Je voudrais pas... de dragibus57

Nathalie habitait elle-même Doublonville, ce qui était vraiment pratique pour le boulot, et c'est donc à pied qu'elle fit le court trajet qui séparait son domicile de la Tour Radio.

Arrivée dans le hall, elle salua comme à son habitude les hôtesses d'accueil. L'une d'elle la retint un instant :
- Bonjour mademoiselle Letellier ! Toujours aussi élégante !... Euh, vous devriez vous dépêcher… Monsieur le directeur vous attend dans son bureau… et il n'a pas l'air très content…
- Oui je sais, merci Cathy, à plus tard !

Commença alors la longue et pénible ascension des escaliers.
Chaque pas lui coûtait. Mais elle serra les dents, comme tous les matins.

Elle fit un petit coucou à Buena, en passant devant son aquarium, et continua à monter. Malgré une courte halte au troisième étage, c'est suante et soufflante qu'elle arriva enfin au quatrième.

- Ah ! Mademoiselle Letellier, vous voilà. Enfin !
Oulà ! Fallait pas qu'il commence à l'asticoter, celui-là, c'était pas le moment ! Déjà qu'elle sentait les nausées revenir, il lui faudrait pas grand-chose pour exploser…
- Bonjour monsieur… Désolée du retard, mais…
- Oui oui, c'est bon ! l'interrompit Borg d'un geste agacé de la main. Comme je vous l'ai dit au téléphone tout à l'heure, il y a eu un problème cette nuit au Musée des Sciences d'Argenta et je voudrais que vous couvriez l'affaire.
- Mais les faits divers, c'est pas trop mon domaine. Vous ne pouvez pas trouver quelqu'un d'autre ?
- En ce moment, je n'ai personne sous la main ! Tout le monde travaille sur autre chose ! Et j'ai absolument besoin de l'info pour le bulletin de 13 heures…
-Et ma chronique, je la fais quand ?
- On a encore quelques enregistrements d'avance, vous n'êtes pas obligée de faire du direct aujourd'hui.

Nathalie Letellier était chroniqueuse radio, spécialiste des people.
Son style incisif et sans concessions avait fait d'elle une journaliste redoutable et redoutée des célébrités de ce monde. C'est aussi ce qui avait fait son succès auprès du public. Son émission quotidienne était attendue et écoutée par des millions de personnes à travers le pays.
Elle ne se gênait pas pour dire tout haut ce qu'elle pensait tout bas… Personne n'était épargné. Elle égratignait tout le monde, du chanteur à la mode jusqu'à l'homme politique, en passant par les mannequins anorexiques et les écolos bobos.

Et pourquoi pas finalement ? Pourquoi ne la couvrirait-elle pas cette affaire ?
Les faits divers, c'était différent de ce qu'elle faisait habituellement. Ce serait donc une expérience nouvelle, un truc qu'elle n'avait encore jamais fait. Oh, pas bien excitant, certes, mais enrichissant malgré tout.
En tout cas, elle n'avait rien à perdre à essayer…

- Je vois que vous avez déjà pensé à tout, finit-elle par dire. Je suppose que je n'ai plus qu'à m'incliner…
- Merci Nathalie, je n'oublierai pas !
- M'ouais… Bon, qu'est-ce que vous savez au juste de cette… « affaire » ?
- Pas grand-chose en fait, c'est une fuite sur la fréquence de la police qui nous a mis la puce à l'oreille. C'est pour ça que je veux que vous partiez tout de suite pour Argenta. Dès que vous aurez du nouveau, vous me téléphonerez pour que je puisse passer l'info au bulletin de 13 heures.

La chroniqueuse observa son patron.
La soixantaine bien grisonnante, toujours impeccablement sanglé dans un costume de marque, la ténacité du journaliste associée à l'assurance des gens qui ont réussi. Un mélange détonnant et efficace, la preuve !
- Ok, on fait comme ça…

Nathalie redescendit les escaliers et décida de s'arrêter chez Ben et Lula pour leur signaler qu'elle partait à Argenta. Mais arrivée près de leur bureau, elle se sentit à nouveau nauséeuse et fut obligée de faire un détour par les toilettes.

La célèbre et volubile chroniqueuse du Professeur Chen s'alarma de la mine défaite de sa collègue :
- Mon dieu, Nathalie ! Comme tu es pâle ! Et tu transpires ! Ça ne va pas ? Tu ne te sens pas bien ?
- Si si, ça va aller, t'inquiète pas. J'ai dû manger quelque chose qui ne passe pas, c'est tout…
- Hum… Dis voir ma chérie, tu ne serais pas enceinte par hasard ? Tes symptômes sont tout à fait typiques, tu sais…

Et paf ! Le vieil a priori de merde ! Si une femme gerbe le matin, c'est forcément qu'elle est enceinte ! Pfff…
Comme si j'avais une tête à avoir des gosses…
Je déteste les gosses ! Quand c'est petit, d'abord ça pue. Ensuite, soit ça dort, soit ça braille. Aucun intérêt. Et quand c'est grand, ça devient ingrat et ça vous traite de vieux con. Très peu pour moi !

Comme Nath ne répondait pas, Lula se méprit sur son silence et ajouta :
- Oh, je ne veux pas jouer les indiscrètes ! Si tu veux garder le nom du père secret, je comprendrai parfaitement. Tu nous annonceras ça quand tu seras prête… Dis … je le connais ?
- Non… Je veux dire : non, je ne suis pas enceinte.
- Ah… Tu es sûre ?
- Ben un peu, voui… De toute façon, je ne veux pas d'enfant.
- Rhoo… Tu dis ça maintenant, parce que t'as pas trouvé l'homme de tes rêves, mais je suis certaine que tu changeras d'avis. Et puis tu sais, il ne faut pas trop tarder à ton âge…

Mais c'est pas vrai ! De quoi je me mêle ! Je ne veux ni d'un gosse, ni du père qui va avec !…

Nathalie sentit la moutarde lui monter au nez. S'il y avait bien une chose dont elle avait horreur, c'est que les autres jugent sa vie privée et se posent en donneurs de leçon. Elle respira un grand coup, histoire de se calmer, et débita d'une seule traite, sur un ton volontairement cassant :
- Ecoute Lula, je sais que j'ai l'air d'une extra-terrestre à vos yeux. Je suis encore célibataire à bientôt 40 ans ? Et bien je le revendique ! C'est mon choix ! Je ne suis ni lesbienne, ni frigide. Et c'est pas parce que je suis grosse que j'ai pas de vie sexuelle ! Je ne veux tout simplement pas vivre avec un mec, c'est tout. La vie en couple, ça tue l'amour. On couche avec un homme, mais on dort avec son chat. Point.

Ayant ainsi cloué le bec à sa collègue et évité d'autres questions embarrassantes sur son état de santé, Nath tourna les talons et sortit du bâtiment.

Elle farfouilla dans son sac avant d'en extirper une Pokéball :
- Allez Drac', en route pour Argenta !
L'énorme Dracolosse ainsi sollicité s'inclina pour permettre à la journaliste de l'enfourcher. Elle s'arrima à son cou, se cala contre sa queue et le dragon décolla dans un tourbillon de poussière.