N'abandonnez jamais de Goldenheart

On dit que tout le monde a un côté obscur, caché quelque part au fond de son être.
Je veux bien, mais alors je préférerais vraiment ne jamais voir le côté obscur de certaines personnes. Surtout si ces personnes sont mes amis.

~*~
Quelques jours auparavant.


- Des…des Pokéballs Obscur ?!

Le tintement aigu d’une fourchette tombant sur le sol vrilla les tympans sensibles de Pikachu. Surpris, le rongeur leva la tête, et vit que l’humain aux cheveux gris – Genzo, se rappela-il – s’était brusquement levé de sa chaise, les yeux écarquillés.

- O-oui…, c’est bien ça, confirma Sacha, troublé par la réaction de son hôte. Genzo, vous vous sentez bien ?

Le vieil homme tressauta, puis parut se reprendre. Tout en se massant le menton, il regagna sa place comme si de rien n’était. Mais Pikachu sentait parfaitement l’odeur de sa peur qui flottait dans l’air. Intrigué, il leva une oreille attentive.

- Ça va…, souffla Genzo, avant de croiser les mains devant lui. Dis m’en un peu plus au sujet de ces fameuses « Pokéballs Obscur »… Et de l’homme qui les utilise.

Bien qu’étonné, Sacha commença à lui raconter, non sans mal, comment il en était arrivé à affronter l’Homme Masqué dans un combat dont l’enjeu était ses propres Pokémon. Au fur et à mesure de son récit, le jeune dresseur parlait de plus en plus nerveusement, et dut s’arrêter plusieurs fois pour reprendre son souffle. Au final, il ne donna que les grandes lignes. Mais c’était suffisant.

Suffisant pour que Pikachu se souvienne.

Il revit Méga-Raichu ; il se souvint de la puissance de ses coups, de la célérité de ses mouvements… Il revit le sang ; le sang de Sacha qui tentait de le protéger… Et par-dessus tout, il revit la Pokéball noire.

Il se souvint. L’obscurité. Les ténèbres, sombres et froides, qui l’engourdissaient. Qui l’appelaient.

Tel un blizzard glacé, une sensation étrange et effrayante se propagea dans chaque fibre du corps de Pikachu, glaçant ses veines et hérissant ses poils.
Puis vint la douleur. Une terrible migraine, comme si un étau lui enserrait le crâne, et menaçait de le faire éclater. Pikachu cria, se prit la tête entre les pattes. Le sang battait à ses tempes, et un goût acide lui emplit la bouche. Il roula sur le sol, tentant désespérément de faire disparaitre ce mal insoutenable. Mais que lui arrivait-il ? Pourquoi avait-il si mal ?

- Pikachu !

La voix de Sacha eut l’effet d’un éclair dans le brouillard. D’un seul coup, la douleur disparut, de même que la sensation étrangère. Les souvenirs s’évaporèrent eux aussi, si bien que Pikachu se souvint à peine de ce qu’il s’était passé avant qu’il ne se retrouve dans les bras de Sacha.

- Désolé, Genzo, s’excusa le dresseur. Je crois que cette histoire est trop dure à entendre pour lui. C’est encore trop frais dans nos mémoires…

Sacha caressa la tête de son compagnon Pokémon, qui apprécia cette marque d’affection. Tout en se blottissant dans les bras de son ami, Pikachu soupira d’aise. Il n’avait aucune idée de ce qui venait d’arriver, mais peu importe. Tant qu’il était avec Sacha, tout irait mieux...

Pas vrai ?


~*~

Je n’avais pas le temps d’attendre Serena. Galvanisé par la peur qui nouait mes entrailles, je dus me faire violence pour ne pas lever la tête vers le ciel tandis que je filais à toute allure en direction du Village Pokémon.


{Falling inside the Black – Skillet}

Lorsque je déboulai hors du bois, une lumière aveuglante m’obligea à plisser les yeux. Devant moi, je reconnus les silhouettes de Brutalibré, Sonistrelle et Flambusard, qui se tenaient à l’écart d’une étrange sphère d’électricité, qui crépitait furieusement. Je le savais ; ces éclairs ne pouvaient provenir que de lui.

- Pikachu !

Reconnaissant le son de ma voix, les trois Pokémon Vol se retournèrent. Au même instant, la sphère jaune changea de forme, pour prendre l’apparence d’un arc électrique, qui fila droit sur nous.

Pétrifié, je ne dus mon salut qu’à l’intervention de Galopa. Le Pokémon Feu contra l’attaque électrique avec Lance-Flammes, créant une explosion qui nous souffla, mes Pokémon et moi.

- Petit ! Ne reste pas planté là !

Sonné, je tournai la tête : Genzo se tenait à côté du cheval enflammé, une Pokéball à la main.
Un cri, plus comparable à un rugissement, s’éleva soudain de la boule d’électricité. Je pouvais le reconnaître entre mille. Ce cri, c’était Pikachu.

- Qu’est-ce qui se passe ici ? m’exclamai-je. Qu’est-ce qui arrive à Pikachu ?
- J’attendais justement que tu me le dises ! répliqua Genzo. Il s’est énervé comme ça d’un seul coup et est sorti en trombe sans cesser de cracher des éclairs partout. Si ça continue, il va finir par blesser quelqu’un !

Genzo avait beau paraître furieux, je crus apercevoir une lueur d’inquiétude dans son regard. Sans m’interroger davantage, je rejoignis mes Pokémon, qui s’étaient regroupés et nous regardaient successivement, moi et Pikachu. Aucun ne savait comment réagir face à cette situation.

Malgré les flashs qui me brûlaient la rétine, je tentai de distinguer Pikachu à travers toute cette électricité. Sa silhouette était visible par intermittences, tremblante et floue.

Mais la bête ne tenait pas à rester en place. Se déplaçant trop vite pour qu’on puisse le suivre à l’œil nu, Pikachu se mit à zigzaguer dans tous les sens, percutant quelques Pokémon sauvages qui se trouvaient sur son passage. Horrifié, j’accourus vers les blessés.

- Arrête ! Pikachu !

Un feulement couvrit mon appel. L’instant d’après, un Zororark surgit de l’obscurité, et bloqua le passage à Pikachu. Le gardien du Village Pokémon. Forcément ; il devait vouloir protéger les habitants de la menace qu’était devenue Pikachu.

La sphère de foudre changea de nouveau de forme, comme si elle était vivante. Puis un arc électrique fusa sur le Pokémon Ténèbres.
Celui-ci dévia le coup avec Griffe Ombre, avant d’enchaîner avec Vibrobscur. L’électricité forma cette fois un mur qui bloqua l’attaque, avant d’exploser en une pluie d’étincelles, qui moururent sur le sol déjà carbonisé.

- Hé ! protestai-je, effrayé de les voir commencer à se battre. Ça suffit, laisse Pikachu tranquille ! C’est pas sa faute si…
- Navré, petit, m’interrompit Genzo, mais je suis du côté de Zoroark. Peu importe la raison pour laquelle ton Pokémon se conduit ainsi, la priorité est de protéger le village !

