Team Rocket X-Squad de Malak

Le Sommet Mondial d’Almia était en train de se conclure par la réception organisée sur le toit recouvert du bâtiment qui avait abrité la session. Lady Venamia évoluait parmi les Chefs d’Etat, ambassadeurs et représentants de toutes sortes en serrant des mains, en écoutant des assurances de soutien avec le sourire et en enchaînant les verres de champagnes hors de prix que les serveurs mobiles portaient. On aurait pu trouver indigne qu’un dirigeant d’une nation frappée par le terrorisme le jour-même puisse festoyer. Mais Venamia n’était pas spécialement bouleversée par ce qui s’était passé à Doublonville. Au contraire même, ça arrangeait ses affaires.

Évidement, elle n’avait pas apprécié que des terroristes puissent s’en prendre à l’une de ses villes les plus importantes. Question image, ça ne le faisait pas, et Venamia comptait bien le leur faire payer. Mais d’un autre côté, cet attentat tombait à pic. Il avait eu lieu en plein pendant le discours de Venamia au sommet, et elle en avait été directement informée. Ce fut une belle occasion pour elle de se placer en victime devant les ambassadeurs des autres pays, et d’appeler au rassemblement contre ce genre de personnes.

Elle avait agité le spectre des Réprouvés, des Pokemon Méchas, d’Apocalypto ou d’autres organisations plus ou moins imaginaires comme Underground pour justifier la dérive autoritaire du Grand Empire, et la nécessité de vite stopper cette guerre contre la Confédération. En grand absent qu’il était, Igeus passait donc pour un allié de circonstance de ces terroristes, préférant poursuivre la guerre mondiale plutôt que de lutter pour la sécurité des peuples.

Si Venamia avait eu le fameux Maître des Cauchemars en face d’elle, elle l’aurait sincèrement remerciée… avant de le tuer bien sûr, et cette fois pour de bon. Car si ce dernier et ses Réprouvés n’étaient pas encore connus du grand public jusqu’à cet attentat spectaculaire et cette déclaration grandiloquente, Venamia savait très bien qui était le responsable. Le colonel Tuno… non, Aedan Vrakdale s’était réuni une jolie petite bande de malades en prenant d’assaut la prison du Pic Démoniaque, et il appelait tous les possesseurs de dons du monde entier à le rejoindre pour créer un nouveau monde… après avoir détruit l’actuel.

Doublonville avait été un coup retentissant qui leur a permit de se faire connaître du peuple, mais les Réprouvés avaient commencé leurs actes de terreurs dans le plus grand secret depuis des mois maintenant. Ils allaient commencer à devenir embêtants, surtout si des gars surnaturels des quatre coins du monde se joignaient à eux, comme Althéï, ou encore ces erreurs génétiques de Sygmus, ces pseudos G-Man artificiels, dont Tuno lui-même était l’aboutissement. Venamia n’avait que trop compté sur Silas pour leur donner la chasse, mais il pouvait tout aussi bien les couvrir en secret. C’était après tout à cause de lui que ces Réprouvés s’étaient crées. Venamia allait devoir s’en occuper elle-même…

Mais pour l’instant, elle s’adonnait aux joies de la politique et de la diplomatie. Les caméras avaient fichu le camps, mais elle devait quand même continuer à donner l’image de la Chef d’Etat attentionnée et attentive. Le Sommet en lui-même s’était plutôt bien passé pour elle, mais le plus important, c’était maintenant : parler avec les ambassadeurs un à un pour mieux les cerner et si jamais s’en faire des alliés. Elle s’efforçait de s’y atteler avec sérieux, mais elle serrait tellement de mains et entendaient tellement de noms différents que son cerveau commençait à saturer. Et de nouveaux invités continuaient d’arriver, annoncés à chaque fois à haute voix par le vigile à l’entrée. C’est alors qu’elle vit un visage connu.

- Agent Weiss ? S’étonna Venamia. J’ignorai que vous étiez ici…

Lucian Weiss, un bellâtre aux cheveux blancs et aux yeux dorés, était l’ancien Agent 007 de la Team Rocket, et l’un des rares qui soient restés au service de Venamia. Il était accompagné de deux femmes que Venamia se rappelait avoir vaguement vu lors du sommet, sans qu’elles ne prennent la parole.

- Ce n’est hélas pas pour profiter des boissons, Dirigeante Suprême, dit Lucian en s’inclinant avec grâce. Je suis ici comme intermédiaire, pour mes deux charmantes amies ici présentes. Voici la capitaine Kelifa Akenvas, anciennement commandante de la section de la Team Rocket dans la région de Naya.

