Chapitre 9
Il avait devant lui la meilleure tueuse à gages du Continent. Il l'avait fait venir pour lui confier une mission délicate. Sur son bureau reposait dépliée la carte du pays de Gleau.
Dans un coin de la pièce, Manglouton ronflait, au pied du sceptre doré. La respiration apaisée du rongeur donnait envie de se blottir contre sa fourrure chaude bien que sa mâchoire soit grande ouverte, prête à saisir ce qui se présentait à lui. De la salive coulait par gouttes successives sur la belle moquette bleue.
« Si j'ai bien compris, vous voulez que je m'infiltre dans l'intimité du président Erik ?
- C'est ça. T'as tout compris, ma belle. Ce ne sera pas bien compliqué : il faut être difficile pour ne pas trouver une quelconque beauté chez toi. Tout le monde sait que ce coureur de jupons abrite sous son toit vingt-deux maîtresses. »
La jeune femme haussa un sourcil. Elle était au courant qu'Erik avait un faible pour la gente féminine mais pas à ce point. Son statut de dirigeant lui octroyait un charme qui plaisait beaucoup. Son charisme allié à sa belle personne faisait des ravages dans les rangs du sexe opposé. Il avait de nombreuses ministres partageant sa couche, de même que des femmes d'affaires ou de la haute noblesse. Chacune avait sa raison de partager une nuit avec le président Erik.
« Une fois que je serais dans ses grâces ?
- Tu l'élimines définitivement. Ce gredin a envoyé une garce tuer des gardes de hauts rangs. S'il croit que ce crime restera impuni ! »
Au pied du large bureau de Flump, on entendait le ronflement régulier du Pokémon rongeur. Le silence semblait se bercer de cette douce mélodie apaisante. Les deux personnes se dévisagèrent.
« J'ai carte blanche sur le moyen d'exécution ?
- Il faut que ça reste discret. Personne ne doit savoir que cela vient de moi. Je n'aurais pas le temps de mener une guerre de front. J'ai déjà cette petite garce à attraper ; tous mes soldats sont sur le coup. Et puis avec les projets que je mène en ce moment, j'ai pas la tête à guerroyer à tout bout de champ. Il faut qu'elle paraisse accidentelle, cette mort. OK ? »
Luciana hocha la tête. Sa queue de cheval brune semblait approuver, elle aussi. Elle rajusta le ruban rouge qui maintenait ses cheveux en ordre, pivota vers la sortie. Elecsprint montait la garde paresseusement, les paupières baissées vers le sol.
« Pour mon salaire ?
- On en reparlera quand tu seras à Ula-Ula. Je compte sur toi. Donne-moi des nouvelles de ton avancée. Je ne veux pas que ça traîne. »
Il fois qu'elle fut partie, il songea qu'il jetait dans les bras de son ennemi une bien belle femme. Il aurait aimé l'avoir pour maîtresse. Grande, brune, peau veloutée, formes généreuses. Il se demanda si Erik avait des maîtresses plus belles que celle qu'il lui envoyait.
Il quitta son trône un instant, inspectant la ville par la baie vitrée. Les rues animées l'égayèrent. Il eut envie de faire une balade dehors, tant ses projets semblaient bien se dérouler.
« Dans quelques jours ou quelques semaines tout sera réglé. Erik sera mort, l'espionne capturée et éliminée ; le peuple du Vent ne sera plus que du vent. »
Sa blague le fit rire grossièrement. Alors qu'il baissa les yeux vers le sol, il constata que Manglouton tenait son sceptre avec ses dents. Il essayait de le briser dans son sommeil. La bonne humeur du roi disparut ; un rictus haineux envers ce rongeur misérable coupa ses lèvres. Il donna un puissant coup de pied dans la gueule du Pokémon pour lui faire lâcher prise.
Alors qu'il venait d'attraper son sceptre à pleine main et qu'il l'agitait dans l'espoir de dégager Manglouton qui persistait à le garder dans la bouche, on toqua.
