Chapitre septième - Dominance de la douleur
Ma gueule était de nouveau paralysée. Une nouvelle se fit annoncée dans le campement.
«Qu'on les mette en cage immédiatement !»
La voix avait résonnée avec tant d'ardeur dans le mégaphone que ça m'a terrifiée. Tout s'est passé tellement vite à partir de ce point. Humains et Pokémons accouraient vers nous. On enchaina rapidement Math, puis Java, désormais trop faibles. Ils les mirent dans deux cages empilées l'une sur l'autre. Elles étaient toutefois différentes de celle où on m'avait hébergé. Plus massives, avec un champ de force en plus des barreaux.
Un homme bizarre ressortit de la masse s'étant abattue sur Drakkar, et pesa sur un endroit du bracelet de celui-ci. Drakkar hurla. Il se fit harnaché, puis boita jusqu'à une cage. Le bracelet avait serré tellement fort que ça lui avait cassé l'avant-bras. Ils n'eurent pas à aller jusque-là avec moi. On me mit un collier étrangleur, puis mes pattes suivirent le guide qui me tirait au lieu de m'obéir. Ils fermèrent durement la porte de la cage où j'étais. Celle-ci était en dessous de celle de Drakkar et à côté de celles de Java et Math. Drakkar avait la patte enflée et elle était légèrement bleutée. Il était couché et gémissait de ne pas pouvoir enlever son bracelet pour aérer sa blessure.
Jamais je n'aurais pensé dire ça un jour, mais Drakkar faisait vraiment pitié à voir. Dans un monde avec le moindre zeste de justesse, il aurait dû se faire replacer l'os afin de commencer la guérison. Mais non, l'homme ne voulait pas réparer le mal qu'il a fait. Tant qu'à Java, il produisait une flamme légère pour faire fondre les barreaux, l'air découragé. Math ressemblait à un lion en cage, tournant en rond et essayant de mordre le harnais qu'il portait au cou, mais outre possibilité d'atteinte. Nous étions tous les quatre brimés de toute liberté, et d'une humeur massacrante. Plus que vous pensez.
Nous avions maintenant passé toute la fin de l'après-midi dans ces cages indestructibles, et il faisait désormais nuit noire. Il faisait très froid, et le métal s'était refroidit avec la température. Je n'osais pas me coucher, sous peine d'exposer mon flanc à une glaciale substance et de ne pas pouvoir passer la nuit sans souffrir d'hypothermie. J'admirais la pleine lune, qui s'était élevée dans le ciel avec une grâce sans égaux. Elle, elle était libre. Elle ne ressentait pas de douleur, elle était en paix. Ses faisceaux lumineux m'apportaient le seul bien qu'il est possible de tirer de cet endroit, et grâce à elle, je me sentais moins seule dans la pénombre de la terre désertée de tout Pokémon…
Après une nuit interminable, le matin osa enfin se pointer le bout du nez parmi les étoiles. Il faisait soleil, et tant mieux, car je n'aurais pas pu supporter une journée pluvieuse après tout ce que j'ai vécu ces derniers jours. La patte de Drakkar n'avait qu'empirée, mais heureusement il n'y avait pas de plaie et elle ne pouvait donc pas s'infecter. Java avait, à force de patience, réussi à faire fondre l'intégralité des barreaux de sa cage, mais il n'avait pas de solution contre le champ de force. Celui-ci n'enfermait pas le Pokémon, mais le bracelet. Java pouvait donc sortir tout son corps sauf sa patte. Assez fâcheux merci.
Math avais dormi une ou deux heures, puis avait commencé à hurler pendant la nuit, vers deux heures du matin, mais s'était découragé quinze minutes plus tard. En ce moment, il avait une boule de ténèbres autour de son corps. Il se concentra longuement, puis relâcha une explosion, qui, en temps normal, aurait saccagé la montagne au complet. La cage ayant évité ceci, l'explosion rebondit sur les murs, puis retomba sur Math, maintenant à l'agonie. Le sang giclait, et c'était carrément dégueulasse. Le pire, c'est que les patrouilleurs humains et Pokémons ne s'en avait même pas rendu compte. Je voulais aller l'aider, mais la cage m'en empêchait. Un silence de mort pesa subitement sur la place.