Akenvas était une jeune femme aux longs cheveux violets coiffés en queue de cheval. Elle portait un uniforme vert bizarre, clairement pas d’origine Rocket malgré le R rouge frappé dessus. Elle se mit au garde à vous devant Venamia.

- Dirigeante Suprême, c’est un honneur de vous rencontrer.

Venamia lui rendit son salut.

- Merci pour votre travail à Naya, lui dit-elle. J’ai cru comprendre qu’il s’était passé pas mal de chose là-bas.

- Effectivement, madame. J’étais jusqu’à peu la subordonné de l’Agent 007 ici présent, mais j’ai aidé à faire tomber le gouvernement en place. Bien que je porte toujours le R rouge, je crains de ne plus trop officiellement faire partie de la Team Rocket…

- Ce n’est pas grave, capitaine. La Team Rocket n’existe officiellement plus, de toute façon. Il n’y a que le Grand Empire de Johkan.

- Oui madame. L’Agent 00... euh… je veux dire monsieur Weiss a œuvré pour organiser une rencontre entre vous et la représentante du nouveau gouvernement de Naya, en remerciement de l’aide que la Team Rocket a pu apporter contre le Triumvirat. Je suis donc venue avec Lady Adélie Dialine que voici, envoyée du président Balterik, et dirigeante des Gardiens de l’Harmonie, dont je fais partie.

Venamia tourna la tête vers l’autre jeune femme que Kelifa lui présentait. Un nom qui ne lui était pas inconnu, tout comme son organisation. Adélie Dialine avait d’abord été une jeune inventrice de génie, puis elle avait pris les rennes d’une rébellion à Naya contre son propre frère, le Premier Triumvir Nathan Dialine. Adélie avait refondé une sorte de caste du passé au service d’un Pokemon Légendaire, afin de combattre l’allié secret de son frère, un type nommé Odion, un meurtrier de masse. Par le biais de 007, la Team Rocket avait aidé ces fameux Gardiens de l’Harmonie à défaire le Triumvirat. Par intérêt seulement, bien sûr. Le Triumvirat n’avait jamais aimé la Team Rocket, donc l’organisation avait parié sur les ennemis de ce dernier.

Adélie Dialine était encore très jeune. Sans doute même pas encore dix-huit ans. Mais elle dégageait, dans sa tenue verte de guerrière de la justice, une forte impression. Elle avait des cheveux roses dont on voyait très bien qu’ils n’avaient pas l’habitude d’être bien coiffés comme ce soir, et des yeux jaunes chaleureux et vifs. Elle s’inclina respectueusement devant Venamia, et Horrorscor s’agita étrangement en cette dernière.

- Elle pue le Don, marmonna-t-il. Vermine au service d’Archangeos…

Venamia n’était pas sans connaître les légendes de l’Elysium, et savait très bien qu’Horrorscor et Archangeos n’étaient pas vraiment des amis. Horrorscor était l’un des trois Pokemon de la Trinité des Ténèbres, crée par le dieu Mélénis Asmoth, tandis qu’Archangeos, tout comme Erubin, faisait partie de la Trinité de la Lumière d’Elohius, le père de Mercutio et Galatea. Selon les rumeurs, Nathan, le frère d’Adélie, aurait servi Diavil, l’un des deux frères d’Horrorscor, et grand ennemi d’Archangeos. Mais Venamia ne voulait pas d’un autre Pokemon des Ténèbres qui complote contre le monde. Horrorscor était déjà suffisant.

- Lady Venamia, commença Adélie Dialine, je vous salue au nom de Naya, de son président Balterik et des Gardiens de l’Harmonie que je représente. Je souhaitais vous rencontrer en personne pour vous remercier de l’aide que la Team Rocket nous a apporté, notamment par ses livraisons de matériel.

Venamia s’amusa mentalement du ton avec lequel la jeune femme avait dit cela, comme une machine qui réciterait un texte. Cette Dialine ne semblait pas bien rodée à l’exercice de la diplomatie. Sans doute préférait-elle un langage franc. C’était une révolutionnaire après tout.

- J’ai grande chance de pouvoir enfin vous rencontrer, répondit Venamia. Plein de folles rumeurs vous concernant sont arrivées à mes oreilles. On dit que vous pouvez invoquer un arc de lumière et tirer dix-mille flèches magiques d’un coup ?

