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La Faucheuse. de T-Tylon



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» Auteur : T-Tylon - Voir le profil
» Créé le 01/03/2012 à 00:12
» Dernière mise à jour le 01/03/2012 à 02:32

» Mots-clés :   Présence d'armes   Sinnoh   Suspense   Terreur

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Blizzard.
Sinnoh. Au seuil d'une vallée recluse dans les forêts frigides.

Jeudi 3 Juin 2010. 18 heures 42 minutes.



Proche de la partie des massifs Couronnées, se situait une petite vallée remplie de forêts aussi recouverte de neige que le reste du Nord. D'entre les vastes hectares boisés, à son point le plus proche des montagnes, émargeait cependant une forme plus imposante que l'étendues des arbres ; un rocher, dont l'image s'associait plus à une petite montagne, aussi abrupt que foncièrement inhospitalier. Telle une gueule hivernale bardée de crocs acérés, des striures irrégulièrement zébrées de roches et de glaces escarpées à flanc, prête à se refermer impitoyablement sur l'inconscient qui venait à outrepasser ces frontières.

Depuis les galeries taillées dans ses profondeurs rocheuses, cependant, des râles lancinant, poussés par des êtres blessés des suites d'un combat éprouvant, parcouraient et résonnaient dans ses impassibles entrailles d'une longue plainte ; dont des corps recouverts d'une couche de givre soulignaient quelle issue attendait ceux dont la voix s'éteignait.

Au milieu des combattants éprouvés se trouvait leur chef, qui, bien que faisant partie de ceux qui s'en étaient le mieux sortis alors qu'il s'eut situé au cœur même des combats, demeurait aux côtés de ses fils qui n'eurent pas la même aubaine que lui ; et dont le cadet soulignait d'un nouvel élan de râle térébrant.

De frustration à devoir assister impuissant au calvaire de ce dernier, il attrapa la patte d'une des Farfuret épargnés de la lutte qui s'afféraient à traiter leurs blessures avec toute la diligence dont ils étaient capables, sans ne pouvoir obtenir de meilleurs résultats que de recouvrir leurs plaies d'une couche givre pour engourdir la douleur.


«Qu'est-ce que vous attendez pour faire taire sa douleur ! Prenez dans les réserves s'il le faut, mais qu'il arrête de hurler !»

«Mais on puise déjà dans les réserves, jusqu'à celles de la saison froide, on ne peut rien faire de plus ! Lui au moins est encore en vie !»


De la chance ? Son fils agonisait presque littéralement sous ses yeux et elle avait l'audace de lui dire «qu'il avait de la chance» ? Une foule d'émotion contradictoire monta en lui, mélangeant rage bouillonnante et frustration d'impuissance ; une expression figée de colère devant laquelle la Farfuret eut rapidement fait de comprendre qu'elle avait utilisée les mauvais termes avec la mauvaise personne. Cependant le Dimoret finit par lui lâcher la patte, et, sans un mot, celle-ci rendit un hochement de tête respectueux tandis qu'elle retournait à sa tâche, devant «l'indifférence» du Dimoret qui ne donna suite à son comportement. Malgré l'audace avec laquelle elle lui avait répondue, et aussi dur que celui lui était de l'admettre, elle avait raison.

Après la débâcle dans la plaine enneigée, ils s'étaient efforcés de rallier leur repaire dans les plus brefs délais. En temps normal, de part leur taille, leur couleur et leur vitesse, ils n'auraient eut aucun mal à semer leurs lent et pesant poursuivants boisés, mais avec la charge que représentaient ceux de leurs membres rendus invalides lors du combat et qui les ralentissaient énormément, les Arbregelés purent maintenir leur poursuite sans interruption, jusqu'à parvenir à la falaise même...

