Tome I : La Prophétie de Darkrai de Alecx

Les énormes rochers qui s'envolaient maintenant de parts et d'autres du terrain n'avaient absolument plus rien à voir avec les petits cailloux qui planaient joyeusement il y a quelques minutes de cela. Les vêtements des personnes encore présentes, c'est-à-dire celles qui avaient eu la présence d'esprit de s'accrocher quelque part pendant la tempête provoquée par le Torterra du vieillard ou tout simplement eu un coup de bol inouï – ceux-là devraient d'ailleurs aller jouer en loto pendant qu'il en était encore temps -, semblaient vouloir tomber dans le ciel, comme si la gravité s'était soudainement inversée. Heureusement, leurs porteurs, eux, tenaient encore fermement sur leurs pieds. Ou plutôt malheureusement songea Lucas en voyant Saturne qui les regardait d'un air triomphal.
-On ne fait plus les malins n'est-ce pas, messieurs les sauveurs ? demanda-t-elle d'une ton narquois.

Lucas voulut répondre que rien n'était encore joué, qu'ils allaient l'empêcher de détruire le monde ou peu importe quel était son objectif, mais il se serait menti à lui-même : il savait pertinemment que plus rien n'était possible et qu'il allait devoir assister, impuissant, à la destruction de la région dans laquelle il avait grandi. Il pensa à sa famille, à ses amis et à toutes ces personnes innocentes qui, cette nuit, seraient réveillées par les cris de leurs voisins. Il imagina l'horreur de toutes ces personnes plongées en plein cauchemar, assistant à la destruction de tout, aspirées en même temps que leurs maisons dans le vortex grandissant, tuées par les débris, par la vitesse ou par la peur. Car lorsque le passage deviendrait réellement puissant, rien ni personne ne pourrait y survivre. Et pour que ce passage deviennent puissant, il ne fallait qu'une seule chose : que Giratina fasse la totale acquisition de ses pouvoirs ou, autrement dit, la mort d'Aurore.

Le jeune homme était complètement effondré et tous les espoirs qu'il avait pu avoir, aussi minces fussent-ils, s'envolèrent comme des Roucool sauvages apeurés par le bruit des herbes qui remuent. Bientôt, lui-même serait aspiré et c'en serait fini. Il n'entendait plus rien autour de lui. Le vacarme provoqué par les rochers qui s'entrechoquaient en s'élevant dans les airs n'était plus qu'un faible son qui résonnait en écho dans esprit, bien loin de là où il se trouvait à présent. Il pouvait mourir, après tout, qu'est-ce que ça lui faisait ? Il n'avait pas été à la hauteur de sa mission. Il se souvint de la première fois qu'il avait vu Darkrai. Pas la rencontre dans la forêt, mais plus loin encore. Il voyait des couleurs éclatantes défiler devant lui : un rose vif, du vert pétillant, un bleu profond, un orange éblouissant… Du noir glacial, froid comme la main de la Mort. Du noir… Et au milieu, une ombre mouvante indistincte. Darkrai, le Pokémon Noirtotal. Et un son. Une sorte de crissement suraigu. La voix des Ténèbres. La voix de Darkrai. Ce message avait quinze ans. Il y a quinze ans, Darkrai l'avait choisi, dans son berceau. Et il lui avait adressé un message. Aujourd'hui, il le comprenait. Il comprenait ce que Darkrai lui avait dit il y a de nombreuses années. Lucas n'était plus aux Colonnes Lances, il était dans les abysses les plus profondes de sa mémoire, dont le barrage avait brusquement cédé pour submerger Lucas de souvenirs limpides comme le cristal. Et ce message…

Soudain, Aurore cria. Non, en réalité, elle hurla à s'en briser les cordes vocales. Lucas se percuta violemment au mur de la réalité. Il ne devait pas simplement sauver Sinnoh, le monde ou peu importe à quelles limites s'étendait la puissance dévastatrice de Giratina. Non, c'était plus que de simples régions. Il devait sauver des milliers, des millions, des milliards de personnes innocentes. Elles n'avaient pas à pâtir de son incompétence. Et plus encore, il devait sauver les personnes qu'il aimait. Il n'avait pas le droit de baisser les bras.
-Lucas ! cria Aurore d'une voix dont le timbre trahissait sa peur.

