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A Guy and his Breathtaking Destiny de Drad



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Informations

» Auteur : Drad - Voir le profil
» Créé le 10/09/2017 à 18:52
» Dernière mise à jour le 10/09/2017 à 19:00

» Mots-clés :   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de transformations ou de change

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Chapitre ultime - A Guy and his Destiny
Trois ans plus tard










J’inspirai profondément.

Ce vent…

Les feuilles qui bruissent, doucement balancées…

Le bruit des semelles crissant sous le sable des Routes…

Le bruit des vagues, au loin…

Cette fraîcheur, pourtant si douce, toute droit venue des montagnes…

Comme tout m’avait manqué…

J’expirai lentement.

Cela faisait un bien fou de respirer l’air de sa région natale.

J’avais bien fait de revenir à Sinnoh pour les vacances. Dès que j’avais débarqué à Joliberges, j’avais aussitôt retrouvé cet air froid, minéral, chargé d’humidité, si particulier, qui me rappelait mon enfance passée à Verchamps. Ici, j’étais libre de sortir quand je voulais, où je voulais, dans cet environnement que je connaissais comme mes Poké Ball, et, marchant les yeux en l’air, je me surprenais parfois à savoir exactement où se trouvait telle palissade, telle corniche, telle parcelle de hautes herbes, empli du même sentiment de nostalgie et de joie que lorsque l’on retrouve un jeu qui nous a accompagné durant nos premières années d’aventures sur ce monde. Sur la Route 214, vers cette ville et ses marais qui m’étaient si chers, je me plaisais à regarder cette nature si verte et rafraîchissante, qu’on avait laissé s’exprimer même en l’ayant déblayée, loin des immeubles, des gens pressés, et de l’architecture grandiose d’Unys. Il n’y avait d’ailleurs quasiment personne sur cette Route ; la journée n’était pas particulièrement belle, le ciel couvert de nuages, mais un vent droit venu de la Mer du Sud, qui avait caressé les toits bleus de l’Hôtel du Lac et qui remontait ce chemin, me donnait ces frissons que je ne pouvais trouver ailleurs... Celui de maîtriser tout à fait ce qu’il nous arrivait, celui du bonheur de l’instant présent mêlé aux joies des souvenirs – celui d’être chez soi.

En marchant ainsi, profitant de cette bonne vieille Sinnoh, je ne pouvais pas m’empêcher de prêter attention aux bois qui longeaient ma droite, qui couraient vers l’Hôtel, et qui dissimulaient, non loin d’ici, le grand Lac Courage. A vrai dire, j’avais attendu ce passage au plus proche du Lac depuis que j’avais quitté Unionpolis, un peu plus tôt. J’étais obligé de penser à ce Lac à chaque fois que j’étais dans le coin – comment l’oublier ? Lorsque je voyais ses arbres, je me savais si proche de la maison, et pourtant si proche de l’inconnu, de l’action, de l’aventure – ce même sentiment qui m’avait porté dans cet hélicoptère, qui m’avait halluciné devant l’orage noir, qui m’avait fait me relever après le crash, et qui m’avait fait retrouver la Faiblo Ball parmi les feuilles et la terre. Tout me revenait en mémoire. Zekrom, Latios, Latias, de l’accident du Tram Eclair à notre téléportation par Kyurem, de nos courses poursuites contre des monstres sur-évolués à nos voyages dans le temps contre Solarius, de la Ligue Pokémon Mondiale à au face-à-face contre Denice à la Sylphe SARL ; et surtout, tous les Pokémon qui m’avaient rejoint lors de cette première aventure : Drak, Charkos, Lançargot, Shaymin, puis Genesect. Ce même Lac Courage avait été le théâtre de notre retour, où Arceus m’apparut pour la première fois, mais il fut également le témoin de notre plus grande mission, puisqu’il avait dû voir venir les véhicules blindés noirs comme l’Obscur de Cipher, avec tous les kidnappings, transformations en Pokémon, aventures avec les W.T.F., destruction de Hoenn, sauvetages in extremis, Rayquaza, Lugia, Goyah, Jeux Pokélympiques, colonie d’Aéroptéryx, Donjons Mystères, MOCLASM, quête finale et Pokémon Obscurs qu’ils avaient amenés dans nos vies.

Un coup de vent venant de l’océan me fit tourner le regard vers le sud. La mer, que je voyais au loin, au bout de la route, inonder un bout d’horizon, se mêla à tous mes souvenirs d’aventure, et me rappela tout d’un coup toutes les mers qui m’avaient marqué. L’océan intensément calme, brûlée par un coucher de soleil, qui s’étendait autour de Ténébscuriax ; la mer agitée, grise, chargée de tensions, qui avait porté le bateau que nous avions volé à Port Amarrée pour notre raid contre Cipher ; la mer d’onyx, fondue avec la nuit, qui était venue caresser la plage de l’Asagi Beach Resort de Johto, où j’avais trouvé Lugia méditant, contemplant son royaume ; l’océan immense, infini, dans lequel j’avais chuté après notre évasion du QG de Cipher, suite au dernier souffle du Rayquaza d’alors, et ce même océan abyssal dans lequel nous avions vécu ces aventures sous-marines inoubliables et rencontré ce fameux Lugia ; la mer de Vaguelone, ensoleillée, si pleine de vacanciers, et qui avait pourtant fini par se soulever en raz-de-marée ; le port d’Oliville, déserté et dévasté par un paradoxe temporel, que nous avions fui en 4x4, poursuivi par un Minotaupe géant ; enfin cette-même Mer du Sud, qui nous avait porté, l’Etoile d’Unys, mes Pokémon, Zekrom, et moi, vers des aventures qui avaient bouleversé mon existence.

Je ralentis ma marche. Je voulais essayer de retenir ce sentiment de héros le plus longtemps possible. Toutes ces péripéties... Aujourd’hui (ça faisait, quoi, trois ans ?), toutes ces choses me semblaient incroyables – dans le sens le plus adulte et désillusionné du terme. Plus j’y repensais, à tout ça, plus cela me semblait aussi peu crédible que le rêve fou d’un jeune gamin. Et puis, tout s’était passé si vite, en réalité... En... une semaine ? Dix, quinze jours, max ? Est-ce que ça comptait, les paradoxes temporels, et autres remises à zéro de lignes temporelles que le Destin m’avait fait subir ou déclenché ? Tout ce rocambolesque, toutes ces questions m’étaient complètement sorti de la tête depuis.

Il faut dire que, pendant ces trois ans, la vie de tout étudiant humain dans ce monde m’avait rattrapé, et une fois les quelques jours de repos que le MOCLASM nous avait décemment accordé, je fus bien contraint de reprendre les études où je les avais laissées. Lorsque l’exaltation était retombée, cette exaltation provoquée par le simple fait d’être en vie, de voir tout le monde en vie, de voir même le monde en vie (Hoenn inclus), on ne me laissa guère le temps de m’encombrer de questions ou de nouvelles quêtes. J’avais bien cherché des réponses à ce dénouement trop beau pour être vrai, tout ce monde ramené à la vie, tout ce bonheur qui allait à l’encontre de toute logique, mais tout ce que j’avais tiré du MOCLASM ou de mes amis Légendaires fut que « si les choses sont ainsi, c’est que Dunmeist les a décidées ainsi », et que « nous avons fait les choix qui amèneraient à de telles conséquences ». Ce qui me fit conclure que personne n’avait idée dont tout cela avait été possible.

Oh, cela dit, tout ce monde n’avait pas disparu pour autant de nos vies. Une fois que le MOCLASM eut expédié ces questions que je me posais, on me permit de garder Genesect avec moi, et l’on me suggéra fortement de retrouver un rythme de vie normal, le temps que mon « âme » se remette de tout cela. Zekrom, Latios, et Latias encouragèrent personnellement cette prescription, et, connaissant leur implication dans la création des âmes humaines et Pokémon, je suivis cette ordonnance comme je les aurais suivis au bout du monde. Ma vie avait donc dû reprendre là où je l’avais laissé avant que tout ne commence. Mes études, mon quotidien, en compagnie de mes Pokémon, le tout à échelle humaine. Goyah avait réussi à me dégoter une place à l’École Régionale Professorale d’Unys, ce qui, considérant l’histoire, la renommée, et le classement dans les journaux spécialisés de cet établissement, m’avait emballé. Une fois reposé physiquement, au cours de jours qui me parurent bien longs comparés aux journées que j’avais vécu lors de mes aventures, j’avais préparé mon déménagement pour Unys, puisque j’allais devoir vivre dans une chambre sur l’un des campus de l’École. Depuis, j’avais vécu majoritairement entre Méanville et Volucité, impressionné par le campus et les moyens importants dont Unys bénéficiait. Dans le cadre de mes études pour devenir Professeur Pokémon, je m’étais choisi comme spécialité l’étude des Pokémon Légendaires – cela m’avait semblé si évident, après toutes ces aventures, mais cela m’avait aussi permis de concilier plusieurs domaines qui m’avaient semblé séparés jusqu’alors, que ce soit la paléontologie ou l’étude des mythes Pokémon. Ainsi, je m’étais souvent retrouvé à travailler sous l’aile de la Professeur Keteleeria, avec grand plaisir, puisque je retrouvais cette amie, et qu’elle faisait de l’apparition des Pokémon sa spécialité. A Unys, je pouvais également revoir Aloé, qui m’aidait pour les analyses de fossiles, mais aussi Goyah, qui, bien qu’il ne se distinguasse pas par ses qualités de pédagogue, avait une expérience des Pokémon et une connaissance des légendes qui me traçaient un sourire jusqu’aux oreilles à chaque fois que nous avions pu nous retrouver pour discuter, souvent dans les bouts d’endroits naturels qu’Unys préservait.

Si ma vie avait repris un rythme assez classique de vie étudiante, et que mes journées étaient de nouveau articulées autour des livres et non des courses-poursuites, ce serait de la mauvaise foi que de dire que tout était revenu « à la normale ». Outre ce « réseau » de personnalités importantes d’Unys que mes aventures m’avaient fait connaître, et que je fréquentais couramment aujourd’hui, je me faisais un devoir de dresser Genesect et de lui apporter tout l’amour qu’il méritait. Je devais parler de lui comme d’un Pokémon « fabuleux » autour de moi (le même statut qu’avait Shaymin, me direz-vous), afin qu’il soit accepté plus facilement par mon entourage et par n’importe quel humain qui pourrait le voir. J’appris également à vivre avec l’appartenance secrète aux MOCLASM. Ce n’était pas grand-chose à part un statut dont je ne devais pas parler, et une nouvelle fonction spéciale « Urgence » sur ma Pokémontre. Si jamais je me retrouvais en danger, il suffisait que je l’active pour qu’une équipe d’intervention soit alertée et envoyée à ma position. Certains Pokémon (Légendaires ou non) doués de télépathie étaient également mis à contribution, puisqu’ils étaient chargés d’entrer en contact avec moi si ma Pokémontre venait à être séparée de moi ou n’émettait plus rien, afin de pallier à d’éventuel vol, casse... ou perte.

Bien sûr, ce statut de MOCLASM, au-delà d’ajouter un côté secret à ma personnalité qui me faisait rire, n’était qu’une étiquette, comparé aux liens que j’avais pu tisser durant mes aventures. Aller étudier à Unys n’était pas si attristant, puis que c’était finalement une région où j’avais vécu beaucoup de choses, connu beaucoup de monde, parcouru de nombreuses routes, et rencontré nombre de nouveaux amis. C’était surtout la Région de ce cher Zekrom, et, bien qu’il fût souvent occupé par ses devoirs de Légendaire, nous pouvions nous retrouver souvent, avec tous les autres Pokémon de son importance. En plus des moments joyeux et pittoresques que ces réunions pouvaient donner, revoir tous ces Légendaires me permettait de prendre des nouvelles de Gardevoir, qui vivait toujours avec Latios, et faisait partie de cette équipe MOCLASM chargée de contacter ses Membres par télépathie. C’était d’ailleurs elle qui m’avait été assigné en priorité au cas où j’avais le moindre problème avec la fonction « Urgence » de ma Pokémontre, ce qui avait été plus que bienvenu. Cette chère Gardevoir s’était aussi arrangée pour pouvoir être disponible si un jour j’avais envie de faire appel à elle pour un match ou toute autre activité. Après tout, elle tenait à cet engagement qu’elle avait pris de me considérer comme son Dresseur, le jour où elle avait choisi d’entrer dans ma Super Ball, et elle se faisait un plaisir de vivre de temps en temps ces moments propres à la vie d’un Pokémon comme un autre.

Oh, et bien sûr, il n’y avait pas qu’elle qui travaillait pour le MOCLASM. Noctunoir avait repris ses activités d’agent spécial, et, à ce que je savais, il avait été chargé de s’occuper de Colhomard « Smith », qui avait été réintégré au MOCLASM, en même temps que le fut Julie. Cela dit, j’avais peu de nouvelles d’eux trois, et moins d’occasion de les revoir, mais c’était parce qu’ils étaient très souvent sur le terrain, leur tempérament ne convenant guère à un travail de bureau. Je ne me faisais guère de souci pour eux, sachant de quoi chacun était capable ; j’étais même heureux pour eux, puisqu’ils s’occupaient de la manière qui les satisfaisait le plus. Julie... Je l’avais, avec le temps, forcément perdu de vue. Depuis mon départ pour Unys, j’avais de moins en moins pensé à elle. Et puis... Ne sachant toujours pas si j’étais encore affilié à elle par le sang, je ne lui souhaitais que son bonheur et son indépendance.

Perdu dans mes pensées, sur cette Route 214, je m’étais assis sur une corniche, à profiter du temps et de l’espace. Finalement, pensais-je, ceux que je n’avais pas revu, et qui pourtant avaient leur Guilde basée à Unys, c’était les We Tackle at Foes. Oh, je recevais bien quelques Lettres Miracle, de temps en temps, que Genesect pouvait me traduire. Mais je n’avais pas revu l’Équipe de Secours et d’Exploration depuis mon réveil au QG de Cipher et ces heures cauchemardesques. Je ne me faisais pas de souci, non plus – leurs lettres me racontant quelques-unes de leurs péripéties me rassuraient assez. Lilas se portait bien, et devenait une Fragilady quasiment aussi puissante que l’était son acolyte de Dracaufeu. Bisou « grandissait comme un charme » et Hugwald était toujours le premier à vouloir être Meneur dans les Donjons. Fire avait toujours insisté dans ces Lettres pour que je ne m’en fasse pas, et que nous serions amenés à nous revoir lorsque Dunmeist nous en donnera l’occasion. Et que sinon, on forcerait le destin un jour ou l’autre.

Le vent souffla une nouvelle bourrasque. Les branches d’un vert sombre, chargé de la mousse des écorces, frissonnaient au passage de la force invisible.

S’il y en a bien un dont je n’avais pas eu un mot depuis la fin de nos aventures, c’était Lugia. Zekrom, Gardevoir, et toute la bande Légendaire et MOCLASM m’apportaient bien quelques nouvelles, de temps en temps, mais elles se résumaient souvent à « il va bien » et à « il est très occupé ». Ils voulaient bien faire, je suppose. Je voyais qu’ils y mettaient toute la conviction du monde, et, après avoir tenté d’obtenir quelques précisions, et voyant qu’ils insistaient en me répétant ce qu’ils m’avaient déjà dit, ou me disaient qu’ils n’en savaient pas plus, ou en m’assurant, eux aussi, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, je finis par les croire. Nous savions tous que s’il lui était arrivé quelque chose, mes amis me le diraient. S’ils me disaient qu’il allait bien et qu’il était occupé, c’est que ces informations étaient censées me satisfaire. Je n’insistais donc plus, car je voyais bien, malgré leur langue de bois à ce sujet ou leur réel manque d’information, qu’ils voulaient que je sois serein et que je ne cherche pas à m’en faire davantage pour lui. Souvent, on changeait de sujet rapidement. A force, au bout d’un an, j’avais fini par arrêter de demander plus de détails, Lugia ne devenant pour moi qu’un souvenir « qui va bien » et « qui est occupé ». Je m’étais un temps mis en tête que c’était lui qui voulait m’éviter, chose incompréhensible puisqu’il m’avait semblé si enjoué la dernière fois que je l’avais vu, lorsque je m’étais réveillé chez moi, après ma confrontation avec Dunmeist. Aujourd’hui...

...Je pris une grande inspiration.

Ce vent…

Venant tout droit de la mer...

Caressant la roche, soufflant délicatement les fleurs à miel...

Ce bruit de vagues, au loin…

Ce frisson d’une tempête océanique qui s’annonce pour ce soir...

Je soupirai.

Aujourd’hui, je ne savais pas. J’évitais de penser à lui.

Aujourd’hui, je n’étais plus qu’un étudiant en vacances, de retour chez lui, à côté de l’endroit où tout avait commencé.



Maintenant que j’y pensais, à ce Lac Courage, une époque, plus lointaine encore que mes aventures, et bien avant mes voyages initiatiques à Hoenn ou à Sinnoh, me revint brusquement en mémoire.