Cependant, dès lors qu'ils eurent ralliés leur repaire, les traits escarpés de la falaise changèrent la donne : bien que surclassés en force brute par les Blizzi, les Farfuret avaient pour eux l'avantage du terrain et celui du nombre tandis que l'intégralité du clan se mobilisa au combat : l'équivalent de vingt-deux Grifacérées, pour un rapport de plus de deux contre un en défaveur des Arbregelés. Pourtant ceux-ci parvinrent à maintenir la pression de leur assaut, pilonnant leur antre d'un véritable rideau d'obus boisés, et ce ne fut qu'une fois leurs ressources épuisées pour maintenir leur tir de barrage que l'élan de leur assaut se brisa, et qu'ils furent repoussés hors de leurs frontières. Mais le mal était déjà fait : des trente-et-un Farfuret composant le clan, comprenant ceux faisant partie de l'expédition initiale, dix étaient morts, et presque autant d'autres blessés. Un coup terrible dont il ne faudrait pas moins plusieurs années d'intense labeur pour leur espérer un jour s'en remettre...

Mais s'il y'avait quelque chose de bon à tirer de tout ça, c'était qu'au moins ils étaient débarrassés de la responsable à l'origine de cette tragédie. Il s'en était assuré personnellement, de ses propres griffes. Ses même griffes qui, en les regardant, contemplant leurs formes acérées encore maculé de sang, lui rappelèrent que ce fut pour la seconde fois qu'elles gouttèrent à la chair d'un des siens. La première étant par laquelle il eut acquiert son statu, ironiquement tout autant que son plus grand regret...


«C'est une maudite ! Pourquoi vas-tu aussi loin pour elle ?!»

«Parce qu'elle doit faire sa part. Au moins une fois...»

«C'est de la folie ! Le rocher n'a rien pu faire pour elle. Elle n'a aucune autre alternative que la mort, et tu le sais !»

«Mais elle a survécue... Elle est revenue ici, par ses propres moyens...»

«C'est un déchet ! Un rebut ! Une erreur de la nature !»

«Une erreur que j'ai engendrée...»


Il s'était arrêté un instant de la voir ramener ses pattes vers son ventre d'un geste lourd, emplit de remord ; l'une d'elle saignant et contribuant à l'affaiblir là où elle fut blessée au cours de sa dangereuse excursion.


«Elle n'est pas de ta chair, ni de ton sang. C'est la nature qui a choisit de la faire ainsi. Tu n'as pas à te sentir responsable de ce qu'elle est...»

«C'est moi qui la fit éclore...»

«Tu ne pouvais pas savoir ce qui sortirait de cet œuf !»

«Il avait une couleur différente des autres, et j'ai empêchée qu'il soit débarrassée dans la forêt. Si je n'avais pas agis ainsi... sans moi elle n'aurait jamais vu le jour...»

«Et Kuura ? Et Huure ? Sans toi ils n'auraient jamais pu voir le jour ! Comment ils vont réagir en apprenant la réaction de leur mère ?!»


Désespérément il avait cherché à la raisonner, à lui ôter ce poids qui lui pesait d'avoir engendrée une bâtarde de leur espèce pour la première fois en d'immémoriales générations. Mais rien n'y fit. Contre toute attente, contre toute raison, aussi bien de survie avec sa blessure, que de folie l'ayant conduite à cet acte, elle, sa Farfuret, avait retournée ses griffes contre lui pour obtenir sa place. Et lui forcer, douloureusement, de relever les siennes...


«Ne fais pas ça...»


Mais elle l'avait chargée, griffes et crocs de givre déployés. Et il avait riposté, d'une seule Tranche, sectionnant indifféremment chair et os dans la foulée. Aussi subitement qu'il avait débuté le combat s'était achevé. Elle s'était effondrée, à terre, sur le sol dur de la roche teinté de rouge. Sa vie glissant vers une fin que plus personne ne pouvait empêcher.


«... Laisse-lui une chance... de faire sa part... Pour moi...»


----

Le souvenir de ses derniers instants, sa voix éraillée, son regard implorant parcourut par les larmes, jusqu'à son ultime soupir... Ce fut la seule fois de sa vie que des larmes ruisselèrent de ses yeux pour se perdre dans le craquèlement rocheux de leur antre – il se sentit d'autres commencer à poindre à ce seul souvenir -, et que son pelage s'animait d'une vive lueur étincelante tandis qu'il porta son corps sans vie vers les tréfonds de la grotte. L'accompagnant silencieusement vers le lieu de son dernier repos.

