La comptine (ancienne version)
C'est une journée comme les autres. Ma petite maîtresse s'est réveillée, alors je me suis réveillée aussi. Elle me caressait gentiment, en me murmurant une comptine célèbre dans les environs.
Mentali, Mentali
À l'aube, ta bonne humeur resplendit
Mentali, Mentali
Ta grâce n'a d'égale que l'infini
Mentali, Mentali
Tu fais la joie de l'astre du jour
Qui t'offre la santé en retour !
J'aime beaucoup cette chansonnette, elle a le don de chasser mes idées noires. Et c'est radieuse que je descends à la cuisine manger avant de commencer ma tournée.
J'ai un rôle important dans le village, moi. Je m'occupe de distribuer le courrier que reçoit le papa de ma dresseuse. Il travaille à la poste Pokémon-livraisons-express. D'après ce que j'ai compris, c'est une entreprise familiale dirigée par l'oncle de la gentille petite fille à qui j'appartiens.
Mon travail, c'est de parcourir toute la ville pour livrer des lettres aux habitants. C'est très difficile, car je ne sais pas lire les adresses. Heureusement, toutes les boîtes aux lettres de la commune ont une odeur particulière, propre à chaque maison. Et avant que je ne parte accomplir ma tâche, le père de ma maîtresse parfumait chaque enveloppe avec l'arôme correspondant à la demeure où je dois l'apporter. C'est amusant, parce que dans le garage, il y a une grande étagère où ne sont posés que des flacons de parfums, avec des petites étiquettes pour les différencier.
Je suis prête à partir. Je le fis savoir en me frottant à la jambe du père. Il me regarda en riant, s'agenouilla puis posa sur mon dos une petite sacoche pleine de courrier. Il l'a trié avec soin pour que je ne puisse pas me tromper. Je le fixe en clignant deux fois des yeux, c'est ma façon de le remercier.
Il se releva et m'ouvrit la porte. Je m'élance au dehors, toute joyeuse de pouvoir gambader en liberté dès le matin. La maman me rattrapa et me coiffa d'une petite casquette bleue et jaune, pour que les villageois me reconnaissent. Ma dresseuse, qui me regardait par la fenêtre de sa chambre, me fit de grands signes de la main. Je la regarde avec tendresse, car je sais que je ne la reverrais pas en rentrant ce midi. Elle allait à l'école toute la journée, et ne rentrait qu'en début de soirée.
Elle m'a expliquée que l'école est un grand bâtiment où sont réunis plein d'enfants, et que ceux-ci sont là pour apprendre des choses qui leurs seront utiles pour travailler plus tard. Je n'ai pas trop compris pourquoi ils doivent aller à l'école pour pouvoir trouver un métier une fois adultes. Moi, je n'y suis pas allée, et pourtant, j'ai un emploi ! Les humains sont si compliqués, même mon voisin Alakazam, qui sait presque tout, n'arrive pas à les saisir.
Une petite pichenette sur le museau me tira de mes pensées. Ma dresseuse se tenait à mes côtés, souriante. Elle a un sac sur le dos, comme moi. La chiquenaude sur le nez signifie que je prends du retard sur ma tournée. Mais je traîne exprès pour l'attendre, parce qu'on fait toujours un bout de chemin ensemble avant que nos routes ne se séparent une fois arrivées devant son établissement scolaire.
Elle se redressa et commença à marcher. Ravie de pouvoir passer plus de temps avec ma maîtresse, je trottine près d'elle. Je m'arrête de temps en temps devant les boîtes parfumées pour y déposer par lévitation le courrier du jour. La petite fille ralentissait pour que je puisse la rejoindre facilement une fois les lettres livrées.
Nous approchons d'un panneau stop, c'est un drôle de piquet avec un octogone rouge et un écrit blanc dessus. J'aime bien ce panneau, parce que dès que ma maîtresse le passe, elle se met à chanter sa comptine.
Mentali, Mentali
À l'aube, ta bonne humeur resplendit
Mentali, Mentali
Ta grâce n'a d'égale que l'infini
Mentali, Mentali
Tu fais la joie de l'astre du jour
Qui t'offre la santé en retour !
Elle la fredonna en boucle jusqu'à l'école, où sa voix se perdit parmi les autres petits humains qui jouaient bruyamment. Je la suis tristement du regard et repars distribuer le courrier. Ça me prend toujours des heures de tout livrer, et c'est épuisée que je rentre chez moi, l'estomac aussi vide que ma sacoche. Heureusement, ma gamelle m'attend, remplie à ras bord. Je me jette dessus et en avale le contenu en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ça me fit beaucoup de bien.
Je monte dans la chambre de ma maîtresse et m'installe tranquillement dans ma panière à côté de son lit. La pièce n'a pas changé d'un pouce depuis mon départ, mais je ne peux m'empêcher de regarder autour de moi avec intérêt. Sur tous les murs, il y a des photos d'elle et de moi, de ses parents, de moi, de quelques unes de ses copines, encore de moi.
Les photos sont des images fixes de scènes qui se sont produites dans le passé. Les êtres humains les rangent habituellement dans de grands livres, mais quand ils semblent y attacher de l'importance, ils y affichent en évidence dans tous les endroits possibles et imaginables. Et comme je vois beaucoup de clichés de moi, je crois que ça veut dire que je compte à ses yeux. Sa comptine me revient à l'esprit, cette mélodie si douce et relaxante.
Mentali, Mentali
À l'aube, ta bonne humeur resplendit
Mentali, Mentali
Ta grâce n'a d'égale que l'infini
Mentali, Mentali
Tu fais la joie de l'astre du jour
Qui t'offre la santé en retour !
Je me réveille en sursaut, hantée par un mauvais pressentiment. À cette heure-ci, les parents de ma dresseuse préparent le barbecue dans le jardin pour le dîner. Normalement, ma maîtresse fait ses devoirs, assise devant son bureau. Je ne la vois pas. Je sors de sa chambre et la cherche. Il y a du bruit dans la pièce d'en face. C'est la chambre des parents. J'entre et je la trouve fouillant dans un tiroir d'une table de nuit.
Elle se redressa avec dans ses mains un objet étrange, inquiétant. Elle me regarda avec un grand sourire. Je viens de comprendre. Il s'agit d'un jeu. Elle s'approcha, le bras tendu vers moi, la main tenant fermement l'objet noir, étincelant d'une lueur fascinante sous les faibles rayons du soleil couchant. Mon cœur bat très vite, beaucoup trop vite. J'ai peur, j'ai envie de fuir, mais mes pattes ne m'obéissent plus. Je suis comme hypnotisée par cet objet insolite dont le petit trou sombre et profond semble m'observer.
Soudain, une détonation. J'ai mal, très mal. Je m'écroule lourdement au sol, au milieu d'une flaque de sang qui ne cesse de s'étendre. Ma dresseuse rit aux éclats. Elle pense sûrement que je fais semblant, pour rentrer dans son jeu. Elle se mit à chanter, courant dans la chambre de ses parents, insouciante. Je l'écoute avec attention, avec amour.
Au fond, je le sais. Au fond, tout le monde le sait. Il faut bien partir définitivement, un jour. Je n'imaginais pas que pour moi ce serait si tôt, mais je l'accepte. Ce que je regrette, c'est que plus jamais je ne pourrais me réveiller en entendant la douce comptine de la petite fille que j'affectionne tant…
Mentali, Mentali
À l'aube, ta bonne humeur resplendit
Mentali, Mentali
Ta grâce n'a d'égale que l'infini
Mentali, Mentali
Tu fais la joie de l'astre du jour
Qui t'offre la santé en retour !