Pour garder une contenance, il frappa le sol de la pointe du sceptre. La secousse réveilla le rongeur qui bailla. En même temps qu'il dévoila nombres de canines aiguisées, il lâcha prise. Juste à temps avant qu'un garde n'entre, fébrile.
« Votre Majesté, j'aimerais m'entretenir avec vous. Sur l'affaire de la jeune femme que mes collègues recherchent. »
Le roi prit place sur son trône, apparenté à un grand fauteuil. Le retour aux affaires le mina. Il sentit venir une contrariété imprévue.
« Je... J'ai entendu dire qu'elle avait été victime.
- Victime ? Oublies-tu qu'elle a exécuté de sang-froid plusieurs gardes ? Tu as la mémoire courte.
- Elle n'a fait que se défendre...
- Il y a la défense et la défense. Quand on tue quelqu'un alors qu'on cherche à se défendre, comment appelle-t-on ça ?
- De la légitime défense.
- Non. J'appelle ça un homicide. Sur des gardes royaux, de surcroît ! Si je laissais passer un tel crime, que crois-tu que les bandits qui s'en prennent à mon autorité vont faire ? Ils vont suivre son exemple et défier ma puissance. Je vais éradiquer le mal dès sa naissance. Il me faut cette femme. »
Le garde, issu du pays du Vent, connaissait Yell. Il l'avait maintes fois croisé, habitant le même quartier. Il n'arrivait pas à croire qu'elle ai pu tuer des hommes sans raison. Le roi cherchait de nouveau à rallumer de vieilles rancœurs.
« Vous vous en prenez encore à une femme du Vent.
- Ce n'est pas de ma faute si ce peuple est néfaste ! On n'a aucun problème avec le peuple de la Foudre. Ils ne cherchent pas la bagarre. Je veux montrer l'exemple en mettant la main sur cette criminelle. »
Flump gardait un flegme déconcertant ; les gardes le définissaient comme un personnage sanguin et zélé, refusant qu'on remette en doute ses ordres. A aucun moment il n'avait haussé la voix, contrairement au garde face à lui. Ce dernier poussa un cri qui fit gémir Manglouton sous le bureau.
« Je ne vous laisserais pas lui faire du mal ! »
Elecsprint aboya lui aussi, plus fort encore. L'homme se retourna, conscient qu'il venait de commettre une grave erreur. Armé de son épée, il éloigna le Pokémon électrique, qui était prêt à lui bondir à la gorge.
« Tu es bien brave, mon garçon. L'aimerais-tu donc, cette meurtrière ?... »
Il se leva de nouveau, fit quelques pas, examina les étagères où des pierres rares étaient exposées.
« Tous mes plans se déroulent sans accroc et toi, tu veux me faire reculer d'un pas alors que je pourrais avancer ? Je n'ai pas besoin d'un poids dans ma garde. »
Manglouton restait réfugié aux pieds de son dresseur tandis qu'Elecsprint n'attendait qu'un ordre pour arracher la tête à l'homme. Ce dernier déglutit, réfléchissant à une issue garantissant sa survie, tout en gardant une bonne distance avec le chien. Il se mit à courir, épée en avant, vers Flump, le menaçant de lui trouer le crâne si le Pokémon ne reculait pas.
« Un régicide ? De mieux en mieux ! »
Au lieu d'être indigné, il rit avec gourmandise. Malgré la menace qui pesait sur ses cheveux blonds, il trouvait drôle que sa vie soit menacée. Cela ne lui était pas arrivé depuis... jamais. Il avait toujours envoyé ses armées devant l'adversité mais n'avait jamais combattu à leurs côtés comme le faisait d'autres rois avant lui. Il restait confortablement assis sur son trône, attendant le verdict de ses batailles, se divertissant des chamailleries de ses Pokémon.
Là il ressentit la peur qu'un homme pouvait avoir lorsque sa vie menaçait de s'éteindre. La chair de poule accompagnée de frissons le grisa.