Le Lac Courage...

C’était également là que j’allais m’entraîner, avec Tortipouss... Mon premier Pokémon. Tout me revint d’un coup en pleine face. Comme si c’était hier. Même : comme si c’était aujourd’hui. Je me revis, sur cette Route 214, parce que Tortipouss était trop jeune pour aller au Marais – je me revis, sur cette Route qui était plus longue, entouré de ses arbres qui étaient immenses, parcourant cette terre qui a vécu tant de ces petites aventures que nous nous inventions tous les deux. Je revis sa petite carapace de terre qui galopait à côté de moi, tout sourire ou tout excité, et moi qui le trouvait alors si fort, si imposant, et à cette époque où rien n’arrêterait Chris et son premier Pokémon... Nous étions invincibles : nous combattions des Keunotor que désignions dans nos jeux comme tenant le rôle des méchants, et, tous les deux, seuls, nous sauvions le monde entier, battions tous les Dresseurs de l’univers, devenions Maître de toutes les Ligues... Tout cela depuis la Route 214, depuis cette terre, depuis ces corniches, ces arbres. Aujourd’hui, tout me semblait avoir rétréci, et, quelque part, terni. Alors que rien n’avait changé. C’était moi qui avait grandi.







Pendant un temps, je m’imaginais ce que j’aurais vécu, si Torterra avait toujours été en vie, et comment il aurait vécu ces aventures dans lesquelles j’avais été emmené.



Je sentis une douce chaleur contre ma cuisse, qui me sortit de mes pensées. Par réflexe, je plongeai la main dans ma poche, craignant qu’une de mes Ball ne soit défectueuse.

Je sentis la Compèt Ball d’Aligatueur.

Je sentis la Compèt Ball de Lançargot.

Je sentis la Compèt Ball de Shaymin.

Je sentis la Luxe Ball de Drak.

Je sentis la Compèt Ball de Genesect.

Je sentis la Poké Ball de Bastiodon.

Puis, ils me firent penser à Charkos, Noctali, et Vaututrice, dans mon PC.





Je souris.

Tous mes autres compagnons voulaient me rassurer.

Eux, ils avaient été là durant cette aventure, et ils seraient là encore longtemps.

C’était le principal.



Je me remis debout, et je repartis vers l’Hôtel du Lac. Le vent commençait à bien se lever, mais cela ne me dérangeait pas le moins du monde. Cela dit, je commençais à entendre quelque chose… Au loin… Venant de… La mer… Des cris… ?
Tout d’un coup, une bourrasque ÉNORME déferla sur la Route. J’eus l’impression d’être frôlé par un énorme avion invisible, qui plia brusquement plusieurs des arbres adjacents. Le gros coup de vent fut si puissant qu’il me souffla littéralement, m’emportant dans les airs et m’envoyant à terre quelques mètres en arrière. Une fois que je fus mis à terre, le coup de vent tomba brusquement, mais je l’entendis se poursuivre vers l’est, se dirigeant vers le Lac Courage en faisant craquer des arbres sur son passage. Puis, dans un fracas de bois, d’air, et de chlorophylle, un poids énorme s’abattit, au loin, abattant plusieurs troncs malchanceux, faisant s’envoler une troupe d’Étourmi. Suite à quoi, tout redevint subitement calme.

Bien sûr, je dus déjà me remettre de ma surprise avant de songer à me relever. Bordel, ça faisait longtemps que je m’étais pris une telle gamelle… Je me relevai, j’époussetai mon pantalon, et je frottai mon derrière endolori. Je n’étais plus habitué aux chutes… Je regardais vers les bois qui venaient de se faire souffler. Je regardai autour de moi ; il n’y avait personne d’autre sur la Route. Je me rappelais des cris que j’avais entendu, avant que tout ne se fasse couvrir par cette bourrasque gigantesque…

Je ne perdis pas plus de temps, et je courus vers la zone d’impact, m’enfonçant dans les bois de la Route 214.



Ça ne me prit pas longtemps pour la trouver. Après quelques dizaines de mètres, les arbres étaient sérieusement couchés, puis cassés, et enfin complètement arrachés, jusqu’à ce que je voie, entre les troncs toujours debout, non loin de la rive du Lac, un cratère qui venait de creuser une clairière. Je ralentis prudemment le pas en arrivant, me cachant d’arbre en arbre, épiant ce qui avait bien pu s’écraser ici.

Autant le dire, je ne voyais rien à part de la végétation broyée et écrasée sous l’impact. Je m’arrêtai derrière un arbre afin d’observer plus attentivement. Hm. Rien ne bougeait dans le paysage. Pas le moindre Keunotor ou Etourvol n’était resté. Tout était vraiment redevenu aussi calme qu’une forêt sous un ciel venteux.

C’était beaucoup trop louche pour que je laisse tomber l’affaire. Il me fallait quelque chose pour scanner la zone, pour être sûr que ce n’était pas, à tout hasard, vraiment, savait-on jamais, au cas où, oh là là, grande surprise, un Pokémon Légendaire invisible qui s’était crashé ici. Doucement, je plongeai la main dans ma poche, pour attraper la Compèt Ball de Genes-

Des branches craquèrent brusquement dans mon dos, et un grondement puissant galopa lourdement vers moi. A peine eussé-je le temps de saisir ma Ball et de me retourner qu’une créature blanche, massive, et velue pila devant comme un boulet de canon se prenant un mur, se dressa sur ses pattes arrière, et me rugit dessus. Un énorme Polagriffe. (Ou alors, il était de taille tout à fait normale.) (Mais, si près, croyez-moi, ils paraissent énormes.) (Beaucoup plus gros que dans mes souvenirs, à Unys, en tout cas.) (À l’aide.) Je n’avais guère le temps de me demander ce qu’un Polagriffe faisait au sud de Sinnoh, et, comme il me tenait à sa merci, je pensais avant tout à ma sécurité, et voulus la jouer diplomate.

- B-Bonjour… bégayai-je. D-Désolé… C’est votre territoire ? Je ne voulais pas vous embêter…

S’approchant davantage encore, le Polagriffe me renifla avec son gros museau. Je pouvais sentir son souffle glacé me givrer la peau et me geler mes poils de barbe et de moustache pas rasés. J’avais juste à… Sortir… La Ball de ma poche… Doucement…

- J’ai entendu quelque chose tomber, poursuivis-je, doucement, en gardant mon calme devant la bête. Je suis venu vois s’il n’y avait pas de blessés…

Hm, ce Polagriffe semblait se foutre totalement de ce que je disais ; il continuait de me renifler avec sa grosse truffe. Je saisis ma chance : j’extirpai la sphère métallique de ma poche, et je lui donnai une légère impulsion en l’envoyant rouler par terre. Elle s’ouvrit, et laissa émerger un torrent de lumière qui s’éleva dans les airs, pour donner forme à Genesect. Il se déploya sur ses pattes arrière, alluma ses phares, et nous regarda, à tour de rôle, le Polagriffe (qui n’avait pas bougé), et moi.

- Re-bonjour, Chris.

- Salut, Genesect…

- Bonjour, Bisou.

- Grmpf.

- Ravi de vous revoir.







COMMENT ?

J’eus à peine compris ce que ce surnom signifiait que, sortis des fourrés, j’entendis une petite troupe courir vers nous ; je tournai la tête, et je vis un Dracaufeu, un Fragilady, et un Grelaçon arriver en courant !

- Oh, c’est vous, c’est vous ! m’écriais-je, tout sourire.

La Fragilady se jeta sur moi, en manquant de me faire tomber. Elle me prit dans ses feuilles et après une embrassade, je la saluai par une révérence qui la fit rire. Le petit Hugwald (qui avait bien grandi, niveau stalagmite) bondissait de partout, toujours aussi jovial, et le Polagriffe, enfin, je veux dire, Bisou, qui était maintenant sûr que c’était moi, me serra la main avec sa grosse patte, la mine sérieuse au-dessus de sa barbe de stalactites. Quant au Dracaufeu, il portait un Sac au Trésor, beaucoup plus grand que dans mes souvenirs, en bandoulière, et sur lequel était attaché un badge doré. La mine réjouie, l’écaille endurcie par ses aventures, je le vis bomber le torse, et réciter, fièrement, à mon égard :

- GWAHAHA ! Grgnf, groar, growl !

Trop heureux de les revoir d’un coup, je m’empressai de réciter joyeusement, sur le même ton théâtral que mon ami, en étant tout aussi grandiloquent :

- Contre les ennemis de la paix et les abrutis pleins de toupet !

Fragilady, Bisou et Hugwald suivirent leur Meneur, dont la voix résonnait même par-dessus les leurs :

- Draco-growl, groar, grmpf !

Puis Genesect me rejoignit, ayant lui aussi fait son temps dans les W.T.F. :

- Contre le mal qui fait mal et le paranormal pas normal !

- Growol, grmpf, graow ?

- Qui défend la veuve et l’orphelin ?

- Grawimpf, grou waroar ?

- Qui défend les fleuves et le pain ?

- Grawl grou grawouoar grumpf ?

- Qui sauve les damoiseaux et demoiselles en détresse ?

- Grompf, grow, graowou drawr ?

- Qui ose, dame, des zozos et du zèle sans traîtresse ?

Et nous terminâmes tous en chœur :

- Grawl, growawor, growl roaor, Draco-growl !

- C’est nous, l’épique recours, l’équipe de secours W.T.F. !

C’était tellement spontané et tellement bien accordé que l’on se félicita tous ensemble. Trois ans sans s’être vus… ! Mes amis Pokémon saluèrent ensuite plus précisément Genesect, qui leur retourna leurs sincères politesses.

- Alors, qu’est-ce que vous devenez ? demandai-je.

Fire, Lilas et Hugwald se lancèrent dans de grandes explications, sous l’œil devenu plus calme de Polagriffe, mais Genesect les interrompit poliment.

- Loin de moi l’idée de nous interrompre dans nos retrouvailles, mais, Chris, n’étions-nous pas venus pour un accident ?

- Ah, ça ! m’exclamais-je. J’avais complètement zappé. C’est vous qui êtes tombés du ciel ?

À m’entendre, les W.T.F. durent aussi se rappeler de cet événement qu’ils avaient oublié, emportés par la surprise de me retrouver ici. Ils nous firent signe de les suivre, ce que Paléozoïque et moi fîmes, et nous amenèrent jusqu’la zone de crash. D’ici, je vis Lilas appeler quelque chose vers les arbres. Je scrutai attentivement le paysage, mais je ne vis rien en sortir. Nous dûmes attendre quelques secondes, sans que rien ne se passe. Fire insista à son tour, et enfin, allongé contre les arbres du fond, une forme massive m’apparut : un grand Oiseau, blanc, au long co- LUGIA ?!

- Héhé, hm, salut ! se força-t-il de sourire, gêné.

Ça faisait beaucoup trop de personnes que je n’avais pas vu depuis longtemps qui réapparaissaient justement le jour où j’avais pensé au fait que je ne les avais pas vues depuis longtemps.

- T-Toi ? balbutia-je, hébété. Mais… Qu’est-ce que… Vous… Les W.T.F… Tu…

- Ah, oui, hé bien, c’est une longue histoire, expliqua l’Oiseau, toujours aussi embarrassé. Pour faire simple, je devais les amener ici pour une mission, et… J’ai perdu un peu le contrôle lors de notre descente, haha.

- …Une « mission » ? Ici ?

- Oui ! Oh, ne t’en fais pas, s’empressa-t-il d’ajouter, voyant que je prenais un air concerné. Ça ne te regarde pas. Enfin, je veux dire – tu n’es pas concerné, pour cette fois… Haha.

Hm mh.

- D’accord, acceptai-je sans vraiment broncher. Je vois pas ce que je peux dire d’autre, de toute façon.

Lilas s’approcha, toujours aussi contente de me voir, et me demanda quelque chose, en montrant mes poches. Genesect traduisit.

- Votre amie demande si vous avez d’autres compagnons sur vous ?

- Oh, oui, bien sûr ! m’exclamais-je. Je vais les sortir, pour qu’on puisse tous se retrouver !

Je m’exécutai alors, sortant mes Balls par poignées et les lançant dans les airs. Plusieurs déclics, plusieurs flots de lumière technologique, et en un instant, l’inoubliable Drakkarmin, le bon vieux Bastiodon, l’intrépide Shaymin, le réservé Lançargot, et le costaud Aligatueur nous rejoignirent.

- Wow, salut tout le monde ! s’exclama Minshya. La vache, grosse réunion de famille, quoi ! Quoi de neuf ?

Drak accueilli tout le monde un par un, serrant la patte à tous nos amis. Bastiodon se contentait du minimum de déplacements, mais comptait sur sa mine réjouie et son expérience des non-dits pour communiquer sa joie. Lançargot, comme à son habitude, resta silencieux, mais baissait son casque avec respect autant de fois qu’il reçut de salutations. Shaymin, sans surprise, se déplaçait aux pieds et pattes de chacune de nos retrouvailles, commentant la beauté de leur fleur, la fougue de leur flamme plus puissante que jamais, la fourrure givrée qu’ils avaient acquis, les couches de glaces qui s’étaient accumulées et solidifiées avec l’expérience, et la maladresse de certains quand il s’agissait d’atterrir sans se faire remarquer.

- Je vois que tu te portes bien sous cette nouvelle forme, opina sagement Lugia.

- Ah c’est sûr, c’est difficile de faire mieux ! répondit joyeusement l’intéressée.

Gratitude sous sa forme Mystique étira son corps d’écailles et d’herbe au soleil, faisant onduler sa queue et frémir sa fleur bleue.

- Je vous avoue que c’est presque mieux qu’avant… Je suis ptêt un peu moins mignonne, mais on évite de me marcher dessus, maintenant, héhé !

Aligatueur, moins à l’aise avec ces Pokémon qu’il connaissait moins que nous, salua tout le monde avec moins de chaleur, mais une profonde sympathie. Voyant la petite gêne du côté de ce gros reptile, je décidai de le présenter à mes amis.

- Vous connaissez moins Aligatueur, souris-je. Nous nous sommes rencontrés lors de mes voyages dans le passé, lors de ma première aventure avec Zekrom. Il nous a aidé pour la Ligue Pokémon Mondiale ! Après notre enlèvement par Cipher, il a réussi à s’échapper, avec l’aide de Noctunoir. Ils ont pu déjouer des opérations de soutien de Cipher pendant que nous parcourions le monde, et se sont préparés, eux aussi, à venir à notre secours. Vous vous souvenez, comme ils s’étaient introduits, avec Julie, pour nous libérer du Laboratoire de Teck ?

Tout le monde s’en rappelait, bien sûr, et ils le remercièrent une fois de plus, louant ses qualités et sa force. En se rappelant de ses actes dignes d’un vrai héros secouriste, Fire prit l’initiative de s’approcher, afin de le féliciter en personne. Le Dracaufeu serra la patte de l’Aligatueur, le complimentant davantage, et terminant sur un clin d’œil. Mon Pokémon, bien que costaud, imposant d’épaules, et pas loin de faire la même taille que le Meneur des W.T.F., se trouva tout de même un coin d’humilité face à tant d’hommages. Je le vis presque rougir après le clin d’œil du Meneur, ce qui fit rire le Dracaufeu.

- Fire pense qu’il ferait un bon secouriste, me traduisit Genesect.

- Haha, c’est vrai ! ris-je. J’ai vraiment la chance d’avoir rencontré un Pokémon comme lui. Très espiègle quand il était Kaïminus… Mais vraiment chanceux !

Le pataud Pokémon Mâchoire fut embarrassé plus qu’il ne l’était déjà, cette fois s‘approchant de moi, et me donnant un petit coup de poing amical sur l’épaule afin que j’arrête de le taquiner plus encore. Je finis de rire, avec bienveillance. J’avais vu, au fil de ces dernières années, que si Aligatueur ne rechignait pas à étaler sa force aux origines préhistoriques, il pouvait être embarrassé s’il devenait trop le centre d’attention. Cela dit, désirant rendre justice à tout le monde, je m’empressais d’ajouter :

- Mais bien sûr, je suis chanceux d’avoir connu tout le monde ici !

Et, bon sang, ce que ça faisait du bien, dans cette petite clairière, creusée par la force du Destin, de tous nous voir réunis.

Avec tout ça, on oublia que les We Tackle at Foes étaient venus ici en mission. On leur demanda si tout allait bien et s’ils avaient besoin d’aide quelconque ; les explorateurs nous en remercièrent, mais ils n’en savaient pas plus que nous. Ils avaient été désignés par le QG MOCLASM pour venir en renfort sur une mission « en cours », qu’elle allait se dérouler « au Lac Courage, à Sinnoh », et Lugia, qui menait des opérations de surveillance maritimes non loin de cette Région, avait été affecté pour les emmener ici « discrètement ». Tout ce qu’ils avaient à faire désormais, c’était d’attendre la personne « chargée de mission », puisqu’ils étaient arrivés en avance, à en croire le calme de ce lieu de rendez-vous. En attendant cette fameuse personne, tout le monde s’était assis dans l’herbe, et nous nous laissions emporter par les histoires de cette chère Équipe de Secours et d’Exploration et ce qu’elle avait vécu durant ces trois dernières années. Lugia, de son côté, restait passif et extrêmement calme. Il ne parla quasiment pas. Comme son comportement m’avait un peu vexé pendant ces dernières années, je mis son silence sur le coup de sa honte, puisqu’il n’avait sûrement pas dû s’attendre à me trouver ici – ou même avait-il espéré ne pas tomber sur moi, sachant que j’habite la ville d’à côté.