- C’est un peu exagéré, madame, intervint Kelifa avec un grand sérieux. Son record n’est que de 6.327.

- J’ai aussi entendu des rumeurs toutes aussi folles à votre propos, Dirigeante Suprême, dit Adélie. On dit que vous pouvez voir l’avenir ?

Venamia balaya la remarque d’un geste qui se voulait modeste.

- Rien de tel. J’ai juste une capacité d’analyse supérieure à la moyenne, ce qui me permet d’être rarement prise au dépourvu.

À cet instant, le sourire d’Adélie Dialine n’avait plus rien d’artificiel. On aurait dit qu’elle voulait se moquer de Venamia, mais gentiment. Cette fille savait des choses, ça se voyait à son visage. Venamia décida de prendre l’initiative.

- Agent Weiss, capitaine Akenvas, je vous remercie de m’avoir amené une telle invitée de marque. J’aimerai lui parler en privé, si elle le veut bien.

- Mais naturellement, Dirigeante Suprême, répondit Dialine.

Après que Weiss et Akenvas se soient retirés plus loin, Venamia, toujours toute sourire, conduisit Adélie dans un coin du toit, là où il y avait peu d’oreilles indiscrètes.

- Nous pouvons parler en toute franchise ici, lui dit Venamia. Je vois bien que la langue de bois n’est pas votre fort…

- Je suis débutante dans l’art de la diplomatie, avoua Adélie. Je l’ai dit au président Balterik, qu’il trouverait bien mieux que moi pour le représenter ici. Mais en tant que meneuse des Gardiens de l’Harmonie nouvellement reconstituée, je me devais bien de vous rencontrer. Voyez, j’ai un boss Pokemon. Une espèce d’ange avec une émeraude enfoncé dans le torse. Il ne m’a pas dit que du bien d’un certain Maître de la Corruption, un Pokemon désincarné qui a la mauvaise habitude de se réfugier dans des corps humains pour commettre ses méfaits.

- Vraiment ? Fit innocemment Venamia.

- Vraiment oui. Et comme j’ai dit, j’ai entendu des histoires sur vous en venant ici. Certains de vos opposants affirment que vous seriez possédée par un Pokemon du nom d’Horrorscor, qui a des buts pas très nets. Il se trouve qu’Horrorscor a un frère, un certain Diavil, qui a causé pas mal d’emmerdes à ma région récemment, par le biais de mon crétin de frère. Il se peut donc que je ne devienne pas amie avec ceux qui auraient des liens avec le frère de Diavil.

- Vous accusez déjà les gens à demi-mots, de façon voilée, remarqua Venamia. C’est un bon début dans votre apprentissage de la politique.

- Alors voilà ma franchise habituelle : en tant que Gardienne de l’Harmonie, je possède le Don. C’est un pouvoir multifonction assez pratique, qui permet en outre d’influencer l’esprit des gens ou de les pousser à vous faire confiance. Et dès l’instant où je vous ai vu, j’ai su que ça ne fonctionnerait pas sur vous. Vous êtes protégée par une ombre qui sommeille à l’intérieur de vous. Je peux quasiment la voir. Kelifa aussi, car elle a tout autant le Don que moi.

- Voilà qui est réellement fascinant, sourit Venamia. Je doute toutefois que les gens du commun prennent vos accusations au sérieux si vous n’avez pas de preuves un tout petit peu plus tangible que votre Don mystique.

- Je ne cherche à convaincre personne. Votre guerre n’est pas la mienne, ni celle de Naya. Ceci dit, la Team Rocket nous a réellement aidé contre Nathan et Odion, et nous avons donc une dette envers vous. Je la paierai, d’une quelconque manière que ce soit, et je tiens toujours mes promesses. Mais sachez juste que si jamais vous ou votre ami corrupteur à l’intérieur de vous tentez de vous en prendre à Naya, il se pourrait que vous ayez à le regretter.

Venamia étudia longuement son interlocutrice, et elle décida qu’elle aimait bien cette fille. Franche, forte, et possédant un charisme certain. Comme elle était à la tête d’un groupe mystique avec des pouvoirs et qu’elle avait la confiance sinon l’amour de toute une région, elle pourrait se révéler une adversaire intéressante pour la suite.

- En clair, vous ne souhaitez pas me combattre ? Demanda Venamia.

- Je ne le souhaite pas, acquiesça Adélie.

- Hélas, une seule d’entre nous pourra conquérir le monde.

