Norman s'était levé très tôt. Il n'arrivait plus à dormir. Ce soir avait lieu la convention des champions d'arène d'Hoenn et malgré le caractère informel de cette réunion, il angoissait. Pourtant il n'y avait pas de raison : il n'était pas du tout un novice dans son rôle. D'ailleurs il avait choisi cette voie en tout état de cause parmi tous les chemins différents que pouvaient emprunter un dresseur. Champion d'arène. C'était son rêve. Combattre au côté de ses Pokémon, c'était sa joie de tous les jours. Il n'aimait pas voyager et les concours ne lui correspondaient pas dans sa manière de disputer des matchs. Passé le concours de champion inter-régional avait été une formalité. Mais voyant qu'aucune arène n'était disponible pour lui dans les différentes régions, il s'inscrivit comme champion de remplacement pour ne pas perdre l'espoir d'avoir un jour sa propre arène. Et ce jour était arrivé.
Il chaussa ses pantoufles Parecool que sa fille lui avait confectionné et descendit dans la cuisine sans faire de bruit. Il se prépara un café tout en bâillant à s'en décrocher la mâchoire. En attendant que l'eau s'écoule dans l'appareil, il s'assit et repensa à sa carrière qui venait tout juste de commencer comme champion indépendant. Il sourit. Tous ces déplacements pour remplacer Blanche et Tcheren n'avaient pas été vain ! Quel joie il avait ressentit quand Pierre du Conseil 4 (en personne !) l'avait appelé pour lui proposer un poste à Hoenn.
Ça n'avait pas été facile de quitter Oliville mais il ne regrettait rien parce qu'il pourrait enfin vivre son rêve.
« Tu es déjà réveillé, papa ?
- Ah ! Flora ! s'exclama-t-il, sortant de sa léthargie. »
Il se précipita sur la cafetière qui débordait. Il se brûla la main, comme d'habitude.
« Tu devrais laisser faire maman, cette cafetière ne t'aime pas, tu le sais, ricana Flora en tirant d'un placard des biscuits secs. »
Norman se retourna, fronçant les sourcils.
« Tu ne vas pas manger ces cochonneries dès le matin. Je vais te faire des tartines. Aujourd'hui est un grand jour pour toi : tu vas recevoir ton premier Pokémon. Je veux que tu sois en forme !
- Tu devrais t'occuper de ta brûlure, lui suggéra Flora tout en dévorant ses biscuits. »
Après avoir passé sa main sous l'eau froide, il se mit à chercher le pain. Ne le trouvant pas, il perdit son calme.
« On ne trouve rien dans cette maison !! Ta mère en a pourtant acheté hier !
- Regarde à côté du mixeur, lui souffla sa fille. Tu es stressé ou je ne te connais pas. Pour toi aussi c'est un grand jour, papa.
- Tu as raison, soupira-t-il, la baguette dans la main. »
Il savoura ce petit-déjeuner en tête-à-tête. Maintenant que Flora allait obtenir son premier Pokémon, elle allait partir. Cette idée lui pinçait le cœur. La maison allait être bien vide sans la gaieté de sa fille.
« Tu as une idée du Pokémon que tu vas choisir, ma chérie ?
- Bah, j'hésite... Poussifeu est trop mignon mais Gobou me plaît bien aussi.
- Tu feras le bon choix, j'en suis sûr. Tu as rendez-vous à quelle heure chez le professeur Seko ?
- A 10h. »
Ils se levèrent ensemble. Avant de se séparer, Norman embrassa sa fille. Celle-ci retourna dans sa chambre préparer son sac pour son départ de demain. Lui, pris une douche, s'habilla, se rasa. Il descendit dans le jardin pour un entraînement matinal avec ses Pokémon. Il s'étira avec son Vigoroth tandis que ses deux Monaflémit ronflaient encore. Vigoroth semblait prêt à s'entraîner intensément. Pourtant Norman prit place sur les marches menant au jardin et observa le soleil déjà haut dans le ciel. Ce serait un belle journée de printemps.
Devant lui virevoltait un Charmillon aux ailes éclatantes. Il se souvint alors de cette journée ensoleillée, il y a dix ans. Il avait demandé Caroline, sa femme, en mariage. Ils s'étaient baladés dans un jardin public et là, devant les passants, devant les papillons, il s'était agenouillé et avait fait sa demande.
Cela lui semblait faire une éternité qu'il n'avait pas repensé à ce jour. Il se mit à regarder le Charmillon s'enfuir avec légèreté, attiré par les fleurs de la voisine.
« Qu'est-ce que tu regardes ? l'interrompit Caroline, s'asseyant à côté de lui. Oh, un Charmillon ! Quel doux souvenir, tu t'en rappelles ?
