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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 17/02/2021 à 10:24
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:11

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 19 : La terre inerte
Margar considérait qu’il existait deux types de personnes : celles qui ménageaient leurs congénères, et celles qui survivaient. Elle estimait également qu’elle ne faisait partie de la première catégorie que quand cette dernière recoupait la seconde.

À peine eut-elle descendu, en glissant plus qu’elle ne courait, le flanc de la dune d’où elle surveillait le désert qu’elle se ruait sous une première tente, et un instant plus tard, un oracile reçut un coup de poing dans les poumons. Pas bien fort, elle avait dû viser au jugé à cause de l’obscurité ; mais le temps d’avoir administré le même traitement à toute la tente, elle pouvait lancer un simple « Drascore ! » et filer vers une autre grappe de victimes.

Elle s’arrêta également au tas de sacs qu’on faisait porter aux excavarennes de la colonne, et fouilla dedans un instant pour attraper une des pioches qu’elle avait fait forger spécialement pour l’expédition. Pas le temps d’en prendre plus, il faudrait que ça suffise. La scientiste retourna en courant vers la dune qu’elle avait descendue un instant plus tôt.

Quelques oraciles étaient sortis des tentes, attendant le prédateur. Moins qu’elle ne l’avait espéré, et tout aussi désarmés que le reste de l’expédition, mais ça serait sans doute assez.

« Vous savez comment neutraliser un drascore ? » leur lança-t-elle.

Elle reçut pour toute réponse quelques regards interloqués, ou peut-être fatigués ; difficile de juger au clair de la lune.

« Tant pis. Vous l’occuperez un maximum de front, en le frappant aux yeux et en essayant de ne pas vous faire tuer ; je m’occupe de le pousser à se piquer lui-même. »

C’était la partie la plus difficile : il s’agissait de grimper sur le dos du pokémon, de l’énerver, et d’éviter les attaques de ses trois dards jusqu’à ce qu’il se pique lui-même dans un faux mouvement. Margar ne l’avait jamais fait, mais elle avait déjà assuré le rôle du piéton pour sa mère. Malgré la dangerosité des drascores, ils n’étaient pas immunisés à leur propre poison et trois personnes pouvaient en vaincre un… à condition d’avoir une bonne équipe. La scientiste ignora résolument cette dernière pensée.

« Oh, répondit calmement l’un des oraciles. C’est courageux de ta part, mais si tu veux bien, nous aimerions faire ça à notre manière. Elle est un peu moins… acrobatique. »

La scientiste haussa les épaules et émit ce qui pouvait être pris pour un acquiescement. De toute façon, elle était la seule du campement à avoir une pioche dans les mains : il ne pouvait pas lui arriver grand-chose de mauvais. Une bonne pioche en Acier, forgée d’un seul bloc comme tous les outils sur lesquels les oraciles avaient économisé du bois : elle risquait de se froisser un nerf en frappant avec, mais elle ne la briserait pas.

La silhouette dégingandée du drascore apparut au sommet de la dune. Le prédateur observa un moment le campement, puis s’élança dans la pente, ses pattes courtaudes s’agitant frénétiquement. Margar raffermit sa prise sur son arme.

Les oraciles restaient impassibles ; à peine si l’un d’entre eux s’étaient avancés de quelques mètres pour se mettre sur le chemin du monstre. Ils avaient intérêt à savoir ce qu’ils faisaient, pesta silencieusement la scientiste. Sans quoi ils risquaient tous leurs peaux et elle autant que les autres. Affronter un drascore seul, c’était du suicide.

Et puis la bête ralentit, en arrivant au bas de la pente, pour s’arrêter quelques pas devant l’oracile.

Il pouvait être exécuté en un battement de paupières. Margar avait vu plus d’une fois la force prodigieuse dont les drascores pouvaient faire preuve, et n’oublierait jamais la cruauté avec laquelle ils démembraient leurs proies. Et pourtant l’oracile resta impassible, regardant son adversaire comme il aurait examiné un marteau sortant de la forge.