Le dresseur, en regardant en direction de la sortie de la grotte où il avait laissé son amie, comprit vite ce qu'il se passait. Il la vit, accrochée aussi fort qu'elle le pouvait à la roche, les pieds se balançant dans le vide, derrière elle. Elle était aspirée. Il lui fallait agir vite, Aurore était trop affaiblie pour s'accrocher indéfiniment.

…

« Ici l'équipe de Féli-TV, en direct pour vous du Mont Couronné, où d'étranges évènements semblent se dérouler depuis quelques heures maintenant. En effet, un immense… Euh, tu appellerais ça comment toi François ?
-Un tourbillon ? demanda l'intéressé, hésitant.
-Vendu. Donc je disais : en effet, un immense tourbillon au profil menaçant plane au-dessus du terrain que les anciens livres nomment Colonnes Lances. Personne n'est jamais parvenu à monter jusqu'en haut mais les évènements de ce soir semblent prouver que les légendes ont bel et bien un fond de vérité et que des choses surpassant notre imagination se trouvent là-haut. Nous allons maintenant essayer de monter un peu plus haut pour essayer de…
-On ne peut pas monter plus, l'interrompit le pilote de l'hélicoptère. Nous sommes déjà à la limite des capacités de l'engin et ce n'est pas… Oh !
-Au secours ! cria la journaliste. Que fais-tu ?
-Rien ! Je ne maîtrise plus l'appareil ! On est attirés par ce truc ! dit-il en désignant le vortex.
-Coupe la caméra, coupe la caméra ! »

Et l'image disparut. L'homme qui regardait le reportage se leva de son fauteuil et éteignit la télévision. Il ne savait pas comment prendre la nouvelle. Lentement, il se tourna vers la fenêtre pour observer son reflet, assombrit par le feu de cheminée qui brûlait dans son dos. Loin, très loin à l'horizon, au-dessus de la montagne, le tourbillon semblait dérisoire, ridiculement petit, un rien dans l'Univers.
L'homme se dirigea vers la porte de sa maison, attrapa un blouson qui se trouvait sur le porte-manteau et l'enfila. Il allait faire une petite ballade. Une promenade en montagne. Il avait un ami à voir.

…

Un hélicoptère passa à toute vitesse au-dessus des têtes de toutes les personnes présentes aux Colonnes Lances. Saturne éclata de rire. De toute évidence, elle avait perdu la tête. Lucas, horrifié, assista impuissant au passage de l'engin à travers le vortex. Plusieurs personnes se trouvaient dedans, il les avait entendu crier. Le bruit des rochers percutant le métal fut assourdissant, mais il n'y avait apparemment eu aucun dégât. On pouvait encore passer sans se blesser.
-Aurore, cria Lucas en direction de son amie. Lâche vite ! Laisse-toi emporter !
-D'accord, répondit-il elle faiblement. Je… te… fais… confiance.

Et elle s'envola comme une vulgaire poupée de chiffon.
-Pourquoi est-ce que tu lui as fait faire ça ? lui demanda calmement le vieillard.
-Mieux vaut qu'elle soit aspirée maintenant au milieu de cailloux que tout à l'heure en même temps que des morceaux du terrain, n'est-ce pas ?
-Bien raisonné. Et maintenant, que fait-on ?
-C'est à vous de le savoir, non ? J'ai amené la Masterball et la Flûte Azurée, comme vous me l'aviez demandé, dit Lucas.
-Très bien. Conserve-les précieusement, lorsque le moment sera venu, tu sauras les utiliser. J'ai confiance en toi et en l'avenir.
-Je croyais que vous deviez m'expliquer ! s'énerva Lucas.
-Est-ce que tu as l'impression d'avoir assez de Temps pour écouter l'Histoire d'un vieil homme et de ses Prophéties barbantes ? lui répondit-il.

