Flump Encounter Music« Je veux être aux première loges et assister à cette révolution qui te coûtera ta couronne, mon fils. »
Léok, assise en face du roi Flump, chatouillait la gorge de Manglouton. Le rongeur l'avait reconnue dès son entrée dans le bureau. Il lui avait fait une petite danse de la joie avant de mordiller ses chaussures, réclamant des caresses.
Elecsprint gardait un des os de l'homme qu'il avait dévoré quelques jours auparavant et s'en servait comme d'un cure dent. Manglouton le jalousa puis estima la chance d'être lové sur les genoux de la mère de son maître.
« Tes Pokémon ont l'air en bonne santé. Ta richesse aussi se porte bien, à ce que je vois, fit-elle remarquer en survolant les deux compagnons poilus, ainsi que les meubles et les boîtes serties de pierreries. »
Cependant, ce luxe la laissa de marbre. Elle aussi avait été reine et connaissait le faste lié au titre suprême.
« Pourquoi parles-tu de révolution ? dit-il en haussant les sourcils.
- Tu n'es pas préparé à ce qui va t'arriver. S'il réussit à trouver un allié, alors il en sera fini de ta tyrannie.
- Qui ça ? »
Redressé sur son trône, l’anxiété commençait à le gagner. Avait-elle perdu la tête ?
« Tu ne pourras rien faire tant qu'il ne sera pas revenu. Il est en sécurité là où je l'ai envoyé.
- Tu protèges un révolutionnaire ?
- C'est un bien grand mot. Je lui fais confiance. Il apportera une nouvelle ère de changement et effacera le passé. »
Il l'examina attentivement avant de hausser les épaules.
« Il peut bien venir, je l'attends.
- Pas avec cette femme que tu traques. Tes soldats sont épuisés. Ils sont divisés. »
Devait-elle lui rappeler que l'espionne assassin n'avait pas encore été attrapée ? Quel besoin avait-elle de remettre sur le tapis la fracture qui s'opérait entre ses gardes originaires du Vent et ceux originaires de la Foudre ? Beaucoup trouvaient des excuses à Yell. S'il devait exécuter chacun des soldats qui ne pensaient pas comme lui, la montagne de nourriture pour ses Pokémon atteindrait la hauteur de la Tour Prismatique, à Illumis, au pays Dragon.
« Si ton homme se cache, c'est qu'il n'est pas sûr de pouvoir prendre ma place. Il n'y a que les faibles pour se cacher. »
Elle le dévisagea, l'air de dire : "c'est toi qui dis ça ?". Cette moue lui déplut. Il se remit à l'examiner. Malgré son âge avancé, Léok n'avait pas l'air grabataire. Ses cheveux mi-longs blancs éclataient de par leur brillance. Ils semblaient immaculés. Les yeux bleus perçants et inquisiteurs de sa mère lui donnaient l'impression de redevenir un petit garçon obéissant et soumis.
« Parlons un peu de ce qui s'est passé, veux-tu ? Il paraît que tu t'es battue avec des agents de la gare d'Arabelle parce que tu ne voulais pas montrer ce que tu avais dans ton sac. C'est bête parce que ça t'a conduit ici. Tu ne pourras plus repartir, tu le comprends, ça ?
- Ne me parle pas comme à une demeurée. Je suis ta mère, un peu de respect. Je n'aime pas qu'on mette en doute mon intégrité. Ai-je l'air d'une criminelle ? Fouiller le sac d'une dame âgée est ridicule. Ta politique est minable, mon fils.
- En protégeant un révolutionnaire, tu es devenue une criminelle. Et en fuyant mon autorité aussi. Je t'avais dit que je te chasserais si tu continuais à défendre ces pigeons. Je tiens toujours mes engagements. D'ailleurs, tu veux connaître l'avancée de mon plan d'extermination ? »
Elle pâlit. Manglouton leva les yeux car elle venait de relâcher son emprise. Il réclama de nouvelles caresses.
« Tu ne vas quand même pas faire ça ?
- Et pourquoi pas ? Ils ne souffriront plus au moins. Tu devrais être soulagée ! »
Il fut interrompu au milieu de son rire macabre par un appel. Il redevint sérieux au bout du fil.
Pendant ce temps, Léok songeait à ce que son fils allait engendrer. S'il mettait à exécution son plan, c'était bien plus grave que ce qu'elle avait imaginé. Elle avait déjà supplié le roi David de lui venir en aide mais à présent elle se sentait bête de ne pas avoir suffisamment insisté.
Il ne restait qu'un seul espoir ; que ce jeune révolutionnaire arrête la machine avant qu'elle ne se mette en route. Il en allait de la vie de plusieurs milliers de personnes.
Lorsqu'il eut fini de discuter au téléphone, Flump se tourna vers sa mère. Elle essayait de reprendre de l'aplomb.