Pour les We Tackle at Foes, la reconnaissance fut grande après notre aventure tous ensemble, et leurs exploits dans la lutte contre Cipher furent acclamés et racontés à qui voulait l’entendre dans le monde Pokémon. Ils avaient enchaîné les interviews avec les Bekipan journalistes, posés pour des portraits de Queulorior, et les trois lettres « W.T.F. » acquirent une renommée rapide et solide, « presque autant que les ADT ! », répétait souvent Fire, selon Genesect et Shaymin. Ce succès les inonda de nouvelles missions, cette fois-ci aux quatre coins du monde, et leur capacité à se sortir de n’importe quelle situation et à toujours garder la tête haute leur valut des attentions particulières venant du QG MOCLASM, jusqu’à accomplir des missions spéciales pour l’organisation – comme celle qu’ils étaient censés accomplir ici. Lilas nous apprit par la suite qu’un tel succès les avait fait quitter la Guilde de Farfaduvet pour la Guilde des Grands Explorateurs, située dans une ville au nom obscur, qui ne me disait rien. En tout cas, cela avait semblé être une véritable promotion pour eux, ayant gagné ces badges dorés, ornés de petites ailes, qu’ils arboraient fièrement. Je remarquais maintenant que Lilas en portait un sur sa poitrine, Fire, un sur la bandoulière de son sac, Bisou, un sur son torse (que sa fourrure blanche et drue cachait à moitié), et Hugwald gardait le sien dans le Sac à Trésor jusqu’à nouvel ordre, puisqu’il le perdait tout le temps. À propos de Bisou et de Hugwald, justement, les plus jeunes recrues d’autrefois avaient maintenant grandi. Comme nous l’avions tous remarqué, Bisou avait évolué à force de Charmer ou de geler les ennemis qu’ils avaient dû affronter en leur éternuant dessus. Son évolution l’avait rendu beaucoup moins bavard et enjoué qu’avant, et je ne savais pas si cela tenait plus de la crise d’ado ou d’une sagesse nouvellement acquise par les joies du changement de corps. Hugwald, lui, était aussi devenu plus fort, mais c’était davantage à force de prendre des coups, toute tête brûlée qu’il était pour un Pokémon Glace. Les couches de gel successives qui avaient agrandi sa stalagmite le rendait plus imposant que dans mes souvenirs, et le petit gars n’avait qu’une hâte, c’était d’évoluer à son tour. Enfin, nos deux comparses, le Dracaufeu et la Fragilady, avaient eux aussi gagné en expérience depuis notre premier sauvetage du monde en équipe. Il était loin le temps où Fire ne connaissait que quelques capacités de type Feu ! Draco-Queue, Lame d’Air, Lance-Soleil… Il était passé par plusieurs styles d’apprentissage afin de se diversifier et d’être à la hauteur de plus de dangers possibles. Lilas nous apprit qu’elle s’était trouvée une passion pour le soutien d’équipe, et qu’elle se spécialisait dans les soins telle que l’Aromathérapie, mais aussi dans les capacités infligeant des statuts affaiblissant leurs ennemis, de la Poudre Dodo à la Danse-Folle. Cela lui permettait de garder un œil sur toute leur troupe et d’assurer la cohésion de l’équipe. En bref, notre fine équipe avait bien progressé pendant ces années, avait gagné en prestige, et tous semblaient plus heureux que jamais dans leur travail. À de multiples reprises, je leur témoignais mon affection, leur apportais mes encouragements, et les félicitais d’être reconnus à leur juste valeur.

À un moment, alors que j’exprimais mon franc soutien sur les activités des We Tackle at Foes, je vis Fire se rappeler soudainement de quelque chose, puis fouiller dans son Sac à Trésor. Intrigué, je le laissai faire, mais il ne mit pas longtemps à retrouver ce qu’il cherchait. Il sortit sa patte griffue du Sac, et la tendit. Il me présenta une curieuse pierre ronde multicolore, translucide, avec un curieux symbole, ondulant comme une flamme, figé à l’intérieur de la sphère.

- Il dit qu’il avait oublié de vous la donner, il y a trois ans, m’expliqua Genesect. Après analyse, je peux confirmer qu’il s’agit d’une Gemme Sésame.

- Une Gemme Sésame ?

- Ah ! s’exclama Shaymin. C’est pas grâce à ça que Gardevoir a Méga-Évolué lors du match contre l’autre con ?!

Oh, c’est vrai ! J’avais complètement oublié !

- Elle n’est utile qu’aux Dresseurs humains, poursuivit Genesect. Cette pierre vous permet de déclencher la Méga-Évolution si l’un de vos Pokémon porte la Méga-Gemme correspondant à son espèce.

Je me souvins tout à coup du collier que Latios avait offert à Gardevoir – puis, inévitablement, du soir où Gardevoir m’en avait parlé, dans cette chambre silencieuse de Suerebe, puis de la mission sur Ténébscuriax, de notre combat titanesque contre Teck… Je portai ma main jusqu’à la patte du Dracaufeu, et celui-ci me déposa le puissant caillou dans la paume. Je le sentais chaud, mais je ne savais pas si c’était une sorte énergie interne, ou si c’était parce qu’elle m’était donnée par un Pokémon de type Feu. À la fois terriblement emporté par une foule d’émotions devant cette petite pierre, mais aussi curieusement peu intéressé, puisque j’avais pu m’en passer jusqu’ici, je glissais l’objet rare dans ma poche, en pensant qu’elle ne pourrait que m’être utile, de toute façon. Je remerciai chaleureusement le meneur des W.T.F. de l’avoir gardée pour moi pendant ces années. Mon ami Dracaufeu me répondit, avec un grand sourire sur son long museau, via ce cher Genesect, que ça avait été pour lui la conviction que nous nous reverrions. Profondément touché, je les fis remarquer que ça pouvait s’apparenter à une mission de livraison accomplie – mais ce qui prouvait à nouveau leur compétence et leur loyauté en tant qu’Équipe de Secours. Tout le monde en fut flatté ; la Fragilady eut un rire très empathique à mon égard, et le Dracaufeu, comme à son habitude, me fit un clin d’œil.



On fut interrompu tout d’un coup. À quelques arbres de notre point de repos, un craquement assourdissant retentit, immédiatement suivi d’un bourdonnement persistant. On pouvait apercevoir une lueur sombre entre les branches, là-bas, lévitant dans les airs à quelques mètres du sol. Réagissant au quart de tour, Lugia se rendit invisible, et tous mes Pokémon se mirent en position offensive, tandis que les W.T.F. prirent les devants et s’approchèrent des fourrés. Rapidement après, on tendit les cris très courts, assourdis par une bousculade dans les buissons, et quelques bruits de branches cassées. Le bourdonnement cessa net, et l’étrange lueur que l’on apercevait léviter s’évanouit. Le silence revint… Pour être mieux brisé par des exclamations et des gémissements venant de ces fourrés du Lac Courage, décidément malmenés aujourd’hui.

- PUTAIN, T’ES PAS DOUÉ !

- TU ME MARCHES SUR LA QUEUE !

- OUI BAH MOI JE VIENS PAS DE TE TOMBER DESSUS !

…Qu’est-ce que c’était que ça ?

Les W.T.F. n’avaient même pas atteints les fourrés d’où émanaient cette engueulade que l’on vit une silhouette humaine et une grande silhouette quadrupède en sortir.

- BON SANG, QUI EST-CE QUI M’A FOUTU UN HUMAIN PAREIL ?

- C’TOI QUI SAIT MÊME PAS FAIRE UNE ULTRA-BRÈCHE CORRECTE !

- HÉ HO, C’EST PAS MA FAUTE, J’TE RAPPELLE !

C’est là que les deux silhouettes nous virent.







L’humaine était une adolescente, aux longs cheveux bruns, et à la peau mate. Bien qu’elle portât une tenue sans artifice particulier, elle avait ses vêtements abîmés, un peu déchirés, et salis à certains endroits, comme si elle avait vécu des choses abracadabrantes. Cela dit, ce fut la silhouette Pokémon qui me frappa le plus, par sa majesté, et sa couleur : d’un blanc immaculé, il s’agissait d’un énorme félin, dont la gueule était entourée d’une crinière démesurée évoquant un grand soleil. Elle était parcourue de rayons métalliques dorés, qui dessinaient également ses griffes sur ses pattes noires. Quelques cristaux orange venaient compléter ce tableau resplendissant. Enfin, son front brillait d’intenses lueurs bleues, aussi brillante et profonde qu’une nuée d’étoiles, ce qui achevait de lui donner un air d’incarnation du Soleil. Enfin, je suppose que le tableau pouvait être plus splendide encore en temps normal, parce qu’après la chute que ce Pokémon avait dû subir en compagnie de l’humaine, la terre et les branches triviales tachaient sa fourrure et piquaient sa crinière.

Ce fut l’adolescente qui finit par ouvrir la bouche, en constatant toute cette troupe de Pokémon, mais, surtout, la présence d’un autre humain.

- Qu’est-ce que vous faites ici ?! s’écria-t-elle.

- Heu, rien, m’expliquai-je. Je passais, j’ai entendu Lugia se crasher, et…

La fille hallucina.

- QUOI ?!

- Quoi, « quoi » ?

- Vous-vous… Vous avez vu Lugia ?!

- Ben, oui, répliquai-je comme si ce fût évident. Autant que je vois… Votre drôle de Pokémon, là.

Genesect m’aida sur ce coup, clignota, et récita :

- Solgaleo, Pokémon Halo Solaire. Solgaleo viendrait d'un autre monde. Tout son corps émet une puissante lumière qui peut changer la nuit la plus noire en un jour radieux. On suppose que c'est l'évolution de Cosmog lorsqu'il s'agit d'un mâle. Son troisième œil apparaît quand il s'en va vers un autre monde.

- Intéressant, fis-je. De quel région est-il endémique ?

- Il vient de la Région d’Alola, poursuivit Genesect. Il n’est pas à proprement parler « endémique », puisqu’il s’agit d’un Pokémon Légendaire.

- Quoi ?! Un Pokémon Légendaire ? Mais tu m’as dit qu’il était « évolué » de je sais plus qui, là ?

- Cela reste un Pokémon Légendaire.

Je commençais à débattre avec Genesect sur la notion de « Légendaire », et j’avais totalement laissé tomber nos deux sortis des fourrés. La fille avait l’air très embarrassée par notre présence, et ne bougeait plus, tandis que Solgaleo semblait être dépité. Puis, soudain, la fille partit dans un éclat de rire qui sonna très faux.

- Hahahahahahahaha !

- Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? rétorquai-je en me tournant vers elle. J’ai le droit de débattre sur la notion de-

- Mais oui, mais oui ! lança-t-elle en s’approchant tout à coup de nous tous, comme si elle jouait un rôle. Vous avez paaaarfaitement le droit de débattre de tout ce que vous voulez, monsieur… ?

- …Chris.

- Chris ! Parfait, monsieur Chris.

Elle s’approchait dangereusement près de moi pour une inconnue, avec un aplomb qui me perturba, et en exagérant soudainement tout ce qu’elle faisait, en prenant un air hautain et un ton supérieur.

- Monsieur Chris, dites-moi, prenez-vous des substances ?

- …Hein ?

- Des substances, monsieur Chris.

Elle se mit à chuchoter :

- De la « drogue » si vous préférez.

- Mais non !

- Ah ! Alors, vous êtes tombé sur la tête ?

- Mais pas du tout ! C’est vous qui êtes tombé ! Moi je n’ai fait qu’accour-

- Oui, oui, bien sûr, monsieur Chris, lança cette adolescente reloue en me coupant la parole avec un air dédaigneux. Vous ne devez pas vous en rappeler, c’est normal. Je puis vous assurer que vous n’avez vu aucun « Lugia » ou « Solgaleo ». C’est tout bonnement impossible.

Incrédule et perdu par tant de contradictions venant de cette meuf inconnue, j’essayai de m’en éloigner un peu. Ce faisant, je jetai un coup d’œil au Pokémon « Légendaire évolué » (n’importe quoi…) qui était en plein facepalm devant le numéro de sa camarade. Celle-ci continua de vouloir m’impressionner :

- Vous avez dû vous faire très mal à la tête, et c’est pour ça que vous avez ces visions.

- Mais-mais-mais…

- Ne vous inquiétez pas, sourit-elle machiavéliquement en sortant une Hyper Ball de sa poche, j’ai un Alakazam qui est trèèèès doué pour retravailler les esprits fatigués…

Mes Pokémon s’apprêtaient à lui bondir dessus, quand je m’écriai, un peu apeuré :

- Non mais NON MAIS ARRÊTE ! Ça suffit, là ! Je sais ce que j’ai vu ! Je suis MOCLASM ! Je travaille avec les Légendaires ! J’ai l’habitude d’en voir ! Pas la peine de me faire le coup des visions !

- Haha ! se moqua-t-elle exagérément, en portant une main devant sa bouche, pour se donner l’air encore plus hautaine. Ben voyons ! Et puis, qu’est-ce que c’est, ça ? « Moklassme » ? Pfffff !

- Ouais ! On est MOCLASM, poupée ! s’écria Shaymin. Tu baisses d’un ton !

- Qu’est-ce que vous avez fait à votre Shaymin ? s’étonna la fille en relevant un sourcil. Une fausse couleur qui a déteint ?

- C’EST MA VRAIE COULEUR, ESPÈCE DE PETITE-

Là, Minshya fut retenue par Drak, sinon elle lui aurait sauté dans les cheveux.

- Nous ne mentons pas, assura Genesect platement. Nous avons aussi sauvé le monde.

La jeune femme restait incrédule et têtue, mais perdait peu à peu son rôle.

- Ouais, c’est ça ! rétorqua-t-elle. Et moi, je suis Maître de la Ligue d’Almia !

Une voix raisonnable, calme, s’éleva alors de derrière nous. Lugia avait ôté son voile d’invisibilité.

- Ils disent la vérité, Leah. Ils sont MOCLASM.

Devant cette réplique impressionnante qui calma tout le monde, la meuf arrêta net son numéro. Elle me regarda. Puis elle regarda Shaymin, Drak, Bastiodon, Lançargot, Aligatueur, Genesect, le Dracaufeu, la Fragilady, le Grelaçon, et le Polagriffe. Puis, à nouveau, moi. Il y eut un petit temps de silence.

- …Ah, dit-elle simplement. Ok. Fallait me le dire plus tôt, au lieu que je passe pour une folle.

Elle rangea son Hyper Ball aussitôt, redevenue brusquement sérieuse. Mes Pokémon et moi fûmes un peu perturbés par ce changement brutal de comportement, alors qu’elle avait été collée à moi, menaçante, et hautaine dix secondes plus tôt. « Leah » me regarda à nouveau.

- Vous êtes censés m’aider dans ma mission, alors ?

- Moi ? Non, non, je passais juste par-là, comme je vous disais. Par contre, eux…

Je désignai l’Équipe de Secours et d’Exploration.

- Ah ! s’exclama-t-elle. Les voilà. Eux quatre, là ? Très bien.

Puis, de sa part, j’eus le droit à la plus belle et la plus abrupte ignorance du monde. Elle tourna les talons aussitôt, ne m’adressant même plus la parole, et se dirigea vers les W.T.F., qui étaient amusés de l’avoir vu me menacer de la sorte. Faisant comme si mes Pokémon et moi n’existions plus, elle s’adressa au quatuor de Pokémon chargés de mission.

- Bon ! Je vous la fais courte : le monde entier est dans la merde. Je dois arrêter une tentative de résurrection de la Team Galaxie. Ils veulent faire tout ce qui est possible pour déranger Dialga afin de la capturer. Selon nos infos, ils se sont lancés sur deux pistes : voler des Rouages du Temps et créer une Chaîne Rouge qui permettra de contrôler Dialga ou Palkia. Vous connaissez les Rouages du Temps ? L’histoire du type transformé en Pokémon, la Guilde de Grodoudou, tout ça ?

Les We Tackle at Foes acquiescèrent.

- Bien ! Ben, c’est le même délire qui risque de se répéter. Plus ou moins. En pire. Selon nos infos, ces abrutis seront là d’une minute à l’autre pour essayer de capturer Créfadet, qui habite dans la caverne du Lac Courage, et qui est nécessaire pour fabriquer la Chaîne Rouge. Votre mission, à vous, c’est d’entrer dans le Donjon Mystère qu’il y a au fond de cette grotte, de prévenir Créfadet du danger, et de l’aider à protéger le Rouage du Temps. Moi, je suis là pour les empêcher d’accéder à ce Donjon, et pour les renvoyer pleurer chez leurs mères. Des questions ?

