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Eclipse de Lundwing



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Informations

» Auteur : Lundwing - Voir le profil
» Créé le 27/10/2016 à 20:48
» Dernière mise à jour le 30/10/2016 à 23:23

» Mots-clés :   Drame   Slice of life

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Pétales Iridescentes - Passé
Ranger des affaires a toujours été une bonne manière pour Mauricio de se vider la tête. Surtout après une telle journée. Les mots du commissaire ne cessaient de tambouriner dans son esprit, aussi précisément qu’un lancinant métronome. « Je pense que ton oncle ne s’est pas suicidé ». Cette voix, ce moment précis ne cessait de lui revenir en tête, aussi violemment qu’un boomerang à lames aurait pu le mettre en pièces. S’il était content de cette nouvelle ? Pas nécessairement. Son deuil était déjà fait, la douleur insupportable sur le moment était passée et le fait de tenir une boutique de café arrivait à lui faire tenir la tête hors de l’eau.

Mais devoir ouvrir à mains nues une plaie béante pour aller inspecter à nouveau les entrailles d’une souffrance ancienne ? Était-ce seulement humain que d'obliger quelqu'un à revivre ces moments ? Heureusement que les pokémons étaient là pour le soutenir. Lorsqu’il souffla les bougies de ses onze ans, son père lui avait donné la permission d’effectuer l’un des rites les plus anciens de l’archipel d’Alola : effectuer le tour les îles. Pour les aloliens, c’était une tradition très ancienne et presque sacrée qui revêtait beaucoup d’importance. L'idée était que l’esprit jeune puisse recevoir au cours de son voyage toute l’histoire d’un peuple fier. Il fallait le voir comme une transmission de flambeau à la future génération. Ainsi, lorsque les rites des épreuves étaient passés avec succès, une petite cérémonie était organisée. Le moment le plus marquant était certainement lorsque le chaman prédisait l’avenir des différentes îles.

Ce moment arriva l'année où il avait fait le tour des îles. Quelque chose de très différent s’était produit. Comme si le chaman était entré en transe, le vieil homme s'était mit à s’exprimer d’une voix rauque et puissante à l'ensemble de la population une de ses plus sombres découvertes.

« MALHEUR ! Le péché originel a été consommé ! Gare à vous peuple sacré d’Alola ! L’horizon funeste est bien réel ! L’engeance du diable est sur le point de s’abattre sur nous. Mais… » Ses yeux d’un blanc profond se dirigent droit vers Mauricio pendant de longs instants avant de se retourner vers la foule, écoutant attentivement « Je vois un espoir. L’un de vous pourra peut-être survivre à ce nouvel ordre mondial. Peut-être pourrait-il voir à travers les pans tissés de l’ombre trompeuse la vérité absolue ? Mais pour cela, il devra CROIRE ! Oui, croire ! ... »

Le reste du discours était en soi identique à ce qui était dit chaque année à tous ceux qui réussissaient les épreuves. Mais à chaque fois, son esprit ne cessait de repenser à ce que cet homme avait prophétisé et surtout sur sa manière de faire. Mauricio sut instinctivement que la dernière partie du message lui était destiné. Il était cette personne devant combattre l’ombre éternelle menaçant de s’abattre sur le pays entier. Bien entendu, cela sonne toujours bien pour quiconque ayant un peu d'imagination d'entendre ce genre de choses. Malheureusement, peu de temps après, son père, qui était en train de récolter des fèves dans son jardin, tomba malencontreusement de l’échelle et reçu ce qu’on appelle communément le coup du lapin. La fracture fut fatale. C'était fini avant même d'avoir commencé. L’instant d’après, le jeune garçon réalisa son nouveau statut d'orphelin. Sans père, ni mère. Son oncle, officiant encore sur le sol l’Alola, eut vent de la terrible nouvelle et lui proposa de venir vivre avec lui au lieu d'intégrer un orphelinat. Le colonel l’avait alors pris sous son aile jusqu’au jour où il serait assez grand pour reprendre le commerce de son père. Il fit son deuil de cette manière : il continua à entretenir les jardins de fèves, comme si cette culture avait le pouvoir de faire vivre et perdurer la mémoire parentale. Le chaman lui avait dit qu’il devait croire. Alors, du plus profond de son être, il espérait qu’un jour il pourrait au moins revoir son père. Et qui sait, peut-être que ses fèves pourront un jour sauver des vies ?