« Toi qui voulais assister à ma chute, tu vas aussi assister du même coup à ce que je prépare depuis des mois. Ton révolutionnaire va-t-il réussir à me faire tomber et à faire échouer mon plan ? Tu seras la première à le voir, je te le garantis. Tu auras une place de choix. Quelle chance d'assister à deux spectacles en un ! »
*****Le mur qui devait séparer la partie est de la partie ouest du royaume venait d'être bâti. Placé sur le détroit reliant les deux anciens pays, il assurerait la protection du peuple de la Foudre et bloquerait la fuite des pigeons du Vent une fois l'arme installée. Tous ceux qui s'occupaient de ce projet n'étaient pas issus du Vent mais de l'autre camp. Il s'agissait de garder secrète l'avancée du plan et ne pas éveiller la terreur de toute une population.
Les villes les plus importantes de l'est ne soupçonnaient pas la construction de ce mur. Les ouvriers prétextaient une frontière garantissant la sécurité du pays mais cela ne convainquit pas les curieux.
Ce n'était pas un problème que les plus grandes villes soient hors d'atteinte du mur : l'arme d'extermination avait été conçue pour rayer les cités de la carte les unes après les autres, peu importe leur distance.
Les cinq paraboles dorées pesaient et mesuraient la taille de cinq Wailord. Il fut difficile de les transporter toutes ensemble. Plusieurs convois les amenèrent au milieu de la nuit puis elles furent dressées aux quatre coins du mur. La puissance électrique d'un seul tir atteignait dix fois l'impact provoqué par la foudre du Légendaire Raikou. Autant dire que Flump voulait détruire une ville comme Ogoesse d'un seul coup.
Les villageois vivant à proximité inspectaient cette muraille aux multiples couronnes dorées. Ils prenaient cela pour une décoration superflue, suspectant que leurs impôts fussent gaspillés pour l'achat de ces paraboles inutiles. Petits pois placés sous l'autorité de ces monstres de destruction, les enfants se gaussaient et les prenaient pour des disques inoffensifs. Personne ne pouvait connaître la véritable nature de ces armes. Hormis Léok et le roi, retenus à Volucité.
Il arrivait souvent à la doyenne, prisonnière dans sa chambre, qu'elle avait retrouvée avec amertume, de vouloir prévenir le révolutionnaire. Elle se maudissait de ne pas avoir été convaincante auprès du roi David pour le faire intervenir. Cependant, la promesse d'accueillir les survivants et les réfugiés dans son pays la soulageait un peu. Mais au milieu de la terreur qui régnerait une fois l'assaut lancé, les victimes penseraient-elles à cette solution de survie ?
« Je leur ouvrirai mes frontières. Je ne suis pas un meurtrier » avait-il dit.
Il fallait qu'Hénéas intervienne. Elle ne connaissait pas encore la date de mise en route de l'arme destructrice. Elle imaginait l'homme en cavale revenir, accompagné d'une armée. Mais trop tard. Les villes de l'est ne seraient alors qu'un marécage de sang chaud, le territoire rasé et brûlé par l'impact de la foudre qui se serait abattu sur les pauvres têtes. Il ne serait alors revenu que pour un monticule de cadavres, n'ayant plus personne à sauver ni rien à prouver. Que ferait-il à ce moment-là ? Sa rage décuplerait-elle ? Prendrait-il quand même le trône ?
Léok évoluait dans sa chambre avec ces idées confuses et morbides, impuissante.
Du côté de la frontière, depuis l'entrevue avec le roi David de Rolcheu, les frontières avaient été ouvertes aux habitants de Voudre souhaitant transiter. C'est dans ce contexte d'accueil qu'arriva Hénéas. Il découvrit un paysage montagneux et volcanique dès son entrée au royaume de Rolcheu.
Pour avoir une audience avec le roi, Hénéas devait se rendre à Rosalia. Il eut quelques regrets à quitter Acajou, pépite de charme nichée au sommet d'une montagne formant une chaîne de reliefs englobant le Lac Colère et Ebenelle.
Se retrouver à voyager dans plusieurs trains cahotés par la rudesse des routes le plongea dans un profond désarroi. Alors qu'il observait par la vitre de son wagon les volcans se dessiner sous des nuages tantôt noirs tantôt grisâtres, Hénéas eut l'idée de renoncer. A quoi bon ? Si le roi n'avait pas voulu écouter Léok, pourquoi l'écouterait-il lui ?
Il imagina ce qu'avait traversé Yell. Il comprenait l'éloignement et la peur de l'inconnu. Ils étaient tous deux recherchés. Le jeune homme considérait être en sécurité dans un territoire difficile d'accès et improbable. En effet, qui irait le chercher à Rolcheu ? Tandis que Yell était encore en territoire hostile. Janusia était à l'ouest de Voudre et elle était poursuivie par l'armée entière du roi.
Il se rendit compte qu'il n'aurait aucun moyen de savoir si elle avait été capturée. Elle était seule. Il lui restait Canarticho. Et le souvenir d'un peuple qui avait besoin de lui pour éteindre le feu d'une rancœur qui n'avait que trop duré.