avec une femme qui l’aime. Il était triste de savoir qu’il ne connaîtrait jamais ses petits-enfants mais il savait qu’il les verrait, peu importe l’endroit où la mort allait le mener. Et l’idée de voir son fils construire son propre héritage le rendait heureux. Pensant à ce qu’il avait de meilleur, un sourire aux lèvres, il ferma les yeux pour ne plus jamais les ouvrir.
It's not time to make a change
Just relax, take it slowly
You're still young, that's your fault
There's so much you have to go through
Find a girl, settle down
If you want you can marry
Look at me, I am old, but I'm happy Lilo regardait le médecin appuyer de plus en plus vite sur le thorax du patient. Il essayait de faire repartir le coeur de la victime, mais l’infirmière savait au fond d’elle qu’il n’y arriverait pas. Cela faisait maintenant plusieurs minutes que le médecin alternait massage cardiaque et défibrillation. Elle trouvait l’acharnement du thérapeute courageux, mais il fallait se rendre à l’évidence. La patient ne reviendra pas. Lilo posa sa main sur l’épaule de médecin qui s’écarta du corps sans vie. Il nota l’heure du décès, 10h34, et sortit de la pièce, énervé. Perdre un patient était toujours un moment difficile. Lilo se pencha au-dessus du cadavre.
C’était un homme d’une cinquantaine d’année. Il était mort des suites de complications suite à son cancer du poumon. Quand on vous disait que fumer tuait.
Lilo devait encore allait voir trois patients avant de prendre sa pause. Elle soupira. L’infirmière était affamée, elle s’était levée en retard ce matin, et n’avait pas eu le temps de prendre son petit déjeuner à Malasa’Délices, où elle avait ses habitudes.
Le premier patient était une vieille dame que Lilo aimait beaucoup. La pauvre femme était âgée de quatre-vingt-dix ans. Elle avait bien vécu, mais Lilo était triste de savoir qu’elle allait bientôt partir. Cette femme était adorable, et les histoires qu’elle avait raconté à l’infirmière était touchante. Cette vieille femme était née à Unys, où elle avait vécu pendant toute sa jeunesse, avant de venir habiter sur l’île avec son mari. Elle était devenue la bibliothèquaire principale de Malié et Lilo se souvenait de sa gentillesse lorsque, alors étudiante, elle avait besoin de chercher tel ou tel livre pour ses études. Son mari était décédé il y a maintenant dix ans, et la vieille femme vivait seule depuis, n’ayant pas d’enfant. Elle avait dit à Lilo qu’elle se sentait mieux depuis qu’elle était à l’hôpital, car la compagnie lui manquait. Lilo lava l’ancienne bibliothèquaire puis la laissa pour aller voir le patient suivant.
Le second patient était un étudiant d’une vingtaine d’années. Il avait trop bu la veille, et avait eu l’excellente idée de monter sur le toit du Centre Culturel de Malié. Bien sûr, il était tombé. Lilo était exaspérée par la connerie humaine. Heureusement, il s’en sortait avec seulement quelques fractures, à la jambe droite et au bras droit, et une bonne gueule de bois. Lilo lui administra quelques médicaments pour contrer la douleur, puis laissa le jeune homme réfléchir à la stupidité de ces actes.
Lilo fut surprise de voir un policier devant la chambre du troisième patient. Elle pesta. Quand un policier surveillait une chambre, Lilo pouvait être sûr qu’elle en aurait pour plus longtemps que d’habitude. Le policier lui tournait le dos, mais quand il fit volte-face, Lilo le reconnut immédiatement. C’était Danh, le Doyen d’Ula-Ula. Lilo jeta un coup d’oeil à l’intérieur de la chambre, mais elle ne réussit pas à apercevoir le patient.
Danh plongea ses prunelles rouges dans celle de Lilo. Il avait toujours l’air blasé, mais Lilo se sentit intimidée. C’était la première fois qu’elle rencontrait le Doyen en vrai. Lilo se reprit adroitement, et questionna Danh sur l’identité du patient.
- J’sais pas qui c’est. Je l’ai retrouvé c’matin devant Kokohio. Il s’est fait passer à tabac, sûrement par la Team Skull. Ce qui est bizarre, c’est qu’il avait toujours ses Pokémon sur lui ainsi qu’une Insectozélite. C’est pas l’genre d’la Team Skull de pas voler leurs victimes. Son état est stable, j’veux qu’on m’appelle quand il se réveille. J’ai des questions pour lui. Compris ?
Lilo acquiesça, et Danh se dirigea vers la cafétariat. L’infirmière entra dans la chambre, et regarda son patient. Son visage était bleu et gonflé, son nez semblait cassé. Il avait aussi plusieurs côtes cassés, et une entorse au poignet droit. Lilo appliqua une pommade sur le visage du patient. Il ne devait pas avoir plus d’une vingtaine année, et encore. Qu’est-ce qu’un homme aussi jeune pouvait bien faire dans le repère de la Team Skull ? Il avait de la chance d’être encore en vie. Qui que soit cet homme, il allait souffrir en se réveillant, et il n’était pas prêt de quitter l’hôpital de Malié.
All the times that I've cried
Keeping all the things I knew inside
It's hard, but it's harder to ignore it
If they were right I'd agree
But it's them they know, not me
Now there's a way
And I know that I have to go away
I know I have to go