Elle ne laissa pas le temps pour la moindre question.

- BIEN ! s’exclama-t-elle d’un air héroïque. DIRECTION LA CAVERNE ! Solgaleo, tu te bouges aussi, ou tu ne sais plus marcher ? On a un monde à sauver, bordel !

- Ça va, ça va !

Puis cette adolescente sortie de nulle part, avec ses cheveux noirs en bataille et son air ahuri, se dirigea d’un pas ferme vers le Lac Courage. Mes amis les W.T.F. la suivirent, et se préparèrent pour la traversée. Moi, je décidais d’aller les voir.

- Vous… Vous êtes sûrs que vous n’avez pas besoin d’aide ?

- Ça va, merci, répondit sèchement Leah, sans se retourner vers moi. C’est pas que je suis une femme que je ne peux pas me débrouiller toute seule.

- Je… J’ai jamais dit ça, rétorquai-je, gêné.

- Laissez-nous, monsieur-Chris-le-MOCLASM, continua-t-elle rapidement. Puisque vous avez « déjà sauvé le monde », vous devez savoir que nous n’avons pas le temps de nous encombrer avec des poids inutiles.

Elle me laissa sans voix.

- Tout le monde est prêt ? lança-t-elle.

Le félin rayonnant se tenait au bord de l’eau, prêt à bondir, ou à s’envoler, ou que savais-je encore. Mes amis secouristes étaient parés, Lilas agrippée aux épaules de Fire, et Bisou, qui s’était mis sur ses quatre pattes, prêt à nager, portait Hugwald sur son dos. Solgaleo annonça :

- On peut y aller, Leah.

- Ne perdons pas plus de temps.



Leah grimpa sur le dos de la bête, pendant que les W.T.F. me firent un petit signe d’au revoir, me faisant comprendre qu’on se reverrait prochainement. Et tout ce monde s’envola, plongea, ou bondit dans les airs, en route pour aller sauver le monde. Il faut avouer que j’avais tout laissé se dérouler sous mes yeux, après la volée de bois vert que je m’étais prise. Nos amis s’éloignaient vers le dôme de pierre qui trônait au centre du Lac Courage. Quand je sentis une grosse patte écailleuse me toucher l’épaule. Ce contact me sortit de la stupeur dans laquelle l’adolescente m’avait laissé. Je me retournai. C’était Aligatueur. Il me montra aussi que, lui aussi, il pouvait traverser l’eau. Je regardais mon équipe. Ils l’approuvèrent tous. Je compris, en hochant la tête. Je rappelai Bastiodon et Lançargot, Shaymin grimpa sur le capot de Genesect, et ce dernier, en même temps que Drak, prit son envol. Je grimpai sur le dos d’Aligatueur, qui descendit dans l’eau ; et nous voilà partis, suivant de près le sillon tremblant laissé à la surface de l’eau par les nouveaux héros.

On peut bien sûr compter sur toi pour monter la garde, Lugia ? Au cas où de nouveaux terroristes assortis arriveraient du ciel ?

- …Je peux faire ça.

Merci.

Et j’étais rassuré, au fond de moi, de savoir que la Voie de la Raison m’écoutait toujours.



C’était Lilas qui s’était retournée, sûrement en nous entendant arriver par derrière. Elle avait demandé au Dracaufeu de nous attendre une fois arrivés, et Leah et Solgaleo, qui étaient partis loin devant, ont été obligé de nous attendre impatiemment, à l’entrée de la caverne, malgré les protestations de la jeune femme.

- Je t’ai dit quoi ? souffla-t-elle.

- Désolé, je n’en fais qu’à ma tête, vraiment, la rembarrai-je. Mais j’ai pensé à mes amis, ajoutai-je en montrant Lilas, Fire, Hugwald et Bisou. Je ne peux pas ne pas les aider.

Leah rentra dans la Caverne Courage en grommelant. Lilas et Fire me firent un sourire pour témoigner de notre entente mutuelle, Hugwald sautillait davantage encore, et Bisou accepta volontiers. Solgaleo nous regarda, un temps, avant de nous approuver d’un petit signe de tête, comme pour nous remercier, puis il alla rattraper Leah. Drak atterrit, Genesect fit descendre Shaymin et ils partirent en avant. Je descendis à mon tour d’Aligatueur, que je voulus remercier proprement, mais celui-ci partit hâtivement, pressant le pas, et s’empressa de plonger dans l’obscurité géologique. Intrigué de le voir si pressé, et puisque je n’allais pas rester à sécher dehors sur le palier, je fermais la marche, en regardant à nouveau rapidement vers le ciel avant d’entrer, histoire de sentir à nouveau ce vent lourd d’une tempête qui s’annonçait toujours pour ce soir.



Pour dire la vérité, ce n’était pas la première fois que j’entrai dans la Caverne Courage. Elle m’avait intrigué longtemps, quand j’étais petit, et avec les Pokémon Eau que mon père me prêtait pour mon entraînement, j’avais déjà pris mon courage à deux mains pour venir explorer cet endroit. Je n’y avais jamais rien trouvé : en soi, une fois entré, un petit couloir court en ligne droite, puis l’on ne voit que des murs suintant l’humidité, et des filons de minéraux veinant les parois comme dans toutes les nombreuses grottes de Sinnoh. Mais ce tunnel débouche sur une large salle, parcourue de ruisseaux et autres flaques remplies d’une eau cristalline. Bien qu’elle ressemble à beaucoup de grottes au premier abord, s’il on y prête un peu d’attention, entre deux chutes de gouttes d’eau et entre les filets d’air qui sifflent en chuintant sur la roche, on peut percevoir une force, émanant de ce lieu… Une énergie qui nous emplit le cœur… Et qui semble nous porter, nous animer, nous et nos pas – on se croirait capable d’accomplir tout ce qui nous passerait par la tête, là, maintenant, aujourd’hui.

Bien sûr, pour ressentir une telle subtilité qui fait vibrer une fibre de l’âme, il faut, comme je le précisais, y prêter un peu d’attention. Ce que je pense que Leah, en marchant vite, d’un air obstiné, et prête à donner un coup de pied dans le moindre caillou venu, ne faisait pas.

- Bon ! s’exclama-t-elle, sa voix résonnant soudain dans la caverne. Où il est, ce Donjon ?

L’adolescente était déjà arrivée au fond de la Caverne, et constatait l’absence d’issue. En effet, après cette grande salle, il n’y avait plus rien – et je l’avais toujours connue aussi vide.

- L’entrée doit être secrète, suggéra Solgaleo, qui l’avait rejoint. On ne doit pas pouvoir atteindre Créfadet facilement.

Les We Tackle at Foes, en bonne équipe, s’étaient déjà réparti les tâches : Lilas dessinait déjà la Carte des lieux, Bisou et Hugwald tâtaient les murs ici et là, et Fire prenait de la distance pour essayer de trouver une anomalie à l’œil nu. Aligatueur s’était empressé d’aller rejoindre les fouilles pour les aider, et cherchait lui aussi des fissures, levier, ou autre dalle secrète qui pourrait faire apparaître l’entrée d’un Donjon. A côté de ça, Drak, Shaymin et Genesect s’émerveillaient devant l’endroit, puisque je n’étais encore jamais venu avec eux. Paléozoïque et ses logiciels d’analyse avaient pris l’initiative de passer au crible de ses phares, caméras et autres tests l’environnement, à la recherche d’indices. Le voir à l’œuvre me rappela les particularités de chacun de mes Pokémon.

- Drak, toi qui connaît bien les cavernes, tu peux jeter un coup d’œil au cas où tu verrais quelque chose d’anormal ?

Ce cher Caverne, qui ne portait pas son appellation scientifique pour rien, acquiesça à mon ordre en souriant fièrement, puis il bondit sur le mur pour l’escalader jusqu’au plafond, et tout en grattant la pierre.

- Bonne idée, les analyses, Genesect. Shaymin ?

- Ouais ?

- Tu peux… Hm… Aider ?

Mynshia et sa mèche rebelle me regardèrent de bas en haut, outrées par mon échec.

- Ok, ça, c’était nul, comme ordre.

- Désolé. Je sais pas trop ce que tu peux faire, m’excusai-je en me grattant la tête.

- Le mec se considère comme mon Dresseur et n’est même pas foutu de savoir ce dont je suis capable ! Gg, mec, taquina-t-elle.

- C’est vrai que, des cavernes qui abriteraient des Pokémon Légendaires, on en a exploré des toooonnes, à l’école des Professeurs Pokémon où j’ai passé mes deux dernières années en milieu urbain, répondis-je.

- Tututut ! Pas d’excuse ! rétorqua-t-elle en plaisantant, et en se positonnant face à la grotte. Môssieu veut faire Prof., donc môssieu va tout de suite sortir son carnet de notes et en prendre de la graine !

Sur ce, Shaymin se tint fermement sur les quatre longues pattes de sa Forme Mystique, et dressa ses grandes oreilles. Attentif, je l’observai écouter je ne sais quoi – sûrement une histoire d’ondes sonore, de réverbération, et de résonances de grotte. Elle tirait une moue savante lors de son écoute, comme si le poids du monde reposait sur ses épaules de petit dragon de plante, et que la caméra était en train de filmer en gros plan le moment où elle allait trouver la solution. J’avoue que tout ça me dépassait un peu. Cela dit, même si nous avions tous trouvé nos habitudes, nos rythmes, et nos distractions dans ma vie d’étudiant à Unys, une activité aussi trépidante qu’explorer une grotte mystérieuse afin de trouver un Pokémon légendaire dans un nouveau scénario de monde à sauver semblait nous faire revivre, à mes Pokémon et moi, les péripéties qui nous avaient soudés.

- Ah, Drak ! Attends ! s’écria Shaymin. Reviens un peu sur tes pas !

Mon Dragon qui rampait au plafond recula, en tapant toujours la pierre de ses griffes adaptées à la vie souterraine.

- Voilà ! poursuivit-elle, les oreilles à l’affût. Cette veine rocheuse là ! Elle sonne... Bizarrement…

- Alors comme ça, t’as une super ouïe sous cette forme de lézard ? Roflmao, j’ai envie de dire, lançai-je à Shaymin sournoisement.

- Ah, toi, c’est pas le moment de me troller ! protesta-t-elle. Je suis en train de vous sauver la mise encore une fois, là !

Je ris doucement, et me tournai vers notre ami l’insecte électroniquement modifié.

- Genesect, tu peux analyser le filon et le suivre, s’il-te-plaît ?

- Tout de suite.

Paléozoïque leva son capot violet et clignota de ses phares rouges. Il ne lui fallut que quelques secondes, avant qu’il ne baisse le regard le long du mur au filon douteux, puis qu’il le glisse jusqu’à un point, par terre… Pour s’arrêter au milieu d’une flaque.

- Le filon s’enfonce par ici. Après une analyse plus approfondie, je crois détecter un champ de force d’énergie Pokémon… Et sûrement une entrée.

- Ça doit être le Donjon ! s’exclama Solgaleo, qui avait apparemment suivi mes actions.

Leah se retourna :

- Hein ? Quoi ? Le Donjon ? Où ça ?!

Fire, Bisou et Aligatueur s’approchèrent de la flaque d’eau désignée par Genesect, et l’observèrent plus attentivement.

- Ça m’a l’air d’être une flaque comme une autre, rétorqua Leah, depuis le fond de la Caverne, qui nous regardait faire. Et puis, je ne vois pas pourquoi, en plein milieu…

Aligatueur se mit sur ses quatre pattes, trempa sa grosse main écailleuse, tâta le sol à cet endroit, puis planta d’un coup ses griffes dans la terre. Il serra les crocs et grogna un peu, comme s’il semblait peiner pour tourner quelque mécanisme ; le Dracaufeu s’empressa de mettre la patte à la pâte malgré son inconfort avec l’eau, et il fut rapidement suivi du Polagriffe et de ses grandes griffes noires. Tous les trois, après avoir creusé un peu, finirent par dégager, soulever, puis ré-appuyer sur une petite pierre plate qui avait dû être bloquée. A l’activation, le sol de la Caverne se mit à trembler, et l’on entendit la plus grande des flaques de la salle se déverser via une ouverture dans le sol. Tout le monde accourut à cet endroit : dans le grondement sourd des entrailles de la terre, une trappe s’ouvrait doucement, dévoilant un grand escalier, s’enfonçant dans les profondeurs d’un sous-sol caché. Hugwald n’arrêtait pas de bondir de joie, et fut le premier à descendre. Je fis un signe de tête au Dracaufeu.

- À vous de jouer maintenant. On vous attend ici.

Mon ami tout feu tout Flamme me répondit par son classique clin d’œil, et se prépara à descendre. Comme ils se séparaient en plusieurs équipes, il fit descendre Lilas, qui finalisait le plan, afin qu’elle accompagne Hugwald, puis Bisou suivit celle qu’il appelait autrefois « Tata La » de près. Juste avant qu’elle ne disparaisse dans le noir complet, la Fragilady se retourna vers moi pour me faire un petit coucou, signe que nous allions nous revoir à leur sortie. Elle et Bisou descendirent finalement, puis ce fut le tour du Dracaufeu, qui prit une petite inspiration… Avant de descendre les premières marches.
Puis une silhouette trapue et couverte d’écailles bleues s’approcha de la silhouette ailée couverte d’écailles orange.

- Aligatueur… ?

Le Dracaufeu se retourna en entendant quelqu’un derrière lui. Nous vîmes tous mon Pokémon s’approcher de l’entrée du Donjon Mystère. Il hésita, mais il finit par grogner au Meneur des W.T.F. « Ali, Aligatueur. »

- Growl, graour, groulmpf ?

- Ali. Gatueur.

- Ah, mais ouais ! Super bonne idée ! s’exclama Shaymin.

- Aligatueur propose son aide pour l’exploration, nous traduisit Genesect. Il dit que ce serait un immense honneur d’accompagner une si grande équipe dans une aventure qu’il n’a jamais tenté mais qui l’intéresse au plus haut point.

J’avais oublié comme le langage Pokémon exprimait tant de choses… en si peu de sons.

- Hé bien, me foi, je ne vois pas pourquoi je m’y opposerais, bien sûr. Ce serait une formidable expérience pour lui, si ça l’intéresse tant que ça.

- Ouais ! Tu vas voir, c’est des barres, les Donjons ! assura Shaymin, en se souvenant de nos expériences dans les Donjons des confins nord de la Région de Johto.

Aligatueur se tourna vers moi, et je lui fis signe de suivre ses envies. Il me sourit, prit son courage à deux grosses pattes, et suivit Fire dans la descente.

- Hééé là, une minute ! s’exclama Leah, qui sortait soudain de son silence depuis que nous avions découvert l’entrée du Donjon. Tu laisses ton Pokémon partir, comme ça ?

- Je ne vois pas où est le problème, répondis-je simplement.

- Mais, dans ce genre d’aventure, il n’y a que ça, des problèmes ! Il va ptêt finir blessé, ou ils vont se perdre, ou peut-être que des ennemis attendent déjà, au fond, avec Créfadet en otage, ou qu’ils ne verront plus rien au bout de trois étages, et que-

Je voyais cette jeune femme s’emporter et se stresser pour rien. Elle ne savait visiblement pas se maîtriser.

- Je fais confiance. Je connais les W.T.F., et je connais Aligatueur. Cette Équipe prendra soin de lui, et lui sait parfaitement les risques qu’il encourt, ce n’est plus un bébé.

- Mais…

Leah s’arrêta là. Elle se recoiffa machinalement, en ramenant une de ses longues mèches de cheveux bruns derrière son oreille.

- Ok. Comme tu veux.

Je revins à Aligatueur, en lui souhaitant bonne chance. En un regard, puis un sourire, il me fit comprendre ce qui acheva de me rassurer. Fire le suivit de près, et, comme Lilas plus tôt, me fit un petit coucou de la patte.

- Dracau-growl !

- A tout à l’heure ! Et ramenez-le-nous entier, svp ! salua Shaymin.

Sur ce, la silhouette bleue et la silhouette orange s’enfoncèrent dans les ténèbres du Donjon Mystère de la Caverne Courage, droit vers une nouvelle aventure.



