Chapitre seizième - Corps et Âme
Elle me le mit sans autre rituel. Pas de sang, pas de choc, même pas de puissance ressentie. Je me réveillai, il pleuvait. L'eau pure coula sur mes joues. L'odeur des feuillus envahie l'air humide. C'était comme une symphonie de la nature. Ce fut Java qui se réveilla en premier, suivi de Drakkar. Java se secoua le pelage violemment, puis ronchonna quelque chose à propos de l'eau avant de se diriger sous un sapin. Drakkar semblait juste un peu importuné par l'eau, ça devait être à cause de son double type. Puis Math se réveilla, suivi de CE-032. Ils furent aussitôt émerveillés par l'odeur flottant dans l'air.
-Quelqu'un a faim ?, demandai-je.
-Non.
Drakkar m'a surpris. Il avait répondu d'un ton sec et dur, une fraction de seconde avant que n'importe qui a pu réagir.
-Ça va ? Tu n'as pas l'air dans ton état normal.
-Je…dois…m'en aller.
Et, à ce moment précis, le soleil perça les nuages. L'endroit où nous étions était dénudé de tout arbre. C'était terrifiant ; Drakkar n'avait pas d'ombre. Il avait plus que jamais un regard qui laissait transparaître le tueur en lui. Et ce regard était posé sur moi. Il était possédé.
Les autres fixaient l'expression de Drakkar, puis posaient leur regard sur moi. Je répondais à leur interrogation avec un de ces regards qui signifient «Mêle-toi de tes affaires» et «Tu veux ma photo ?». Ils comprirent instantanément. Je décidai d'intervenir pour ce qui est de Drakkar. En environ un dixième de seconde, je me déplaçai vers Drakkar, puis le paralysai. Ensuite, quelque chose de juste trop bizarre et terrifiant se produisit. Un second Drakkar se détacha du premier, mais le second était fantomatique. Il commença, d'une voix lugubre qui n'était pas la sienne :
-Tu as son corps, mais pas son âme… Cependant, si son âme reste trop longtemps en dehors de son corps, celui-ci mourra.
-Mandragore, comment puis-je me faire pardonner ?
-Toi ? Bien que ce soit toi qui l'ais tué, ce n'est pas toi qui a mis ton âme en jeu pour une autre vie.
-Mais dites-moi comment je peux le sauver !
-Un pacte est un pacte. Toutefois, si celui concerné meurt, le pacte s'annule. Bonne chance, car si tu ne fais rien, je pourrai bientôt contrôler son corps, ses mouvements et ses attaques. Vous regretterez à un tel point la mort de mon petit-fils...
Et il s'évanoui en poussière. Drakkar doit mourir et être ramené à la vie ; Un autre problème. Je devrai avoir de l'aide pour réussir cet exploit. Puis, je ''déparalysai'' Drakkar, qui était on ne peut plus confus.
-Qu'est-ce qui vient de m'arriver ? Ai-je fait un rêve ?
-J'ai bien peur que non. Tout cela était bien réel.
-Une minute : As-tu paralysé Drakkar pour un simple regard mauvais ?, s'interrogea Java.
-Tu veux dire que…toi et les autres n'aviez pas vu ce qui vient de se passer ?
-Mais qu'est-ce qui vient de se passer ?
-Il y a des choses, dont vous ne soupçonnez même pas l'existence toi, Math et CE-032. Et même Drakkar ignore encore des choses. C'est ça le plus fâcheux.
-Je ne sais même plus si je devrais te croire…Moi, honnêtement, je commence à en avoir ras-le-bol.
-Java…
-Quoi ?, répondit-il d'un ton sec en se retournant brusquement.
-…
-Vas-y, dis ce que t'as à dire. C'est juste que j'ai l'impression que tout le monde me cache des choses. Tout le monde sait ce qu'il y a et pas moi. Et c'est extrêmement frustrant. Je suis pas pour te suivre éternellement, me prosterner à tes pattes toute ma vie. T'es pas la seule à avoir des problèmes, à pas aimer ce qui t'arrive. Pense un peu aux autres, ma belle.