Le vieil homme lança sa Pokéball, d’où jaillit Lucario. Son regard acéré repéra tout de suite la source du problème. Il brandit les poings, attendant l’ordre de son dresseur.

- Arrêtez, vous pouvez pas l’attaquer comme ça !

Mais Genzo m’ignora et désigna Pikachu :

- Lucario, lance Charge-Os !

Le loup bleu bondit, attaquant Pikachu par derrière. Mon ami dut sentir le coup arriver, car il esquiva si vite qu’on eût pu croire qu’il avait disparu. Déstabilisé, Lucario bloqua l’attaque surprise de Pikachu au dernier moment, grâce à ses bons réflexes. De l’enveloppe foudroyante émergea alors une queue brillante ; Pikachu lançait Queue de Fer. Lucario para une fois encore les coups, mais perdait du terrain face à la violence de son adversaire.

Voyant dans l’intervention de Lucario une parfaite diversion, Zoroark lança de nouveau Vibrobscur, droit sur Pikachu. Le coup parut atteindre sa cible.

- Pikachu !

Le renard et le loup restèrent immobiles, fixant attentivement la fumée produite par l’explosion.

Puis soudain, la masse électrique fonça droit sur Zoroark, et lui faucha les jambes. Furieux, le renard feula et réussit à attraper Pikachu par la queue. La foudre se propagea aussitôt dans tout son corps ; mais il résista, et lança son opposant en l’air. Puis il frappa le sol, et le faucha avec Explonuit. Telle une étoile filante, la sphère d’électricité vola un instant dans les airs, avant d’atterrir plus avec un bruit d’herbe grillée.

- Arrêtez…

Les éclairs s’intensifièrent soudain, et la bête revint à la charge. Lucario bloqua son offensive avec Abri ; Zoroark en profita alors pour clouer Pikachu au sol avec une autre Griffe Ombre. Pikachu hurla tandis que les griffes s’enfonçaient dans sa peau.

- J’ai dit…

Même Lucario ne pouvait stopper la rage de Zoroark. Le Pokémon Ténèbres s’apprêtait à donner le coup de grâce.

- …ARRÊTEZ !!

Je ne compris pas trop ce qui arriva ensuite. L’air autour de moi parut se faire aspirer. Tout devint plus sombre, plus sombre que la nuit. Quant aux Pokémon, on aurait dit qu’un sort les avaient subitement paralysés. Ou plutôt, qu’un gong les avait assourdis. Tous me regardaient d’un air hébété.
Même Pikachu sembla se calmer. Les éclairs qui l’entouraient s’atténuèrent légèrement, et il tourna la tête vers moi. Nos regards se croisèrent.

Et là, j’eus une vision atroce.

Pétrifié, je vis, comme dans un rêve, une ombre difforme onduler autour du corps de Pikachu. Une ombre d’une telle noirceur qu’elle faisait ressortir l’éclat rouge sang qui brillait au fond des prunelles de mon vieux copain. Ce fut comme si la gravité s’était soudainement accentuée autour de moi ; quoi que fût cette ombre, elle dégageait une telle énergie négative que je ne pouvais plus bouger. Je peinais même à respirer.

Pikachu se tourna lentement vers moi, haletant comme si l’air lui manquait.

- Pi…ka…pi…

Mon cœur rata un battement. Avais-je rêvé ? Ou Pikachu venait-il de… ?

- Pikachu, qu’est-ce qui t’arrive, mon vieux… ? murmurai-je doucement.

Indifférent aux expressions choquées des personnes et Pokémon autour de moi, je fis un immense effort pour avancer d’un pas. Le monde extérieur n’existait plus. Il n’y avait plus que les pupilles rouge sang de Pikachu, et les ténèbres autour. Des émotions brûlantes et violentes déferlèrent sur moi : haine, douleur, colère. Elles imprégnaient les yeux de Pikachu et envahissaient tout mon corps. Tant d’énergie négative, c’en était insupportable. J’avais le cœur sur le point d’éclater.

Puis soudain, mon vieux copain grogna encore plus fort, avant de déverser un véritable torrent d’électricité sur moi. Cette fois, la douleur fut bel et bien réelle. Projeté en arrière par le choc, j’entendis à peine les cris terrifiés des autres Pokémon.

Au moment où j’atterris – lourdement – sur le sol, des bras m’entourèrent, et un parfum familier m’enveloppa.

- Sacha, ça va ?

La voix inquiète de Serena me parut lointaine, masquée par le bourdonnement ayant envahi mes oreilles. Un Pokémon près de moi parut m’appeler ; Croâporal, peut-être ? Je crus entendre la voix de Genzo, également. Mais ce que j’entendais de plus en plus clairement, c’était surtout les cris d’agonie de Pikachu.
Alors que je reprenais péniblement mes esprits, l’électricité autour de mon ami forma une colonne lumineuse, qui balaya Lucario et Zoroark. Les deux Pokémon s’écroulèrent au sol, sonnés.

Pikachu gronda une dernière fois, avant de s’enfuir en direction de la forêt.

- Non, reviens ! m’égosillai-je. PIKACHU !!


~*~

Genzo était encore sous le choc. Cette vague d’énergie… L’aura de Sacha était encore plus puissante qu’il ne l’avait imaginé. C’était comme si elle réagissait à ses émotions, et s’intensifiait lorsque celles-ci devenait plus fortes. Inouï… mais également terrifiant.

- Il s’enfuit ! Pikachu s’enfuit !

La voix de Serena tira Genzo de ses sombres pensées. Bien vite, l’urgence de la situation s’imposa à lui.

« C’est mauvais ! Enragé comme il est, cette pile sur pattes risque de blesser un Pokémon sauvage ! Et si Zoroark n’a pu l’arrêter, qui le fera… ? » Se demanda-t-il en avisant le renard étendu sur le sol retourné par l’affrontement.

- Il faut l’arrêter ! continuait de s’écrier Serena. Sacha !

Elle secoua le jeune dresseur, toujours dans ses bras ; mais celui-ci réagit à peine. Il avait les yeux écarquillés, pâle comme s’il venait de voir un spectre. Les autres Pokémon commencèrent à s’impatienter, eux aussi. Flambusard et Sonistrelle, notamment, trépignaient sur place, hésitant à prendre leur envol sans l’accord de leur dresseur.

- Ce regard…

Les protestations cessèrent d’elles-mêmes. Tous se penchèrent pour entendre les murmures presque inaudibles de Sacha :

- Ce regard… C’était le même…le même que Méga-Raichu…

S’il n’en montra rien, ce nom ébranla Genzo. Durant son séjour au Village Pokémon, Sacha n’avait que très peu parlé de son combat contre celui qu’il nommait « L’Homme Masqué ». Mais il avait toutefois décrit le comportement inhabituel de ses Pokémon. La rage qui brûlait dans leurs yeux, et leur puissance incommensurable.

Et surtout, les Pokéballs Obscur.

- Et cette énergie malfaisante, qui semblait vouloir l’avaler tout entier… (Sacha hoqueta soudain, et se tourna vers Genzo :) Genzo, où est-ce que vous avez trouvé Pikachu, la première fois ?

Surpris, l’intéressé se ressaisit, et fouilla rapidement dans sa mémoire.

