Chapitre 7
Flump en était certain : la femme qu'il recherchait était issue de la parenté du président de Gleau. Le chef de l'Etat Erik avait un pouvoir lié à l'eau. Cette femme se trouvait être lié à la glace. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Peut-être la fugitive était-elle son épouse dissimulée ?
On voulait donc sa tête. Cette femme manquait de discrétion : tuer des hommes du roi n'était pas la bonne manière pour le faire tomber.
Hélas, elle devait s'être cachée tout en sachant qu'on la traquerait. En effet, quelques jours après cette entrevue, on lui apprit qu'elle avait quitté Arabelle suite à ce haut crime. Il fallut déployer une force armée incroyable. Toutes les villes du royaume furent mise à sac.
Flump sentait son pouvoir vaciller, c'était insupportable. Il devait faire preuve d'autorité, ne pas se montrer faible, surtout devant une vile femme. Ce n'est pas une vulgaire créature, inférieure à l'homme dans la hiérarchie naturelle, qui allait lui faire perdre sa couronne ! Ce satané Erik était caché derrière tout ça ! Derrière sa république exemplaire, il dissimulait des désirs inassouvis de conquête.
Le roi ruminait déjà sa vengeance. Elle serait sans appel. Jamais il ne laisserait un coureur de jupon lui prendre sa couronne.
Il avait étalé une carte du Continent sur son bureau, ayant soin d'écarter tous les accessoires qui traînaient. Son pays se trouvait être en face de celui du président. Volucité et son port, ainsi que la marine dont il disposait lui permettrait d'envahir aisément quatre cailloux abandonnés en pleine mer. Parce que le royaume de Gleau se résumait à ça : des saletés de roches dans l'océan. Il verrait ce que ça fait de toucher au roi de la foudre et du vent !
*****
Le roi réfléchissait tandis qu'Hénéas passait à l'action. Il avait rassemblé le clan des oiseaux. Des nouvelles du mur furent diffusées dans toute la presse. Les ouvriers commençaient déjà à bâtir les bases devant les yeux curieux et mécontents des habitants alentours.
« Alors c'est vrai : on va nous mettre dans un ghetto pour mieux nous discriminer ! »
A chaque fois qu'il déviait son regard de la foule, il imaginait la chaise vide de Yell qui aurait dû être présente à ses côtés. Ses doigts se crispaient, sa gorge se nouait, ses jambes tremblaient d'indignation. Il aurait aimé avouer à cette foule devant lui, que le roi l'avait touché de nouveau dans sa vie intime en lui enlevant la femme qu'il aimait.
Il ne préférait pas s'étendre sur ce sujet et ne pas créer plus de problèmes à Yell.
Où était-elle ? Que faisait-elle ? Pensait-elle à lui ?
« Le roi doit laisser sa place ! Il n'y a pas d'autres moyens ! Il a arraché nos économies, nos Pokémon et bientôt nos vies lui seront offertes. Battons-nous ! La révolution est en marche ! »
Il la revoyait sur son lit, l'autre nuit, pâle comme le disque lunaire. Sa voix frémissante de peur. Est-ce qu'elle avait vraiment une faculty, comme lui ? Seraient-ils les élus du pays des Vents ?
« Qui veut me suivre ? »
Un seul cri lui répondit. Un cri joignant des centaines de lèvres dans une même attente. Des lèvres exprimant une haine du souverain. Des mains se levèrent, des poings agrippant des verres manifestaient la détermination de certains.
Hénéas tendit le symbole des oiseaux, le poireau de son Canarticho. Il songeait que tous ses proches n'étaient pas présents pour vivre avec lui cette épreuve. Il était seul face à ce peuple en colère. Soudain, il eut peur de n'être pas à la hauteur.
De grandes choses l'attendaient. Il agrippa le légume, persuadé que tout irait bien. Une fois sur le trône, il retrouverait ses proches.
Dans la salle était assise une vieille femme. Elle grimaça quand elle entendit la nouvelle invective de ce blanc-bec. Elle en eut vite marre d'entendre ces paroles extrêmes. Au milieu de la foule debout, elle se fit un chemin pour approcher de l'estrade. Elle donnait des coups de canne à ceux qui ne lui cédaient pas le passage. On râlait à droite ; on s'indignait à gauche. Puis lorsqu'elle se trouva devant le leader, elle brandit son morceau de bois qui lui servait d'appui.
« Ecoute-moi bien, mon garçon. Tu n'arriveras à rien. Le roi est trop fort. Il vous écrasera. L'armée est sous ses ordres. Les Légendaires l'ont choisi. Il sait se défendre. Tu sais combien d'hommes sont passés sur la chaise électrique ? »
Toute l'assistance fut choquée de voir cette vieille femme parler ainsi au futur roi.
« J'ai été choisi. Je maîtrise une faculty.
- Peut-être que tu peux contrôler les vents mais dois-je te rappeler la table des types ? En un claquement de doigts, il te grille. Le vent ne peut rien contre la foudre. C'est élémentaire. »
L’effervescence retomba aussi sec. Hénéas descendit de sa plateforme pour aller au devant de cette femme.
« Mais si tu réussis tout de même à passer au travers de l'armée, des Légendaires et que tu accèdes au roi, j'ai un conseil à te donner. Je ne sais pas si tu seras le futur roi ; si tu réussis à monter sur le trône, cela ne peut pas être pire pour le pays ni pour la communauté du Vent. Pour autant il ne faudra pas négliger les "zébrés" comme vous les appelez tous. N'est-ce pas ?
- Quel est votre conseil ?
- Promets-moi que tu ne t'en prendra pas au peuple de la Foudre une fois monté sur le trône -si tu y arrives, bien sûr-. »
Tous étaient suspendus aux paroles qu'allait prononcer leur chef.