Mais désormais, ni de la mère, ni de «l'autre» n'étaient plus en vie ; de cette dernière ne devait plus subsister la moindre trace. Tout comme le malheur qu'elle représentait. Le cauchemar était enfin fini. Et ils pouvaient finalement repartir sur de nouvelles bases...

Cette maigre consolation s'évapora cependant presque immédiatement lorsqu'un nouveau Farfuret déboula à l'intérieur de la galerie dans un ramdam peu singulier, qui, nonobstant les remarques de protestation et d'indignation pour la rudesse de son avance à l'égard de ses congénères, se dirigea immédiatement vers le chef pour s'incliner devant lui ; qui eut vite fait de le reconnaitre pour le rôle de sentinelle patrouillant à l'extérieur auquel il l'avait assigné. Et dont l'arrivée en trombe ne pouvait être tout sauf de bon augure.


«Qu'est-ce qui se passe, les Blizzi lancent une nouvelle attaque ?»


Malgré le port calme et autoritaire qu'il s'était conservé, l'évocation d'une éventuelle nouvelle attaque eut vite fait d'attirer l'attention générale, blessés comme indemnes. Heureusement il n'en était rien alors que celui-ci décrivait de rapides et brefs gestes négatifs de la tête, à leur grand soulagement ; encaisser un nouvel assaut de leurs ennemis si rapidement après la dernière attaque aurait probablement sonné leur glas. Pourtant le Farfuret continuait d'aborder une tête inquiète, voir même apeurée que seul le Dimoret pouvait voir.


«S'il ne s'agit pas des Blizzi, alors quoi ?»

Le Farfuret prit quelques instant avant de répondre ; visiblement plus pour se préparer à livrer ce qu'il avait à dire que de reprendre son souffle.

«... Elle... elle est de retour...» Parvint-il difficilement à dire.

Comme s'il semblait lui avoir parlé dans une autre langue, le Dimoret lui rendit un air aussi neutre qu'exceptionnellement incompréhensif.

«Comment ça ? Qui ça «elle» ?»

«... La maudite... elle est de retour...»


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Sinnoh. Quelque part dans les vastes étendues enneigées au Nord de l'île.

18 heures 43 minutes.



Située plusieurs mètres sous la surface à l'image d'un prédateur œuvrant naturellement dans sa tanière, l'humaine vaquait platement à ses occupations dans la quiétude du lieu, préservée de l'émoi du froid dans l'anfractuosité de sa loge souterraine. Sa salle principale, sommairement pourvue d'un mobilier restreint au strict minimum taillé à même la roche - comme pour toutes pièces composant cet espace souterrain -, était continuellement plongée dans une faible pénombre par l'absence presque complète de contact direct avec l'extérieur, pour n'être qu'à peine éclairée par la lueur hésitante d'un feu piégé au sein d'un renfoncement prônant en son centre creusé dans la terre ; ses flammes brulant sous l'effet réactif d'un comburant au sein d'une coupole de composite, éclairant les lieux d'une teinte d'un orange maladif alors que pas une seule fumée n'émanait de la combustion artificielle.

En plus de l'éclat fade et synthétique du feu, une plus pâle lumière encore peinait à réfléchir ses traits impassibles en la présence d'un petit gadget technologique, dont les directives de programmation défilaient sporadiquement sur sa petite interface holographique comme tant de petites lucioles dansant dans un lac virtuel ; un de ses énième pokématos de réserve, intégralement vide et vierge de toute application «parasitaire» immanquablement présentes dans tous ces semblables sillonnant le commerce, qu'elle veillait à reprogrammer intégralement d'elle-même pour correspondre à la moindre de ses exigence à l'image de feu son prédécesseur, disparu dans les tréfonds du lac par lequel sa vie allait être entrainée dans le voyage le plus rude et dangereux qu'elle n'ait jamais éprouvée. Et auquel elle s'y préparait consciencieusement avec toute l'étendue et la patience d'un chasseur jetant son dévolu sur une proie...

Puis une tierce lumière, plus fade et pâle que les autres s'éveilla de sous ses habits. Celle du pendentif sans nom, qui semblait s'animer à son tour comme s'il s'agissait d'une joute défiant quiconque de rivaliser avec son éclat étiolé.