- C’était dans un laboratoire…, se souvint-il. Oui, c’est ça : les Labos Lys-
- Un laboratoire ? le coupa Sacha. Et il y avait pas un gars bizarre, là-bas, par hasard ? Du genre avec une cape, et… et un masque ?

Le jeune garçon tremblait violemment, pris de spasmes incontrôlés. Sa respiration se fit plus saccadée, et il transpirait à grosses gouttes. Inquiète, Serena posa une main sur son épaule.

- Sacha, dit-elle doucement. A quoi tu penses ?

Son ami parut se calmer un peu. Il inspira à fond, puis regarda droit devant lui.

- Pikachu nous a sauvés des griffes de l’Homme Masqué, la dernière fois, dit-il sans toutefois s’adresser à personne en particulier. Et il en a payé le prix fort.
- Qu’est-ce que tu veux dire ? insista la jeune fille. Je ne comprends pas…

Genzo, lui, voyait parfaitement où le jeune dresseur voulait en venir. Sacha ne connaissait pas l’identité de l’Homme Masqué, pour raison évidente. En revanche, tout ce qu’il savait de lui, ses Pokémon, sa manière de se battre et de parler… Plus Genzo glanait les infos auprès du jeune dresseur, et plus ses craintes se confirmaient. Et voilà qu’aujourd’hui, l’ultime preuve venait de lui être fournie. « Non… pitié, non… »

Cela lui paraissait irréel. Comme si ce n’était qu’un rêve. Mais Gauthier était l’Homme Masqué qui poursuivait Sacha. C’était une certitude. Hormis Fantôme, aujourd’hui décédé, il était le seul à savoir utiliser les Pokéballs Obscur.
Genzo aurait vraiment préféré ne plus jamais entendre parler de ces Pokéballs maudites de sa vie.

Mais pourquoi avait-il accepté, ce jour-là ? Pourquoi avait-il accepté d’entrer dans cette folie ? Rendre les Pokémon plus forts par le simple biais d’une Pokéball… quelle idée saugrenue ! Et pourtant… L’ambition humaine n’avait aucune limite.

Soudain, sans crier gare, Sacha se précipita à l’intérieur de la maison de Genzo, avant d’en ressortir quelques secondes plus tard. Il avait enfilé sa veste bleue et enfourchait son sac à dos d’un air décidé.

- Croâporal, Brutalibré, revenez ! ordonna-t-il. Flambusard, Sonistrelle, partez devant, et essayez de localiser Pikachu !

Les deux types Vol ne se le firent pas dire deux fois. Sitôt leurs compères aspirés dans leurs Pokéballs, ils prirent leur envol, tandis que Sacha se dirigeait vers Galopa.

- Petit, qu’est-ce que tu comptes faire, au juste ?
- Ça me parait évident, répliqua Sacha. Je vais ramener Pikachu !

Sidéré, le vieil homme s’aperçut qu’il tenait entre ses mains une sorte de corde.
Non, pas une corde : des rênes.

- S’il te plaît, murmura le jeune garçon au cheval de feu. J’ai besoin de ton aide, tu veux bien me laisser monter sur ton dos ?

Galopa hennit bruyamment, et laissa le jeune dresseur lui passer le mors sans protester. Alors que Sacha grimpait sur sa croupe, Genzo se dépêcha de saisir la monture par la bride.

- Arrête, c’est de la folie ! Je comprends que tu veuilles aider ton Pokémon, mais tu vois bien qu’il n’est pas dans son état normal !
- Raison de plus pour se dépêcher ! Maintenant, laissez-moi. Je dois retrouver Pikachu !
- Alors que tu sais pertinemment que tu risques de tomber sur l’Homme Masqué en faisant ça ?

Sacha s’immobilisa brusquement, crispé. Abasourdie, Serena regardait le vieil homme avec effarement.

- L’Homme Masqué ? répéta-t-elle. Comment ça ?

Genzo ne lui répondit pas directement ; il gardait les yeux braqués sur Sacha.

- Tu sais de quoi je veux parler. Je parie que tu l’as deviné, toi aussi. Tu as vu comme moi cette énergie maléfique qui entourait Pikachu. Cette énergie… elle est due aux Pokéballs Obscur.

Plus qu’une question, c’était une affirmation.
Sacha ne dit rien ; il semblait avoir perdu toute répartie. Genzo usa de cette faille pour insister davantage :

- Lorsque j’ai trouvé ton Pikachu, il semblait vouloir fuir le laboratoire où il était retenu prisonnier. J’ignore ce qu’il s’est passé avant, mais… S’il a été enfermé un jour dans une Pokéball Obscur, il est possible que ses effets commencent à se faire sentir. Tu sais ce que ça veut dire ? Que Pikachu est dev-
- NON C’EST FAUX !!

Genzo sursauta. Sacha tremblait de tout son corps, ses doigts serrant les rênes avec tant de force que ses jointures en devenaient blanches.

- Pikachu n’est pas, et ne sera jamais le Pokémon de l’Homme Masqué ! (Sa voix se brisa légèrement.) C’est mon ami. Il s’est toujours battu à nos côtés… Et encore maintenant, il se bat. En ce moment même, il affronte cette force maléfique qui tente de prendre le contrôle. Je l’ai vu, de mes propres yeux !
- Petit. (Le ton de Genzo était ferme.) Sois réaliste, aucun Pokémon au monde n’a jamais réussi à se libérer de l’emprise d’une Pokéball Obscur. Je suis désolé pour toi, mais il est trop tard pour sauver Pikachu. L’énergie obscure l’a déjà corrompu. A l’heure qu’il est, il doit être en route pour rejoindre son nouveau maître…
- Non, j’l’en empêcherai, répliqua Sacha, buté.
- Cesse de jouer les idiots ! Parce que tu as une aura particulière et que tes Pokémon sont un peu plus costauds, tu crois vraiment être en mesure de vaincre celui que tu fuis depuis tout ce temps ? Crois-tu que ton entraînement est terminé ? Je suis navré de te l’annoncer de la sorte, mais tu ne me laisses pas le choix : à l’heure actuelle, tu es loin d’être en capacité de vaincre ton ennemi. Tu ne maîtrises pas la force qui dort en toi, sans parler de celle de tes Pokémon. Et malgré cela, tu comptes te jeter dans la gueule du loup, sans réfléchir ? Tu…
- Je le sais déjà, tout ça !

Là, ce fut Genzo qui resta sans voix. Sa colère retomba d’un seul coup.

- Je sais que je suis encore trop faible, reprit Sacha d’une voix monocorde. Je n’ai jamais eu le niveau pour faire face à l’Homme Masqué, et c’est pas encore demain que je l’aurai… Je serai sans doute jamais vraiment prêt à l’affronter. Je le sais bien.

Personne ne trouva de quoi répondre. Puis, l’espace d’un instant, un rai de lumière éblouit Genzo. En tournant la tête, il vit que le soleil commençait à percer l’horizon forestier, colorant le ciel de teintes roses et pourpres.
Son attention se reporta sur cette silhouette au dos voûté, perchée sur Galopa. Lorsque Sacha releva la tête, les chauds rayons de l’astre frappèrent son visage. Ses prunelles ambrées se parèrent de reflets dorés, accentuant leur profondeur. Lorsqu’il braqua ce regard sur Genzo, ce dernier sentit de nouveau cette force invisible qui émanait du garçon, à la fois puissante et écrasante. Seulement, cette force ne la paralysait pas par la peur. C’était plutôt comme si…elle l’impressionnait.

