Chapitre 13
Hénéas fut introduit dans la salle qu'occupait le roi David. Il foula le sol poussiéreux, entreprit d'examiner furtivement les éléments qui composait cette immense pièce. Les murs étaient en pierres noires, comme du charbon. Il y avait une table de jeu disposée dans un coin. Droit devant lui était assis le fameux roi de Rolcheu.
Habillé de sa couronne rougeoyante, l'homme âgé de cinquante ans le salua humblement. Il portait un costume qui faisait davantage pensé à un montagnard sur le départ pour une expédition. Ses bottes tapotaient bruyamment sur le sol terreux.
Le trône était sombre mais lumineux à la fois. Il semblait vivre, animé d'une volonté propre. De la lave coulait sans que cela inquiète le roi, habitué depuis longtemps aux brûlures. Il avait d'ailleurs sur le cou une cicatrice remontant à un combat contre un Maganon qui lui avait craché un jet de flammes.
Le trône avait les mêmes battements que celui d'un cœur humain. Une lumière rouge se diffusait derrière le roi et donnait l'impression qu'un feu s'était propagé derrière lui. Cela intimida beaucoup l'invité.
« Je suis Hénéas, habitant du pays de Voudre. Je suis venu vous demander de l'aide.
- Encore ?
- L'ancienne reine Léok est venu vous voir pour vous mettre en garde contre Flump. Mais vous ne l'avez pas écouté... »
Il baissa la tête, comme si on venait de lui porter un coup dans le ventre. Il grimaça.
« Je me disais bien l'avoir reconnu, cette dame. Si tu es venu me dire la même chose qu'elle, je te répondrais de même. Je ne suis pas disposé à faire la guerre à ton roi.
- Ce n'est pas mon roi. C'est le roi de la Foudre, pas celui du Vent ! Le roi du peuple du Vent c'est moi ! »
La revendication fut si spontanée qu'il baissa de nouveau les yeux puis les releva, les joues rouges. David haussa les sourcils, étonné. Il les fronça ensuite, attendant des explications plus poussées.
« J'ai une faculty. Je suis destiné à gouverner. Pour cela j'ai besoin de votre appui, Votre Majesté. Seul je n'y arriverais pas.
- Qui t'a donné cette faculty ? »
Devait-il mentir et révéler qu'il l'avait apprise seul aux côtés de son Canarticho ou bien affirmer la légitimité lié à un Légendaire ? Il hésita puis renonça à mentir, voyant que l'homme assis devant lui avait l'allure d'un honnête homme. Il ne le jugerait sans doute pas.
« Donc tu n'es pas destiné à régner naturellement. Quel est ton plan, exactement ?
- Mener une révolution ! »
Il croyait entendre son jeune fils Victor. Hénéas avait la même fougue insouciante en lui. La même volonté indéfectible de mener à bien ce qu'il voulait entreprendre.
Le roi fit mine d'être désolé et répondit la même chose que ce qu'il avait déjà dit à Léok : les frontières seront ouvertes pour les réfugiés. Mais ce serait tout.
« Je n'arriverais pas à vous faire changer d'avis ? Eh bien tant pis ! J'arriverais à faire tomber Flump seul ! Vous verrez que ce jour-là, vous regretterez de ne pas m'avoir tendu la main !
- Serait-ce une menace ? »
Le visage de David s'assombrit. Il fixait Hénéas d'une telle façon qu'une flamme semblait remuer dans ses pupilles. Le jeune homme se mordit l'intérieur de la joue et regretta sa bravade. Il fallait s'en faire un allié jusqu'au bout !
« Je peux vous demander un service ?
- Ah ! Tu ne manque pas de toupet ! Tu me menaces et l'instant d'après tu veux me demander quelque chose ! »
Le rire du roi était forcé. David n'avait pas tort : le comportement d'Hénéas n'était pas correct. Cependant, ce dernier soutint le regard curieux de celui qui lui faisait face. Il avait déjà perdu l'appui qu'il était venu chercher ici, il n'avait plus rien à perdre.
David l'invita à soumettre sa demande par un geste de la main.
