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Analyse de fanfic : "Shades of Blue" de Yûn



Shades of Blue est une fanfiction de Yûn écrite à l’occasion du concours Let’s Go de 2019 pour la sortie des premiers jeux Pokémon sur Switch. Bien qu’elle ne respectait pas exactement toutes les règles du concours, cette fic est parvenue à se hisser à la deuxième place, ce qui est un sacré gage de qualité. En effet, le concours imposait d’écrire une intrigue qui se déroulerait vingt ans après les jeux de la première génération, or Yûn a préféré raconter cet intervalle de deux décennies, ce qui donne beaucoup d’impact à son texte quand on le lit en dehors du cadre du concours.

Le style tout d’abord est bon, plutôt accrocheur, et bien adapté à l’histoire qu’il raconte : fluide et efficace. La relative simplicité de son ton global permet de suivre le récit sans mal, néanmoins certains passages se démarquent un petit peu de la bonne homogénéité de l’ensemble. Quelques-uns sont teintés d’un humour basé sur l’exagération, proche de celui d’un animé avec des gestes et des paroles peu naturels de la part des personnages — au lecteur de l’apprécier ou non. Ailleurs, des morceaux de phrases se distinguent par leur formulation sophistiquée (Dialga est mentionné comme le “Grand Horloger au cœur adamantin”, par exemple), mais parfois un peu lourde. Les désignations de Pokémon souffrent aussi de ce problème, Yûn décrit le Voltali accompagnant Blue comme un “renard safrané” tout au long de l’histoire, ce qui finit par perdre en impact malgré la volonté louable de ne pas suremployer les noms de Pokémon en eux-même.

Néanmoins, ces petits détails n’enlèvent rien à la qualité de la plume de Yûn. Elle manie en effet avec brio différents types de scènes, de la narration d’action à la description, en passant par les dialogues et les scènes d’introspection des personnages. De bout en bout (et ce malgré la longueur de la fic et les contraintes temporelles du concours, attention !), le style sert à merveille l’histoire, et ajoutons à cela l’absence totale de fautes d’orthographe.

Comme on l’a dit, la fic de Yûn s’écarte légèrement du thème du concours. Elle semble en quelque sorte indépendante du concours ; une impression renforcée par sa richesse. Yûn exploite son idée jusqu’au bout, elle la parcourt de long en large, mais en évitant malgré tout d’épuiser le lecteur. Ainsi certaines trames semblent parfois ne pas avoir de réel rapport avec l’idée de départ (ce qui n’est jamais vraiment le cas, d’ailleurs) : ce qu’on sent au premier abord, c’est que l’histoire a été poussée très loin. Les vingt ans de la vie de Blue, choisi comme personnage principal, ne sont pas retranscrits en détails, mais Yûn ne se contente pas des étapes-clés ; des passages en apparence moins importants lui permettent de gérer le rythme de l’intrigue.

Cela fait de facto de la fic un Slice of Life, où toutes les scènes servent en fait d’une façon ou d’une autre à montrer la reconstruction de Blue après sa défaite à la Ligue. Et c’est un excellent Slice of Life, où le plus souvent, on ne se rend pas compte de la progression en douceur de l’intrigue. Yûn évite l’écueil le plus courant de ce style, qui est de noyer le lecteur sous un fleuve de détails auxiliaires ; son histoire ressemble plus à une rivière qui s’attarde dans une succession de lacs. On ne sent pas toujours le courant, mais il est là.

L’un des aspects surprenants de cette fic, c’est qu’assez régulièrement, son intrigue s’accélère brutalement, en la rapprochant d’une histoire plus centrée sur l’action. Il n’est pas habituel de trouver de tels passages d’action en plein dans un Slice of Life ; mais Yûn sait gérer son rythme pour enchaîner les styles sans à-coup. Les ruptures de rythme en passant d’un code à un autre sont sensibles, mais pas dérangeantes — elles servent à faire monter l’attente du lecteur, et elles y parviennent très bien. On pourrait aussi penser que ces ruptures fréquentes aux moments où tout va bien risquent de devenir prévisibles, mais ce n’est pas le cas non plus : tous les éléments n’ont pas la même importance, alors que le Slice of Life s’attarde aussi longtemps sur chacun. Il est donc très difficile de deviner la suite de l’histoire.