La personne en face de Genzo n’avait soudainement plus l’apparence d’un simple adolescent. C’était un homme qui s’adressait à lui, un homme que l’expérience avait blessé et torturé, mais qui paraissait en avoir tiré une certaine force.

- Pourtant, ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans l’immédiat, poursuivit Sacha. Il ne s’agit pas de combattre l’Homme Masqué, mais de sauver Pikachu ; de sauver mon ami. (Ses doigts crispés se relâchèrent.) Quand Pikachu m’a attaqué, tout à l’heure, j’ai senti… Par-delà l’énergie obscure, j’ai senti que le vrai Pikachu était toujours là. Et il m’appelait ; il me demandait de l’aider. Je ne peux pas fermer les yeux là-dessus. Je ne suis pas comme l’Homme Masqué : lui se moque bien du bien-être des Pokémon. Je ne parle pas que des miens, ou de tous les autres qu’il a dû faire souffrir par le passé. Ses propres Pokémon souffrent, mais il s’en moque bien.
- Ses Pokémon… souffrent ?

Le regard de Genzo se porta aussitôt sur Galopa. Impassible, le Pokémon feu observait Sacha du coin de l’œil, attentif à son discours.

- Oui. En les enfermant dans ces balles de malheur, il les a privés de tout ce qui fait d’eux des êtres vivants : la compassion, la liberté, la possibilité d’éprouver des sentiments. Ces Pokémon ne sont plus que des coquilles vides, dépourvues de toute émotion. Et s’il ne leur en reste qu’une, ce n’est que la haine.

Le soleil poursuivait toujours son ascension. Au fur et à mesure, les ombres couplées de Sacha et Galopa s’étirèrent, jusqu’à devenir plus grandes que celles des autres personnes présentes en ce même lieu.

- Genzo, vous vous souvenez de ce que vous m’aviez demandé une fois ? A propos de la raison qui me poussait à vouloir affronter l’Homme Masqué ? Je vous avais répondu que c’était la volonté de protéger mes amis… C’est toujours vrai, dans un sens, mais j’ai compris qu’il n’y avait pas que ça. Si je veux absolument vaincre l’Homme Masqué, c’est avant tout parce que sa manière de se battre m’est insupportable. Pour lui, les Pokémon ne sont que des armes dont il peut se servir à volonté. Ce genre de comportement, ça me répugne. Au final, plus que contre un homme, c’est contre une idéologie que je me bats. Et si j’abandonnais Pikachu à son sort, alors qu’il a besoin de moi, je ne vaudrais pas mieux que celui qui lui a infligé une telle souffrance. Je ne serais même plus digne d’être un dresseur de Pokémon !

Bouche bée, Genzo se rendit à peine compte que ses doigts avaient lâché les rênes de Galopa. Sacha en profita pour se dégager, et conduisit sa monture en direction de la forêt.

- Vous en faites pas, sourit-il à moitié, je reviendrai vite ! On y va, Galopa !
- Attends !

Sacha se stoppa net. Serena s’était à son tour avancée vers eux.

- Je viens avec toi, Sacha. Moi aussi, je veux aider Pikachu.
- Pas question ! protesta le jeune dresseur avec une moue inquiète. C’est trop dan-waaaah !!

Mais avant qu’il ait pu finir sa phrase, Galopa se baissa suffisamment pour que Serena puisse monter sans effort sur son dos. Ce que la jeune fille fit, non sans remercier chaleureusement l’équidé d’une caresse sur l’encolure.

- C’est un complot ou quoi ? râla Sacha, avant de hurler de plus belle quand le cheval de feu se releva et s’élança au triple galop. Bon, OK, soupira-t-il. Mais tu feras gaffe quand même, hein ?
- Évidemment, gloussa Serena.

Ce fut les derniers mots que Genzo entendit des deux adolescents. Puis eux et leur monture disparurent entre les arbres, ne laissant qu’un nuage de poussière dans leur sillage.

- Digne… d’être un dresseur…

Lucario s’approcha de son dresseur en claudiquant légèrement, à cause des coups qu’il avait reçus. Ses grognements inquisiteurs finirent par ramener Genzo sur terre.

- Rah ! Bien sûr qu’on les suit ! Dépêchons, il n’y a pas de temps à perdre…


~*~

Les sabots de Galopa martelaient le sol avec rythme. Les arbres autour de nous défilaient à une vitesse folle, si bien que le monde entier paraissait flou. De mon côté, j’aurais tellement voulu déployer mon aura pour tenter de repérer celle de Pikachu… Mais mon excitation était telle que la flamme bleue ne cessait de m’échapper.
Les mots de Genzo résonnaient encore à mes oreilles : « Tu ne maîtrises pas la force qui dort en toi. »

Agacé, je laissai tomber ce procédé, pour me concentrer sur la route.
Curieusement, nous ne croisâmes aucun Pokémon sauvage. S’étaient-ils tous enfuis devant Pikachu ? J’espérais tant qu’il n’en avait pas blessé davantage…

- Hé, Sacha…, souffla Serena dans mon dos.
- Quoi ?
- C’est à propos de ce que Genzo a dit sur les Pokéballs Obscur…
- T’en fais pas, on va réussir à ramener Pikachu à la raison.

Je n’avais pas vraiment envie de parler de Genzo. Je ne voulais pas repenser à son avertissement.

« Tu risques de retomber sur l’Homme Masqué en faisant ça ! »

Je secouai la tête, préférant ne pas y penser. L'important, c'était de retrouver Pikachu. Le reste... le reste, on aviserait. Du moins, c'était ce que je m'échinais à me répéter...

- Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, me corrigea Serena. Tu ne trouves pas ça bizarre qu’il connaisse autant de détails à leur sujet ? Toi-même, tu n’en savais pas autant…

Je lui jetai un coup d’œil surpris. Maintenant qu’elle le disait… Comment Genzo pouvait-il être aussi renseigné sur les Pokéballs Obscur ? Je me souvenais lui en avoir parlé, mais pas dans le détail… sans compter qu’il avait mentionné des points que je ne soupçonnais même pas ! Comme le fait qu’aucun Pokémon à ce jour n’avait échappé à l’emprise de ces balles noires…

- Qu’est-ce que tu insinues ? lui demandai-je prudemment.
- Je n’en suis pas sûre… Mais je l’ai trouvé bien insistant sur le fait que tu ne devais pas poursuivre Pikachu.
- Il s’inquiétait, c’est tout.
- Mmh…

Il y eut un léger temps mort. Puis Serena reprit :

- Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés, tous les deux ?
- Euh… (Cela me paraissait remonter à si loin que je dus fournir un effort de mémoire.) Après l’attaque de l’Arcanin… Quand je me suis réveillé, Pikachu était de nouveau à mes côtés. Et il y avait Genzo…et Galopa !