« J'aimerais être protégé. Je suis... comment dire... dans une situation délicate... On me recherche...
- Pour tes idées révolutionnaires ?
- Pas seulement... »
Cela lui coûtait de faire allusion à Yell et à sa complicité quant à sa fuite. Son cœur battit plus vite en imaginant le visage de la jeune femme au milieu de la pièce. Il la vit grimacer, comme si elle souffrait de là où elle se trouvait. Comme il aurait aimé lui venir en aide ! Devenir le prochain roi lui permettrait de la soulager de cette traque. Peut-être même qu'il ferait de Yell sa femme, la reine de Voudre !
Il rougit si violemment qu'il soupçonna que la température de son front devait avoisiner celle du trône sur lequel était assis le roi David.
« Tu veux ma protection ?
- Eh bien... oui... Le temps que je mette en place une tactique d'attaque. »
Le roi se leva, le front barré par une contrariété. La taille de cet homme fit déglutir Hénéas. Il en imposait tellement plus que Flump ! Pourquoi n'était-ce pas lui leur roi ? Il se mit à maudire la nature mal faite.
« Si ta révolution venait à échouer et que Flump apprenait que j'ai aidé un rebelle, je risque d'en prendre pour mon grade.
- Vous n'avez rien à craindre. Vous avez Groudon pour vous protéger. Et puis Reshiram et Victini.
- Pour les types électriques certes mais Lugia et Boréas seront à armes égales avec moi. »
Il s'avança et tendit la main à Hénéas.
« Tu n'as pas le choix. Tu dois réussir cette rébellion. »
*****
Maintenant il devait porter sur ses épaules non seulement le peuple du Vent mais aussi des responsabilités lié au royaume de Rolcheu. Le roi David avait misé sur sa réussite, il ne pouvait pas le décevoir. Il inspirait un tel respect qu'il en oubliait presque que c'était initialement pour sauver les pigeons du Vent qu'il devait renverser Flump et non pour faire plaisir à ce roi-ci.
Fort de son hospitalité, David l'accueillit au palais même. Là, il serait en sûreté. Les murs de la résidence royale étaient activement protégés. On l'installa dans une chambre qu'on réservait aux invités venus rendre visite au souverain. Elle jouxtait celle des deux princes.
Dès qu'il eut accès à sa chambre et aux règles qui régissaient les lieux, Hénéas s'enferma pour méditer.
Il n'eut pas le temps d'ouvrir la fenêtre pour admirer le paysage qu'on vint déjà le déranger.
« Qui est-ce ?
- Le prince Victor. J'aimerais vous parler. »
Hénéas lui ouvrit. Dès que la porte fut déverrouillée, Messy se jeta sur le lit. L'Hélionceau se roula dans les draps fraîchement repassés. Son dresseur, un jeune homme du même âge qu'Hénéas, lui ordonna de descendre immédiatement. Que ce n'était pas un terrain de jeu. Puis il s'inclina, présentant ses excuses tandis que Messy vint aux pieds de son maître, remuant la queue.
Ce Pokémon plein de vie exaspérait Victor mais pour rien au monde il n'aurait pu vivre séparé de lui. C'était une boule de poil énergique, un compagnon toujours prêt à s'aventurer dans des lieux improbables. Un soleil dans la vie du prince, après Aube.
Hénéas n'avait pas eu l'air plus tracassé de voir ce petit Pokémon fougueux froisser ses draps. Il avait cet air patraque, presque maladif et angoissé qu'ont les gens se préparant à un événement dont il redoutait l'issue.
En effet, Hénéas était pâle, les yeux tournés vers le vide qui s'ouvrait devant lui. Il ne remarqua pas les appels timides que lui lançait son interlocuteur. Victor finit par lui secouer l'épaule, le libérant ainsi de sa torpeur.
« Oui ? Qu'est-ce que vous me voulez ? Qui êtes-vous ? »
Le prince cadet jeta d'abord un regard incrédule à son compagnon de jeu puis le saisit dans ses bras. Messy vint lécher le menton de son dresseur.