Cela faisait plus de vingt minutes qu’ils étaient descendus. Vingt minutes, parce que j’avais ma Pokémontre. Ça me rappela comme j’étais revenu à regarder ma montre souvent, maintenant que je l’avais récupérée, alors que la dernière fois que je m’étais retrouvé embarqué dans une aventure, l’heure qu’il était avait été le dernier de mes soucis (sauf quand j’avais appris qu’il ne me restait que quelques jours à vivre dans le corps de Pokémon qu’on m’avait donné, certes, bref). Solgaleo s’était couché dans un coin, contre un des murs les moins humides, et le grand félin se reposait, en gardant un œil ouvert. Leah s’était assise près de l’entrée du Donjon. Le regard dans le vide, parfois vers Solgaleo, parfois vers l’entrée… Et de rapides coups d’œil sur moi, quand elle pensait que je ne la voyais pas faire. Pour ma part, je m’étais également assis non loin de l’entrée du Donjon, mais plus proche du mur, n’aimant guère me retrouver au milieu de vide. J’astiquai la carrosserie de Genesect, qui avait un peu pris l’eau après avoir volé si proche du Lac. J’avais rappelé Shaymin, qui avait fini par trouver le temps long et voulait se reposer dans un endroit plus confortable qu’une cave aux murs suintant de froid. S’il y en a un à qui cette Caverne plaisait, par contre, c’était à mon Drakkarmin : il profitait de cet environnement qui était si peu commun à notre vie urbaine, et se faisait une joie à crapahuter ici et là, escaladant les murs, rampant au plafond, avec comme mission(-prétexte) de garder l’entrée, et aller faire le guet de temps en temps (dont je l’avais chargé pour rassurer Leah). Nous n’étions donc plus que cinq présents dans la Caverne Courage, à attendre que l’Équipe d’Exploration revienne, et à espérer qu’aucun hors-la-loi ne débarque brusquement. Même si cette éventualité se faisait de plus en plus probable au fur et à mesure que les minutes défilaient sur ma Pokémontre.



J’astiquai chaque petite pièce, chaque articulation de Paléozoïque. Genesect avait toujours aimé ça – ou, du moins, me remerciait à la fin, donc je suppose qu’il appréciait l’attention. Bien sûr, on pouvait considérer le nettoyage que j’effectuais comme une perte de temps, puisqu’à chaque combat ou chaque sortie, un grain de sable ou un brin d’herbe venait se loger quelque part dans son exosquelette ou entre deux circuits. Mais c’était devenu pour moi (et, j’ose penser, pour nous) un rituel, un moment d’intimité, à défaut de pouvoir le nourrir de Poffins ou de le caresser longuement, puisqu’il n’avait ni système digestif pour goûter une de mes préparations, ni nerf pour sentir mes mains. Le bichonner, comme j’aurais fait avec n’importe lequel de mes Pokémon, me permettait de le considérer comme leur égal, et finalement comme un être tout aussi sensible, à qui l’on devait de l’attention. Et, même s’il ne sentait rien, je me permettais, de temps en temps, quelques petites tapes affectives sur sa coque violette, ne serait-ce que pour le geste. Pendant ces sessions, Genesect me regardait attentivement, et m’avait peu à peu fait confiance pour son entretien, me laissant aller de plus en plus loin dans ses articulations, et me demandant s’il y avait un endroit qui grinçait trop à son goût.

- Vous prenez soin de vos Pokémon.

La voix de Leah s’était élevée, soudain. D’abord basse, puis elle avait haussé le ton au fur et à mesure que sa phrase finissait, comme si elle s’était rendu compte qu’elle n’avait pas commencé assez fort pour que je l’entende. Je ralentis un peu mon nettoyage, puis, sans tourner la tête, je le repris.

- Ça t’étonne ? répondis-je.

- Oh, hm – n-non, non, bégaya-t-elle. Bien sûr que non, ça ne m’étonne pas.

Elle avait fini sa phrase comme on aurait mis fin prématurément à une conversation. Ma réponse avait sans doute été trop sèche. J’avais pris la mouche, vu la réponse qu’elle m’avait faite sur la berge du Lac Courage. Mais je devais mieux me comporter. Elle devait traverser quelque chose de difficile, et être épuisée… Comme j’avais pu l’être autrefois. Je repris la conversation, sur un ton plus doux. Je ne voulais pas la mettre mal à l’aise.

- Tu as d’autres Pokémon, à part Solgaleo et Alakazam ?

- Oh, Solgaleo n’est pas… Enfin, si, officiellement, vu que je l’ai capturé, quoi qu’on en dise, c’est mon Pokémon, mais… J’essaie juste de l’aider dans cette mission ? Ou alors, c’est lui qui m’aide… ? Je sais pas trop. Ensuite, oui, j’ai d’autres Pokémon, mais…

Elle marqua une pause. Je tournai la tête. Leah avait baissé son regard vers le sol de la grotte. Elle restait immobile, regardant fixement la pierre, ses mains liées autour de ses genoux. Je posai mon chiffon, et je me rassis, pour lui accorder toute mon attention. Genesect se plia à côté de moi, dans son mode « Vol à Grande Vitesse », qu’il utilisait aussi pour se reposer, simplement. L’adolescente finit par me répondre.

- Ils ont été volés par les abrutis qu’on est censés arrêter.







Je… Je voulais la laisser poursuivre.






Mais… C’était bête. Il n’y avait rien qu’elle pût dire. Et je ne faisais que l’embarrasser encore plus, avec mon silence.

- Je suis désolé, finis-je par répondre. Ça m’est arrivé, aussi. Je compatis, vraiment.

Elle releva un peu la tête. Je souris, tentant de la réconforter – même si je savais que l’on était inconsolable, dans son cas.

- Mais ne t’en fais pas, je suis sûr que tout va s’arranger et que tu réussiras à les retrouver.

- Je ne sais pas… Tout me semble tellement mal parti… Je ne fais qu’enchaîner merde sur merde, j’ai peur de voir ce qui m’attend, à la fin…

Je pris un air confiant et un peu désabusé.

- Franchement, tu veux que je te dise ? Ne t’en fais pas. Tu as ton Alakazam, et, à moins que ce soit un concours de circonstances particulier, je suppose que si tu l’as toujours avec toi alors que tu as perdu les autres, c’est que vous ne devez pas vous quitter, ou qu’un lien très fort vous unit. Tu es en compagnie de Solgaleo, aussi. Avoir un Légendaire de son côté, ce n’est pas rien ! ris-je. Crois-moi. Et puis, quand bien même tu aurais été seule, tu ne l’es pas. Parmi tous les « abrutis » qui courent ce monde, tu as des gens, et, surtout, plein de Pokémon qui sont prêts à te prêter main forte, à leur manière. D’accord, ils ne courent sans doute pas les Routes. Mais ils sont là. Ils existent.

Elle resta un moment sans me répondre. Il faut dire que, en plus de n’être pas peu fier de mon petit speech, je m’étais moi-même étonné de ce que j’avais pu prononcer. Quelque part, le dire m’avait aidé à m’en convaincre davantage.

- Crois-moi. Vraiment. Je… Je m’en rends compte maintenant, mais, s’accrocher, c’est ce qui m’a fait tenir, lors de ma première mission. Et puis, même si j’avais bien envie d’abandonner, à l’époque – je ne pouvais pas. Alors, autant s’accrocher.

- Vous avez… déjà vécu ça ?

- Tu peux me tutoyer ! J’ai l’impression d’avoir cinquante ans quand on me vouvoie... Et, juste « Chris ». Plus de « Monsieur Chris », s’te-plaît, haha.

- Ah, désolé… C’est, avec votre – enfin, je veux dire, ta barbe… J’avais l’impression que…

…Ma barbe ? Qu’est-ce qu’elle a, ma barbe ? Et puis, faut pas exagérer, ça fait pas si longtemps que je me suis rasé, non ? …Si ? Voyant qu’elle changeait de sujet et que mes sourcils commençaient sans doute à se froncer, non sous la susceptibilité, mais sous ma remise question épilatoire, la jeune femme aux longs cheveux bruns poursuivit.

- Tu as déjà vécu ça, alors ?

- Hé bien… Oui. C’était un peu comme toi – un Pokémon Légendaire que j’avais capturé, un monde à sauver, et des aventures en série, qui s’enchaînaient sans répit. J’ai vécu beaucoup, beaucoup, beaucoup – bon, peut-être trop de choses, mais j’ai fait au mieux. Toujours. Même quand notre monde et les Pokémon étaient menacés, même quand mes Pokémon étaient capturés, même quand je me suis retrouvé Pokémon… Même quand tout s’effondre autour de nous, et que l’on commence à perdre des êtres irremplaçables – nous sommes obligés de ne pas abandonner. J’ai appris ça du Destin lui-même.

J’avais pensé très fort à mon état après mon affrontement contre l’Obscur monstre qui avait été créé à partir de Zekrom, et à la léthargie qui m’avait menée jusqu’à cet confrontation ultime avec Dunmeist. Tout m’avait semblé perdu. Les faits, la logique, et les histoires que m’avaient raconté le Destin incarné : tout m’avait poussé à l’abandon final. Mais, je ne l’avais pas fait. Mon dernier souffle, je l’avais braqué sur le Destin. Bon, ça ne lui avait sans doute rien fait. Mais, suite aux affres monstres que j’avais vécu, c’était sans doute à ce geste rempli d’un espoir irrationnel et infondé que je devais les bonheurs, les amis, et la famille dont je jouissais aujourd’hui.

- Tu… Tu as été transformé en Pokémon ?!

Leah s’était écriée et me tira de mes pensées. J’avais pas fait gaffe à ce que j’avais dit, ou plutôt, c’était devenu une expérience tout à fait normal, pour moi, cette transformation en Pokémon. J’étais un peu gêné de me retrouver à devoir expliquer ça.

- Hé bien, comme je te disais, j’en ai vécu, des choses… expliquai-je maladroitement. C’est une longue histoire. Mais je suis sûr que la tienne sera toute aussi difficile à résumer, assurai-je.

Je vis l’adolescente regarder en l’air, comme si elle n’avait pas arrêté de se rendre compte du foutoir dans lequel elle était embourbée.

- Ah, ça ! Vu comme c’est parti…

Elle regarda Solgaleo. Le Pokémon, toujours allongé, poursuivait son repos, semblant fatigué par ces voyages sans répit. Leah soupira, aussi bien ironiquement que franchement.

- Entre un Pokémon Légendaire amnésique, des voyages intempestifs entre toutes sortes de dimensions à coup d’Ultra-Brèches chaotiques, une organisation secrète hyper cheloue, des expériences visant à fusionner les Pokémon, et une menace qui menace notre Univers tout entier… C’est clair que même moi, je m’y perdrais.

Heu… Quoi ?

- …Ton Pokémon Légendaire est amnésique ? demandais-je.

- Hm, oui ? On ne sait pas vraiment pourquoi, mais on suppose que les abrutis lui ont fait des expériences cheloues pour pouvoir se construire leur propre machine à créer des Ultra-Brèches – une autre histoire. Mais pourquoi tu me demandes ça ?

- Non… Pour rien, souris-je.

Haha… Beaucoup nous rapprochait, en effet. Leah regardait toujours Solgaleo, un peu songeuse.

- Tu viens d’où ? demandais-je.

- De Batisques, à Kalos, m’apprit-elle. Et toi ?

- D’ici, de Verchamps, une ville juste à côté d’ici.

Je regardais les murs de la Caverne Courage.

- C’est aussi ici que tout avait commencé pour moi, d’ailleurs.

- Dans cette grotte ?

- Non, juste au-dessus, dans le ciel. Mais, je suis déjà venu dans cette grotte, étant enfant… Qui sait ? Peut-être que c’est là que mon aventure a vraiment commencé, il y a toutes ces années, avant même que je ne devienne officiellement Dresseur…

À ce moment, je vis un grande masse bleue, ocre et rouge planer au-dessus de moi. Drak, qui nous avait écouté parler, vint se poser à côté de moi. Il baissa son gros crâne biscornu et souleva le bras et la main j’avais laissé sur Genesect. Jaloux de l’attention que j’avais porté tout ce temps à Paléozoïque, il venait réclamer des caresses, lui aussi ; demande que je m’empressai de remplir, à son plus grand plaisir. Il vagit de bonheur sous mes grattouilles, et Leah reprit la parole.

- J’ai trouvé Solgaleo marchant, épuisé, sur un chemin de montagne, près de ma ville natale. Du coup, j’ai commencé pas loin de chez moi, moi aussi…

- Tu n’as pas rencontré de Pokémon, sur ton chemin ? lui demandais-je en caressant mon Pokémon.

- Oh, si, plein, plein ! Mais… Capturé, aucun… Je ne sais pas vraiment si nous étions faits pour ça, j’avais la mission en tête…

- Ne t’en fais pas. Je suis sûr que tu seras amenée à les retrouver – et à en croiser d’autres.

- …Tu crois ? me demanda-t-elle, un peu peinée, comme si elle avait peur d’être passée à côté de quelque chose.

- Regarde, Drak, ou même Genesect, juste là, je les ai rencontrés grâce à mes missions. Je n’ose pas imaginer ce que j’aurais fait sans eux, et maintenant, je n’ose pas imaginer ce que serait ma vie sans eux. Sans l’avoir choisi, nous avons été réunis, et tout se passe extrêmement bien pour tout le monde – n’est-ce pas ?

Je grattai fort, fort dans son cou, insistant à travers sa Peau Dure, à la base de son épaisse mâchoire rouge, là où il adorait. Drak grogna de bonheur une nouvelle fois, et dans son enthousiasme, me lécha le visage. D’abord un peu surpris, j’en ris ensuite, en même temps qu’il me faisait un grand sourire, et qu’il se couchait contre moi, son gros crâne posé sur mes jambes.

- Oui, ça se passe vraiment très bien, répétai-je. Tout ça pour dire que tu n’as pas à être si inquiète. C’est une expérience formidable que tu vis, et qui t’apportera beaucoup.

Cette dernière leçon que je me sentais obligé de donner ne fut pas reçu sans une petite révolte de la part de l’adolescente.

- Oui, enfin… Tu dis ça comme si la fin du monde n’était pas d’actualité ! Si j’échoue, peu importe que je me sois fait des potes ou que j’ai appris sur moi-même – j’aurais échoué, et le monde ne sera plus là !

- Je ne dis pas tout ça en l’air, répondis-je calmement. Je sais très bien que la fin du monde, c’est lourd à porter. Mais, d’une, j’ai vécu assez de fin du monde et de retournements de situations pour savoir que rien n’est perdu d’avance. De deux, même si tu échoues, même s’il n’y a aucun retournement de situation (mais bon, connaissant le Destin, ça m’étonnerait), le monde ne sera de toute façon plus là pour te faire porter le chapeau – et tu ne pourras même plus te le faire porter toi-même, puisqu’on sera tous morts. De trois, puisque l’issue de toute cette aventure est incertaine, pourquoi ne pas faire de son mieux et tirer le plus possible des aventures que nous vivons ? Finalement, peu importe si le monde n’est plus là demain, ou dans dix jours. Ce qui compte réellement, ce sont les rires, les nuits passées à se raconter nos histoires, les jeux stupides auxquels on peut participer, ces combats que l’on vit intensément, ce sentiment où toi et les autres vous comprenez d’un simple regard, d’un simple geste, d’un simple sourire, d’un souffle. Je t’assure. C’est tout ce qui compte – et c’est tout ce que tu retiens.

Je marquai une pause. Nous avions tous les deux besoin de se rendre compte de ce que cela signifiait – pour nous deux. Leah finit par se résigner, avec, je l’espérai, un fond de croyance.

- Si tu le dis…

- Libre à toi de me croire ou non, précisai-je. J’essaie simplement de te remonter le moral, et de te donner confiance. Tu as ton Hyper Ball et ce gros endormi là-bas pour te rappeler que tu es quelqu’un qui vaut la peine qu’on lui fasse confiance.

J’avais achevé avec un sourire, en insistant pour la regarder. Après un petit temps, elle tourna la tête, et me regarda. Je pouffai un peu de rire, en repensant à comme j’aurais été incrédule, à son âge, à sa place. Mon petit rire la fit sourire, pour la première fois depuis que je l’avais rencontré.

- Ouais… Je saisis le principe, rit-elle gentiment. Merci.

- Avec plaisir.

- Chris ?

Une voix venait de résonner subitement dans ma tête, avec un ton extrêmement sérieux. Je perdis mon rire, et je me raidis un peu, à la fois de surprise, mais également en sachant ce que son appel signifiait. …Lugia ?

- Lui-même. Il y a un aéronef qui s’approche. Il descend peu à peu vers le Lac. Je crois que je n’ai pas été repéré ; mais il avance sur vous.

Je me relevai, par réflexe, comme si j’avais entendu une alarme qui nous ordonnait de fuir. Drak, qui se reposait sur moi, sursauta, Solgaleo releva la tête d’un coup, et Genesect alluma ses phares.

- Que se passe-t-il ? s’inquiéta soudain Leah, en me voyant me relever de la sorte.

- On a la visite de tes abrutis. Lugia les as vu arriver.

Je ne perdis pas de temps.

- Drak, tu peux aller te poster à l’entrée, s’il-te-plaît ? Genesect, prépare-toi à faire feu, sait-on jamais. Reste près de l’entrée du Donjon, demandai-je en montrant l’ouverture à nos pieds. Il ne faut qu’aucun de ces humains ou Pokémon ne s’en approche.

- Compris, me répondit Paléozoïque.