Le cheval de feu approuva d’un petit hennissement, avant de sauter par-dessus une racine épaisse.

- Genzo m’a dit qu’il avait trouvé Pikachu dans un laboratoire, ou un truc du genre…

Au moment où je me remémorai la scène, un détail me frappa. Pikachu était déjà là lorsque j’avais rencontré Genzo. Mais par la suite, tout ce que je savais de ce qu’il s’était passé durant notre séparation, je le tenais du vieil homme.

Une idée terrible se fraya un chemin dans mon esprit. Et si… Et si Genzo m’avait menti depuis le début ? Et s’il était en partie responsable de ce qui arrivait à Pikachu ? Cela expliquerait pas mal de choses… Comme le fait qu’il avait toujours refusé de me dire qui il était vraiment, quel était son travail, toutes ces choses.
Je secouai la tête. Non, impossible. Pourquoi aurait-il voulu nous aider, s’il était de mèche avec l’Homme Masqué ? Pourquoi nous cacher au Village Pokémon, et pourquoi nous avoir proposé un entraînement spécial ? Cela ne collait pas…

Tout à coup, un cri perçant résonna, m’arracha à mes sombres pensées. Je fis aussitôt s’arrêter Galopa. Nous tendîmes l’oreille ; le même cri retentit, plus fort cette fois. Un cri de Pokémon en détresse.

- C’est Flambusard ! s’alarma Serena. Il a des ennuis !
- Fonce, Galopa !

Le cheval de feu était déjà en mouvement. Très vite, les arbres s’espacèrent, et nous débouchâmes à l’orée de la forêt, au commencement de ce qui ressemblait à une lande rocheuse. De nouveau, je stoppai net ma monture.

Au-dessus de nous, Flambusard et Sonnistrelle flottaient dans les airs, les ailes repliées contre leur corps, le bec tordu en une expression de souffrance. Et à côté d’eux…

- S-Sépiatroce… !

Lorsqu’elle nous remarqua enfin, la pieuvre darda son regard mauvais sur notre petit groupe, un rictus satisfait peint sur le visage.

- Je le reconnais, c’est le Sépiatroce qui m’a attaquée dans le train…, murmura Serena, effrayée.
- Eh, toi ! m’écriai-je. Relâche tout de suite mes Pokémon !

Mais le Pokémon Psy n’avait que faire de ce que je lui disais. Avec un ricanement sournois, il pointa le ciel avec son tentacule acéré. Interloqué, je levai prudemment les yeux.

Le ciel se mit alors à onduler au-dessus de nos têtes, avant de prendre une teinte gris sombre, métallique. Incroyable : un vaisseau géant venait de se matérialiser ! Semblable à un gros hydravion, il était si imposant que la lumière du soleil levant fut à moitié masquée derrière son corps de métal.
Bouche bée, je faillis ne pas remarquer la silhouette qui descendait vers nous en flottant. Je serrai les dents : encore un Sépiatroce ! Mais combien étaient-ils donc ?

Et je n’avais pas fini d’être étonné : ce Sépiatroce-là maintenait également un Pokémon en l’air à l’aide de ses pouvoirs psychiques. Un Pokémon que je n’aurais jamais cru voir ici.

- Miaouss ?!

Pas de doute. Ce Miaouss qui flottait aux côtés du calamar était bien celui que je connaissais. Le Miaouss de la Team Rocket. Mais pourquoi… ?

- Ne bouge pas. Humain.

Je sursautai. Cette voix… La voix de Miaouss était aussi dépourvue d’émotion que l’étaient ses yeux. Pas besoin de plus d’être un génie pour deviner qu’il était sous hypnose. Ni pour deviner pourquoi Sépiatroce l’avait amené ici.

- Comme tu dois t’en douter, reprit Miaouss (ou plutôt Sépiatroce), nous nous servons de ce Miaouss afin de communiquer avec toi. Nous avons un message à te transmettre.
- Un message… ? répétai-je, méfiant.
- Oui. (Le Sépiatroce plissa les yeux.) Nous détenons tes amis.

J’avais beau être sur Galopa, ce fut comme si la terre s’ouvrait sous mes pieds.

- Alors j’avais raison. (La voix de Serena me ramena sur Terre.) Vous êtes de mèche avec l’Homme Masqué, n’est-ce pas ?
- Oh. Perspicace, pour une humaine, railla la pieuvre avec la voix pourtant atone de Miaouss. Est-ce à cause de cette sagacité que tu n’as pu l’appréhender, camarade ?

Le deuxième Sépiatroce, celui qui maintenait mes Pokémon, baissa honteusement la tête. Finalement, il fallait l’admettre : Serena avait eu raison sur toute la ligne. Les Sépiatroces avaient été chargés de la capturer, ainsi que Lem et Clem. Et ce, par l’Homme Masqué…

- Dites-moi ce que vous voulez, lançai-je avec un calme qui me surprit.
- Ce que nous voulons ? Ah, navré humain… Mais il est encore trop tôt pour répondre à cela. En revanche, notre…associé, lui, souhaite te voir. Et dans les plus brefs délais.

L’autre pieuvre se mit à ricaner et à croasser quelques mots dans sa langue. Celui qui détenait Miaouss gloussa à son tour.

- Ah oui… Et je te conseille de ne pas trop le faire attendre. C’est quelqu’un de très impatient. Si tu venais à traîner, ou pire, à refuser son « invitation », je ne sais pas ce qui arrivera à tes chers amis…

Je sentis la fatalité me tomber sur les épaules avec la force d’une massue. Après tout ce que j’avais fait… Cette fuite, cet exil, cet entraînement loin de tout, et surtout de mes amis… après ces semaines d’isolement dans le but de protéger mes compagnons, voilà qu’ils étaient à nouveau en danger. Et par ma faute.

- Ne t’en fais pas, humain, susurra Sépiatroce. Nous allons te conduire jusqu’à lui en un rien de temps. Tout ce que tu as à faire est de nous remettre bien sagement tous tes Pokémon. Ne prends pas cet air si surpris. Nous commençons à te connaître : tu n’es pas du genre à te rendre sans combattre. Mais comprends bien une chose, humain. Résister, c’est condamner tes amis. Tu ne voudrais pas que cela arrive, n’est-ce pas… ?

Un silence malsain tomba sur la lande plongée dans la pénombre. Tous attendaient que je m’exprime. Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus éprouvé ce sentiment, celui qui vous fait comprendre que des vies dépendent de vous, et de votre seule décision. Et honnêtement, j’aurais préféré ne plus jamais l’éprouver.

- Alors ? me pressa Sépiatroce. Que décides-tu ?
- Ne fais pas ça, Sacha, me souffla Serena. C’est un piège, on ne peut pas leur faire confiance ! Ni à eux, ni à l’Homme Masqué.

Elle avait raison, évidemment. Mais que pouvais-je bien faire ? Je me retrouvais avec une épée de Dimoclès au-dessus de la tête. Quoi que je décide, cela se terminerait mal pour quelqu’un à qui je tenais. Et dans les deux cas, il était quasi certain que je n’en sortirais pas indemne.