- Comment pourrais-je oublier ? répondit-il en quittant des yeux le papillon.
- Flora m'a dit que tu t'étais encore brûler avec la cafetière.
- Tu vois, je n'ai rien. »
Il lui montra sa main d'un geste rapide. Depuis quelques temps, suite à l'idée que sa fille allait partir, s'était développé en lui un sentiment de lassitude pour la vie qu'il menait. Le quotidien n'avait plus de secret pour lui. Même si son poste à Clémenti-Ville allait apporter du nouveau dans sa vie, il ne s'en réjouissait pas vraiment. Le fait que Flora parte du foyer signifierait la fin de quelque chose. La peur de se dire que ce "quelque chose" se nommait la vie conjugale.
Il se tourna vers sa femme et l'observa. Elle regardait ses Monaflémit dormir à poings fermés, l'air ailleurs. Est-ce qu'elle ressentait ce vide indescriptible ? Il aurait voulu lui poser la question.
Le départ de leur fille allait briser l'harmonie de leur famille. Il le sentait. Déjà, il n'avait plus de désir pour sa femme. Entre eux, rien ne se passait plus depuis quelques temps. Sa femme ne l'attirait plus. Pourquoi ? Il aurait aimé avoir une réponse. Caroline était belle : de longs cheveux bruns encadraient son délicat visage. Ses yeux bleus profonds ne l’envoûtaient plus. Sa bouche toujours riante ne lui inspirait plus les baisers passionnés d'antan. Il culpabilisait de ne plus rien ressentir pour celle qui avait dormi à ses côtés pendant des années et qui lui avait donné le bonheur unique d'être père.
Il avait déjà tenter de faire raviver la flamme sans y parvenir. Voyages, cadeaux et moments intimes. Mais quelque chose de rouillé les empêchaient de continuer comme ils l'avaient toujours fait.
« Je vais préparer un en-cas pour Flora, lui dit-elle en quittant le jardin.
- D'accord. »
Il regarda son profil s'éloigner et esquissa un pâle sourire. De la tendresse. De l'affection. C'est tout. Plus d'amour.
« Je suis prête ! s'écria Flora dans toute la maison. Papa ! Viens voir mes vêtements !
- Ouah, tu es très belle. Tu es sûre que cette tenue est confortable ? lui demanda-t-il une fois devant elle.
- Bien sûr, sinon je ne l'aurais pas acheté ! »
Elle portait un blouson vert émeraude, un beau pantalon kaki mais ce qui attira l’œil de Norman fut son bandana de la même couleur que son blouson.
« Il n'y a que les pirates ne portent pas ce genre de chose d'habitude ? demanda-t-il sarcastiquement.
- Voyons Norman, laisse-la porter ce qu'elle veut. C'est son aventure. »
Caroline le regardait de travers, les lèvres pincés. Flora, pour ne pas gâcher son départ, changea de sujet.
« Je sais quel Pokémon je vais choisir !
- Lequel ? demandèrent ses parents en cœur.
- Gobou ! »
Après avoir quitté la maison pour la journée, Flora se mit en route pour le laboratoire du professeur Seko.
« J'espère qu'ils ne vont pas se disputer quand je serais plus là. J'ai pas envie qu'ils se séparent... »
Le reste de la journée se déroula sans accroc pour Norman. Il s'était entraîné puis avait fait quelques emplettes dans la boutique Pokémon de la ville. Caroline lui avait repassé ses vêtements pour la soirée qui arrivait. Il fila à 17h30 en embrassant furtivement sa femme. Il avait hâte de quitter la maison. L'air frais de la soirée soufflait sur ses cheveux coupé très courts. Son blouson s'agitait sous les rafales de vent. Il plongea une main dans l'une de ses poches et en sortit une Pokéball. En l'attrapant, il sentit son alliance l'enserrer. Comme un étau, il sentit l'emprise de ce morceau de métal sur sa vie. Il s'arrêta sur la route pour vérifier quelque chose. Après un intense moment d'hésitation, il retira l'alliance qu'il portait sur l'annulaire gauche et la plongea dans l'obscurité de sa poche, qu'il ferma. Il écarta les doigts de sa main qu'il avait l'impression d'avoir libéré. Norman n'aurait sût comment expliquer ce geste qu'il considérait comme un affranchissement. La culpabilité le poussa à la remettre. Il n'en eut pas le temps puisqu'il fut abord é par Aragon du Conseil 4.
« Bienvenue à Rosyères, Norman ! Je me présente : Aragon. »
Rosyères ? Il n'avait pas vu le temps passer. A côté du vieillard se trouvait une jeune femme aux cheveux de feu.
« Je vous présente Adriane, championne novice. Elle va diriger l'arène de Vermilava suite à la retraite de son prédécesseur.