- Conquérir le monde ? Répéta Dialine. J’ai déjà assez de mal à diriger un seul groupe de cinq personnes sur une seule région ! Je n’ai aucune foutue envie de conquérir le monde.

- Mais moi si, rétorqua Venamia.

- Dans ce cas, nous nous combattrons un jour, effectivement, conclut Adélie en haussant les épaules.

- Un jour oui, mais pas ce soir, sourit Venamia en la ramenant vers la fête. Ce soir, mangeons, buvons et tissons des alliances ! Ce sommet à beau être officiellement pour la paix, il ne sert en fait qu’à préparer les guerres de demain.

Adélie haussa les sourcils, puis, avant de se séparer de Venamia, dit d’un ton badin :

- Surtout, ne le prenez pas mal hein, Dirigeante Suprême… mais moi j’trouve que vous êtes une vraie connasse.

Elle alla retrouver Kelifa Akenvas et se mirent à parler à voix basse. Venamia les suivit du regard un moment, avant de s’en désintéresser. Naya était insignifiante, tout comme l’étaient ces pseudos justiciers sauveurs de la veuve et de l’orphelin qu’étaient les Gardiens de l’Harmonie. 007 avait pris un peu trop de liberté en décidant de les aider contre l’ancien gouvernement de Naya. C’était un truc bien Rocket ça, de toujours aider les groupes rebelles contre les instances dirigeantes d’un pays. Mais c’était fini désormais. Venamia croyait en l’ordre et en l’autorité, et voulait les imposer partout.

Elle aurait été curieuse de rencontrer ces fameux Agents du Chaos dirigés par le frère d’Horrorscor, Diavil. Même si les Pokemon de la Trinité des Ténèbres n’étaient pas vraiment des camarades entre eux, ils servaient un même but : les ténèbres. C’était pour cela que le Dieu des Ténèbres Mélénis, Asmoth, les avait créés. La Fatalité mène à la Corruption, la Corruption mène au Chaos, et le Chaos mène aux Ténèbres. C’était un peu le crédo de ces trois Pokemon là. Inutile de préciser que Venamia trouvait cela totalement absurde. Son objectif n’était pas de faire régner les ténèbres, mais de régner elle-même. Venamia termina son verre de champagne et décida de monter sur scène pour prendre la parole, mais c’est alors que le vigile à l’entrée qui vérifiait l’identité des personnes s’écria :

- Les représentants de la Confédération Libre : le commandant suprême Erend Igeus, et Sa Majesté Eryl Sybel !

Venamia mis un moment à enregistrer cette information. Elle fut tellement prise au dépourvu qu’elle s’écria un « Quoi ?! » parfaitement audible. Et en effet, elle les vit tandis qu’ils s’avançaient : Igeus et Eryl, en tenue de soirée, l’air parfaitement détendus, escortés par Mercutio, Galatea, Solaris, Ithil et Imperatus. Venamia ne fut pas la seule à être sonnée. Tous les autres invités avaient cessé de parler, tous regardant les nouveaux arrivants, la bouche bée. La musique de fond avait également cessé. On n'entendait plus un seul bruit. Se souciant visiblement fort peu de l’ambiance soudaine pesante qu’il avait provoqué, Erend, en tenant la main de sa reine, s’inclina en un salut fantaisiste à l’assemblée.

- Messieurs dames, commença-t-il. Comme cette chère Lady Venamia ici présente a dû vous le répéter tout au long de ce sommet, j’ai de très mauvaises manières. Ce qui, en soi, ne serait qu’un infime péché, mais malheureusement, je suis aussi parfaitement indifférent à mon propre mépris des convenances. Je ne me suis pas déplacé pour le sommet en lui-même, mais je viens ici ce soir avec mes amis pour vous soulager de quelques verres et victuailles. C’est très mal élevé, je le concède. Je vous présenterai bien des excuses, mais nous ne faisons pas ce genre de choses, nous autres les barbares de la Confédération.


***


Quand Igeus avait décidé de se pointer à l’improviste au Sommet Mondial d’Almia, et en plus d’y amener Eryl, Mercutio avait trouvé ça parfaitement stupide et dangereux. Mais finalement, rien que pour voir la tronche que faisait Venamia à cet instant, ça valait le coup. Elle semblait comme frappé par la foudre. Elle n’avait bien sûr jamais imaginé qu’Erend oserait venir en un tel terrain ennemi. C’était d’ailleurs pour cela que l’escorte était de taille. Personne ne portait d’arme dans ce sommet, mais si quelqu’un comptait s’en prendre à Igeus ou Eryl, il allait devoir passer sur les corps de deux Mélénis, d’un G-Man anciennement Shadow Hunter, d’une mutante dragon et d’un Pokemon Plante et Fée surpuissant.