Je pris une grande inspiration pour calmer mon pouls affolé. Je relâchai mes muscles un à un, et levai les yeux sur les Sépiatroces. Leurs pupilles bleu luisantes les rendaient pareils à des bêtes sauvages tapies dans l’ombre, qui attendaient que leur proie tombe entre leurs griffes. Et la proie, en l’occurrence, c’était moi.

Je fermai les yeux, réfrénant de mon mieux la boule d’angoisse qui me tordait le ventre. Il n’y avait pas trente-six solutions. Alors autant en finir.

- Où se trouve l’Homme Masqué ? demandai-je calmement.
- A l’Usine de Pokéballs, répondit la pieuvre. Au nord de Romant-sous-Bois. Il t’attend patiemment.
- Alors c’est d’accord. Je vais y aller.

J’ignorai les protestations étouffées de Serena et Galopa.

Et échangeai un dernier regard.

- Je vais y aller… mais pas avec vous ! ULTRASON !!

Tous n’avaient pas le temps d’être surpris. L’air tout entier se mit soudain à vibrer de manière insoutenable, Sonistrelle produisant un sifflement aigu à vous transpercer les tympans. Faisant fi de la douleur, j’envoyai ma Pokéball en l’air. Brutalibré en sortit telle une furie et décocha un terrible Pied Voltige en plein dans l’abdomen du Sépiatroce qui maintenait Miaouss, l’envoyant percuter son collègue.

Sonné, les mollusques relâchèrent leur emprise sur les Pokémon, aussi Flambusard et Sonistrelle purent-ils recouvrer leur liberté. Quant à Miaouss, il tomba comme une masse. Je sautai du dos de Galopa et le rattrapai juste à temps, avant de le secouer sans ménagement pour le réveiller.

- Eeeeh… ? Mia ? J’ai fait un affreux cauchemar…, bégaya le félin.
- Je sais Miaouss, mais on n’a pas le temps. Il faut que tu lances Combo-Griffe sur tout le monde, dépêche-toi !

Le chat cligna des yeux, comme s’il peinait à émerger d’un rêve. Son regard alla de moi à Serena, en passant par Galopa, Brutalibré et Flambusard encadrant Sonistrelle, prêts à attaquer, jusqu’à finalement tomber sur les Sépiatroces. Ses pupilles s’étrécirent sous la terreur, et ce fut comme s’il avait été frappé par la foudre. D’un coup, il hurla comme un dément et fit ce que je lui demandais : à savoir écorcher le visage de tout le monde.

Ce qui ne se déroula pas sans douleurs et protestations.

- Mais t’es complètement malade, ou quoi ?!

Galopa fut à peine remis de l’attaque qu’il carbonisa littéralement Miaouss sur place, tandis que Serena l’assassinait du regard.

- Désolé, m’excusai-je à la place du félin (qui gisait sur le sol en se demandant ce qu’il avait fait pour mériter ça.) Mais c’est ça ou se faire hypnotiser…
- Et il n’y avait pas d’autre moyen, vraiment ? fulmina Serena.
- Ah, parce que tu préfères vraiment sauter d’un pont que de te faire lacérer le visage, toi ? répliquai-je, pince-sans-rire.

Sans laisser le temps à Serena de répondre, une lumière aveuglante envahit notre champ de vision, comme je m’y attendais. Mais la douleur des coups de griffes de Miaouss m’aveuglait bien plus, au point de me forcer à fermer mes yeux larmoyants.

La flamme de l’aura se matérialisa devant moi. Mes sens se déployèrent ; j’étais prêt au combat.

- Brutalibré, saute sur la gauche, et lance Plaie-Croix ! Flambusard, suis-le et utilise Rapace vers le haut !

Je ne vis rien à proprement parler du combat, mais les mouvements d’auras et les cris des Sépiatroces m’apprirent que la ruse avait fonctionné. A présent que les lumières n’étaient plus, j’ouvris les yeux et m’agenouillai de nouveau auprès de Miaouss. Heureusement, le Lance-Flammes de Galopa semblait avoir fait autant de bon travail que Combo-Griffe : le chat de la Team Rocket était toujours maître de ses esprits. Enfin, presque…

- Miaouss, réveille-toi ! Il faut que tu te reprennes… Est-ce que tu crois pouvoir piloter leur vaisseau ?
- H-hein ? Quel vaiss-

Je crus bien qu’il allait faire une attaque en voyant l’énorme mastodonte obstruer le ciel. Je comprenais qu’il soit perdu après avoir été sous le joug de Sépiatroce… mais on n’avait plus le temps !

- Vite ! le pressai-je. Tu peux le conduire, ou pas ?
- J-je… B-bien sûr ! Sans problème !
- Alors, vas-y. Une fois qu’on sera tous montés à bord, fonce en direction de l’Usine de Pokéballs, t’as compris ? On compte sur toi !

Avant que Miaouss ne puisse répliquer quoi que ce soit, j’appelai Flambusard pour qu’il emmène le pauvre félin jusqu’au vaisseau géant. Un Sépiatroce parut remarquer mon petit manège, et se dirigea vers eux. Mais un jet de flammes l’accueillit aussitôt. Je remerciai Galopa d’un clin d’œil.

- Allez, Brutalibré, lance Flying Press !

L’oiseau de combat fondit sur le Sépiatroce, et réussit à le plaquer au sol. Alors que la pieuvre tentait de se relever, Sonistrelle voulut le ramener à terre, avec Charge. Seulement, sa puissance était loin d’égaler celle de Brutalibré. Mon sang se glaça quand je vis l’éclat cruel dans les yeux du Pokémon Psy.

- Croâporal, à toi !

Le batracien avait à peine fini de se matérialiser qu’il émoigna Sonistrelle du Sépiatroce, avant de bombarder ce dernier d’un Vibraqua bien placé.

Penaud, le petit Pokémon rejoignit mes bras. Je le consolai rapidement ; il avait déjà fait de l’excellent travail avec Ultrason.

Une série de croassements attira mon attention. Le second Sépiatroce étaient aux prises avec Galopa. Habilement dirigé par Serena, l’équidé bombardait le type Psy de toutes les flammes qu’il pouvait, bien décidé à en découdre. Pas besoin de m’inquiéter pour eux, pensai-je avec un demi-sourire, avant de revenir à mon propre combat.

- Croâporal, Brutalibré, lancez Super-Flying-Coupe !

Se remémorant leur vieil enchaînement, l’amphibien monta sur le dos de son partenaire, avant de lacérer Sépiatroce avec son sabre blanc. La pieuvre s’en était à peine remise que Brutalibré la renvoya visiter le sol.

Le combat continuait de faire rage, et les Sépiatroces commençaient à perdre du terrain. Seulement, nos Pokémon allaient eux aussi se fatiguer, à ce rythme.

« Allez, Miaouss… Dépêche-toi… »

Comme s’il avait entendu ma prière, le vaisseau se mit soudain à vrombir, et un vent puissant coucha les arbres alentour, soulevant un immense nuage de poussière. Il avait réussi !

Un chuintement suivi d’un grincement métallique attira l’attention de tous. A mesure que l’engin descendait plus près du sol, une rampe s’ouvrait à l’arrière. Parfait. C’était maintenant ou jamais.