Mon Drakkarmin acquiesça quant à lui d’un hochement de tête, puis s’envola jusqu’aux parois rocheuses, s’accrocha à la roche, et rampa jusqu’à l’entrée, se tenant prêt à asséner un Coup Bas au premier abruti qui passerait le nez à l’intérieur. Solgaleo et Leah se tinrent aussi sur leurs gardes, et je les accompagnais sur cette position, tout le monde regardant fixement le trou de lumière qui s’ouvrait sur l’extérieur. Rapidement, on entendit des moteurs siffler et des réacteurs souffler, au loin, mais le bruit se fit de plus en plus proche. Malgré son angoisse lors de l’alarme que j’avais sonnée, Leah s’était rapidement reprise, et elle me semblait maintenant aussi déterminée et implacable que tout à l’heure.

- Ça va aller, voulus-je rassurer.

- T’inquiète, répondit l’adolescente, confiante. Ils seront à terre avant même que ton Insecte n’ait le temps de leur tirer quoi que ce soit dessus.

Je souris, confiant à nouveau, grâce à elle. C’était le bon esprit.



On entendit des pas se rapprocher alors que le bruit des moteurs restait assez éloigné. Une silhouette se dessina en contre-jour, à l’entrée de la Caverne. Drak leva une patte, prêt à frapper ; pour nous qui étions dans la grotte, nous fixions plus que jamais ce visage, ses mains, essayant de discerner un rictus, une arme - une menace. Il avançait en courant, et son visage se fit plus clair. Il appela :

- Leah !

Surpris, je tournai la tête vers l’intéressée. Surprise, elle le fut dix fois plus.

- Wilbur ? C’est toi ?!

La silhouette débarqua alors. Drak, voyant que Leah semblait connaître ce type, calma son attaque et se plaqua contre le mur pour ne pas être vu. Cette silhouette, c’était un mec, sans doute aussi jeune que Leah, affublé d’un look ultra-cool improbable, dans les ton blanc et noir, et portant une coupe de cheveux blond platine, avec un volume impossible à sculpter s’il on considère la quantité de gel utilisée chez le commun des mortels.

- Leah ! Tu es là !

« Wilbur » courut vers nous, traversant le couloir de l’entrée, puis débarquant dans la salle. L’adolescent semblait ravi de voir Leah, mais beaucoup moins ravi, même extrêmement perturbé, de me voir ici, qui plus est avec une drôle de machine violette sur pattes. Voyant que Leah et Solgaleo ne l’attaquaient ni ne s’en méfiaient pas, j’attendais des explications de la part de la jeune femme. Elle me le présenta.

- Chris, j’te présente Wilbur, qui est notre contact au sein de la Team Galactique.

- La Team Galactique ?

- Oui, c’est le nom qu’ils se sont donnés pour faire renaître la Team Galaxie, répondit le jeune homme. Ça ne paie pas de mine, je sais, mais j’y suis pour rien.

Le mec se tourna tout de suite vers Leah.

- Tu vas bien ? Tu as réussi à arriver jusque-là sans égratignure ? Et qui c’est, lui ?

Bien sûr, le « lui » avait été lancé avec une amertume qui se sentait à dix kilomètres à la ronde. Je ne savais pas s’il avait peur de moi, s’il me dédaignait, s’il était jaloux de mon Pokémon beaucoup trop stylé, ou s’il m’excluait tout de suite de tout plan prévu et à prévoir. Sûrement ressentait-il tout à la fois.

- « Lui », c’est Chris, répondit Leah, qui cherchait à le rassurer. Il était dans le coin quand je suis venu chercher l’Equipe d’Exploration Pokémon. Il les connaissait bien, et il m’a donné un coup de main pour ouvrir le Donjon, ici. Il est de notre côté.

- Mais… Et si c’était un espion ?! suggéra l’autre, qui ne se calmait pas. T’y as pensé, qu’il pouvait être un espion ?!

L’héroïne du moment constatait comme moi que le mec se mettait peu à peu à trembler simplement parce que j’étais là.

- Hé, calme-toi, Wil’. Je t’ai dit qu’on pouvait lui faire confiance. Je ne suis pas conne, non plus. Lugia nous a confirmé que c’était un MOCLASM !

C’est là que le jeune homme fit un pas en arrière, et finit d’être totalement affolé.

- Q-QUOI ?! D-Des… Des MOCLASM… ?!

- C’est bien ça, renchéris-je, d’un air dubitatif face à ce comportement. Aucune raison de vous inquiéter, donc.

- C’est une chance en or ! se réjouit Leah. Il va pouvoir nous apprendre plein de trucs ! On pourra ptêt devenir MOCLASM, nous aussi !

- M-Mais… Mais… Non… !

Ce Wilbur aux cheveux impossibles me semblait beaucoup trop déstabilisé par ma présence à mon goût. Je jetai un coup d’œil à Drak, qui se tenait toujours prêt, au cas où, pendant que cet ado débarqué de nulle part et beaucoup trop edgy s’en prenait à Leah.

- T’es pas possible ! T’en fais vraiment qu’à ta tête ! On s’était mis d’accord sur le fait de ne pas se faire remarquer, et toi, t-tu ramènes… Des MOCLASM ! Avec des Pokémon hyper chelous, en plus !

A l’entente de « chelou », Genesect activa son canon et le braqua, mettant en joue le jeune stupide. Mon Pokémon clignota.

- Détection d’un dénominatif prononcé avec le ton d’une insulte. Potentiel offensant. Était-ce offensant, Chris ?

- On peut dire ça, ouais.

- Chargement du Technobuster.

Le canon de Genesect se mit à reluire d’une grande énergie, ce qui acheva Wilbur de se pisser dessus.

- AH NON NON ! CONTRÔLEZ VOTRE MACHIN, VOUS !

- C’est quoi ton problème, gamin ? demandai-je en retour le plus sérieusement du monde, tout en faisant signe à Genesect de continuer à charger son tir. Est-ce que j’insulte ta coupe de cheveux, moi ? Je suis MOCLASM ; je suis habitué à ce genre de mission, et tout à fait habilité à-

- Non… Non…

Le mec ne m’écoutait pas. Reculant pas à pas, secoué par une peur mystérieuse et perdant tout contrôle de ses mots, il bégaya :

- D-Des MOCLASM… A-Alors qu’on était… si proches… de Créfadet…

…Bon. J’aurais dû m’en douter.

Leah, elle, n’en revenait pas. Elle devait vivre son premier plot twist. Je ne lui en voulais pas, ça avait été difficile pour moi aussi, au début.

- Wilbur ? Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu fais ?

Tout à coup, l’adolescent retrouva pleine maîtrise de ses moyens, tira deux Poké Ball de sa poche, et nous menaça.

- Je t’avais dit de ne ramener personne ! Mais tu n’en fais qu’à ta tête, comme d’hab ! Toute la Team est si proche du but, je ne peux pas vous laisser interférer !

Leah était paralysée par la surprise.

- Wilbur… ?!

- Drak, à toi ! m’écriai-je.

Y avait pas le temps d’être paralysé par quoi que ce soit. Mon Dragon n’avait attendu que mon ordre. Ayant rampé au plafond pour se rapprocher depuis l’arrivée de Wilbur, il s’était tenu à parfaite portée. Il bondit, prit Wilbur par surprise, et atterrit de tout son poids sur le dos du jeune pour le mettre à terre, ses deux Poké Ball toujours en main. Drak prit soin de lui bloquer tout mouvement au niveau des bras afin qu’il ne tente pas de faire sortir ses Pokémon, pendant que ce type geignait sous sa neutralisation. Ne pouvait rien faire, il ne hurla alors :

- ALLEZ-Y ! PASSEZ À L’ATTAQUE !

Dans l’agitation que l’arrivée de Wilbur avait causée, nous en avions oublié l’aéroplane. Celui-ci apparut, tout au fond, depuis l’entrée. Sa carcasse sombre me rappela furieusement ceux qui avaient servi à Cipher, à croire que les méchants aimaient tous le noir. La machine volante, planant et bourdonnant depuis l’extérieur comme un gros Lucanon bardé de réacteurs, avait ses canons pointés droit sur nous.

- ATTENTION !

C’était Solgaleo qui avait rugit, et s’étant élancé le premier sur Leah, avec une dextérité que je ne lui avais pas soupçonné. Tout se passa très vite. On perçut un bruit aigu de tir venant de l’autre côté, mais presque en même temps, mon cher Genesect décocha le Technobuster tout chaud et surdosé qu’il avait gardé en stock. Un laser pharamineux déflagra juste à côté de nous, traversa la pièce, survola Drak et Wilbur, transperça le tunnel de pierre dans toute sa longueur, et alla contrer les tirs et frapper les canons adverses. Une explosion énorme éclata à l’entrée de la grotte ; des rochers entiers et des pans de métal volèrent ; le choc secoua notre cave de pierre avec une force incroyable ; la lumière du jour nous inonda aussi soudainement que le boucan de la roche dynamitée nous assourdit. Après coup, des éboulements finirent de faire trembler le sol sous nos pieds, puis, dans le vacarme des réacteurs affolés de l’aéronef, nous aperçûmes, au-delà des nuages de poussière, l’énorme engin volant en feu, touché en plein dans le mille. Son alarme hulula pendant quelques secondes, avant qu’ils ne finissent par perdre le contrôle, et que la masse métallique n’aille plonger dans le Lac Courage.



Le calme retomba brusquement. Je fus étonné de m’être remis aussi vite. Le bruit de l’explosion et l’immense tumulte qu’elle avait causé m’avait bien sûr surpris, mais rapidement, je fus réhabitué, et même étonné de n’être pas envoyé voler, de ne pas avoir les oreilles qui sifflent, ou de ne me prendre aucune onde de choc, après toutes les explosions que j’avais pu vivre. La Caverne Courage avait vu son couloir d’entrée voler en morceau, et elle avait sa face sud désormais éventrée, des débris rocheux retombant du ciel, toujours aussi gris. Rapidement, je jetai un coup d’œil à Genesect, qui tenait toujours sur ses pattes, son canon fumant ; puis à Drak, qui avait protégé malgré lui Wilbur de l’éboulement, et qui se sortait des débris rocheux grâce à sa Peau Dure. Puis je tournai la tête vers Leah, que je trouvai recouverte par le grand Solgaleo.

- Tout va bien ? demandais-je.

Le Pokémon Halo Solaire s’écarta, en laissant apparaître sous sa fourrure le corps de la jeune femme. Je me précipitai sur eux, craignant qu’il ne lui soit arrivé quelque chose, mais je la vis rapidement remuer les jambes, pour enfin se relever. Pour elle, vu sa mine effarée et encore désorientée par l’explosion, il y avait eu plus de peur que de mal.

- Oh bon sang… Par Zygarde… gémit-elle.

Elle se releva en titubant, puis se retourna aussitôt vers son Pokémon Légendaire.

- Solgaleo ! Ça va ?!

- Je vais bien, ne t’en fais pas.

Le Pokémon d’un blanc habituellement étincelant avait tout de même une grande marque noire sur le flanc, comme s’il avait été brûlé par un impact.

- Tu t’es pris un tir… ?! s’inquiéta-t-elle.

- Ce n’est rien, rassura Solgaleo. Je suis plus résistant que ma fourrure ne peut le laisser croire.

Leah en fut très touchée. Elle mit quelques secondes à se rendre compte de ce que le Pokémon Légendaire avait pu faire pour elle. Elle regarda la brûlure du Pokémon pendant ce temps. Son visage était encore couvert des poussières de l’explosion de la grotte, sa peau mate parsemée d’un sable gris. Ses longs cheveux bruns en bataille, toujours aussi désordonnés par le tumulte de sa mission, cachaient quelques éraflures sur la tempe et sur sa joue, que je ne voyais que maintenant que j’avais son profil, immobile, devant moi, pendant ces quelques secondes où elle commençait à se rendre compte de quelque chose.

- Tu m’as protégé… Merci…

Le Solgaleo, la mine grave, ne répondit pas – ou bien ne trouva rien à répondre. Il se rabattit sur moi :

- Tout va bien, Chris ?

Je haussai les épaules :

- Oh, moi, vous savez…

- T’es habitué à ce genre de trucs ?! s’étonna Leah. C’était quelque chose, ça, quand même !

Je restais blasé.

- Tu sais, expliquai-je avec beaucoup de recul, après un accident d’hélicoptère, de tram, de bateau, de voiture, de métro, d’avion, de camion, d’aéroplane... Et, je ne sais pas si ça compte, mais j’ai vu une fusée exploser une Région entière. Donc, pour les explosions, j’ai la Peau Dure.

A cet instant nous vîmes une tête dépasser d'une ouverture dans le sol de la grotte. J'en avais presque oublié que nous gardions l'entrée d'un Donjon Mystère. L'un après l'autre, un Grelaçon, un Polagriffe, une Fragilady, un Dracaufeu, et, un petit temps plus tard pour bien me faire stresser ma race, un Aligatueur, sortirent tous du Donjon en remontant par l'escalier. Ils étaient tous effarés par l'état de la Caverne… Mais cette scène de destruction n'empêcha pas Fire de rire aux éclats en nous désignant, Genesect et moi (je supposais qu'il devait rappeler à tout le monde que partout où j'allais, quelque chose finissait par sauter). Lilas, soulagée que nous allions tous bien en surface, garda un peu plus de sérieux, légitime face aux événements, et elle se hâta, en soulevant sa robe de feuilles par-dessus les décombres, d'aller prévenir Leah que leur mission était accomplie.

– Créfadet ? demanda la jeune femme. Il est en sécurité ?

Chef-Fleur acquiesça.

– Et le rouage du temps ?

De même.

– Ouf...

Je fus ravi de voir la fine équipe au complet, ayant tous l'air sains et saufs, quoi que couverts de poussières, sans la totalité de leur vitalité, et avec quelque chose de brillant dans le regard qui témoignait de l'excitation d'une aventure en cours. J'allais pour les féliciter, surtout mon Aligatueur qui semblait s'en être bien tiré, mais nous fûmes rapidement interrompus par un cri de rage. Il était venu de l'ancienne entrée de la grande salle caverneuse, où l'on vit une silhouette humaine et des cheveux blonds malmenés s'extirper des décombres en un bond. Wilbur avait profité d'un moment de distraction de Drak pour se défaire de son emprise, en plus d'avoir été moins affaibli par l'éboulement que ne l'avait été mon Pokémon.

– VOUS N'ARRÊTEREZ PAS L'ASCENSION DE LA TEAM GALACTIQUE ! cracha-t-il.

Et ni une ni deux, agile comme un Férosinge, voilà ce diable qui escalade les éboulis, saute par-dessus les rochers, et plonge dans le lac. C'est là que nous aperçûmes, au loin, à mi-distance des berges, de petites embarcations gonflables, flottant ci et là, et qui émergeaient des remous causés par l'amerrissage catastrophique de l'aéronef. Transportant quelques têtes humaines et peu de Pokémon, l'un de ces radeaux mit les gaz pour venir secourir cet abruti de Wilbur qui nageait aussi vite qu'un traître fuyant sa fausse identité – ce qu'il était. Perso, je n'allais pas me mettre à le poursuivre, d'autant plus que j'étais allé aider Drak à se remettre de ses émotions ; quant à Leah, elle ne me sembla pas plus peinée que ça en voyant ce trompeur s'enfuir.

– Tu ne vas pas à sa poursuite ? demandai-je.

– Pourquoi ? C'est un abruti qui m'a fait croire qu'il était mon ami, rétorqua la jeune femme. Et puis, on a protégé Créfadet, c'est ce qui compte ! Ils peuvent dire adieu à leur Chaîne Rouge ! Donc pour l'instant, c'est nous qui avons la main. Plus la peine de courir.

Hm mh. Certes, ça pouvait se tenir... Mais, à entendre son raisonnement, je ne pouvais pas me permettre de m'envisager un titre de Professeur Pokémon « spécialiste des Pokémon Légendaires » si je ne relevais pas le point suivant :

– Et pour Créfollet ? Et Créhelf ?









Leah ne bougea plus. Solgaleo me regarda, lui aussi sidéré – ou alors, jouant très bien la sidération, monsieur « l'Amnésique ».

– Qui ?

– ...Créfadet fait partie d'un trio. Il y a Créfadet, Créfollet, et Créhelf. Les trois Pokémon sont nécessaires afin de former la Chaîne Rouge. Mais... Tu le savais, n'est-ce pas ?

J'avais posé la question en désespoir de cause, ne serait-ce que pour lui donner une chance de dissiper mes doutes... Mais, non. Vu la tronche que cette adolescente tirait, et les regards qu'elle lançait à Solgaleo, et les regards que Solgaleo lui renvoyait... Il n'y avait pas beaucoup de doute. Je soupirai. Les deux se mirent aussitôt à partir en vrille.

– TU PEUX M'EXPLIQUER ?!

– T'EXPLIQUER QUOI ?!

Leah et Solgaleo continuèrent à se crier dessus alors que j'allais rappeler Drak dans sa Luxe Ball, et le félicitant du travail bien f-

– CHUIS AMNÉSIQUE, J'TE SIGNALE ! ÇA VEUT DIRE QUE J'ME SOUVIENS PLUS DE RIEN !

– ET ALORS ?! TU PEUX PAS TE RENSEIGNER AVANT DE ME DIRE QU'IL FAUT SAUVER UN POKÉMON LÉGENDAIRE ?! GENRE, À TOUT HASARD, QU'IL Y EN A DEUX AUTRES COMME LUI ?!

