Chapitre neuvième - Regrets
La seule chose susceptible de lui sauver la vie, ça aurait été la pitié. Mais avec tous ceux que j'ai tués, elle ne fait plus partie de moi-même. Elle m'a abandonné. Le petit chiot essayait tant bien que mal de grimper à la clôture, mais il était trop petit. J'ai pensé à lui laisser la vie sauve, mais il n'aurait aucune chance d'avoir une vie supportable dans cet endroit. Alors, pour moi, lui et la foule, j'ai décidé. Il mourra. Et ne dites pas que je n'ai pas fait d'efforts, car je vais le tuer rapidement, sans souffrance.
Quand j'y pense, ma haine envers les Démolosses et les Malosses est sans raison, car ça aurait très bien pu être un Grahyena qui aurait tué ma mère. Tuer…ma mère…c'est encore dur d'y penser. Le Malosse arborait exactement la même expression que lorsque j'ai rencontré Math. Celle qui signifiait «Ai pitié. Je ne t'ai absolument rien fait.» C'est vrai, il ne m'a rien fait. Je vais simplement lui épargné l'avoir du bracelet. J'avance. Je suis à moins d'un mètre du coin où s'écrase l'innocent.
Une décharge pour qu'il s'évanouisse. C'est fait, il ne souffrira plus. Plus jamais. Il est encore vivant, mais inconscient. Soudainement, un bruit de galop irrégulier, qui se rapproche, à l'opposé de la direction où je suis. Je me retourne, mais pas assez vite. Un couinement de douleur se fait entendre. Le corps d'un Démolosse gît au pied de la clôture, de mon côté, en avant de CE-032. Il a la corne fendue. Non, ce n'est pas vrai. Pas encore…
Mon cœur éclate. Je m'élance vers le corps, ignorant mes blessures. Je me suis rapprochée. Il porte un bracelet, avec un saphir. J'hésite à avancer, j'ai peur de la déception. Puis, j'avance encore un peu. CE-032 a toujours le regard implacable, mais un filet de sang coule sur sa lèvre inférieure. La poitrine du Démolosse se soulève doucement, puis se contracte de manière saccadée. Un soulagement infini pénètre mon corps en entier. Je plaque mon museau sur le sien, puis un de ses yeux s'ouvre à moitié.
-C'est…c'est toi ?
-Oui, c'est moi, répondis-je en utilisant le ton le plus réconfortant possible.
-Tu…l'as tué ?
-Qui ?
-Colère…le Malosse. Celui que tu tuais…
-Non, il est toujours vivant.
Un sourire éclaircit son visage triste, puis il tenta de se lever, en vain. Sa patte était devenue verte, et elle avait encore grossit. Quand il leva la tête, je m'aperçus avec horreur que son œil saignait. Son œil était balafré de bord en bord. Je ne sais pas qui lui avait fait ça, mais c'était récent et il allait avoir une belle correction. Je ne reculerai devant rien pour le venger, surtout s'il perdait l'usage de son œil.
Mais, avant tout, pourquoi et comment est-il venu jusqu'ici? Il n'était pas en état de me répondre. Il a fallu que je déduise. Premièrement, le pourquoi. Sois il voulait me sauver, sois il s'inquiétait simplement de moi ou … du Malosse! Mais oui, ça aurait du sens! Le prétendu Colère n'est certainement pas une émotion. C'est peut-être… son fils. J'espère que ce ne sera pas vrai. Je lui fais confiance, et j'espère pouvoir encore l'aimer.
Je soupçonne CE-032 d'être responsable du massacre. Je vais vérifier.
-C'est toi… qui lui as fait ça?, demandai-je.
-C'est mon travail, je n'y peux rien.
-Tu te rends compte que tu aurais pu le tuer!
-Au nombre de morts dans ce bâtiment, un de plus ou de moins…Et puis, ça fait un complément de repas.
-Tu n'as donc pas d'âme? Tu te fous de tout autour de toi?
-Tout…sauf mon métier et toi, car tu es sous ma garde.