¤Pourquoi l'avoir laissée partir ?¤


L'humaine continuait impassiblement de mener les réglages dans la programmation du petit appareil. Comme si elle n'avait pas entendue la question, ou ne semblait pas y prêter attention ; bien qu'il n'en était pertinemment rien.


¤C'est une Farfuret Shiny. Un pokémon si rare que nombre de tes semblables tueraient pour l'obtenir.¤

«Et ?»


Sans même ne répondre, le pendentif lui renvoya une étrange sensation contradictoire mêlant poignante tiédeur et intense fraicheur visant à lui retranscrire un état perplexe. La praticité caractéristique de ce pendentif dans l'appréhension émotionnelle était définitivement un avantage significatif dans le concept de la communication indirecte ; lui permettant d'écourter, pour ne pas dire contourner les aléas imprécis et fastidieux suscités dans une conversation normale. Du moins avec le spectre... Il n'y avait plus qu'à escompter que ses propriétés ne se délimitaient pas seulement à cette seule mesure, et qu'elles puissent ultérieurement pouvoir aussi s'appliquer avec d'autres êtres vivants.


«Giratina, tu n'évoques qu'une estimation potentielle de la situation là où je me contente d'y appliquer un raisonnement pragmatique. En l'occurrence, Shiny ou pas, dans l'état actuel des choses cette Farfuret ne m'est d'aucune utilité.» Le reprit-elle d'avance.

¤Aucune utilité ?¤ Rétorqua-t-il d'étonnement. ¤Je concède de ne pas posséder ta connaissance des comportements humain, ou analytique de l'esprit en général, mais même ainsi il n'est pas possible de ne percevoir le potentiel qu'elle recèle en elle.¤

«Par conséquent, dans un combat entre cette Farfuret et un Blizzi comme celui qui faillit l'achever, qui donnerais-tu vainqueur ?»

L'éloquence des quelques instants de silence qui lui furent rendus en lieu et place suffirent à eux-mêmes.

«D'un côté tu la considères comme un atout inestimable, et de l'autre tu reconnais qu'encore à cet instant précis tu ne l'as donnerait pas gagnante dans un combat de petit calibre.» Constata-t-elle platement.

¤Tu ne lui laisses pas plus ce même bénéfice du doute pour l'avoir laissée s'en retourner vers la promesse d'une exécution certaine, et ce à peine quelques heures après avoir réchappée de peu à son trépas.¤ Rétorqua-t-il sur le même ton.

«Continuer de pérorer sur le sujet ne sert à rien. Cela ne change en aucune façon le fait qu'elle est déjà partie, et que dans tous les cas, que ce fut dès le moment où je l'ai récupérée agonisante dans la neige ou celui lorsqu'elle quitta cette pièce, la situation reste inchangée : elle est confrontée seule face à son propre sort. Qu'elle survive ou non tient de son problème. Pas du mien.»

De nouveau, avant même de répondre, le pendentif lui retourna la déception du spectre.

¤Un attribut comme il n'est possible d'en voir se révéler qu'une fois sur plusieurs centaines d'années, négligé tel un animal envoyé à l'abattoir...¤

«Tu t'avances de trop pour la donner déjà morte, Giratina.»

Encore une fois avant même de répondre, le pendentif lui transcrivit un état de surprise et d'une perplexité littéralement palpable.

¤Malgré tout indiquant le contraire – notamment qu'elle ait abandonnée toute détermination à lutter... Tu estimes qu'elle va survivre ?¤

«Comme je l'ai dit, cela ne dépend plus que d'elle. Mais elle le peut.»

Le légendaire ne put s'empêcher de demeurer perplexe.