– Alors, techniquement, ils ne sont pas pareils, Créfadet, c'est le courage, Créfollet, ce sont les émotions, et Créhelf, c'est le sav-

– OUAIS, ÉVIDEMMENT ! ET JE FAIS ÇA COMMENT ?! AVEC LE RÉSEAU INTERNET QUE J'AI DANS LE CRÂNE ?!

– T'ES UN TYPE PSY ET T'OUVRES DES PORTAILS À TRAVERS LES DIMENSIONS ! EXCUSE-MOI D'AVOIR SOUS-ESTIMÉ TES CAPACITÉS MENTALES !

– TU SAIS CE QU'ELLES TE DISENT, MES CAPACITÉS MENTALES ?!

Puis les deux se mirent à se chamailler comme chien et chat, où, en l'occurrence, comme félin et humaine. Que ce soit Genesect, les W.T.F., Aligatueur, ou moi, tout le monde était assez atterré par le comportement de ces deux zouaves qui avaient l'air de passer leur temps à se lancer des piques – malgré leur proximité indéniable. Genesect repris le premier la parole, sûrement parce qu'il était moins sensible à l'exaspération.

– Ne serait-il pas préférable qu'ils se mettent plutôt en route pour protéger les deux autres Pokémon, Chris ?

– Oui, en effet, Genesect. En effet.

À nous entendre, le Pokémon Légendaire et la jeune femme arrêtèrent aussi soudainement leur dispute qu'elle avait commencée, pour se rendre compte du temps qu'ils perdaient.

– OK ! JE PEUX PAS COMPTER SUR TOI – mais c'est pas grave ! La mission se poursuit ! Haut les cœurs ! se convainquit la jeune femme.

– Hé bien, qu'est-ce qu'on attend, alors, MADAME QUI NE RÉFLÉCHIT PAS ? rétorqua Solgaleo.

En ignorant sa remarque, Leah me demanda, à la hâte :

– Où est-ce qu'ils sont, les deux autres Pokémon du trio ?

– Créfollet au Lac Vérité, à l'ouest d'ici, près de Bonaugure, et Créhelf au Lac Savoir, au nord de la Région, à côté de Frimapic, répondis-je, savant. Chacun dans une Caverne semblable à celle-ci.

– Les deux autres grottes seront donc sûrement aussi protégées par des Donjons Mystères...

La jeune femme se tourna vers l’Équipe d’Exploration Pokémon :

– Est-ce que vous pouvez nous accompagner ?

Fire, Lilas, Bisou et Hugwald se tinrent droit et firent les fiers, patte sur le torse, exposant tous fièrement leur badge de Grand Explorateurs : bien sûr, qu’ils étaient partants ! Et même mon Aligatueur prit la pause, apportant bien volontiers son aide.

- Merci, les amis ! se réjouit Leah. Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps ! Allons sauver le monde !

La jeune femme bondit sur le dos de Solgaleo avec une adresse qu’elle n’avait pas perdu malgré les récents tumultes. Le chevauchant comme une guerrière à l’espoir désormais imperturbable, elle ouvrit la voie pour un retour vers le Lac. L’équipe des We Tackle at Foes et même mon Aligatueur s’empressèrent de suivre cette nouvelle meneuse, tout le monde repartant vers le monceau de roches écroulées de la Caverne Courage, Sac au Trésor en bandoulière, et sens du devoir avant tout. Je voyais tout ce petit monde partir assez vite, pressés d’en découdre et de déjouer des plans machiavéliques, alors, je ne savais que dire. Je fis quelques pas dans le reste de la grotte.

- Bien, heu… Bon courage, alors !

Toute la troupe s’arrêta, et se retourna vers nous. Genesect, qui n’avait pas bougé d’un poil de sa position de tourelle de défense ; Aligatueur, qui, encore dans le rush de la sortie du Donjon, avait suivi tout le monde, et comprenait que ce n’était pas dans mes plans de m’embarquer dans une nouvelle aventure ; et moi, qui n’était qu’un étudiant en vacances, et qui n’avait pas été contacté pour aider sur cette mission. Je ne savais pas quoi dire.

- Je suppose que… Hum… On se reverra… Un jour ? Enfin, en tout cas… Bonne chance pour tout, quoi ! Erm…

Je crois que les We Tackle at Foes n’avaient jusqu’ici pas compris que nous ne pouvions pas les suivre. Ils me parurent tous les quatre très désolés, en comprenant que je ne venais pas. Comme je l’avais vu, mon Aligatueur aussi fut très peiné en se rendant compte des chemins qui étaient désormais amenés à se séparer. Leah, en nous voyant, comprit.

- Haha, allez-y ! encouragea-t-elle en riant avec empathie. On peut leur laisser un peu d’avance, à ces abrutis, sinon ce ne serait pas drôle.

Alors, Hugwald, Bisou, Lilas et Fire revinrent vers moi. Le Grelaçon me sauta dessus, frottant son glaçon contre mon pantalon, tout sourire. Polagriffe vint me prendre dans ses bras, et me serrer très fort contre sa fourrure givrée ; surpris par ce geste brutal d’affection, je finis par le serrer dans mes bras également.

- Je suis content de t’avoir vu aussi grand ! Continue de t’entraîner, d’accord ?

Bisou me reposa à terre, et, pour ma première fois, me sourit avec ses crocs de Polagriffe, acquiesçant avec ses petites stalactites de jeune sous le menton. Lilas fut la suivante, et nous nous embrassâmes (enfin hm, on se prit dans les bras quoi), et nous le fîmes plus fort encore qu’à nos retrouvailles.

- Désolé, c’est passé très vite, cet épisode… m’excusai-je, alors que personne n’y avait été pour rien. Mais je suis heureux de voir que tu ailles bien ! Je sais qu’avec toi, toute cette équipe se portera bien, et que les We Tackle at Foes pourront aller aussi loin qu’ils le méritent.

Je sentis son étreinte confirmer ses souhaits de bonheur réciproques, et, en retour, sa fleur diffusa dans l’air un parfum frais et revigorant, prompt à nous combler de courage pour affronter la vie – et ses petits moments tristes, comme une séparation. Lorsque nous desserrâmes notre embrassade, je la trouvai confiante et ravie. Elle prononça quelques mots. Genesect clignota :

- Elle est ravie de voir que vous vous portez bien, également. Elle est certaine que le monde aura besoin d’un Professeur qui sait bien y faire avec les Pokémon.

Ce compliment m’alla droit au cœur, et manqua de me faire monter quelques larmes, que je retins.

- Ah, merci ! souris-je le plus sincèrement du monde. T’en fais pas ! Je me donnerais à fond pour y arriver !

Mon amie la Fragilady me fit un autre sourire, puis elle alla rejoindre Bisou et Hugwald, qui allèrent voir Genesect pour lui dire au revoir. Je sentis à ce moment toutes mes Poké Ball se réchauffer. Alors, pour que tout le monde salue tout le monde en bonne et due forme, je décidai de faire sortir Bastiodon, Shaymin, Lançargot, et Drak, afin qu’ils puissent, eux aussi, dire au revoir à nos amis. Fire finit par m’approcher, et je lui tendis une main franche :

- Bonne chance, mon ami ! Je suis certain que-

Dédaignant totalement la patte humaine que je lui tendais, le Dracaufeu m’attrapa comme l’avait fait Bisou, mais me souleva cette fois-ci complètement dans les airs, me portant à bout de bras ! Je l’entendis grogner quelque chose en riant, alors que je me sentais stupide et un peu gêné, porté si haut par la grande bête. Tous mes Pokémon se mirent à rire, alors que moi, je me tortillai pour le faire lâcher sa taquinerie. Genesect me fit l’aimable traduction.

- Il dit que vous aussi, vous avez grandi, depuis la dernière fois.

- Oui, oui, peut-être, bon ! Je ne suis plus habitué à être porté, moi !

- Il dit aussi que ça vous fait bizarre, du poil au menton.

- Hmpf. C’est pas comme si j’y pouvais quelque chose, hein ! Les humains, c’est fait comme ça, et puis… Je ne vois même pas pourquoi je me justifie !

Et tout le monde de repartir dans un éclat de rire, gnagnagna, hahaha, très drôle, pfff, franchement. J’étais amusé bien sûr, mais je ne voulais plus qu’on me rappelle le gamin excité dont je me remémorais le profil et le comportement. J’avais changé… Voilà.
Le Dracaufeu finit par me reposer à terre, et me serra lui aussi dans ses pattes. Lui rendant à la fois la puissance de son étreinte comme deux amis proches, mais lui tapant aussi dans le dos comme de vieux potes, je lui souhaitais de découvrir tous les Trésors du monde et de faire des W.T.F. une équipe exemplaire. Il en assuma fièrement la responsabilité, et, selon Genesect, il me rappela de prendre soin de moi, et de poursuivre également mes rêves.

- Promis ! Et je suis sûr que tout ira bien pour toi aussi, lui répondis-je en imitant son traditionnel clin d’œil.

Fire éclata de rire en me voyant sûrement mal le faire (c’est pas comme si j’avais l’habitude faire des clins d’œil, meh), mais sa joie acheva de me mettre de bonne humeur pour cette séparation. Cela dit, alors que le rire de Flamme se calmait, je le vis baisser un peu le museau, puis regarder en direction de mon Aligatueur. Ce dernier, contrairement à tous mes autres Pokémon sortis, ne semblait guère se faire à l’idée de se séparer, et je voyais bien sa peine quand il voyait Bastiodon, Shaymin, ou Drak dire au revoir à Lilas et aux autres. Je regardai à nouveau Fire. Celui-ci me regarda, un peu hésitant. Je regardai Aligatueur. Mon Pokémon Mâchoire ne desserrait pas les dents, et, alors qu’il regardait ses séparations d’un air perdu, il me vit le regarder. Je fis un signe de tête à Fire, un peu interrogatif, en direction d’Aligatueur. Je crus voir le Dracaufeu gêné, presque rougir. Je redemandai, pour être sûr, mais le Dracaufeu me semblait vraiment embarrassé. Alors je lui souris, et je refis un signe de tête vers Aligatueur. En me voyant lui donner une telle autorisation, le Dracaufeu se redressa, et prit un air assez sérieux, bien qu’il eût la gueule chauffée par une audace nouvelle. Je le vis se tourner vers mon Pokémon Eau, et marcher droit sur lui ; cette démarche était tellement soudaine, si droite, et si peu naturelle, qu’elle attira l’attention de tout le monde. On vit donc le Dracaufeu s’approcher de l’Aligatueur, jusqu’à se coller face-à-face. Mâchoire était paralysé par ce rapprochement rapide et cette soudaine proximité, presque au point que leurs museaux se touchassent. Fire prit la grosse patte bleue de mon Aligatueur, et il lui grogna quelque chose, d’un ton se voulant à la fois sérieux et franc, alors qu’il avait les joues en feu de timidité. Si je ne m’abuse, je crus également voir mon Aligatueur rougir. Il regarda vers moi. Je lui souris. Ses yeux brillèrent – il dit oui au Dracaufeu. Mes Pokémon l’ovationnèrent, Shaymin hurla « OUAIS ! À POIL ! », Leah ne comprenait pas ce qu’il se passait, Solgaleo ne faisant que sourire en approuvant, et moi, j’étais simplement heureux pour eux deux. Je m’approchai de mon gros Pokémon bleu, au dos voûté, aux nageoires rouges, au ventre crème, et à la carrure costaude, que je n’allais pas revoir pour un petit moment.

- Si tu souhaites les accompagner, vas-y, souris-je. Et puis, si le cœur t’en dit, je suis sûr que tu feras un formidable membre des W.T.F. !

Je vis le visage de mon Aligatueur s’illuminer, et un sourire énorme se dessiner sur sa gueule. Il acquiesça, tout heureux, avec sa grosse voix :

- Ali, Aliga-tueur !

Je le pris dans mes bras, ou alors ce fut lui qui me prit dans les siens, vu la différence de corpulence, mais en tout cas, je l’embrassai lui aussi, puisque des chemins étaient destinés à se séparer. Je me souvins de sa capture il y a des millions d’années, de ces espiègleries de Kaïminus, de la fois où il avait mordu Zekrom dans ce lac sauvage jusqu’à la Danse Draco pour le moins exotique qu’il nous avait exécuté à la Ligue Pokémon Mondiale ; et bien sûr, des matchs que j’avais pu mener avec lui, jusqu’à son évolution finale et salvatrice face à Teck. S’il pouvait sembler que j’avais vécu moins de choses avec lui qu’avec d’autres membres de mon équipe, il ne fallait pas oublier les liens que nous avions tous renforcés ces trois dernières années d’étude, entre les tournois organisés à l’École, les soirées, les balades, les après-midis passés au parc, les entraînements, les conseils de mon père qui admirait sa force… Ah ! Papa allait être bien triste, lui aussi… !

- Mais je suis heureux pour toi, vraiment, renchéris-je en desserrant notre étreinte. Et puis, l’on se verra bien un de ces quatre ! En attendant, je suis certain que tu feras un excellent Explorateur-Secouriste !

Aligatueur approuva toutes mes remarques, et finit par me faire, lui aussi, un clin d’œil. Je ris, et me tournait une dernière fois vers Fire :

- Tu prendras soin de lui ?

Et ce fut au Dracaufeu, qui tenait toujours la patte d’Aligatueur en lui souriant, de me sortir à nouveau son fameux clin d’œil. Une nouvelle acclamation de la part de mes Pokémon, qui se succédèrent pour le saluer, en particulier Lançargot, puis Genesect, avec qui il partageait ses origines préhistoriques. Tous ces Pokémon se saluèrent une dernière fois, sous mon regard de Dresseur satisfait d’une si bonne entente, entre toutes ces histoires, toutes ces personnalités, toutes ces couleurs. En prenant du recul sur cette vue d’ensemble, mon regard fut attiré par un blanc immaculé qui attendait toujours : Solgaleo, surmonté de Leah. La jeune Dresseuse, dont la patience et la compréhension étaient vraiment bienvenues, regardaient tous ces Pokémon différents se séparer avec agitation et émotion, comme le ferait n’importe quel groupe d’amis. Elle me regarda, et elle me sourit, approuvant plusieurs fois par un petit mouvement de tête, me faisant bien comprendre qu’elle avait compris ce que j’avais tenté de lui expliquer.

- Bonne chance ! lui lançai-je. S’il y a quelqu’un pour sauver la planète, cette fois, c’est bien toi !

Elle me fit un grand sourire, aussi rayonnante que sa monture, et avec une détermination sans faille malgré leurs blessures.

- Ouais ! s’exclama-t-elle joyeusement. Le destin peut me balancer n’importe quoi, je m’en branle ! « Bring it on, bitches ! »

- Haha, bien dit ! souris-je, à la fois gêné par son enthousiasme disproportionné, mais aussi mélancolique du temps où je l’avais, cet enthousiasme disproportionné.

Enfin, Leah, Solgaleo, Lilas, Bisou, Hugwald, et Fire et Aligatueur, qui se tenaient par la patte, se préparèrent à plonger, à bondir, ou à voler au-dessus du Lac Courage. Ils se retournèrent une dernière fois vers nous pour nous dire au revoir, et, depuis l’intérieur de la Caverne qui restait encore debout, Bastiodon, Lançargot, Drak, Genesect, Shaymin, et moi les saluâmes tous.

- Prenez soin de vous !

- SAUVEZ-NOUS CE PUTAIN DE MONDE, LES BG !

- Puissions-nous nous revoir très vite, amis !

Leah fut la porte-parole du groupe d’en face :

- Comptez sur nous ! À bientôt ! Et, merci encore, Chris !

Mes yeux s’embuèrent.

- Avec plaisir ! m’exclamai-je, heureux.

Les paumes, feuilles, griffes, et autres doigts de tout ce petit monde redescendirent, et nous vîmes cette équipe de héros partir vers l’ouest. J’inspirai profondément, puis expirai. Je levai le regard vers le ciel. Le temps avait beau rester gris et venteux, j’aurais juré voir les lueurs orange d’un coucher de soleil illuminer cette scène de séparation. Ce genre de scène que j’avais cru ne plus jamais revoir. Mais, non ! J’avais beau avoir vécu beaucoup de choses il y a trois ans, la vie continuait – le Destin, Dunmeist ou pas Dunmeist, attribuait les opportunités, et nous, nous décidions du rôle que nous voulions y jouer, grâce à la volonté que Créfadet nous avait insufflé. Et cette vie devait sûrement me réserver plein d’autres surprises.



Sur ces émotions, je rappelai tous mes Pokémon dans leurs Poké Balls, et je demandai à Genesect s’il pouvait me ramener sur la berge qu’on avait laissé. Il acquiesça volontiers, il se plia sous sa forme Vol à Grande Vitesse, et je pus grimper sur son capot et m’accrocher solidement. Paléozoïque s’envola, et me fit traverser le lac en moins de temps que je n’aurais cru. J’étais perdu dans quelques pensées, après cette petite aventure, et, au fond de moi, j’espérais que Lugia était toujours là-bas.