Le face-à-face ne dura peut-être que quelques secondes, qui prirent des allures d’éternité. Puis le drascore gronda un son bas et caverneux, loin des éructations stridentes qui ponctuaient les combats de ces pokémons. C’était un bruit d’intimidation. L’oracile parla, en réponse.

« Tu en trouveras nulle violence parmi-nous, assura-t-il. Rien qui puisse contenter ta soif de sang, mon ami. Mais suis-nous, si tu le veux ! Nous croiserons certainement d’autres créatures, et tu pourras épancher ta colère contre elles. »

Folie, pensa Margar, et elle resserra nerveusement ses doigts sur le manche d’Acier qui refroidissait rapidement dans l’air nocturne. Il faudrait y attacher solidement des tissus avant de les utiliser en plein jour, lui signala son esprit pragmatique, et la partie critique grogna que ça aurait dû être fait avant de partir. Puis le drascore tourna sa tête difforme vers elle, et elle sentit son regard peser sur la pioche éclairée par la lune.

Évidemment. Il fallait qu’il y en ait une qui soit en désaccord avec le discours qu’on venait d’adresser au prédateur. Eh bien elle ne leur donnerait pas raison. Un drascore, ça se tuait, ça ne s’invitait pas à des négociations. Elle fit négligemment tourner le manche de la pioche autour de sa main, avant d’en arrêter la pointe juste à côté de sa tempe, et de faire le geste de tapoter en gardant les yeux fixés sur le pokémon. Il comprendrait le message.

Peut-être qu’une freluquette avec un éclat d’Acier ne sembla pas suffisante au prédateur pour compenser l’inertie paisible des oraciles autour d’elle. Peut-être aussi qu’elle l’intimida, mais c’était moins probable. Quoi qu’il en soit, il se détourna d’elle, et inclina la tête en direction de l’oracile qui lui faisait toujours face, sans avoir bougé d’un pouce. Ce dernier acquiesça à son tour, puis revint vers les tentes en râlant en direction de Margar.

« C’est pas tout ça, mais j’aimerais bien dormir, moi. Bonne nuit. »

Les autres l’imitèrent rapidement, et finirent par laisser Margar seule avec le drascore. Ce dernier ne montra pas la moindre agressivité et fureta entre les tentes pour trouver l’endroit le plus confortable où s’endormir, mais la scientiste savait déjà qu’elle resterait de garde toute la nuit. Comme si elle pouvait arriver à fermer l’œil avec ça à côté de sa tente !

***
Les jours suivants, Margar ne quitta pas sa pioche. Elle tenta aussi de lui bricoler un revêtement, pour pouvoir l’utiliser par des températures moins clémentes qu’à Port-Nuage, mais préféra finalement se fabriquer des gants rembourrés. Ils étaient trop chauds, mais entre ça et rester désarmée à proximité d’un drascore, le choix était vite fait.

En plus, une pioche était une bonne arme, que la scientiste pensait capable de percer l’épaisse carapace de cuticule du drascore même au niveau de sa tête. Elle profita de la longueur des journées de marche pour se familiariser avec son équipement et s’entraîner comme elle pouvait à viser un point précis. Au hasard, un œil. Un œil c’était bien.

Ce comportement de survie élémentaire lui attira l’amusement des oraciles, et un certain nombre de remarques sarcastiques. La plupart étant bon enfant, elle se fit bientôt un plaisir d’en rire.

Quant au drascore, qui était après tout le principal concerné, il prit grand soin de toujours marcher devant la scientiste. Selon les explications de Sòrkat, il agissait ainsi pour ne pas la voir et ne pas être tenté de la défier.

« Et donc vous êtes vraiment convaincus d’avoir endormi les pulsions sanglantes d’un drascore rien qu’en lui parlant de paix.

— Je suppose que le contraire sera prouvé quand il attaquera quelqu’un… »

Elle ne savait pas trop s’il fallait voir de la fourberie ou une tentative de diplomatie dans cette façon de ne pas la mentionner directement.

D’une certaine façon, c’était néanmoins un certain soulagement de voyager en compagnie de ce monstre. Margar ne tenta à aucun moment de s’approcher pour vérifier ou préciser, mais le drascore portait (ou plutôt ignorait) des balafres marquées, et pas toutes du même âge. Il avait survécu à plusieurs années des combats omniprésents dans son espèce ; en fait, la scientiste arriva à la conclusion que la nuit où il avait rejoint les oraciles, il venait de gagner des cicatrices fraîches en perdant son territoire contre un congénère et cherchait donc quelque chose sur quoi se passer les nerfs.