Ces moments d’action qui accélèrent le rythme du récit ne sont pas les seuls à le faire : la fic admet aussi des rebondissements fréquents. On peut regretter que certains manquent de crédibilité, comme le fait que Blue décide de consacrer sa vie entière aux Lokhlass apparemment sur un coup de tête (pour ne pas en citer d’un peu plus invraisemblables). Néanmoins, ils sont efficaces. L’histoire doit couvrir vingt ans, donc comporter de nombreux éléments. De façon assez logique, Yûn cherche à les enchaîner de manière à captiver le lecteur malgré le concept finalement pas très facile d’accès de la fic. Chaque fraction de la trame est donc insérée dans ses voisines — elle commence avant que celle qui se précède ne soit terminée, elle se termine après que la suivante ait commencé.

Cela participe à soutenir le rythme de l’histoire, et aussi à la rendre difficilement prévisible : avec toutes ces intrigues qui s’enchaînent, on ne sait pas lesquelles seront vraiment importantes, et lesquelles seront plus secondaires. D’ailleurs, l’histoire a une construction atypique sur ce plan-là ; il n’y a pas vraiment une intrigue centrale et plusieurs dérivées, mais plutôt une multitudes d’intrigues dans l’intrigue, qui cohabitent sur plusieurs niveaux. Il est quasiment impossible de prédire lors de l’introduction d’un élément quelle sera sa place dans l’histoire, à part peut-être pour l’apparition de la Team Rocket dont on se doute qu’elle sera importante. Certaines trames qui semblent a priori majeures, cependant, peuvent tout à fait se révéler très secondaires…

Un autre point caractéristique de la construction de cette histoire, c’est qu’elle soigne sa fin. C’est une partie qu’il est facile de brusquer ; dans le cas de Shades of Blue, ce serait plutôt le début qui est brusqué, avec l’introduction immédiate de la défaite de Blue à la Ligue. La fin, au contraire, prend le temps de se poser, et se révèle ainsi aussi satisfaisante que le reste de l’histoire. Il aurait été possible de stopper la fic vers les trois quarts sans choquer le lecteur ; mais le ralentissement progressif choisi par Yûn est bien plus élégant, et permet au lecteur de ressortir d’une histoire qui l’a happé fermement.

Les personnages sont un aspect du texte qui participe très largement à sa qualité, à commencer évidemment par le protagoniste principal, Blue : la fic retranscrit une grande part de la vie, depuis sa défaite à la Ligue jusqu’à vingt ans plus tard. Bien entendu, on évolue beaucoup en vingt ans, et c’est également ce que fait Blue. En y réfléchissant un peu, il est difficile de savoir si la progression que lui insuffle Yûn est strictement réaliste, car il est sans doute impossible de raconter une telle évolution dans les moindre détails en si peu de chapitres.

Néanmoins, l’illusion est bonne : l’auteure donne les étapes-clés qui rythment la vie du personnage pendant cette période, tout ce qui a vraiment pu l’aider à mûrir, et force est de constater qu’il y a un pas de géant franchi entre l’ado boudeur et insupportable du début de la fic et l’adulte réfléchi et à l’écoute des autres de la fin. Mieux encore, les changements sont progressifs tout au long de l’histoire, il n’y a pas de cassure nette qui empêche de reconnaître le personnage d’un événement à l’autre, il garde plus au moins une attitude tout au long de l’histoire qui le rend toujours fidèle à lui-même.