Mais il avait à présent la quarantaine et les bonnes vieilles histoires ne lui faisaient plus le même effet. Croire n'était qu'une perte de temps, il fallait agir. Et il avait commencé par demander à tous ses pokémons ceux qui voulaient ou pas rester avec lui. Il estimait qu'ils étaient libres de faire ce qu'ils voulaient. Au final, de tous les spécimens qu’il avait pu attraper, un seul encore était resté auprès de lui. Il s’agissait d’un Feuforêve. Personne dans le village nétait réellement au courant qu’il avait ce pokémon et c’était tant mieux – à part peut-être cette vieille chouette de Cranbell, elle savait tout, même ce qu’elle ne pouvait pas savoir. C’était une petite créature très timide avec qui il avait tissé des liens si forts qu’il ne pouvait se résoudre à se quitter mutuellement. Elle n’était pas très forte au combat mais il aimait juste passer du temps avec elle. Ce pokémon spectre était un peu comme un pont vers le passé calme et bienheureux qu’il chérissait tant.

Avec la mort de son père, un tas d’affaires restaient encore à ranger, à donner comme à jeter. Mauricio y allait progressivement et le faisait uniquement lorsqu’il se sentait assez fort mentalement. Cela faisait pas loin de trente ans que son père était parti mais il n’a jamais réussi à se départir complètement de tout. C'était comme si cette maison l'avait enraciné pour de bon, tout comme ces arbres qui s'épanouissaient tellement que la qualité des fèves était inégalée sur tout l'archipel. Après tout, les fèves et son café lui prenaient beaucoup de temps. Mais après ce que le gérant de café venait d’entendre de la bouche du commissaire… Il ne se sentait pas bien du tout. Et son instinct lui édictait d’aller dans la cabane au fond du jardin. Son cœur battait la chamade lorsqu’il posa sa main sur la poignée. Serait-il assez solide pour faire cela ? Feuforêve était sur ses talons, l'air inquiète. Mais elle ne pipait mot et observait avec toute la retenue que la situation exigeait. Soufflant un bon coup, il agrippa la poignée.

La porte en bois grinça et une odeur de renfermé mêlée à une poussière omniprésente le choppa à la gorge. Tâtonnant un peu, il finit par trouver l’interrupteur et l’actionna. Dans un flash étouffé, la lumière s’établit et comme un enfant ayant retrouvé son chez soi, il se transporta de nombreuses années en arrière dans l’atelier de son père.Ses souvenirs vagabondèrent. Il le voyait là, en train de travailler le bois. La première pensée qui lui revenait était l’odeur particulière de ce bois, une variété de palmiers qui ne poussait que sur l’archipel. Et puis les outils qui lui faisaient peur. Toutes ces scies aux dents acérées donnaient l’impression qu’elles provenaient directement de la gueule d’un Lougaroc affamé. Parfois Papa se faisait mal avec. Il le voyait en train de prendre des mesures, de tracer des traits au crayon de papier puis de s’affairer à découper soigneusement l’arrondi de ce qui serait une future palissade. « Vas-y doucement, prends ton temps... Voilà, c’est très bien, tu es un homme à présent ! » Son visage était tendre et bienveillant. Il lui semblait presque sentir sa main sur la sienne alors qu’il s’appliquait à sa tâche. Sa chaleur. Son odeur. Son sourire. Sa voix. Tout lui revenait.

Inéluctablement, les larmes montaient en lui. Sa vue chimérique se brouilla et il s’effondra à genoux, la tête entre ses bras, le corps tremblant. Feuforêve, plutôt discrète, avait fini par sortir de sa cachette et s’enquit de l’état de santé de son maître. A l’aide de ses pouvoirs spectraux, elle canalisa la souffrance qui émanait de Mauricio pour la stocker dans une de ses perles qu’elle portait au niveau de son cou. La souffrance disparut instantanément.

« Merci ma belle, merci beaucoup »

Un gloussement spectral servit de réponse. Mauricio attendit quelques instants avant de se mettre à nouveau à ranger des affaires. Son père gardait beaucoup de choses, peut-être bien beaucoup trop de choses aux yeux de certaines personnes. Mais il ne gardait pas tout pour seulement le plaisir de garder, tout était d’ordre sentimental et Mauricio ne savait pas s'il avait le droit de jeter des souvenirs d'une autre personne. Il y avait notamment cet album photo qui prenait la poussière sur une des étagères. Un album de famille. A l’origine, tout comme son oncle, ils n’étaient pas originaire l’Alola mais de Kalos qui dit-on serait la détentrice de la plus belle ville du monde. Pour preuve il y avait notamment cette photo avec une grande tour de fer et deux bonnes têtes souriantes. Il reconnut son oncle avec encore tous ses cheveux sur la tête ainsi que sa mère, enceinte. Il ne l'a jamais connue et chose étrange, cela ne lui faisait pas plus de mal que cela. Son père devait certainement être celui qui prenait la photo.