Si Venamia avait eu, pendant une milliseconde, l’idée de se jeter sur son ennemi juré, elle sembla donc y renoncer bien vite. Mercutio lui-même dut refréner cette pulsion. Venamia ne portait pas son armure habituelle, et donc n’avait pas d’Ysalry sur elle pour la protéger du Flux. Mercutio aurait pu lui rompre le cou sans qu’elle ne s’en rende compte. Mais valait mieux éviter un truc de ce genre, sauf à vouloir passer aux yeux du monde comme des salauds qui assassinaient des Chefs d’Etat lors de sommet pour la paix. Les gros malabars de Venamia, infiltrés ci et là sur le toit, commencèrent à se rapprocher, mais Venamia les arrêta d’un geste. Puis elle se força à sourire.

- Quelle agréable surprise ! Je suis heureuse que vous ayez fait le déplacement, commandant suprême Igeus, reine Eryl !

Mercutio jugea le ton insupportablement chaleureux de sa demi-sœur profondément mal placé. La dernière fois qu’Erend et Venamia s’étaient croisés, ils avaient joyeusement tenté de s’entre-tuer. Mais, aussi étonnant soit-il, ils avaient aussi combattu ensemble contre le Grand Forgeron Memnark. Erend avait aussi raconté au jumeau la proposition que Venamia lui avait faite sur Atlantis : celle de se rallier à elle, de l’épouser et de créer une lignée qui régnera sur le monde durant des siècles. Drôle de relation que ces deux là entretenaient. Peut-être au final, comme on disait, l’amour et la haine n’étaient que les deux faces d’une même pièce.

- Et nous sommes ravis de vous rendre heureuse, Dirigeante Suprême, répondit Erend avec ce même ton chaleureux exagéré. Nous avons manqué les discussions, certes, mais la guerre n’empêche pas de se comporter comme des gens civilisés de temps en temps. Après la tragédie de Doublonville, ma reine et moi avons décidé d’honorer ce sommet pour la paix, qui souffre hélas plus que jamais dans le monde.

Mercutio se retint de lever les yeux au ciel. Galatea, qui était bien moins diplomate que son frère, n’en fit rien. Quel discours de faux-cul ! Mercutio savait bien qu’il y avait qu’une seule raison au déplacement d’Erend ici : faire chier Venamia. Il voulait la troller aux yeux et aux oreilles du monde entier, en jouant la carte de la civilité. Et le lendemain, la guerre reprendrait entre eux, comme si rien ne s’était passé ici. La politique était vraiment un monde qui échappait à la compréhension de Mercutio. Au moins Igeus n’avait-il pas été naïf au point d’y aller seul sans escorte. Les bonnes intentions affichées de Venamia pour ce sommet pacifiste ne l’auraient pas sauvé.

- Nous étions sur le point de préparer la piste de danse, dit Venamia. La Présidente Marthe a engagé un brillant orchestre pour l’occasion.

- Quelle touchante attention ! S’exclama Eryl. Je suis fort aise de pouvoir danser en compagnie de tant de personnes distinguées !

- Oui, c’est que nous en avons assez peu, à la Confédération, précisa Igeus avec un regard navré pour son escorte.

L’assistance réagit par de légers rires. Igeus avait déjà réussi à se les mettre dans la poche. Mercutio avait quant à lui envie de lui balancer un coup de boule et voir comment il allait réagir devant tant de monde. Cet échange d’amabilités hypocrites le rendait malade, et encore plus le fait d’y voir Eryl y participer, telle la complice d’Igeus qu’elle était devenue. Mais bon, il n’avait que ce soir à tenir. Dès demain, Mercutio prendrait le large, comme il l’avait prévu. La Confédération commençait à lui peser.

La musique commença peu après, et les couples se formèrent pour danser, sous le regard attentif des escortes de Venamia et d’Erend, qui se défiaient des yeux chacun de leur coté du toit. Erend avait à nouveau surpris tout le monde en délaissant Eryl et en invitant carrément Venamia pour le premier morceau. Venamia réagit comme si elle s’y était attendue depuis le début, avec une joie affichée. Et ils se mirent à danser pour de vrai, ces deux abrutis, sur une valse lente.