Et elle, elle lui faisait confiance pour perdre son calme relatif aussitôt que la colonne rencontrerait la moindre menace. Les drascore n’étaient pas connus pour leur tempérament paisible et conciliant : en face d’un danger public comme celui-là, un prédateur y réfléchirait à deux fois avant de s’en prendre aux oraciles.

Ça ne l’empêchait pas de garder une main sur sa pioche même en dormant. Une résolution qui ne fit que se renforcer au fil des jours : les regs étant un peu moins inhospitaliers que le désert, la colonne commença à croiser d’autres pokémons en approchant de sa première destination. Même en face d’un bloc de crabaraques, l’encombrant garde du corps des oraciles n’hésita pas à charger dans le tas. Ce jour-là, il fit honneur à ses cicatrices en réduisant plusieurs rochers en miettes. Les crabaraques n’insistèrent pas et allèrent chercher d’autres géolithes à gober.

À force de marcher, la colonne atteignit un jour un premier reg. Au premier coup d’œil sur l’étendue de graviers plates et morne, Margar sut que cela n’irait pas.

« Trop de basalte, commenta-t-elle. On n’a que peu de chance de trouver de la célite ici. »

Elle avait attiré l’attention d’à peu près tous les oraciles en vérifiant la roche. Le drascore, qui pour une fois ne l’ignorait pas, eut l’air intrigué de la voir prendre les rênes de l’expédition sans aucune contestation. Elle songea qu’il devait la prendre pour une dominante, ou un équivalent, et ne montra rien de la nervosité que le pokémon continua de lui inspirer.

« Alors on fait demi-tour ? demanda Sòrkat.

— Pas forcément. C’est peut-être un reg sédimentaire bordé de basalte, ce serait bête de se tromper. Je suis d’avis de le traverser, et s’il s’avère volcanique, de continuer vers le plus proche.

— À peine quelques mois de marche en rab ! s’amusa l’oracile. Ça impressionne quelqu’un ? »

La question était posée sur le ton d’une plaisanterie, mais les mines sérieuses des oraciles lui donnèrent une importance qui intrigua Margar. C’était comme s’ils étaient tant attachés à leur Pic qu’ils rechignaient à s’en éloigner trop longtemps, et les réponses qui finirent par êtres données ne firent rien pour contredire cette pensée.

« Ça ira, se prononça l’une des oraciles les plus âgés. Rentrer à la maison ne sera que plus appréciable. »

Les autres acquiescèrent, en silence. La scientiste se sentit mal à l’aise en notant qu’ils avaient déjà tous les traits creusés par la fatigue, bien que la journée ne soit pas particulièrement avancée. Il y avait décidément quelque chose d’intriguant avec ce peuple capable de miracles, et d’assez inquiétant.

***
Il était donc possible d’empoisonner une vingtaine d’oraciles sous leur nez, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Margar ne savait pas trop si elle devait se sentir réjouie ou affligée par son succès.

Plus tôt dans la journée, ils avaient découvert une plaque de célite dans le plateau rocheux. Elle avait fait son possible pour limiter les espoirs quand elle avait annoncé que ce second reg était sédimentaire, mais une fois la présence de leur but confirmée, elle-même s’était jointe à la joie des autres. Elle ne partageait certes pas leur envie de plus en plus grande de retrouver leur Pic, ni la lassitude qui avait miné leurs coups de pioche tout l’après-midi, mais il y avait quelque chose d’enfantin dans cette liesse, et elle y avait sincèrement répondu.

Puis elle avait annoncé, d’une voix hésitante comme si elle fouillait ses souvenirs, qu’elle empoisonnerait la colonne au soir tombé.