¤Comment peux-tu en être certaine ?¤


Alors que la question restait en suspend, d'autres lignes de codes sur le petit appareil terminaient de défiler dans un fluet retentissement sonore à peine perceptible, intégrant toutes les variables et directives dans un nouveau pokématos parfaitement fonctionnel. Puis sans un bruit, toujours dans une continuité aussi fluide que mécanique, elle reposa aussitôt le petit objet technologique sur le bord de la table qui se mit à afficher l'hologramme d'une mini-map détaillée de la région. Puis, le test s'en trouvant concluant de part le résultat appliqué, elle fit éteindre la carte en appuyant sur la commande correspondante reliée à une nouvelle boucle d'oreille servant de relais et marchant en tandem avec le petit appareil ; qui se traduisait par un geste discret vers son oreille comme si elle donnait l'impression de réarranger sobrement ses cheveux. Et laisser de nouveau la sérénité des lieux revenir alors qu'elle prenait l'appareil en main pour le loger dans le compartiment adéquat à sa ceinture, prompt à l'emploi. D'aucun, même un observateur attentif, n'aurait à soupçonner qu'une action aussi banale puisse se révéler un jour des plus décisive...


«Parce qu'elle est déjà morte...»


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Il faisait nuit. Une nuit particulièrement sombre, balayée par le Blizzard qui donnait au décor hivernal une teinte nocturne semblable à du granit glacé. Une silhouette aux reflets rosés se détachant péniblement du paysage, au travers de la neige blanche tombant sous la nuit noire. Le vent arctique secondant son avance de sa froide impassibilité depuis un temps échappant à sa pensée.

Que ce fut par miracle, ou par une nouvelle raillerie du destin, le Blizzard masqua sa longue marche de son souffle cinglant, pour que pas un seul instant elle ne fut inquiétée par l'omniprésent danger que représentait les innombrables prédateurs résidant dans ces contrées hostiles. Comme lui «accordant» le droit de s'en retourner sans encombre vers les siens, et la «faveur» d'obtenir une mort rapide de leurs propres griffes.

Mais même ainsi rien n'avait changé. Même avec ses blessures traitées, même nourrie à l'image du dernier repas octroyé aux condamnés à mort, elle se retrouvait encore seule. Seule à devoir arpenter les contrées du Nord, de ne devoir encore affronter sa faune et son environnement malveillant sans ne pouvoir compter sur rien d'autre qu'elle-même, et que la chance daigne lui accorder le droit de survivre un jour de plus. Piégée dans une lutte inégale contre la nature qui cherchait inlassablement à renier son existence de la plus impitoyable manière possible, sans jamais lui accorder ne serait-ce que le repos complet d'une seule nuit. Délaissée intégralement seule, avec le monde entier pour ennemi... Sauf que pour cette fois, elle ne cherchait plus à lutter.

Puis elle vit au loin une forme massive commencer à se détacher au travers de l'inconstante tempête neigeuse ; l'esquisse imprécise d'une forme réduite de montagne émergeant d'entre les rangées infinies de conifères tel un roc abrupt au milieu d'une clairière. Le lieu où tout avait commencé...

----

Elle s'arrêta d'un coup. Réalisant que tout au long du retour, dans le tumulte du Blizzard, elle n'avait pas émise le moindre son, ni même la moindre pensée. Elle n'avait fait uniquement que marcher sans songer à autre chose... Mais alors qu'elle réalisait arriver bientôt au terme de son voyage, les échos du passé la ramenèrent lentement en arrière. Vers l'instant où, retournant au terme du périple au travers des steppes gelées, elle observa pour la première fois l'image complète de la forteresse de roche glacée devant elle, par dessus celle intimidante du Dimoret la précédent. Et dont la simple présence lui inspirait une angoisse omniprésente.


«Ne t'approche plus jamais de cet endroit, ou même y poser le regard. Tu es bannie de ces terres.»


Sur ce, il se détourna d'elle sans autre forme de procès en direction de leur antre. Mais, bien qu'elle eut comprit et s'était résolue à son sort, son attention demeurait exclusivement tournée vers celle qui l'avait accompagnée. Et, bien qu'angoissée à la simple idée de lui adresser la parole, elle s'osa à l'interpeller pour s'enquérir de son état la concernant...


«... Il y'avait... une autre Farfuret...»

«Elle est morte.»

Elle s'était figée sur place. N'arrivant – plutôt ne pouvant croire ce qu'elle avait entendu -, tandis que le Dimoret continuait imperturbablement sa marche.