Il ne me répondait plus ?
Bon. La berge était à encore quelques secondes de vol.



Genesect me fit atterrir ; une fois les pieds posés sur la terre ferme, je le remerciai pour son beau boulot d’aujourd’hui, et il me remercia pour son Dressage, comme il faisait à chaque fois que je le complimentais. Je sortis ma Compèt Ball, et je le rappelai avant le glisser dans ma poche. Je me retrouvai seul, dehors, au milieu de la nature nordique de Sinnoh, sous ce ciel qui se chargeait de plus en plus de nuages. Je crois que je commençais à sentir quelques petites gouttes tomber, mais peu m’importait. La pluie ne m’avait jamais dérangé, et puis, j’avais un Pokémon Légendaire à voir, pour le moment. Je foulais les hautes herbes aplaties ; je traversai un bout de bosquet, et je me retrouvai ans la « clairière » créée par l’impact de l’Oiseau.

- Lugia ? Tu es toujours là ? demandai-je.

Je m’arrêtai, et attendis. Aucune réponse. Je regardai plus attentivement : je pouvais voir qu’un grand poids invisible écrasait la verdure, dans le même coin où j’avais vu Lugia pour la dernière fois. Découvert, il apparut immédiatement.

- « Découvert » ? Je ne me cachai pas, me sourit-il comme si de rien n’était. L’atterrissage mouvementé qu’on a eu avec tes amis, ça m’a un peu secoué. Et puis, se prendre des arbres dans le bide, ce n’est pas le mieux.

- En effet, répondis-je simplement.

J’étais soulagé qu’il fût toujours là, mais ce soulagement se transforma vite en boule d’anxiété, au fond de la gorge. Je décidai d’aborder un sujet pratique, pour commencer.

- T’as pas pu voir Wilbur arriver, d’ici ?

- Hé bien, non. Un aéronef comme celui que vous avez explosé, ça ne se manque pas, mais un petit humain, surtout s’il a l’idée d’arriver par l’autre côté du lac… Je n’ai pas une vue si perçante, expliqua-t-il.

- Ah. Ok.

Un blanc.

- Ça s’est bien passé avec Leah ? demanda-t-il.

- Oh, hm, oui, répondis-je. Ça a été. Voir d’autres jeunes sauver le monde, ou vivre ce que j’ai pu vivre… Ça m’a rassuré, quelque part. Après avoir été habitué à ce que le monde repose sur tes épaules, tu es soulagé de voir que d’autres personnes peuvent aussi se choisir comme héros.

- Tu la penses capable de réussir ?

- Je ne me fais pas de souci pour elle, vraiment, certifiai-je en haussant les épaules. Et puis, elle est embarquée dans une histoire de dimension parallèles – s’il y a le moindre souci dans l’espace-temps, on ne s’en rendra même pas compte.

Lugia m’approuva, et soupira gentiment. Il leva son grand bec blanc au ciel, les contours améthyste de ses plumes d’yeux se plissant sous la rêverie.

- Tant de dimensions parallèles, de lignes temporelles, et autres univers alternatifs… On s’y perdrait presque, parfois.

- C’est sûr. Il nous reste tant de choses à découvrir sur notre propre monde… Je m’en demanderais presque s’il est bien raisonnable de vouloir dédier ma vie à l’étudier, haha.

- Et, à côté de ces grands événements, nos problèmes terre-à-terre nous paraissent bien triviaux.

…À quoi faisait-il allusion ? Attends, ne me dis pas qu’il pensait à…

- Bon ! sourit-il soudainement. Sur ce, je ne v-

Je l’avoue, il m’énerva rapidement, et l’anxiété qui avait commencé à se former dans ma gorge se mua en vive colère.

- Quoi ?! l’interrompis-je. Attends un peu ; à quel « problème terre-à-terre » tu faisais allusion ?

- Hein ? s’étonna-t-il. Mais, je, hum… Je ne sais pas, à plein de choses…

- Et tu comptes repartir, là, comme ça, en me lançant un « Bon, sur ce » ?! Après m’avoir laissé sans nouvelles pendant trois ans ?! Oh, pardon, c’est vrai, tu étais « occupé »… ! Pendant trois ans ?!

Le Pokémon Légendaire, qui n’était pas amnésique, ne me répondit pas. Je poursuivis, effaré :

- J’ai même revu ARCEUS pour le dernier solstice d’hiver ! Toi, que dalle ! Pas un mot, pas une Lettre Miracle, pas un message télépathique, pas une Argent’Aile – rien !

Lugia restait là, à éviter mon regard. Son mutisme m’énervait davantage encore, et je partis dans une logorrhée perturbée, emporté par des sentiments contradictoires.

- Je pensais… Je ne sais pas, déplorai-je. Je pensais que tu serais resté, le jour où nous nous sommes tous réveillé chez moi, après la mission finale. Après ce que tout le monde a vécu, après ce que j’avais dû faire, j’avais pensé « de toute façon, je reverrai Lugia à un moment, on pourra en reparler à tête reposée, je vais pas aller poser des questions alors qu’on est tous en vie, bien portant »… C’était déjà trop beau pour être vrai. Je me disais « il comprendra que c’est important pour moi, il sait que je me pose tout le temps des milliards de questions, oui, il le sait, après tout ce temps qu’il a passé dans ma tête… Il sait que je suis du genre têtu, à ne pas vouloir lâcher l’affaire… Il comprendra qu’il faudra, à un moment ou à un autre, qu’on en parle… »

- Qu’on « en » parle ? répondit-il brusquement, avec un ton extrêmement sérieux. Parler de quoi ?

Son ton me sidéra quelques secondes. Je le voyais me regarder maintenant droit dans les yeux.

- Tu… Tu sais très bien… bégayai-je.

- Hm ? Non. J’ai plutôt la mémoire courte.

Il me cherchait. Il voulait que ce soit moi qui pose la question. Il se défilait.

- Me défiler ?! Ah, ça, c’est la meill-

Je le coupai.

- Qui es-tu pour moi ?

- Qui je suis ? répondit-il du tac au tac. Un ami, qui a fait ce qu’il a pu pour vous aider à sauver le monde.

- Tu vois très bien ce que je veux dire. Je ne parle pas de ça.

- Ah oui ? De quoi me parles-tu, alors ?

- ARRÊTE ! criai-je. Tu sais très bien ce que nous a dit Teck, dans son foutu laboratoire de merde !

Le grand Oiseau le prit à la rigolade, et me prit de haut.

- Haha, allons, Chris ! Depuis quand crois-tu ce que dit un Scientifique aussi timbré que lui ?

Je serrai les dents.

- Ce Scientifique, c’était mon fils !

- Ah, vraiment ? rétorqua-t-il en prenant tout comme une blague. Qui t’a dit ça, Dunmeist ? Tu crois ce charlatan ? Je ne te pensais pas si crédule !

- ARRÊTE DE TE MOQUER DE MOI ! hurlai-je, furieux. Bien sûr que je ne suis pas si naïf ! Mais dès le moment où je t’ai vu, où je t'ai entendu confirmer les paroles de Teck… !

Lugia figea son faux sourire.

- Moi ? Confirmer ? Je n’ai rien confirmé du tout !

- Pas la peine de mentir ! protestai-je. Je t’ai entendu, menacer Teck, dans le laboratoire de la Machine d’Obscurcissement ; tu le tenais sous une patte, tu le menaçais de le tuer, juste avant que Zekrom ne… ne…

Je marquai un temps.
Pendant deux secondes, il n’y eut que le bruit du vents ans les arbres, et des gouttes sur les feuilles.

- Tu m’as appelé ton « fils », affirmai-je.

Lugia mit autant de secondes à me répondre. Je pouvais presque voir les gouttes ruisseler sur son pelage isolant, et l’eau couler le long de sa gueule.

- J’ai dit ça, moi ?

- Oui. Tu as dit ça. Je t’entends encore, dans ma tête.

- Et donc ? lança le Pokémon Légendaire froidement. Que veux-tu savoir ?

- Es-tu mon père ? …Suis-je… vraiment… ton fils ?












Sa réponse ne se fit pas attendre si longtemps.

- Non. Ton père, c’est Lovis. Tu le sais très bien.










- Après, poursuivit-il sans me laisser le temps de penser quoi que ce soit, si c’est le biologique qui t’intéresse, et si tu accordes une si grande importance à des morceaux d’ADN, alors, oui. Tu es mon fils.

J’avais préparé ma réponse depuis trois ans. Il n’y avait pas lieu de faire semblant d’être étonné.

- Mais… Comment… ?

- Comment ? répéta-t-il, la mine grave. Tu sais très bien, comment. Le Virus Obscur. Son altération du génome, sa corruption des consciences, les modifications biochimiques qui facilitent la reproduction, jusqu’à même animer le suc reproductif. Et, comme tu le sais, dans notre univers, la femelle fécondée donne toujours naissance à un enfant de son espèce. Ta mère a donné naissance à un humain. Ton père, c’est celui qui t’a élevé, durant tous ces années. C’est tout. Fin de l’histoire. En pratique, je ne t’ai pas bercé, je ne t’ai pas nourri, je ne t’ai pas élevé. Tu ne m’as jamais rencontré avant que Cipher ne revienne nous pourrir la vie. Pour toi, je ne suis qu’un ami que tu as rencontré lors de cette mission. Et je dois n’être rien de plus.

- Mais… Maman… bégayai-je, l’esprit perturbé. Comment… Je ne vois pas comment…

- Si, tu sais déjà tout, rétorqua rapidement le grand Oiseau. Quand ta conscience fut transférée dans ce corps d’Arkéapti, le Virus Obscur qui sommeillait en toi et qui ne pouvait se manifester sous ta forme humaine s’est réveillé, peu à peu. Tu t’es mis à faire des cauchemars. Le Virus Obscur permet parfois de communiquer les souvenirs de ses ancêtres – un autre avantage pour Cipher, ça leur permettait d’avoir des Pokémon Obscurs ayant l’expérience de leurs aînés. Enfin bref – tu en as fait des cauchemars, du jour où mon chemin de Pokémon Obscur a croisé celui de ta mère. C’était dans une rue, perdue, insignifiante, à côté d’une discothèque, dans une ville en bord de mer, à Rhodes. Ta mère avait fait la fête, elle était sortie un moment, moi, j’étais là, je m’étais enfui un temps des griffes de la Team Ombre, avec tout mon esprit perdu, torturé, abruti par ce Virus, et… tu… tu sais très bien ce qu’il s’est passé, répéta-t-il. Tu l’as vécu. Dans ces cauchemars.

Maintenant qu’il les évoquait, ces images floues, emplies de sentiments bestiaux, me revenaient peu à peu en mémoire, émergeant droit de mon inconscient. Dans le même temps, mon conscient assemblait plus explicitement certains morceaux du puzzle qu’avaient été mes péripéties.

- …C’est pour ça que je maîtrisais Aéroblast ?

- Sous ta forme Pokémon, oui, affirma Lugia. Le père peut passer une capacité à son enfant, via reproduction, comme tu le sais.

- Et, sous forme humaine ? demandai-je avec empressement. J’ai, genre – des pouvoirs ? Quelque chose ?

Lugia gardait toujours son sérieux de Légendaire.

- Je n’en sais rien. T’est-il arrivé quelque chose sous forme humaine ?

- Heu… Non… P-Pas que je sache…

- Alors, sûrement que tu n’as aucun pouvoir en particulier. Je n’en sais rien. Arceus n’a pas voulu me dire si une telle situation avait déjà eu cours dans l’histoire de notre monde.

…O-ok…







C’était…

C’était tout… ?

- C’est tout, oui, confirma la Voix de la Raison. Il n’y a rien d’autre à dire.








Le vent se mit à souffler, de plus en plus fort. Les gouttes, qui étaient restées petites jusqu’ici, commencèrent à grossir. Elle tombaient lourdement, venant me tacher d’eau froide, et l’humidité eut bientôt fait de faire ressortir toutes les odeurs d’herbe, d’écorce, de terre, et d’eau.

- Je vais me rentrer, finit par dire Lugia.

Je levai encore une fois le regard vers le Gardien des Abysses.

- Pourquoi tu n’as pas voulu m’expliquer tout ça plus tôt ?

À ce moment, Lugia perdit un peu de son calme, et laissa poindre une once d’émotion. Son front se plissa un peu, et sa voix s’adoucit.

- …J’avais peur, je suppose. Ça… Ça n’a pas été facile, pour moi, pour les Légendaires, ou pour tes parents, tu sais. Je ne sais pas s’ils savent la vérité, mais je pense qu’après ce que nous avons vécu face à Teck et aux révélations qu’il a fait, ils doivent avoir la confirmation de leurs craintes. Mais peu importe. Aujourd’hui, tu m’as prouvé une fois de plus que je n’avais pas à m’inquiéter. Regarde-toi : tu as pu te débrouiller sans moi pendant ces trois dernières années. Tu t’es relancé sur la voie qui convient à un jeune de ton espèce – des études qui te réussissent, un rêve qui est en passe de se réaliser, des Pokémon qui t’entourent et te soutiennent. Il fallait que je reste loin, pour que tu ne puisses pas me considérer comme autre chose qu’une connaissance. Aussi loin de toi que je l’avais été avant que tu ne plonges dans mon océan – avant même que je ne te contacte par télépathie.

Les gouttes perlaient sur mon visage, et cette eau froide se faisait souffler par des coups de vent qui commençait à gonfler.

- Mais… Je voulais juste te revoir, Lugia. Peu m’importait ce que tu pouvais me dire. Peu m’importait que tu fusses mon père, ou mon oncle, ou juste un pote, ou quoi que ce soit…

Me voyant si désolé, et me sentant bien sincèrement peiné, je sentis, au fond de moi, une pulsion d’empathie, qui me fit ressentir, sur le visage triste qu’adoptait le Pokémon Légendaire, qu’il regrettait en fait effroyablement. Les mots qu’il prononça essayèrent de ne pas paraître si attristés.

- Je… Je ne pensai pas que tu me considérais comme un ami si proche. Je suis désolé.

Ressentant ce déluge d’émotions négatives, j’inspirai un grand coup, puis je forçai un sourire afin que nous positivions tous les deux.

- C’est du passé, tout ça. Maintenant, si tu le veux bien… J’aimerais qu’on se voie plus souvent. Comme avec Zekrom, Latias, et les autres ! Comme… Comme des amis. Tu l’as dit – je t’ai rencontré durant une aventure, et nous avons vécu des choses formidables. Mais je considère toujours Lovis comme mon père. Je suis d’accord avec ça.

Je ris doucement.

- Et puis, je me vois mal changer tous mes papiers d’identité pour écrire le nom d’un Pokémon à la place de Lovis !

Lugia rit doucement aussi. Il retrouva un sourire que je pensais ne plus jamais ne revoir.

- Haha, pas faux. Si tu le prends aussi bien que ça… C’est d’accord, alors. On se reverra lors de ces réunions… entre amis.

- Merci beaucoup, souris-je.

- Merci à toi, sourit en retour le grand Oiseau blanc.

La pluie s’intensifiait, et le vent gonflait. Lugia tourna sa grande gueule une dernière fois vers moi.

- Tu veux que je te ramène ?

Je souris à nouveau.

- Non, merci, c’est gentil.

Je montrai a Pokémontre.

- Je vais envoyer un message à mon père, pour qu’il puisse venir me chercher.

- Ah ! Je ne savais pas que vous pouvez faire de la télépathie avec vos engins ! rit-il.

- Ouais, c’est sûr, c’est moins pratique, mais on se débrouille !

- Pas de souci. Bonnes vacances, alors ! Et… prends soin de toi.

Je lui souhaitai la même chose :

- Prends soin de toi aussi. On se tient au courant par Gardevoir, pour notre prochaine soirée ?

- Yep ! On fait comme ça !

Sur ces mots, le Pokémon Plongeon étendit ses grandes ailes, prit son élan, et battit l’air avec une force phénoménale, faisant s’envoler feuilles, brindilles, et gouttes de pluie. En deux battements d’aile à peine, il était dans les airs, et se propulsa agilement vers les cieux, porté par un vent miraculeux qu’il détourna à son avantage. Au bout de quelques secondes, il redevint parfaitement invisible, et j’eus beau le chercher du regard, je ne vis, n’entendis, et ne ressentis rien d’autre que des vents majestueux souffler des nuages et préparer la tempête de ce soir, qui durerait sûrement longtemps. Soudain, une pensée me traversa l’esprit avec la même intensité qu’une réplique prononcée à voix haute, avec la même voix profonde et noble qui m’avait guidée, il y a longtemps.

- A bientôt, Chris !

Je souris, le regard toujours perdu vers dans ce climat océanique.

J’inspirai profondément.

Et j’expirai.

- A bientôt, Lugia.

Puis je fis demi-tour. J’allais m’abriter sous les feuillages, et je me dirigeai vers la Route 214, prêt à rentrer chez moi, prêt à poursuivre ma vie.














Fin