« Bon, assez joué. Ça ne fait que deux heures que je ne l'ai pas nourri. Il a faim. »
Il désigna Elecsprint d'un geste désinvolte. Il promit à son Manglouton que s'il ne touchait plus à son sceptre, il aurait quelques beaux restes du corps de cet homme. Puis le signal fut donné et la curée commença.
De l'extérieur du bureau, la valse des cris, des aboiements et des éclairs crépitants, offraient un concert détonnant.
*****
Hénéas avait espéré ne pas se réveiller à côté d'une place vide. L'absence de Yell au réveil fut aussi brutale qu'un seau d'eau qu'on lui aurait lancé à la figure. Il n'avait pas beaucoup dormi cette nuit, réfléchissant à un plan viable. Depuis qu'il avait apprit ces choses à propos du passé du roi, il avait davantage la conviction qu'un affrontement devait avoir lieu. Mais sans appui, il se ferait évincé. En même temps qu'il prit son café, il songeait aux paroles amères de Léok.
Accoudé à la fenêtre, il regardait le jour se lever. Arabelle, ville à l'est du royaume, respirait la tranquilité. Plus d'une fois, Hénéas avait l'impression d'être dans un cocon villageois, protégé des agressions extérieures et des nuisances de toutes sortes. Pourtant, le cocon n'avait pas réussi à lui épargner la disparition brutale de Yell. Ni ce que préparait le roi.
« Tu as des comptes à régler avec mon fils, n'est-ce pas ? Tu ne le combats pas juste pour la couronne ni pour ce qu'il fait aujourd'hui. Mais pour quelque chose qui s'est passé bien avant. »
Il n'avait pas envie de s'en souvenir. Il avait trois raisons guidant sa détermination : le peuple du vent, Yell et ses parents. Il ne savait pas si cela était arrivé à d'autres enfants de se retrouver orphelins à cause du roi. Il ne serait pas le dernier, s'il laissait perpétrer les méfaits de Flump.
Il fit sortir Canarticho de sa capsule, cherchant du réconfort dans la compagnie qu'offrait l'oiseau. Ce dernier se posta sur la rembarde, partageant le délice d'un matin ensommeillé. De sa fenêtre il voyait la place de la ville. Il imaginait les artères qui traversaient Arabelle et qu'avait franchi Yell le soir de son agression.
La place était neuve comme si elle n'avait pas été la même que le soir où s'étageait un monticule de cadavres ailés. Il reniflait l'air. Ses narines se crispèrent. Une odeur de sang lui vint au nez. Elle devint insupportable à ce point qu'il recula, se préparant à fermer la fenêtre. Canarticho battit des ailes ; Hénéas vit arriver dans sa rue un groupe de soldats qui stationnait devant son immeuble.
On levait la tête vers le toit, il recula, renversant sa tasse. Il prit peur. Étaient-ils venus pour l'arrêter ? Avaient-ils découvert que Yell avait habité ici et allaient-ils l'embarqué pour complicité ? Peut-être que ses ambitions avaient titillé l'oreille du roi qui souhaitait étouffer une révolution ? Si c'était ça, il était perdu. Il serait seul dans une cellule, sans aucun pouvoir et Flump aurait gagné.
Il compta le nombre d'hommes ; ils étaient une dizaine. Deux d'entre eux étaient resté à l'extérieur tandis que les autres inspectaient l'immeuble. On entendit des portes s'ouvrir, des voix tremblantes répondre aux réclamations des soldats. Ces derniers se séparaient à chaque étage, interrogeant les habitants.
On toqua enfin chez lui. A plusieurs reprise, il n'y eut aucune réponse. Les hommes fracturèrent la porte mais trouvèrent l'appartement vide. Un courant d'air balayait le salon, la tasse de café était encore chaude, renversée sur la table basse. Lorsque l'un des soldats se pencha pour faire signe à ses collègues restés en bas, on constata que ceux-ci venaient de se faire agresser par un jeune homme brun qui venait de prendre la fuite en descendant par la fenêtre. Quand on fit circuler son signalement, on apprit qu'il maîtrisait la faculty du Vent.