Au niveau de la gestion, les personnages secondaires ne sont pas en reste. L’accent est beaucoup moins mis sur leur évolution au fil des années (la plupart restent quasiment les mêmes), mais ils sont essentiels à faire progresser le récit : tous sont particulièrement liés à la vie de Blue, et on peut d’ailleurs remarquer que la grande majorité d’entre eux sont cités au moins une fois dans chaque chapitre. Ils sont tous mis en scène particulièrement à un moment ou un autre, mais le reste du temps, ils conservent tout de même une présence discrète, ce qui permet de bien les assimiler, et de ne pas les oublier.

Les personnages les plus centraux font d’ailleurs souvent l’objet de mini-intrigues qui s’attachent au scénario principal et l’enrichissent (l’inquiétude d’Olga/Lorelei pour les Lokhlass, la difficulté pour Red d’assumer le rôle de Maître, la relation compliquée entre le Pr. Chen/Oak et Blue…). Ces mini-histoires liées aux personnages permettent non seulement de nourrir et de guider l’intrigue principale, mais aussi de maintenir un peu de tension tout au long de l’histoire : il y a toujours une situation à résoudre quelque part. Cela permet aussi de souligner la virtuosité de Yûn pour ce qui est de jouer avec un scénario complexe, parce que non seulement elle exploite beaucoup d’éléments en un seul récit, mais elle s’en sort à merveille.

Il faut préciser qu’en bonne connaisseuse du canon, l’auteure exploite exclusivement des personnages existants de la licence Pokémon dans son histoire : l’entourage de Blue dans les jeux et le Conseil 4 de Kanto notamment. Cela lui permet de creuser un peu la personnalité de certains (comme Olga/Lorelei), mais on peut surtout noter que tous autant qu’ils sont, ils restent fidèles dans leurs réactions à l’image qu’en donne déjà le canon. Yûn s’approprie la base de leurs personnalités pour y ajouter un peu de profondeur, en les rendant plus vivants à travers son texte qu’ils ne le sont au départ, mais toujours cohérents.

D’ailleurs, il faut toucher un mot sur le parti-pris d’écriture qui saute en premier aux yeux du lecteur : Yûn choisit d’utiliser les noms anglais des personnages dans son histoire, ce pourquoi nous citons celui-ci en plus du nom français dans cette analyse. L’auteure prend cette décision par confort pour elle qui connaît mieux ces noms-là, mais elle l’exploite aussi en donnant une cohérence à certains noms par rapport à la région d’origine du personnage. Le meilleur exemple en est Euphorbe/Kukui, qui vient d’Alola, dont l’équivalent dans notre monde, Hawaii, admet l’anglais comme première langue parlée. Yûn va même plus loin en écrivant en anglais les ordres que ce personnage donne à ses Pokémon, car il s’agit de sa langue natale, celle avec laquelle il les a dressés.

En parlant de Pokémon, il est important de remarquer à quel point ceux-ci ont leur rôle à jouer dans l’histoire. De l’extérieur, ça paraît essentiel d’impliquer ces créatures dans une fanfiction qui concerne leur univers, mais dans les faits, c’est rarement aussi bien géré que dans Shades of Blue. Les Pokémon disposent tous d’une personnalité qui leur est propre, à commencer par Impulse, le Voltali qui accompagne Blue tout au long de l’histoire. Il n’est pas qu’un simple objet que le protagoniste emmène partout avec lui, la moindre de ses actions est souvent mentionnée pour enrichir la narration, on voit tout aussi souvent son maître interagir avec lui, et il a le droit à une mini-intrigue d’introduction au début de la fic. D’autres Pokémon comme lui bénéficient de leur moment de gloire, notamment l’équipe de Red à un certain stade de l’histoire et Sapphire, une jeune Lokhlass qui a carrément droit à une courte évolution (psychologique).