«... M-morte... ? Mais-»


Sans qu'elle ne puisse aller plus un loin un Eclat de glace l'en empêcha en allant se figer durement dans un arbre derrière elle dans un bruit incisif ; un mince filet de sang s'écoulant de sa joue à l'endroit où le revers acéré du projectile traversa la chair pour l'honorer d'une profonde cicatrice. La toute première d'une interminable liste.


«Je ne le répèterais qu'une fois : si jamais tu outrepasses ces frontières sans ma permission, ou que tu fais encore une seule fois mention d'elle, je te tuerais de mes propres griffes.» Lui siffla-t-il âcrement.
«Maintenant disparais de ma vue. Et ne reviens jamais.»


Elle n'était jamais revenue...

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Tous ces souvenirs étaient encore parfaitement clairs dans son esprit, au point qu'il était difficile de discerner qu'ils furent vécu la veille ou de cela plusieurs années. Mais il subsistait toujours une même constante qui la conservait dans le présent : la forteresse de glace. Des années qu'elle l'avait quittée, et dont pourtant la figure inaltérée lui donnait la nette impression qu'il ne s'était écoulé qu'un instant séparant deux flocons dans le Blizzard.

À sa vue une vision de la Furette apparut devant elle, reproduisant ses traits aussi fidèlement que dans ses souvenirs : son visage, d'une teinte dégradée comme du givre sombre, d'avantage ternit par ses yeux d'un pourpre maussade, reflétant une image affligée de honte et de regret en présence de l'être qui lui faisait face. L'être auquel elle regrettait avoir donnée la vie, et devant laquelle elle apparaissait alors que celle-ci s'apprêtait à rencontrer sa fin.


«...Soyez rassurez... pour tout le tort que j'ai causé, je vais bientôt expier mes crimes... et je m'effacerais de vos mémoires...»


L'image de la Farfuret disparut de sa vision, libérant la voie et les quelques centaines de mètres qui la séparait encore de l'imposante forteresse de glace acérée. Le lieu où tout avait commencé, et où tout allait finir.

----

Elle reprit la marche, son avance continuant sans que plus aucune apparition ou souvenir récurrent de son passé ne ressurgisse pour venir l'entraver. Mais tandis qu'elle sortait à peine des bois pour pénétrer dans l'enclave dégagée de la falaise, la scène qui s'offrit devant elle bloqua de nouveau sa marche : des éclats de roches brisées éparpillées dans tous les sens parmi les rangées irrégulières des revers de la falaise, des cratères béant, des fissures longues de plusieurs mètres, et, plus déterminant encore, la teinte d'un rouge sombre recouvrant par trace épars plus ou moins prononcés le paysage ravagé. La moindre dégradation de destruction visible dans le sol ou dans la roche venait témoigner de l'âpreté de la lutte devant s'être déroulée au pied du petit massif enneigé.

Puis, au milieu du paysage ravagé, d'entre les ruines rocailleuses pointa la figure d'une silhouette. Celle d'un nouveau venu, pourvut d'une collerette grenat qui instaurait une image imposante au devant de la neige, malgré une taille de loin plus réduite que les pics rocheux et les quelques entailles visibles qui saillaient sur son corps ; trace d'un nouveau traits communs qu'ils partageaient dans leurs chairs. Mais alors qu'elle s'était préparée à n'importe quelle forme d'accueil brutale, elle ne sut comment réagir alors que le Dimoret la regardait d'une manière atterré, comme n'arrivant pas à reconnaitre, ou plutôt réaliser ce qui se trouvait devant lui.

Complètement prise au dépourvue par sa réaction elle n'arrivait pas à constituer une seule pensée concrète ; et n'en eut dans tous les cas pas l'occasion lorsqu'il l'en devança.


«... Comment... es-tu encore en vie... ?»