« Ça mérite d’être fêté ! Je vais essayer de me rappeler la recette d’une infusion que nous préparait l’Alchimiste d’un village où j’ai vécu, Yspèri… Il me semble que les quelques essences que nous a offertes celui de Psodelle suffiront, ce serait bête de rater l’occasion. »

L’offre avait été accueillie avec enthousiasme. S’ils avaient su ! Elle avait sélectionné ces essences elle-même lors de leur escale à Psodelle, avec autant de pragmatisme froid qu’en choisissant le village d’Yspèri. Un Alchimiste mort n’irait pas clamer qu’elle avait appris sa recette de somnifères auprès de ses parents.

L’après-midi avait été laborieux, occupé à réduire de larges pans sédimentaires en rocaille que Margar puisse examiner de près. Le gisement était abondant, et à la surprise générale après ce mois et demi d’expédition, il avait suffi de la journée pour remplir les sacs étanches qu’ils ramèneraient au Pic. La scientiste se dit qu’ils auraient pu en prévoir plus : l’excavarenne de bât, le seul des oraciles à être doté de la Force Lourde, ne fut incommodé par la demi-tonne de célite qu’on chargea sur son dos qu’au point de bailler, de s’étirer un peu, puis de se gratter furieusement une oreille. S’il avait appris à se battre, il aurait sans doute pu dépasser le drascore qui suivait toujours l’expédition. Au moins en termes de force pure.

L’après-midi avait été laborieux et propice à émousser l’attention… Aucun oracile ne se méfia de la tisane de la scientiste. Une fois la nuit venue, ils dormaient tous comme des masses. Margar rassembla ses affaires, la pioche exceptée (elle ne pourrait pas la garder dans un village), et partit, dans la nuit. Comme une voleuse.

Le drascore lui fit une petite frayeur, en se trouvant sur son chemin. Mais il ne l’embêta pas : en un petit mois de marche, les oraciles l’avaient complètement dompté. Il se contenta de la regarder sans malveillance (c’était bien la première fois), puis de détourner les yeux et d’aller observer le ciel à l’autre bout du campement. Comme s’il la comprenait.

Elle ne se retourna pas. Elle marcha dans le sable couleur d’obsidienne sans ralentir, souhaitant mettre au plus vite la plus grande distance possible entre elle et les oraciles. Elle leur avait laissé la recette de la dynamite qu’ils faisaient semblant de vouloir, ils n’avaient plus besoin d’elle. Elle n’avait jamais eu besoin d’eux. Elle en fut presque un peu surprise quand elle s’arrêta après un kètre, toujours sans se retourner, mais comme si elle regrettait.

Les pensées se bousculaient dans son crâne, plus qu’il n’y en avait besoin pour marcher.

Elle se rappela ces excavarennes auxquels elle avait comparé les oraciles. Plus légers qu’elle, tout comme l’Oracilis aurait pu être éradiqué bien plus facilement que le Sèmèrès, et pourtant d’une force prodigieuse. Elle pensa au drascore : il lui sembla que les oraciles l’avaient adoucie, atténuée, de la même façon qu’ils avaient assagi le prédateur sanguinaire. Parce qu’elle était en train de revenir sur ses actions, comme si elle comptait faire demi-tour.

De fil en aiguille, elle en revint à ces quelques mots que Sòrkat avait prononcés au début de l’expédition, et qui l’avaient plongée dans une confusion semblable. Elle se souvenait de la moindre intonation. Pourquoi, avait-il dit, voudrais-tu qu’un peuple qui a les mots pour seules armes ne s’en serve pas ? Elle avait douté d’elle-même, à l’époque, puis avait enfoui la question en elle et n’y avait plus repensé. Le doute avait germé comme un Arbre au cœur du désert, et elle contemplait ses fruits sans comprendre comment elle devait l’abattre.

Elle se retourna.

Cela l’aida à mettre des mots sur ce qui la taraudait. Il y avait quelque chose qui la reliait à ce campement, à ce peuple, à ce Pic. Quelque chose qu’elle n’avait pas tranché avant de partir, et qui résidait en elle-même. Peut-être un doute, peut-être un oubli : les deux vrais démons du Sèmèrès, plus réels et plus terribles que les Guerriers ou les oraciles ne le seraient jamais. Mais peut-être pas.