- Quel carnaval… marmonna Galatea à ses cotés.

Mercutio hocha la tête. Il se rendit compte qu’il n’avait jamais vu Siena danser avant, où et quand que ce soit. Qu’elle le fasse maintenant, dans les bras d’un homme qu’elle avait juré de tuer, alors qu’elle était possédée par un Pokemon démoniaque et rongée par l’ambition de conquérir le monde, ça semblait irréel. Eryl elle valsait avec un type qui devait être un quelconque Chef d’Etat d’une quelconque région alliée de Venamia. Mercutio n’avait pas retenu les noms et visages de tout le monde.

Il remarqua aussi que Venamia, qui semblait mener la danse de son coté, prenait bien soin de ne pas s’approcher d’Eryl. Évidement que quand on avait Horrorscor dans sa tête, être touchée par la Pierre des Larmes n’était pas trop conseillé. Selon ce qu’avaient dit les Gardiens de l’Innocence, ça risquait de la tuer. Mais comme ils n’en savaient trop rien, Mercutio avait voulu croire que ça aurait pu seulement chasser Horrorscor et ramener la Siena d’avant. Mais il avait abandonné cet espoir fou à présent. Il savait que Venamia était devenue ce qu’elle est de son plein gré, et pas parce qu’Horrorscor l’aurait corrompue.

La musique changea, de même que les couples. Bien que toujours sur le qui-vive, les gardes respectifs d’Erend et Venamia se détendirent sensiblement et se mêlèrent à la foule. Galatea, avec son insouciance habituelle, était partie chercher des beaux mecs avec qui danser. Mercutio observa un moment Erend et Eryl s’approprier la piste de danse avec une fougue étudiée, juste pour se faire remarquer. Les voir tous les deux s’amuser autant le rendit malade, même s’ils jouaient évidement la comédie. Serrant les poings, et sans qu’il ne réfléchisse à ses paroles, il s’était tourné vers Solaris.

- Dis, tu voudrais danser aussi ? Lui demanda-t-il en tendant la main.

Si Mercutio fut surpris de sa propre proposition, Solaris le fut plus encore.

- P-pour de vrai ? Nous deux ?

Mercutio et Solaris avaient vécu une courte histoire ensemble, il y a des années, juste avant qu’ils ne se combattent en tant qu’ennemis. Mais depuis qu’elle avait rejoint la X-Squad, il semblait clair à Mercutio qu’elle n’avait jamais cessé de l’aimer, même si lui était passé à autre chose. Comme il était alors avec Eryl, il avait toujours traité Solaris seulement comme une bonne amie, sans jamais lui donner d’espoir. Pour elle donc, cette demande de danser fut bien plus que pour Mercutio, tandis que lui, c’était ni plus ni moins qu’une tentative inconsciente de se venger d’Eryl en s’exposant avec une fille bien plus belle qu’elle. Et aussi pour combler sa solitude actuelle. Mais comme son regard se tournait sans cesse vers Erend et Eryl, Solaris ne fut évidement pas dupe, et ses yeux se plissèrent dangereusement. Quand elle s’adressa à Mercutio, son ton fut très froid.

- Je ne vaux sans doute pas grand-chose, mais je ne suis pas une roue de secours. Tu sais quoi Mercutio ? Tu reproches souvent aux autres de te faire du tort, mais à mon avis, tu aurais besoin de te regarder dans un miroir, de temps en temps. Tu es quelqu’un de très égoïste et capricieux. Eryl n’est pas ta propriété, pas plus que je ne suis un mouchoir en papier pour te moucher quand elle t’a fait de la peine.

Et elle le laissa là en plan, avant d’aller valser avec Ithil. Mercutio longea seul le rebord du toit pendant un moment, loin de la foule, en méditant sur sa propre stupidité.

- Je ne suis qu’un pauvre type… se dit-il à lui-même.

- Ça, c’est bon à savoir, fit une voix derrière lui. Je ne m’attarderai donc pas trop.

Mercutio se retourna, et ce fut comme si on venait de le frapper, comme si chaque cellules de son corps s’étaient embrasées. Pourtant, devant lui, il n’y avait qu’une fille qui le regardait avec curiosité. Une fille sans doute plus jeune que lui, aux cheveux roses et aux yeux de la couleur du miel. Mignonne, sans nul doute possible, mais le corps de Mercutio réagit comme s’il venait de croiser l’incarnation de tous les fantasmes masculins. Jamais, même quand il avait vu Solaris pour la première fois, il n’avait eu cette sensation.