Ça y est, je vais craquer. Je roulai des yeux, puis courrai vers le petit Malosse de l'autre côté de l'enclos. Je n'avais auparavant pas remarqué, mais les humains scrutaient et notais chacun de mes gestes, ce qui me rendait très mal à l'aise. J'attrapai délicatement le chiot encore inconscient, puis le portai jusqu'à Drakkar. Puis, je me mis en tête de le réanimer avec de petites secousses électriques sur la truffe, en faisant attention de contrôler mon pouvoir pour ne pas le blesser.
Il ouvra les yeux après la treizième secousse, et eu un sursaut de terreur en me replaçant dans son esprit. Il tenta de s'enfuir, mais je le retins fermement par une légère pression sur la poitrine, le condamnant à rester étendu. Il me scruta, puis s'abandonna sous ma patte, vaincu. Puis, il aperçut Drakkar, hurla de joie et se libéra de mon emprise avec une puissance surprenante pour aller le lécher à la figure. Mon expression changea. Mes soupçons se confirment, tranquillement…
Drakkar semblait content, très content de le revoir. Le petit sautillait gaiement autour de Drakkar. Moi, j'observai la scène, interloquée. Les humains n'affichaient aucune stupéfaction, et continuaient à prendre des notes. Je me résolu enfin à prendre les choses en main.
-Je ne veux pas interrompre les retrouvailles, mais j'étais sensée le tuer, ce petit. Je ne l'ai pas fait, mais il devra s'en aller. Les humains vont le ramener, de gré ou de force. Il est arrivé ici à son âge, sa vie ne s'annonce pas très bien, et je préfère ne pas m'en mêler.
-Mais je te signale que, ce petit, je l'ai trouvé il y a deux ans, je l'ai élevé et il est comme mon fils. Je le protégerai coûte que coûte.
-Dans l'état où tu es ? Fait-moi rire. C'est plutôt lui qui devra te protéger. Comme vous n'avez pas l'air de remarquer, nous sommes dans un presque abattoir, et mon mentor m'attends, dis-je en jetant un regard complice à CE-032, maintenant que j'avais compris qu'il n'avait pas fait quelque chose de grave, que son travail.
Drakkar sembla légèrement désemparé lorsque j'ai évoqué l'expression mentor. Le petit était attentif aux expressions et aux gestes du Démolosse et les reproduisait du mieux qu'il pouvait, c'était d'ailleurs très drôle à voir. Soudain, la porte du corral s'ouvra légèrement en un grincement bruyant.
-Bon maintenant, je dois y aller, dis-je d'un air hautain en brisant le silence de plomb.
Je suis allée rejoindre le Luxray qui m'attendait en agitant la queue, signe d'impatience. Je lançai un dernier regard à Drakkar avec un sourire en coin en me rapprochant de l'imposante bête près de moi, juste pour le rendre jaloux. Je savais que les humains ne le tueraient pas, car il est la première expérience. Quant au petit, honnêtement, je me fous un peu de lui. Si Drakkar y tenait tant que ça, il m'en aurait parlé.
Quelques mètres plus loin, CE-032, avec qui j'étais maintenant assez proche, engagea une conversation.
-C'étais qui, celui qui a désobéis à la loi ?
-Juste un ami.
-Tu es sûre ?
-Mais puisque je te le dis. Au fait, toi, dors-tu dans une cage ?
-Non. Je suis attaché et je dors à la belle étoile. Laisse-moi deviner, tu aimerais éviter le supplice quotidien de la cage ?
-Exactement.
-Si tu te tiens tranquille un petit bout, c'est-à-dire avoir un comportement impeccable, peut-être pourrai-je les convaincre que tu dormes à côté de moi, pour que je puisse te surveiller. Il faudra évidemment que tu portes une chaîne la nuit venue et que tu sois attachée.
-Merci ! Merci beaucoup !
Je ne savais pas ce qui allait se passer, du côté de Drakkar, avec CE-032, ce qui arrivais à Math et Java, que deviendrai le dénommé Colère, et surtout, moi. J'étais au milieu d'humains qui avaient soif d'apprendre, mais aussi de tueries. Des bêtes dressées pour leur obéir, à eux au lieu de leur instinct. Ces mêmes bêtes dangereuses, auxquelles j'essaye de découvrir l'âme. De percer le mystère de cet endroit. Enfoui un peu plus profond dans mon âme, mon père. Il était introuvable, et disparaissait toujours un peu plus de ma vie. Chaque jour, tant que le temps passera...