Au dos de chacun des clichés se trouvait un petit texte. Ils les a lu une centaine de fois depuis que son père était parti. C'était sa manière pour lui de transmettre sa mémoire à la génération future. Avec une infinie délicatesse il prit le cliché vieillissant et lut le petit texte qui était écrit derrière - qu’il connaissait à présent par cœur.

Hiver 1977. Illumis.
La chance que nous avions ! Mon frère avait obtenu une permission pour passer Noël avec nous, c'était très rare. Ce fut l'un des soirées les plus mémorables qu'il soit sinon la meilleure. Light avait annoncé qu’elle était enceinte, c’était la joie dans la famille ! Nous serions bientôt trois. Mais où aller ? Nous voulions quitter Illumis. Mon frère nous avait parlé d’Alola, c'était là-bas qu'il travaillait. Ses récits de mers turquoise et de plages de sable fin nous fascinaient toujours un peu plus.

Mauricio remit la photo à sa place. Des souvenirs refaisaient surface, des conversations avec son père et sur ses origines. Ces deux-là s’étaient rencontrés par hasard, au niveau de la gare. Ils attendaient tous les deux quelqu’un de différent. Finalement, le train avait plus d’une heure de retard. Ils ont alors décidé d’aller tuer le temps en allant prendre un café ensemble. Le courant passait bien entre eux. Il lui avait confié que ce café était le plus mauvais qu’il n’avait jamais bu et qu’un jour, il lui ferait goûter le meilleur de toute la planète – mais uniquement si elle décidait à sortir avec lui. Et c’est ainsi que leur histoire a débuté. Son père travaillait dans une pépinière à l’ouest d’Illumis et ne gagnait pas grand-chose. Light en revanche était une scientifique travaillant en recherche et développement dans un laboratoire pharmaceutique œuvrant pour créer de nouveaux médicaments contre les maladies rares touchant les pokémons. Elle avait une carrière brillante et fulgurante, si bien qu’emménager à Alola, terre inconnue et exotique, n’était pas d’actualité sauf si une opportunité se présentait. Cependant, tout changea le jour de sa naissance. Sa mère fut morte en le mettant au monde.

La vie de son père changea du jour au lendemain. Il fallait trouver des solutions et vite. Mauricio continua à tourner les pages de l’album jusqu’à tomber sur photo mettant en scène un homme et une femme tenant dans une des bicoques d’Ekaeka un petit nourrisson enveloppé dans des draps blancs. Tout cela n’aurait pas été possible ans ces deux personnes, pas avec le projet fou de son père.

Eté 1979. Ekaeka.
Salim et Leane Terrebel, veillant tels des anges gardiens sur Mauricio, mon fils. Nous n’avions que très peu d’économies, la plupart étant utilisée pour le trajet en avion et l’achat de cette maison. Voici mes amis, les vrais, ceux sur qui on peut compter lors des moments difficiles. Ils avaient accepté de me suivre à l’autre bout de la planète pour s’occuper de mon petit pendant que je faisais le tour des îles et récolter les fèves les plus rares et les plus diversifiées possibles. Light voulait vivre ici et boire le meilleur café du monde. J'entendais bien tenir ma promesse.

Cela le renvoya peu de temps avant son tour des îles. Tout le monde connaissait son histoire sur l'île et tout le monde a bien voulu lui donner un coup de main pour créer son petit commerce. Mais c'était sans compter sur ses talents désastreux pour préparer le café ! Oh il avait bien essayé de créer un nouvel arôme mais il était tellement mauvais que personne ne voulait en boire de son café. Il était juste doué pour le jardinage. Du coup, il préparait des cafés simples. Enfin... Il essayait. C'était rapidement son fils qui l'aida et lui par contre était un génie dans son genre. Il arrivait à créer des fragrances inédites qui explosaient en bouche tout en ôtant l'amertume du café. La tête qu'il avait fait son père quand il avait bu le premier café préparé par Mauricio !

Même encore aujourd’hui, il s'en souvenait très bien. Il lui sembla donc important que cette part de l’histoire ne reste pas dans une cabane abandonnée et Mauricio prit l’album poussiéreux sous son bras avant de refermer la porte en bois de la cabane. Était-ce un coup du destin que de décider cela après presque trente années ? Il aurait bien voulu rencontrer ce Salim et cette...

Leane.

Son sang se glaça. Sans le savoir, il venait de mettre la main sur quelque chose d’assez crucial pour confondre et trouver la personne qui avait mis en pièce tout ce qu'il avait de plus précieux.