« Je suis le prince Victor. Enchanté, dit ce dernier en tendant sa main. »
Hélionceau fit de même en donnant sa patte à Hénéas. Le révolutionnaire fronça les sourcils dans un effort de concentration pour reprendre ses esprits. Il saisit la main tendue énergiquement.
« Je suis Hénéas, du pays de Voudre. Ou bien devrais-je dire du pays du Vent...
- J'ai assisté à ton entrevu avec mon père. J'étais caché derrière une tapisserie. Je suis d'accord avec ce que tu lui as dit et tu as tout mon soutien. »
Cela n'étonna aucunement Hénéas. Son état passif inquiéta Victor. Il pensait retrouver dans cette chambre le même esprit révolutionnaire qui avait parlé tout à l'heure.
« Ton père a l'air d'être quelqu'un de bien.
- Il l'est ! Il ne peut rien me refuser, je suis son chouchou. »
Cela fit réagir Hénéas au quart de tour. Il se mit à crier si fort que les oreilles de Messy se recroquevillèrent.
« Alors demande-lui d'intervenir dans mon pays !
- J'aimerais beaucoup t'aider mais je ne crois pas qu'il m'écoutera cette fois. Il y a trop de choses mises en jeu.
- Des milliers de destins tu veux dire. Je te propose un compromis : affrontons-nous faculty contre faculty. Si je gagne, demande à ton père de m'aider. Si j'arrive à te battre il comprendra que je suis digne de monter sur le trône, ayant vaincu un prince. Si je perds... Je me débrouillerais seul. »
Il attendit une réponse. Il était prêt à répéter sa demande pour s'assurer que Victor avait bien compris mais ce ne fut pas nécessaire.
« C'est que... Je...
- Tu as peur de perdre ?
- Non, non. C'est pas ça... Je n'ai... »
Il perdit toutes ses forces et dût s'asseoir tant il était accablé par la dure vérité de son rang. Il serra les dents avant d'apprendre à Hénéas qu'il n'avait pas de faculty.
« Quoi ? Tu n'en as pas ? C'est pas possible ! Un prince qui n'a pas de faculty, ce n'est pas un prince ! »
Poignarder Victor ne lui aurait pas fait plus de mal. Voyant qu'il venait de déraper, Hénéas adoucit sa voix et le consola.
« C'est pas si grave. Vaut mieux ne pas en avoir que s'en servir pour faire le mal.
- Mon frère a été choisi par Reshiram. Mon père est sous l'aile de Groudon.
- Et Victini dans tout ça ?
- Je n'en sais rien. »
Messy tenta de lui remonter le moral en sautant sur le lit mais cela fut sans effet.
« Je ne suis peut-être pas fait pour gouverner. Andrew est l'aîné et a été choisi par un Légendaire. J'aimerais tellement avoir une faculty... Au lieu de ça je n'ai que Messy. Après tout, rien ne peut prouver que je suis vraiment de sang royal. »
Hénéas sentit que commençait à naître pour ce jeune prince désœuvré un brin de sympathie. Il s'assit à côté de lui, fit son plus beau sourire -qu'est-ce que cela lui coûtait dans la situation actuelle !
« Ce n'est pas grave. Je suis persuadé que tu es un bon dresseur. Faisons un combat Pokémon dans ce cas.
- Si seulement tu avais raison... Messy est encore jeune. Il n'a pas beaucoup d'expérience. »
Ça tombe bien, je n'aurai aucun mal à gagner, songea Hénéas. Il regretta d'avoir eu cette pensée alors que Victor avait l'air d'avoir plongé la tête la première dans un complexe d'infériorité.
« N'oublies pas que tu veux me soutenir dans ma rébellion. Et quoi de mieux pour me soutenir que de faire ce combat et de me laisser gagner ?
- Te laisser gagner ? Peuh, tu peux toujours rêver. Je ferais tout pour prouver la valeur de mon rang, même sans faculty. »
Ils se fixèrent l'un l'autre. Hénéas crut voir dans le regard de son ami la même lueur enflammée qu'avait eu son père le roi tout à l'heure.