- Suivez-moi, tous ! hurlai-je pour couvrir le vrombissement de l’appareil. Croâporal, ralentis les Sépiatroces !

Saisissant le message, l’amphibien bombarda ses adversaires de Grebulles gluantes, en prenant soin de viser autant leurs ventres que leurs yeux. Les Sépiatroces ainsi aveuglés se retrouvèrent démunis.

Temporairement, toutefois.

Serena le laissa les rênes de Galopa. Une fois monté sur le dos de celui-ci, je lui intimai de sauter en direction du vaisseau. Galopant comme s’il avait le diable aux trousses, l’équidé prit le plus d’élan possible et, grâce aux aspérités du terrain, réussit à atteindre l’appareil. La porte commença à se refermer, alors que Brutalibré, portant Croâporal sur son dos, se faufilait à l’intérieur. Un rapide coup d’œil me permit d’affirmer que tout le monde était présent.

La rampe mettait une telle éternité à se fermer que je m’attendais à voir surgir les Sépiatroces d’un instant à l’autre. Mais rien ne se produisit. Où étaient-ils passés ?

Enfin, toutes les portes furent hermétiquement fermées. L’appareil prit alors de l’altitude, et accéléra brusquement nous faisant tous tomber. Je ne pus néanmoins retenir un soupir de soulagement. Nous étions partis. Nous avions échappé aux Sépiatroces.

Mais pour combien de temps… ?


~*~

D’un coup de tentacule rageur, le Sépiatroce se débarrassa de cette stupide mousse gluante, et braqua ses yeux emplis de haine sur le vaisseau. Le cheval de feu venait d’y entrer, ainsi que les Pokémon de cet humain de malheur.

Le Pokémon Psy hurla en direction de son collègue : il ne fallait pas les laisser s’emparer du vaisseau ! Seulement, le second Sépiatroce ne put lui répondre ; une sphère bleue explosa dans son dos, le laissant étendu au sol, assommé.

- Si tu crois que je vais te laisser leur faire du mal, s’écria Genzo, tu te fourres le tentacule dans l’œil !

Surpris et furieux à la fois, le Sépiatroce réussit à éviter l’attaque Charge-Os du Lucario qui fonçait sur lui. Il riposta par plusieurs Coupe Psycho, tout en faisant claquer furieusement son bec. Lucario dévia les attaques avec une fougue impressionnante, malgré son état de fatigue. Soudain, une rafale de vent le déséquilibra.

Genzo mit sa main en visière pour se protéger de la poussière ; l’énorme appareil qui les surplombait pivota sur lui-même, provoquant un souffle terrible qui plaqua tout le monde au sol. Puis il s’éclipsa sans demander son reste, à une vitesse impressionnante pour un engin de cette taille. Quelques arbres furent arrachés par la force du vent.

Genzo réussit à ne pas s’envoler grâce à l’Abri de Lucario, qui avait dévié une partie de la bourrasque. Cela dit, le Pokémon Combat était épuisé par cet effort considérable. Genzo s’attendait déjà à une riposte de ses ennemis…

…qui ne vint pas. Les Sépiatroces – même celui qui était inconscient – n’étaient plus là. Comme évaporés. Avaient-ils été projetés plus loin par la force du vent ? Genzo déploya le peu d’aura qu’il pouvait, espérant les localiser. Mais aucune trace d’eux. Le vieil homme se tourna vers son Pokémon ; Lucario secoua négativement la tête. Si le Pokémon Aura lui-même ne pouvait percevoir leur présence, c’était que les Sépiatroces n’étaient plus dans la forêt. Mais où avaient-ils donc pu passer… ?

Lucario grogna soudain, et mit un genou à terre. Il haletait bruyamment. Après ces combats acharnés contre le Pikachu enragé de Sacha et ce Sépiatroce, sans compter l’énergie considérable déployée pour empêcher son dresseur d’être emporté par le souffle de l’appareil au décollage… pas étonnant qu’il fût à bout de forces.

- Allez, repose-toi, mon vieux. Tu l’as bien mérité…

Genzo rappela son Pokémon dans sa Pokéball. Puis considéra celle-ci. La surface lisse de la balle rouge et blanche peinait à renvoyer un reflet clair du vieil homme, tant elle était vieille et usée.

« L’Usine de Pokéballs… » D’après ce qu’il avait entendu de la bouche de cet étrange Miaouss parlant, les amis de Sacha seraient retenus à cette fameuse usine.

Et Gauthier y était aussi.

« Plus besoin de se demander d’où viennent les problèmes de livraison de ces derniers jours ! » Evidemment. Tout concordait. L’arrivée de Sacha au village, l’épuisement des stocks de Pokéballs, l’attaque du train… Tous ces événements ne s’étaient pas enchaînés pour rien. Ils étaient tous liés par le même fil conducteur : l’Homme Masqué. Autrement dit, Gauthier.

Genzo contempla le ciel, désormais bien bleu à présent que le soleil approchait de son zénith. Il tremblait. Que faire ? L’indécision le rongeait telle une maladie vicieuse. Ne devait-il pas foncer lui aussi en direction de l’usine ? Sacha et Serena, sans parler de leurs Pokémon, couraient tout droit à leur perte en s’y dirigeant. Et c’était à Genzo qu’il incombait de stopper les actions de Gauthier…

Une soudaine prise de conscience paralysa Genzo. Il savait ce qui l’empêchait de partir à la poursuite des jeunes gens. Depuis ces cinq dernières années, il avait passé son temps à faire des recherches pour localiser Gauthier. Et quand les recherches aboutissaient au point mort, il s’entraînait en vue d’un possible affrontement avec son ancien élève.

Les tremblements s’accentuèrent, à mesure que la réalité s’imposait à lui. N’en pouvant plus, Genzo détourna les talons, et courut en direction du village.
Non… Non il ne voulait pas y croire ! Aurait-il réellement pu agir ainsi, et de manière aussi involontaire ?

Depuis que Sacha avait fait irruption dans sa vie, Genzo s’était maintes fois demandé ce qui l’avait poussé à aider ce jeune homme en détresse. Certes, il lui avait rappelé Gauthier par bien des aspects. Un jeune perdu, souhaitant devenir plus fort pour s’assurer un avenir qu’il savait pourtant incertain.

Mais si la vérité était toute autre ? Et si Genzo n’avait suggéré d’entrainer Sacha que dans son intérêt personnel ?

Lorsqu’il déboucha hors de la forêt, et aperçut les collines fleuries du Village Pokémon, Genzo crut se réveiller brusquement, tel un somnambule qu’on aurait dérangé.

« Idiot ! se rabroua-t-il intérieurement. Pourquoi être revenu ici ? Gauthier est là-bas, à cette fichue usine ! Tu sais enfin où il se cache, alors pourquoi ne vas-tu pas l’arrêter ?! »

Depuis la mort de Fantôme, tant de choses s’étaient passées. Gauthier, anéanti, avait changé du tout au tout. Genzo se souvenait encore de la cuisante défaite que l’ex-soldat lui avait infligée, juste avant qu’il ne quitte la Team Rocket. Le jour suivant, ce fut lui qui donna sa démission. Il partit se ressourcer à Kalos, terre qui l’avait vu naître, avec la ferme intention de retrouver Gauthier, et de stopper sa folie.