- Enchanté, répondit platement Norman.
- De même. Vous êtes un exemple pour moi. J'ai vu beaucoup de vos matchs. »
Norman se mit à la regarder vraiment. Il esquissa un sourire et se passa la main dans les cheveux, gêné du compliment. Il sentit un vide à son doigt.
« Les autres champions vous attendent. Entrons, proposa le membre du Conseil. »
Ensuite, Norman ne fit plus attention à rien de ce qui se passait. Il traversait des couloirs tel un robot qu'on aurait commandé. Il serra des mains chaleureuses, salua mécaniquement des personnes qui le reconnaissait mais que lui n'avait jamais vu. Comme si il avait été une star.
Au fond du couloir, devant une porte, attendait le champion Pierre Rochard, le plus grand dresseur d'Hoenn. Ils se serrèrent la main amicalement. S'en suivit des banalités auquel il répondit par des expressions laconiques.
« Notre champion est un grand spécialiste des pierres. D'ailleurs il les collectionne, lui fit remarquer Aragon.
- Il a de très belles bagues ! observa Adriane. »
Comme un électrochoc, Norman reprit ses esprits. Il secoua la tête et vit la main habillée d'anneaux de Pierre. Pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi l'ai-je enlevé ? se demanda-t-il.
Il plaqua une main sur sa poche et toucha à travers le tissu synthétique son alliance. Bizarrement, il n'arrivait pas à l'extraire et à la remettre. L'aimant qui les liait s'était défait.
Il jeta un regard face à lui. Aragon, Pierre et Adriane étaient déjà dans la salle. Il fit quelques pas et un éblouissement l'étourdit. Reprenant ses esprits, il monta sur une estrade et demeura figé comme une statue pendant le discours de Rochard. Il regardait partout sans arriver à fixer son attention. Les paires d'yeux qui se dirigeaient tantôt vers Adriane tantôt vers lui l'écrasaient. Il croisait les bras comme pendant les combats, fronçant les sourcils, l'air quelque peu dédaigneux. Mais soudain il perdit tout son sang-froid. Parmi tous ces champions qu'il avait déjà vu dans les journaux, il y avait une jeune femme qui aurait mérité la une de tous les quotidiens. Elle se tenait assise, les yeux accrochés à lui.
Christophe Maé – Belle demoiselle Comme un poignard qui lui transperçait la poitrine, il sentit son pouls s'accélérer. Il déglutit. Elle rougit. La salle était vide, il n'y avait qu'eux ici. Ils avaient fait abstraction du reste et s'étaient focalisés sur leur seules présences. Adriane tira légèrement sa manche pour l'entraîner derrière elle.
« Allons nous présenter aux autres. »
Comme quelques minutes auparavant, il se remit à serrer des mains automatiquement, à saluer sans vrai enthousiasme. Il ne quittait pas des yeux ce qu'il prenait pour une illusion. Une fois quelques champions salué, il se dirigea vers celle qui demeurait son point d'attention.
« Je suis Norman.
- Je le sais. Je vous ai vu au Pokémon World Tournament. Vous étiez... »
Ses joues devinrent aussi rouge que le blouson du champion de Clémenti-Ville. Ses yeux bleus azurs s'embuèrent. Il crut qu'elle allait pleurer.
« Salut, moi c'est Bastien. T'es fortiche, je me trompe ? Faudrait qu'on dispute un match un de ces jours.
- Oui oui, répondit hâtivement Norman, fâché qu'on vienne l'interrompre. »
Alizée se leva et se sauva. Norman eut l'impression que ses pas laissaient derrière elle des plumes qui s'envolaient. Il eut envie de la rattraper mais Roxanne, la championne de Mérouville fut plus rapide.
« Qu'est-ce qui te prend ? demanda celle-ci à Alizée une fois dehors.
- Je suis pressée. J'ai un rendez-vous.
- Tu mens très mal. Tu es bizarre depuis que tu es arrivée.
- C'est la fatigue. Ne t'inquiète pas. »
Elle enfilait le harnais à Hélédelle quand une voix l'interrompit.
« Attendez ! Comment vous appelez-vous ?
- Alizée. »
Norman lui tendit un morceau de papier.
« Voici mon adresse. Si vous voulez m'écrire, je vous le permet. Tenez, pour vous aussi Roxanne. »
Il resta figé, espérant qu'elle ne le quitte pas aussi vite. Mais Hélédelle tirait impétueusement son harnais, pressé de s'envoler. Roxanne salua son amie et lui promit de prendre de ses nouvelles.
C'est à regret que Norman vit cette svelte silhouette disparaître dans les cieux au milieu des étoiles. Mais il était sûr d'une chose : c'est qu'Alizée ne disparaîtrait pas de ses pensées.