Peut-être une idée, une certitude qu’elle n’avait pas encore mise en mots. La question de Sòrkat était innocente ; c’était une façon de jouer sur les mots, d’énoncer une vérité pour admettre qu’il n’avait pas de réponse à ce qu’elle avait dit juste avant. Elle n’avait plus aucune idée de ce que c’était. Aucune importance : la vérité était aussi la sienne. Le Sèmèrès avait ses mots et ses connaissances pour seules armes, et il ne s’en servait pas.

Et elle qui avait toujours refusé de partir, de fuir vers les royaumes côtiers pour échapper à ces Guerriers qui avaient les armes pour seuls mots, elle qui avait toujours cru en une nouvelle génération de scientifiques qui apprendraient la science d’une façon formelle et lui rendraient toute sa solidité, les démonstrations qui transformaient les intuitions en vérité… Elle avait toujours voulu transmettre son savoir. Elle ne l’avait jamais fait. Elle s’était convaincue que c’était un manque de chance, mais c’était hypocrite : elle n’avait jamais rien tenté pour forcer la chance.

La froideur de la nuit vint souligner la cruauté de ses pensées pour elle-même, une brise joueuse agitant son turban. Elle pouvait rentrer au camp. Elle pouvait admettre son demi-tour. Elle pouvait dire : « je me suis trompée ». Les mots seraient amers, mais elle ne les dirait jamais qu’à elle-même, et elle n’avait qu’un pas à faire pour que son corps habitué à la marche la reconduise au milieu des autres tentes.

Au milieu de ces gens dont elle ne comprenait presque rien, qui occupaient leurs journées à manier les mots, et à côté desquels elle ne parvenait pas à se faire une place. Au sommet d’une montagne où elle devrait lutter chaque jour, contre elle-même et contre les autres, pour s’adapter à une vie qui n’était plus la sienne.

Mais était-ce différent des mensonges qu’elle entretenait savamment quand elle habitait un village ? Elle n’aurait pas su dire. Elle avait l’impression d’avoir entraperçu en une nuit de quoi alimenter une vie de réflexion et de travail sur elle-même. Et si elle se doutait que c’était beaucoup dire, elle savait tout de même que retourner au campement, ce serait s’engager envers elle-même, pour ne jamais se laisser à nouveau enliser dans la vie passive, absente, qu’elle avait menée avant d’être convoquée au Pic.

« Oh, et puis merde. »

Comme si elle avait le choix.

***
« Huit cent cinquante krammes de dynamite ? Ban sang, Margar, mais il y aura de quoi faire sauter tout le désert !

— Non. Détacher le sommet d’un contrefort du Pic, à la limite, mais ce serait déjà une gageure. Je vous l’ai survendue, cette dynamite.

— Ce n’est pas vraiment une surprise, je pense que tu t’en doutes…

— Bien sûr, oui. Ceci dit… Je me dis depuis quelques jours que j’ai peut-être été un peu rapione avec toi, Sòrkat. Toute cette affaire de tenter de… d’ausculter le Pic et l’Oracilis, de vous poser des calculs impossibles… Ce n’est pas très digne d’une invitée. »

Il la regarda d’un air déçu, qui invoqua en elle une pointe de fureur difficilement réprimée. Puis elle comprit son erreur, quand il répondit d’une voix triste à cet aveu inattendu.

« J’ai manigancé cette expédition en espérant réparer une partie des crasses que je t’ai faites, et c’est toi qui as fait le premier pas… Des fois, je me fais honte. Enfin— oublie la dernière phrase. Je t’ai mal jugée en te faisant venir au Pic, Margar : je t’ai cru aussi habituée que nous autres aux pugilats à mots couverts, et je t’ai entraînée sans avertissement dans les luttes de pouvoir du conseil. Pas très digne d’un hôte.

— Ça mériterait que je fasse une considération sur ma tendance à donner le change, mais j’ai pas non plus envie de passer la journée à échanger des excuses. On aurait plus vite fait d’essayer de dépasser les clivages de nature morale et théologique…

— Hum, oui, intéressante proposition. Il faudra que tu nous refasses de cette tisane, elle ferait des ravages sur le Pic.

— … Salopard.

— Merci, c’est naturel. »