L'écho qui lui parvint fut si subreptice qu'elle peinait à saisir l'effarement qui en résonnait. D'où il devait s'attendre à voir saillir des balafres béantes sur une enveloppe de peau ridiculement maigre, ne s'étalaient qu'uniquement de profondes cicatrices refermées sur une fine silhouette d'une constitution miraculeusement renouvelée. Comme si des semaines entières dans un environnement favorable s'étaient écoulées pour elle, alors que seules quelques heures les séparaient de l'incident à l'origine de leurs blessures communes. Heures durant lesquelles, de l'image du cadavre qu'il se souvenait avoir laissé dans la neige ne lui était ressortit celle d'un corps plus vigoureux qu'il ne l'avait jamais été, là où le sien éreinté peinait à dissimuler ses récentes entailles reçues.


«Pourquoi tu es encore en vie...»

La colère qui pressait derrière sa voix la fit sortir de sa torpeur. Mais aucune réponse concrète n'arrivait à se former dans son esprit.

«... Je...»

«POURQUOI TU N'ES PAS MORTE !»


L'hurlement lui fit l'effet d'un choc cinglant. Puis l'instant d'après cette brève sensation s'estompa, ainsi que l'anxiété éprouvée de se retrouver en sa présence. Tout le chemin parcouru, tous les interdits bafoués juste pour pouvoir se retrouver devant lui... Elle n'avait désormais plus aucune raison de fuir, même s'il devait ne pas lui répondre. Tout ce qui lui restait à faire était de poser une seule question. Puis d'attendre que tout se finisse.


«... Pour-»

«J'aurais dû te tuer cette nuit-là...»

Elle s'interrompit dans sa démarche. S'étant faite prise de court par le Dimoret, mais plus encore par sa réaction, devenu d'un coup plus distant.

«J'aurais dû te tuer cette nui-là, mettre un terme à tout ça... Si seulement elle n'avait pas suppliée de t'épargner...»

Elle releva la tête de stupéfaction ; les derniers mots lui parvenant semblant comme sortis d'un autre monde, à la simple mention du sujet qui lui était le plus tabou d'entre tous.

«... Ma-»

Sans même qu'elle n'ait pu débuter sa phrase, un Eclat de glace la transperça férocement à l'épaule pour ressortir de l'autre côté dans une brève éclaboussure écarlate.

«NE PRONONCE PAS CE MOT ! TU N'AS AUCUNE DROIT DE PRONONCER CE MOT ! TU N'ES QU'UNE MAUDITE ! UNE ABERRATION QU'ELLE A ÉTÉ FORCÉE D'ENGENDRER POUR LA CONSUMER DE REGRET JUSQU'À LA FIN ! SI SEULEMENT ELLE NE T'AVAIT JAMAIS FAIT NAITRE, JE N'AURAIS JAMAIS EU LE MALHEUR DE DEVOIR METTRE FIN À SES SOUFFRANCES !»

Elle se tétanisa sur place. Foudroyée par l'impact de ses mots au point qu'elle n'avait même plus conscience de celui de l'Eclat de glace qui lui traversa l'épaule.

«TU AS ENTENDUE : ELLE EST MORTE DE MES GRIFFES, PAR TA FAUTE !» Lui hurla-t-il plus fort encore ; dont la consternation ne fit qu'attiser sa rage.
«ELLE S'EST TORTURÉE, JOUR ET NUIT, À SE DEMANDER OÙ ELLE AVAIT FAUTÉE, POURQUOI ELLE AVAIT MISE À BAS UNE ENFANT BÂTARDE ! AU POINT QU'ELLE NE POUVAIT PAS ACCEPTER L'IDÉE DE TE CHÂTIER SANS QU'ON NE LA CONSIDÈRE PLUS QUE COMME LA MÈRE D'UNE MAUDITE ; JUSQUÀ ÊTRE ALLÉE À ME DÉFIER ET ME FORCER À LA TUER PLUTÔT QUE DE DEVOIR VIVRE AVEC CETTE HORREUR SUR LA CONSCIENCE !»

Ses derniers mots la pétrifièrent comme de la glace. Une angoisse muette mêlée d'horreur la transperçant du plus profond de son être comme jamais auparavant.