« Je ne suis pas comme lui. Je ne suis pas un tyran. »
Certains avaient l'air déçus ; d'autres hochèrent la tête et approuvèrent pour la plus grande majorité. On réglerait cette question plus tard.
« Le roi n'est rien sans son sceptre. S'il n'est pas à côté de lui ou dans la même pièce, il ne peut pas utiliser son pouvoir. Ou alors à petite dose. Pas de quoi foudroyer un homme. Si d'aventure, tu arrives à l'éloigner de cet objet, tu as peut-être une chance de l'arrêter.
- Comment savez-vous tout ça ? Qui êtes-vous ?
- Tu n'as pas besoin de le savoir. Je veux empêcher... mon fils, de faire une grosse bêtise. Celle d'exterminer tout un peuple. »
Elle avait prononcé mon fils dans le creux de son oreille, pour que personne d'autre ne soit au courant.
Il attendit plus d'explications mais la vieille dame s'éclipsa. Hénéas poursuivit son discours, soucieux de ces nouveaux éléments qui s'ajoutaient à tant d'autres.
*****
Elle l'attendait à la sortie du café.
« J'ai une histoire à te raconter. Cela concerne mon fils. »
Il n'avait pas mal entendu la première fois. La mère du roi se trouvait en face de lui. Il aurait été moins sonné si on l'avait frappé en plein ventre. Flump avait plus de soixante-dix ans. Quel devait-être l'âge de sa mère !
« Sa mère doit être morte.
- Je suis coriace. J'ai eu mon fils à l'âge de vingt ans. C'est d'ailleurs le seul que j'ai eu. »
Pour une femme atteignant plus de quatre-vingts dix ans, elle ne les faisait pas. Elle marchait voûtée, avec une canne, mais autrement, elle respirait la vitalité. Ses yeux vifs percutaient encore ceux qui les observaient, par leur couleur bleue. Sa voix n'était pas celle qu'on attendait d'une femme de son âge : pâteuse et monocorde. Tout au contraire la subtilité et les gammes de tons la rajeunissaient.
Ses cheveux blancs étaient assez longs et foisonneux. Elle portait une légère tunique violacée.
« Comment puis-je être sûr que vous êtes bien la mère du roi ? Je n'ai aucune preuve.
- Connais-tu l'histoire du peuple du Vent ? Toi qui veux gouverner, il te faut connaître les racines qui ont gouverné ton pays. »
Hénéas répondit qu'il connaissait le nom de la reine et du roi qui avaient régné avant Flump -c'est-à-dire les parents de ce dernier-.
« Bien. Peux-tu me dire leur nom ?
- Léok et Enéor.
- Je suis Léok. Et je vais te le prouver. »
Elle jeta sa canne puis s'écarta d'Hénéas. D'un geste sec du bras, elle dessina un arc de cercle. Son mouvement était tout aussi sévère et autoritaire que sa figure ridée. Une bourrasque balaya le bâton de bois qui s'échoua plus loin. Elle partit le récupérer, laissant Hénéas les idées dans le vague.
« Vous avez de beaux restes, dit-il une fois qu'elle fut revenue. Vous maîtrisez les pouvoirs du vent, vous aussi.
- Contrairement à toi, je les ai acquis grâce à Lugia. Ce n'est pas un Canarticho qui m'a enseigné à réveiller les tempêtes.
- Comment savez-vous...
- Il ne faut pas être devin pour comprendre que tu n'as rien d'un élu des Légendaires. C'est admirable d'avoir développé une faculty par la force de ta volonté et je t'en félicite. Peu de personnes sont capables d'une telle prouesse. Cependant, il ne faut pas que tu te leurres ; d'une, je ne veux pas te voir faire le mal autour de toi par ce don. Tu m'as promis de ne rien faire au peuple de Foudre.
- C'est le roi qui a fait le mal autour de moi. En me séparant de mon Pokémon, de mon amie...
- La jeune femme qui t'accompagne ? »
Léok avait l'air au courant de beaucoup de choses. Suivait-elle Hénéas depuis la fondation du groupe des oiseaux ?
Évoquer Yell rendit le jeune homme profondément mélancolique. Cela sauta aux yeux de la vieille dame.
« De deux, tu sais que les personnes qui n'ont pas hérité de faculty des Légendaires peuvent la perdre à tout moment. Ce serait dommage d'avoir un roi dépourvu de pouvoirs une fois sur le trône, tu ne crois pas ?
- Fernek n'en a pas, que je sache, et il est encore roi, pesta Hénéas, irrité qu'on vienne lui gâcher son prochain moment de gloire. »
Léok ricana puis acquiesça.
« Vous deviez me raconter des choses, je crois, finit-il par annoncer.
- En contrepartie de ce que je vais te dire, je veux que tu me parles, toi aussi.
- Moi ?
- Oui. Tu as des comptes à régler avec mon fils, n'est-ce pas ? Tu ne le combats pas juste pour la couronne ni pour ce qu'il fait aujourd'hui. Mais pour quelque chose qui s'est passé bien avant. »
Lisait-elle dans l'âme des gens ? Comment pouvait-elle savoir qu'il essayait de se venger derrière tous ces prétextes : les lois, le mur, Yell, Canarticho, la couronne... ? Flump était un homme qui, par le passé et par ses actions présentes, avait nourri chez Hénéas un sentiment de rancœur qui ne demandait qu'à grossir pour ensuite éclater à propos de multiples raisons. Léok cherchait à connaître la toute première, celle des prémices.
Ils quittèrent la place à la recherche d'un endroit calme où le passé ressurgirait sans violence. Ils s'assirent sur une des innombrables marches d'un escalier central reliant deux ruelles désertes. Le silence accueillit les premières paroles du récit de l'ancienne reine de Voudre.