Il avait mal. Drakkar aussi. Et Java s'était automutilé avec l'emprise de son bracelet. J'en suis venue à la conclusion que des bêtes habituées à la liberté ne peuvent pas la quitter. Ils étaient en train de se tuer à force d'être là. Moi, contrairement à d'habitude, la sage. Celle qui accepte la défaite, qui démontre de la patience. Vous ne me verrez pas souvent ainsi, mais c'était ça. Je voulais étirer ma vie, prendre tout ce qui passe, et laisser le passé derrière moi. Je ne laissais pas une miette des maigres repas qu'on m'offrait, je gardais mon énergie le plus possible. Je ne parlais pas aux gars, de peur que je ne dise pas la bonne chose et que je les fasse souffrir encore plus.
Ils devaient vivre un enfer. Beaucoup plus que moi. Une patrouille vint vers nous, sortant de leur trajectoire habituelle, à ma grande surprise. Elle était constituée de deux gardes humains, deux Absol et deux Grahyena. Les deux gardes humains ouvrirent la cage de Math en premier, arborant une expression de dégout et de pitié lorsqu'ils virent le sang parsemant les murs de la cage et l'état de Math, suffocant et faisant une hémorragie grave. Le plus grand des deux bipèdes sortit un bandage d'une faille de sa cuirasse de métal. Avec l'aide du deuxième, ils firent un garrot autour de son flanc pour au moins arrêter le flot d'un rouge ténébreux. Ensuite, ils le mirent en équilibre sur le dos d'un Absol, veillant bien à éviter le contact avec la tranchante et brillante lame de la bête, puis l'attachèrent avec des courroies.
Puis, ils débarrèrent la cage de Drakkar, agonisant lui aussi par terre. Sa patte était rendue la même couleur que ses yeux, en moins vif. Elle avait dépassé deux fois sa taille normale. Drakkar ne put échapper un gémissement de douleur lorsqu'ils le soulevèrent et le mire sur un Absol. Ils serrèrent les courroies, puis l'Absol revint à sa position initiale. Restait Java, qui était en relativement bonne forme malgré sa patte blessée. Lorsqu'ils désactivèrent le champ de force, Java bondit sur le plus grand, puis lui infligea une brûlante morsure au cou, ce qui fut fatal pour un simple humain comme lui. Se jambes flanchèrent, son regard devint sans vie et il commença à bruler.
Il fallut un bon moment pour que Java réalise qu'un Luxray aussi gros que lui était venu dans son dos. Avant l'instant où il avait pivoté complètement pour faire face à l'attaquant, une décharge électrique parcourra son échine, signe que la bête l'avait mordu de plein fouet. Et il perdit connaissance. Le Luxray rebroussa chemin, paisiblement. Il vint me chercher, pas trop déçu de la mort de son compagnon. La main de l'homme s'approcha de mes crocs – Trop près – dans le but d'atteindre mon cou pour prendre le collier étrangleur. Je le mordis au sang, mais je restai d'un calme époustouflant, sans bouger d'un poil. Il retira sa main assez vite.
Le gout de son sang était remarquable, et il était rare que je puisse gouter à du sang humain. Je me pourléchai les lèvres, puis lui lança un regard défiant, un léger rictus au coin de la gueule. Un petit problème se posa alors entre moi et la liberté : LE Luxray. Il revenait de sa patrouille, l'air détendu et surtout, il était dominant, et ça se voyait. Celui qui osait le défier était fou. Son regard abaissait les plus forts, et à quatre pattes, il était aussi grand qu'un bipède. Des étincelles jaillissaient de sa queue, démontrant l'étendue de son pouvoir.
Je me sentais prête à l'affronter. Une nuée de pouvoir empli mon corps telle un faucon fusant sur sa proie. Je vibrait, et j'avais le gout de relâcher mon énergie.
Le Luxray était à environ un mètre de ma cage. Il inspirait crainte et soumission à tous ceux qu'il croisait, sauf moi. J'avais vu la précision et la rapidité de sa morsure dans la nuque de Java, mais surtout sa force. Il fallait plus qu'un simple coup de dent pour terrasser une bête comme Java. Il s'approcha encore un peu plus de moi, sa tête étant assez haute pour atteindre la cage du haut. Il prononça d'une voix confiante et grave:
- Ne m'oblige pas à te faire du mal, ce serait dommage. Laisse-toi guider et tout ira bien. Enfin, ça dépend de ce qu'on entend par bien…
Il avait prononcé la dernière phrase avec un rictus machiavélique au coin de ses lèvres parsemées de sang.
-Non.
Ce petit mot me fut presque fatal. J'ignorais plein de choses, dont comment j'avais trouvé le cran de lui répondre ceci et ce qui allait s'en suivre. J'étais innocente, et je n'avais encore jamais su ce qu'était être totalement soumis envers quelqu'un. J'allais le découvrir, croyez-moi.