C'est alors qu'ils furent interrompus par le cri de Giratina, déchirant le silence de cette nuit sans Lune où seules les étoiles éclairaient tant bien que mal la vaste région de Sinnoh. Et ce vortex, qui brillait d'une lueur spectrale violacée. Puis, sans prévenir, le Pokémon s'envola en direction du vortex. Sans doute le fait que la personne chez qui il puisait son énergie soit partie l'aura-t-il dérangé. Saturne en resta muette d'étonnement. Mais très rapidement, trop rapidement même au goût de Lucas, elle se ressaisit et s'adressa au jeune homme.
-Je crois que ton amie n'en a plus pour longtemps, ricana-t-elle. Mais ne t'inquiète pas, tu vas bientôt pouvoir la rejoindre, là où elle se trouvera après le passage de Giratina !

Lucas ne répondit pas. Il réfléchissait au nouveau tournant qu'avait pris la situation. Il devait battre Giratina. Et ledit Pokémon n'était plus sur Terre mais dans son propre monde en compagnie d'Aurore. Conclusion : lui-même n'avait rien à faire ici. Avant d'avoir pris le temps de songer un peu plus à ce qui allait se passer par la suite, Lucas donna un grand coup de pied sur le sol et s'éleva dans les airs. Il fut aussitôt aspiré par le passage en direction du Monde Inverse, plus brusquement qu'il ne l'aurait souhaité à vrai dire. Le vieil homme le regarda sans rien dire tandis que Saturne le regardait, lui, d'un air mauvais. Lucas espérait qu'elle ne lui ferait rien. Puis il dut fermer les yeux, gêné par les cailloux qui lui frappaient le visage. Il avait l'impression d'entrer en enfer. De multiples projectiles venaient le percuter violemment, projetés à pleine vitesse par la puissance de l'absorption. Il avait l'impression que la torture ne se terminerait jamais. Enfin, il se sentit comme en apesanteur. Il ouvrit les yeux. Ses compagnons de route, qui lui avaient tant fait mal, étaient dans la même situation que lui. Puis il tomba.

La chute semblait sans fin. Les décors défilaient tandis qu'il s'enfonçait dans les profondeurs de ce monde inconnu. Soudain, il comprit qu'il ne survivrait même pas à la chute. Et Aurore ? L'avait-il elle aussi poussé à un aussi cruel destin ? Ses derniers mots bourdonnaient dans sa tête, aussi douloureux qu'un essaim de Dardargnan enragés. « Je te fais confiance. » lui avait-elle dit. Et lui, il l'avait tuée ! Mais il ne put y réfléchir plus longtemps car il fut brusquement attiré sur sa droite. Son épaule rencontra durement le mur. Ou plutôt le sol. Car en effet, après son épaule, ce fut au tour du reste de son corps d'entrer en contact avec… il ne savait même plus quoi ! C'est lorsqu'il se releva qu'il comprit réellement ce qu'était cet endroit.

Il se tenait debout sur une petite plate-forme et, étonné, choqué même, il contemplait l'étrangeté du spectacle qui s'offrait à lui. Le Monde Inverse – il se souvenait avoir entendu Saturne prononcer ces mots lorsqu'elle s'adressait aux sbires – n'était fait que de plateformes qui, d'après l'expérience qu'avait pu faire Lucas malgré lui, possédaient leurs propres centres de gravité. Il avait fait cette conclusion après avoir constaté que le vortex, qui aurait dû se trouver loin au-dessus de lui, se trouvait en réalité loin, certes, mais à sa gauche. Et c'était de CA que Saturne voulait comme monde ? Des plateformes qui flottaient dans le néant. Mais il n'avait pas le temps de chercher à comprendre ce qu'il se passait dans la tête de la Team Galaxie. Il fallait qu'il retrouve Giratina.

Pour l'affronter. Et gagner.