Par ailleurs, Yûn possède une connaissance pointue du canon Pokémon, aussi ne laisse-t-elle rien au hasard quand elle fait se rencontrer certains personnages du canon. Puisque le professeur Euphorbe a visité Kanto et que Red et Blue sont trentenaires dans les versions Soleil et Lune, il n’y aurait rien de surprenant à ce que le savant ait rencontré un des deux durant son voyage, éventualité que l’auteure transforme en une amitié solide entre Blue et Euphorbe. La scène finale est un autre renvoi à la septième génération, mais Yûn puise également dans des jeux plus anciens en expliquant de façon implicite ce que fait Red au sommet du Mont Argenté, encore que cela pose un léger problème chronologique ici. Dans un souci de réalisme, Yûn ne respecte pas non plus le canon à la lettre, notamment en vieillissant les deux rivaux de la première génération afin de ne pas placer un enfant de onze ans à la tête d’un pays.

Car il est question de politique dans sa fic, et plus qu’on pourrait y croire. En effet, Yûn développe le lore de Pokémonde en explorant les éléments absents des jeux Pokémon, notamment le système politique directement lié à la Ligue Pokémon. Son idée est pertinente, la quête des badges et le Conseil 4 servent à trier parmi les dresseurs celui ou celle ayant les meilleures capacités d’analyse et prenant les solutions les plus adaptées à la situation, qualités qui en feront un dirigeant efficace. Ainsi, le titre de Maître s’accompagne d’importantes responsabilités pour la région. En plus de création des structures étatiques, l’auteure justifie de façon habile l’existence des Champions et de la Ligue.

De nombreux éléments-clé de Shades of Blue reposent sur des points peu exploités de l’univers du canon. La base de l’intrigue vient de la différence marquante entre les entrées du Pokédex de Lokhlass en première et septième génération. La carte de dresseur que Blue déchire au premier chapitre est régulièrement évoquée, ce qui suggère une réglementation stricte pour tout ce qui touche aux Pokémon et permet d’introduire des thématiques réalistes comme le braconnage ou la disparition d’espèces animales.

Les Pokémon sont omniprésents dans l’histoire, aux côtés des personnages, dans le lore que développe Yûn, partout. Quand certains auteurs de fic ont tendance à se concentrer davantage sur les personnages ou à humaniser les Pokémon, c’est rafraîchissant de lire une fanfiction où les monstres de poche sont traités comme ce que nous présentent les jeux. Ils sont utiles, bien intégrés, la société décrite ne peut clairement pas fonctionner sans eux, qu’ils soient sauvages ou domestiqués. D’ailleurs, les diverses expressions animalières utilisées par les personnages sont adaptées avec des noms de Pokémon pour plus d’immersion, même si quelques-unes sont un peu maladroites.

En revanche, le contenu pioché hors de la licence Pokémon coince parfois à la lecture. Yûn sème de nombreuses références tout au long de son texte et, selon les lecteurs, toutes ne font pas forcément mouche. Si les différents jeux de mots avec des noms de Pokémon en anglais sur les pulls du Voltali sont discrets et ne nécessitent pas connaître la phrase d’origine, la plupart des surnoms des Pokémon ont quelque chose de forcé et pas vraiment justifié. Autant on peut comprendre que les noms des Pokémon d’Euphorbe soient un clin d’œil à un dessin-animé qui se déroule à Hawaii, autant le lien entre l’équipe de Blue et les jeux Xenoblade reste inexplicable. Ceci n’a guère d’importance pour ceux qui ne possèdent pas la référence, mais peut perturber la lecture des autres, comme lors du prévisible Fus Ro Dah de Peter qui n’apporte pas grand-chose au combat. Ce ne sont certes que des détails, néanmoins ils permettent de se questionner sur l’utilité de multiplier les références dans une fanfic.

Pour conclure, Shades of Blue offre un moment de lecture plus intense qu’une fic de concours ordinaire, notamment en raison de la longueur de ses chapitres, qui font écho à la durée de l’intrigue s’étalant sur vingt ans. Cette longueur est parfaitement justifiée par la richesse de la fic, tant au niveau de l'intrigue que des personnages, et il n'aurait pas fallu moins pour développer un tel récit. C’est un plaisir de conclure le Journal sur une fanfiction de cette qualité, dont nous vous recommandons vivement la lecture !


Par Ramius et LunElf

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