Cinq ans avaient passé depuis ces événements. Et aujourd’hui, enfin, la patience de Genzo était récompensée. Il savait où se trouvait Gauthier. Et pour couronner le tout, il se trouvait dans la même région que lui. Une aubaine ; alors pourquoi hésiter ? Pourquoi hésiter maintenant, alors que Genzo avait consacré toute sa vie depuis sa retraite à la seule recherche de Gauthier ?

Au fond de lui, Genzo connaissait la réponse. La peur. Il craignait de se retrouver face à Gauthier de nouveau. Il craignait de l’affronter de nouveau, et d’échouer une fois de plus à le remettre dans le droit chemin.

Bien que terrible, la vérité lui paraissait évidente, à présent : Genzo avait trouvé en Sacha le moyen de déléguer ses propres responsabilités.

Sacha avait une bonne raison de combattre l’Homme Masqué. Et contrairement à lui, il avait manifesté clairement son intention de l’affronter à nouveau. Alors Genzo l’avait entraîné afin qu’il parvienne à vaincre celui qu’il pourchassait depuis tant d’années.

La honte coupa le souffle de l'ex-membre de la Team Rocket. « J’ai été lâche. J’ai toujours été un lâche, et ça ne changera jamais. J’ai essayé d’empêcher Sacha de partir… Mais dans le fond, je le sais : je ne souhaite que cela, qu’il aille là-bas et terrasse Gauthier. »

Cependant, Genzo n’avait pas menti en affirmant que le jeune dresseur n’était pas encore prêt à affronter l’homme au masque. Genzo lui-même ne l’était toujours pas, alors qu’il avait bien plus d’expérience ! Sacha n'avait aucune chance.

Les yeux du vieil homme lui piquèrent. A la honte se mélangeait désormais la tristesse, le tout donnant un profond sentiment d’abattement.

- Je ne suis vraiment pas bon pédagogue, ironisa-t-il tristement à haute voix. Tout ce que je sais faire, c’est donner des coups de cravache aux jeunes… Sans être capable de leur instruire quoi que ce soit. Tu parles d’un professeur…

Lorsqu’il revit les zones où l’herbe avait légèrement brûlé ; lors du combat entre Pikachu, Zoroark et Lucario, Genzo repensa au Pikachu du gamin. Pour lui aussi, tout était perdu. Pas un seul Pokémon ayant séjourné, ne serait-ce que quelques secondes, dans une Pokéball Obscur, ne pouvait redevenir comme avant. En réalité, il y avait bien un moyen, mais peu évident à réaliser, et qui laissait tout de même des séquelles…

Pourtant, se souvint-il, Sacha n’avait pas renoncé. Il persistait à croire qu’il pouvait sauver son Pikachu. Ce n’était pas un caprice d’enfant têtu.

« Si j’abandonnais Pikachu à son sort, alors qu’il a besoin de moi, je ne vaudrais pas mieux que celui qui lui a infligé une telle souffrance. Je ne serais même plus digne d’être un dresseur de Pokémon ! »

« Digne d'être un dresseur... » Plus que l’aura puissante du jeune garçon, Genzo comprit alors ce qui l’avait impressionné chez lui, au point de ne plus pouvoir bouger à ce moment-là.

Le courage. Sacha éprouvait les mêmes peurs, et la même angoisse de se retrouver de nouveau face à l’homme qui les avait fait souffrir, lui et ses Pokémon. Et pourtant, il était prêt à faire face à ces peurs pour sauver son ami. Il avait des convictions, et s’y tenait de tout son cœur.

« Et moi, qu’est-ce que je fais ? Je rentre chez moi, la queue entre les pattes, tel un Ponchiot effrayé. Sacha se bat pour ce en quoi il croit. Mais moi, en quoi est-ce je crois ? J’ai abandonné tout espoir depuis bien longtemps… »

Tout à coup, Lucario jaillit sans prévenir de sa Pokéball. Surpris, le vieil homme s’excusa auprès de son Pokémon :

- Oh, désolé. Tu as besoin de soins, c’est vrai…

Mais Lucario secoua la tête. A la surprise de son dresseur, il s’esquiva et entra de lui-même dans la maison, malgré ses blessures. Genzo, inquiet pour la santé de son Pokémon, le suivit à l’intérieur. Il retrouva son Lucario assis sur le sol, penché sur un objet particulier.

Une casquette.

- C’est celle de Sacha… ? Il a dû l’oublier tout à l’heure…

Lucario s’approcha, le couvre-chef à la patte, et le tendit à son dresseur. Celui-ci le regarda sans comprendre. Que voulait-il qu’il fasse avec ça ?

Puis Genzo comprit.

- Tu…tu es sûr… ? demanda-t-il à son Pokémon.

Ce dernier hocha la tête, plongeant ses yeux pleins d’intelligence dans ceux de son dresseur. Depuis sa Pokéball, le loup bleu avait senti la détresse de Genzo. Cela faisait maintenant longtemps qu’ils se connaissaient, tous les deux. Lucario savait pertinemment ce qu’éprouvait son dresseur. Et il partageait ses sentiments ; lui aussi avait essuyé la défaite face à Gauthier, dans le passé.

Mais cette fois-ci, il y avait un espoir. Et cet espoir se nommait Sacha. En décidant d’entraîner ce garçon et ses Pokémon, Genzo avait peut-être eu des arrière-pensées égoïstes. Néanmoins, il avait réussi à insuffler un nouvel espoir dans les yeux du jeune homme. Lucario l’avait vu. Et il était fier de son dresseur pour cela.

C’était ce qu’il essayait de lui faire comprendre, sans un mot, simplement par le regard. Il voulait que Genzo comprenne qu’il n’était pas encore trop tard. Il était toujours temps de se racheter. De réparer les erreurs du passé.

Perplexe, Genzo se saisit de la casquette rouge et blanche du jeune garçon, et la fixa quelques instants, comme si son rôle à jouer dans cette histoire y était inscrit en toutes lettres.

Lucario se dirigea vers l’armoire à pharmacie, et la désigna de sa patte, avant d’en faire de même avec lui-même. puis il hocha de nouveau la tête. Genzo saisit le message. Il sourit.

- Ça va, j’ai compris. Tâche de ne pas t’emmêler les pinceaux avec le sparadrap comme la dernière fois, vieux fripon, compris ?

Le loup bleu grogna avec amusement, mais également avec insistance. Il avait raison ; le temps pressait.

Genzo rassembla ses affaires, prit bien soin d’emporter le couvre-chef de Sacha, et sortit au-dehors. Puis il appela son Guerriaigle.

- Allez, mon grand, on s’active ! Cap sur l’Usine de Pokéballs !

L’oiseau s’envola avec un cri plein de détermination. Tandis qu’ils s’élevaient au-dessus des nuages, Genzo se surprit à sourire.

« Quand je pense que je l’ai trouvé perdu et anéanti… Qui aurait pu croire que ce serait Sacha qui me réapprendrait ce qu’est l’espoir… ? »