Il ne savait pas ce qui était en train de lui arriver. Il ne connaissait pas cette fille, et même si actuellement, il était un peu frustré, il ne pensait pas qu’il était une sorte de pervers sexuel qui sautait sur tous ceux du sexe opposé, comme Galatea. Et pourtant, le désir qui montait en lui était bien réel. Lui avait-elle lancé une attaque Attraction ou un truc du genre ? Parce que Mercutio sentait clairement qu’il y avait une embrouille là…

- Euh… on se connait ? Demanda-t-il finalement.

- Non. Je voulais juste savoir une chose. Si vous aviez un frère quelque part ?

- Un frère ? Répéta Mercutio sans comprendre.

- Oui, un frère. Vous n’en avez jamais entendu parler ? Ce sont des individus de sexe masculin qui sont sortis du même utérus que vous.

Dix secondes qu’il avait rencontré cette fille, et elle lui tapait déjà sur le système. Pourquoi donc alors avait-il l’impression que son corps était en rut devant elle ?!

- Je sais ce qu’est un frère, merci, lui répondit-il d’un ton sec. Et non, je n’en ai pas. Je n’ai que deux sœurs idiotes. L’une est celle aux cheveux rouges qui changent de cavalier toutes les minutes, et l’autre celle aux cheveux bleus qui réfléchit à comment dominer le monde. Pourquoi cette question ?

- J’ai rencontré un type qui vous ressemblait vachement, y’a pas longtemps, répondit la fille. Mais il était plus âgé que vous, avait les cheveux plus clair, et portait un cache-œil, façon pirate. Ardulio, qu’il s’appelait.

- Connait pas, répondit Mercutio en se retournant.

Il espérait que cette fille le laisse tranquille et s’en aille, afin que ce phénomène hormonal délirant s’arrête, mais à son grand agacement, elle lui fit la conversation.

- Alors comme ça, z’êtes le frère de Lady Venamia ?

- Je plaide coupable, soupira Mercutio sans la regarder.

- Moi aussi, j’ai un frère qui était Chef d’Etat et qui a viré tyran adepte de l’obscur, la haine et le noir. À cause d’un Pokemon pas sympathique, également.

Mercutio n’en avait rien à faire de sa vie, il voulait juste qu’elle s’éloigne ! Si elle continuait à s’approcher, Mercutio était pas sûr de se contrôler, et ça ferait une assez mauvaise image à la Confédération si l’un des gardes du corps d’Igeus se jetait sur une invitée comme une bête en chaleur. Finalement, comme Mercutio finit par ne plus répondre, la mystérieuse jeune femme le laissa.

- Bon, je ne vous embête pas plus. Au revoir, monsieur le pauvre type.

Quand elle fut seulement à plusieurs mètres de lui, Mercutio put respirer à nouveau et reprendre le contrôle de son corps, même si le visage de la belle inconnue ne voulait pas quitter sa tête. Pour un problème de ce genre dont il ne connaissait pas la cause, il valait mieux demander à la plus grande experte nymphomane qu’il connaissait : sa sœur jumelle. Il attendit que Galatea ait fini sa danse avec un jeune assistant anonyme pour la prendre par le bras et l’éloigner de la foule.

- Quoi ? S’agaça Galatea. J’avais déniché trois autres beaux mecs ! Tu comptes me faire danser avec toi ? Navré, mais mes godasses ne sont pas rembourrées, et…

- Tu vois cette fille là ? L’interrompit Mercutio. Celle aux cheveux roses. Tu sais qui elle peut être ?

Galatea fronça les sourcils et se concentra vers la direction que Mercutio indiquait.

- Si je dis pas de connerie, ça doit être Adélie Dialine, répondit-elle.

- Le nom me dit quelque chose…

- C’est la nana qui a inventé l’involuteur. Une génie de la mécanique qui a fait fortune à quinze ans à peine. Elle a fait parler d’elle récemment lors des événements survenus dans la région Naya y’a quelque mois. Elle aurait le Don, le pouvoir des Gardiens de l’Harmonie qu’elle aurait refondé.

- Elle vient de me parler. Et j’ai senti… un truc de vachement bizarre !

- C’est peut-être son Don ? À ce qu’on dit, ce pouvoir, sous sa forme primaire, peut inciter à la confiance, voire manipuler carrément l’esprit.