«ELLE S'EST RABATTUE SUR UN MYTHE DANS LE BUT ILLUSOIRE QUE TU PUISSES DEVENIR NORMALE, ET MÊME UNE FOIS RÉALISÉE QUE C'ÉTAIT UNE CAUSE PERDUE ELLE N'A JAMAIS PU SE RÉSOUDRE À CE QUE TU SOIS EXÉCUTÉE SANS AVOIR SERVIE AU MOINS UNE FOIS À QUELQUE CHOSE D'UTILE, AFIN QUE PERSONNE NE PUISSE SE SOUVENIR D'ELLE COMME D'UNE RATÉE CORROMPUE ! MAIS MÊME ÇA TU LUI AS REFUSÉE ! ALORS QUE TU LUI DOIS JUSQU'À TA NAISSANCE !»


D'un dernier sursaut, comme d'un ultime réflexe pour préserver son esprit au bord de l'effondrement, une pensée, tel un écho désincarné, parvint à s'échapper de sa gorge pour se perdre dans la cacophonie du Blizzard.


«... M... mais... com...ment-»

«EN RESTANT EN VIE ! SALE MAUDITE !»

La rage de son hurlement la percuta avec la férocité d'une avalanche. La laissant intégralement paralysée, aculée devant l'ampleur de la haine qui lui était vouée.

«PERSONNE N'AVAIT RIEN À FAIRE DE CE QUE TU RAPPORTAIS ; TOUT CE QU'ON ATTENDAIT DE TOI ÉTAIT QUE TU PARTES CREVER LOIN D'ICI POUR DISPARAITRE DE NÔTRE VIE ! MAIS À CHAQUE FOIS IL FALLAIT QUE TU REVIENNES ! LE COMBAT AVEC LES BLIZZI ÉTAIT L'OPPORTUNITÉ IDÉALE DE TOUT RÉGLER : ON SE DÉBARRASSAIT EN UNE FOIS DÉFINITIVEMENT D'EUX, ON RÉCUPÉRAIT LEURS BAIES, LEUR TERRITOIRE, ET TU MOURRAIS APRÈS AVOIR ENFIN ACCOMPLIT QUELQUE CHOSE D'UTILE ! JE T'AIS MÊME PROJETÉ SUR EUX EXPRÈS POUR M'ASSURER QU'ILS TERMINENT CETTE TÂCHE À MA PLACE ! TU NE POUVAIS PAS SURVIVRE ! TU N'EN AVAIS PAS LE DROIT !»

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Il s'arrêta à court de souffle, épuisé par ses propres hurlements. Mais à la vue de l'aberration qui se tenait devant lui, immobile, comme si rien de tout ce qu'il venait de dire n'avait eut le moindre impact sur elle, ses forces lui revinrent. Galvanisé par l'éclatement d'une rancune refoulée depuis des années.

Ses griffes sortirent de ses pattes d'un infime bruit incisif, déployées et menaçantes telles deux évents de petites faucilles acérées ; chacune parcourue de faibles tremblements comme tressaillant à la perspective prochaine de trancher la chair.

Puis il chargea, couvrant la distance qui les séparait en l'espace d'un battement de cœur. Ses griffes décrivant un arc mortel dans un sifflement étouffé par le vent glacial. Acérées. Rageuse. Affamées de vengeance. Pour s'abattre sur le cauchemar qui tourmentait ses nuits de toute la force de la rage et la rancœur qu'il lui éprouvait.

En un instant, un seul instant, arbres comme rochers furent brisés en deux lorsque l'écho furieux de la Tranche survit jusqu'au-delà de la frontière du massif polaire, tel un cobra nimbé dans un linceul d'albâtre déchirant d'une brutale indifférence tout ce qui se trouvait sur son chemin. Son cri lacérant éclipsant celui du Blizzard le fragment d'un moment. Une entaille longue et sombre cinglant la terre à l'endroit où ses crocs la pénétrèrent... Excepté en un endroit.

Un seul endroit, épargné de sa fureur, par un simple obstacle s'interposant devant la brutalité de son attaque. Un obstacle portant déjà les traces de sa rancœur depuis le tout début de son existence. Un obstacle de chair. De sang. De larmes...

Un obstacle, dont la fureur de sa Tranche fut déviée d'un battement de cœur par des griffes d'un blanc plus maculé que les siennes.


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«... et parce que le pédoncule au sommet de cette baie était gris.»



[À suivre.]