Complètement secouée intérieurement, je ne laissai toutefois pas transparaître l'émotion dans mon visage. Math fixait Java avec colère et une pointe d'étonnement. Il y avait de la haine dans son regard, je le sentais. Math était maintenant sur le point d'exploser.
-De quel droit tu lui parle sur ce ton ?!
-Laisse, Math…
-Non, pas laisse. Moi, aussi, je ressens la même chose que Java, mais je ne me plains pas pour autant. Et je ne t'appelle pas ''ma belle''. Il est arrogant, irrespectueux, et maintenant mauvais dragueur. Bravo, Java. Il y a quelques jours, je pensais que tu t'étais amélioré depuis que je t'ai rencontré. Mais non. Il faut toujours que tu attires l'attention sur toi, et personne d'autre. Et puis tu m'énerve tellement ! Alors, respectueusement, je vais te demander de foutre le camp. Maintenant.
Java était étonné. Il n'aurait jamais pensé que quelqu'un oserait prononcer ces paroles devant lui. Mais surtout, à lui.
-Tu te prends pour qui ? Le maître du monde ? Je vais te montrer c'est qui le maître, ici.
La situation dégénérait de plus en plus vite. Java bondit sur Math. Math riposta d'une morsure jusqu'à l'os. Et garda l'étreinte. Java couina et envoya un jet de feu sur le visage du Grahyena. Et moi je regardais la scène, affolée. Si je décidais d'intervenir, un des deux serait blessé, car je ne contrôle pas encore ma puissance. À ce moment, une lueur blanche émana du diamant et vint englober Java et Math. Ils furent séparés et s'écrasèrent sur le sol quelques mètres plus loin. Ils ne bougeaient pas.
Je me précipitai vers Java, puisque c'était lui qui saignait le plus. Je collai mon oreille contre sa poitrine. Aucun son. Bang, une décharge. Puis deux, et trois. Aucune réaction. Quelques larmes coulèrent sur mes joues. Drakkar et CE-032 étaient toujours plantés là.
-Mais allez voir Math, dépêchez-vous !
J'étais maintenant en sanglot. CE-032 me cria quelque chose. Ça semblait être que Math était mort. J'accourrai alors vers Math. Même chose. Je n'en pouvais plus, j'étais totalement dévastée.
-Foutu diamant ! Foutue Magirêve ! Pourquoi as-tu fais ça ?!
Et, signe ultime de chagrin, je hurlai. Mon hurlement perça les cieux, paralysa la vie. C'était comme si la planète avait arrêté de tourner. Le soleil se recouvra de nuages, assombrissant le ciel. La nature partageait ma peine. La Magirêve apparut. J'étais je ne sais combien en colère, mais j'avais le goût de la tuer, qui qu'elle soit. Un éclair jaillit du ciel contre mon gré et alla s'écraser sur un arbre non loin de là. Ma colère prenait le dessus sur mes pouvoirs…
-Tu as une chance de sauver tes amis. Tous tes amis. Entre là-dedans.
Un orifice lumineux se dessina entre elle et moi.
-Je sais que ça n'a pas été beau la dernière fois que je t'ai fait confiance. Mais, qu'ai-je à perdre ?
À pas lents, j'avançai. Je sentais que je ne faisais pas le bon choix. Mais je n'étais pas pour attendre que CE-032 meure ou soit possédé. Il fallait que j'agisse, et c'était le choix le plus normal qui s'offrait à moi. J'étais dorénavant à environ deux mètres de la brèche. La Magirêve paraissait assez sérieuse. Un bon signe. Il fallait que je rentre dans la brèche, c'était le moment. Je ne voyais rien à l'intérieur, j'étais aveuglée par la lumière. J'entre. Je suis aveuglée.
Qu'est-ce qui pouvait bien être à l'intérieur ? Je ne le savais pas.
Qu'est-ce qui pouvait m'arriver ? Tout, je suppose.
Est-ce que j'allais le regretter ? J'en suis sûre.