- Je ne crois pas non. Elle ne m’a rien fait d’anormal, ou je l’aurai senti. Mais moi, je me suis senti… disons… euh… je veux dire…

Galatea fit une moue d’incompréhension, mais Mercutio eut du mal à le sortir. C’était assez embarrassant.

- Disons que j’étais comme toi à chaque fois que tu croises un beau gosse, se lança-t-il. J’avais… envie de cette fille. Pourtant, je ne la connais pas, et j’en ai vu de plus belles. C’était pas un coup de foudre ou quoi que ce soit, c’était simplement… physique.

Galatea pouffa devant les explications hachées de son frère.

- Physique… du genre, sentir ton engin devenir tout raide et tout dur ?

- Galatea… la prévint Mercutio.

- Eh, c’est bon, pas de souci. Je crois savoir d’où vient le problème. Cette fille est sans doute une Favorable.

- Favorable à quoi ? Demanda Mercutio sans comprendre.

- T’écoutais jamais quand Maître Irvffus nous expliquait des trucs sur les Mélénis hein ?

- Pas toujours, avoua Mercutio. Donc ?

- Je t’explique. Quand un humain et un Mélénis font un gosse, ça donne quoi ?

- Bah, un demi-Mélénis, comme nous non ?

- Perdu. L’enfant d’un Mélénis et d’un humain sera un humain normal. Le Flux ne se transmet que si les deux parents sont des Mélénis. Sauf… si le parent humain est un Favorable. Ce sont des humains très rares avec lesquels les Mélénis peuvent se reproduire et transmettre le Flux à leurs enfants. Si on a le Flux toi et moi, cher frère, c’est parce que maman était une Favorable. Si elle ne l’avait pas été, nous serions que de simples humains sans pouvoir, même avec le grand Elohius comme père.

- Hum… Mais ça expliquerait pourquoi je me suis senti comme… ça devant elle ?

- J’imagine que les Mélénis peuvent sentir les Favorables, et sont attirés sexuellement par eux. Un truc hormonal qui fait réagir le Flux, ou inversement. Ça doit être comme ça que papa a repéré maman. Moi je ne sens rien, mais c’est normal. Ça ne marche qu’avec le sexe opposé.

- Donc, résuma Mercutio, si je fais un gosse avec cette Adélie Dialine, là, tout de suite, le gamin sera forcément un Mélénis ?

- C’est ça, confirma Galatea. Et en plus, puisqu’elle est humaine, elle aura l’avantage de pouvoir faire plusieurs gosses, alors que nous, pauvres Mélénis femelles, nous ne pouvons tomber enceinte qu'une seule fois. C’était du coup vachement plus intéressant pour les Mélénis de se trouver un Favorable plutôt que de se reproduire entre eux. Ça faisait grimper pas mal leur population alors qu‘ils sont en voie d’extinction. Ceci dit, je te conseille pas d’essayer. Devant tant de gens, ça pourrait être embarrassant. Ah, et puis, avec des utilisateurs du Don, c’est interdit.

- Interdit ?

Galatea leva les yeux au ciel.

- Maître Irvffus nous l’a bien dit et répété. Tu dormais encore ? Un Mélénis et un utilisateur du Don ne doivent jamais faire de gosses ensemble. Jamais, jamais, jamais. On inculque ça aux Mélénis dès leur enfance. C’est un des plus grand interdit. Tu ne serais normalement même pas autorisé à discuter avec cette nana.

- Et on peut savoir la raison ? S’étonna Mercutio. Non pas que j’envisage de faire un gosse avec cette fille, mais…

- Apparemment, y’aurait un problème avec l’enfant d’une telle union. Quand le Flux et le Don se mélangent, ça fait un truc pas cool. Maître Irvffus nous a raconté qu’une fois, un Mélénis et un Gardien de l’Harmonie ont fait un gosse ensemble, malgré l’interdiction, et ça a eu pour conséquence la quasi-destruction de l’humanité. Donc refrène tes ardeurs, et ne pense plus à cette fille.

Ceci dit, Galatea retourna à la réception et se remit à sa chasse favorite. L’apparition de cette Adélie et les explications de Galatea avaient pas mal donné à réfléchir à Mercutio, qui pour le coup avait oublié sa colère envers Eryl et Erend, et sa honte envers Solaris. Ses connaissances sur les Mélénis étaient tristement partielles. Il faudrait vraiment qu’un jour, il se rende au Refuge après de Maître Irvffus et des autres Mélénis pour suivre une formation en règle. Mais pas demain. Demain, il partait pour tenter de suivre une formation, mais pas auprès des Mélénis…