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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 03/02/2021 à 08:29
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:10

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 17 : La colonne
« Au fait, Sòrkat, demanda Margar comme si c’était normal de ne s’adresser à quelqu’un qu’après deux heures de marche en silence. Je me demandais : y a-t-il beaucoup de contes qui n’aient pas perduré dans le désert ? »

La règle absolue quand on tentait d’empoisonner quelqu’un, c’était d’endormir son attention. Elle avait beau avoir passé le mois le plus usant de sa vie, Margar savait tout de même adoucir les angles et faire mine d’apaiser la tension. De toute façon, sans ça, difficile de survivre longtemps dans un désert prétendant que la science menait au conflit.

« Comment ça ? »

L’oracile, pour autant qu’elle puisse voir, était désarçonné par la question. Elle était remontée à sa hauteur, dans le petit cortège d’oraciles progressant sur le sentier de gravier, spécialement pour la poser. Depuis qu’ils avaient quitté Port-Nuage, ils avaient descendu les deux tiers de la montagne. Ils avaient vite eu besoin des lourds turbans de voyage, protégeant la tête contre le sable et le soleil.

« Le conte que tu as donné pour convaincre le conseil, précisa Margar. Je ne l’avais jamais entendu, j’imagine qu’il a été répandu avec les autres, mais que seul le Pic en a gardé la mémoire ? »

La compréhension illumina le visage de Sòrkat, avant qu’il ne parte d’un rire franc.

« Absolument pas ! corrigea-t-il en souriant. Les quelques contes que nous avons répandus il y a douze mille ans ont été sélectionnés pour leur capacité à rester bien implantés, et pour l’utilité de leur morale. À l’époque, ça a demandé une certaine masse de travail : nous nous sommes rendus compte que créer un conte de toutes pièces n’était pas si facile. D’ailleurs, l’Ordre n’a réussi qu’une seule fois.

— La légende d’Oghonek, hein ? ironisa Margar.

— Exactement. Dis-toi que c’est celui pour lequel ils ont le plus bridé leurs tendances à raconter des histoires épiques !

— Et moi qui croyais qu’ils cherchaient simplement à se mettre en avant…

— Oh, c’est un bonus non négligeable, sourit un Sòrkat sarcastique. Mais fondamentalement, leurs contes leur servent à pallier un certain manque.

— Ils ont des besoins ? fit mine de s’étonner la scientiste. Pas croyable !

— Eh si ! »

C’était à croire qu’il n’y avait eu aucun coup en traître entre eux pendant le long mois et demi précédent (déjà presque un mois et demi). L’oracile semblait prendre plaisir à maltraiter un peu l’Ordre, ce qui n’étonnait pas spécialement Margar vu sa rivalité avec l’Oracilis.

« Beaucoup de Guerriers entrent dans l’Ordre poussés par des rêves de gloire, reprit Sòrkat. Ils déchantent vite : l’Ordre, c’est de la poussière, des crampes et des journées interminables à rester accroupi sur le dos d’un Démon en priant pour ne pas s’écraser dans une dune.

— J’aurais pas dit mieux. J’ai pas tenu une semaine sur le dos de ce satané dragon.

— C’est déjà respectable, crois-moi… En tout cas, les contes de l’Ordre les aident à se réconcilier un peu avec la sévérité absolue de leur vie. Au bout d’un moment, ils perdent tous leurs illusions et ne racontent plus leurs contes que comme on dirait un fait divers, en plein campement.

— Ça n’a pas dû améliorer leur réputation de statues vivantes…

— Ça non. Mais ils aiment jouer avec leur image. C’est pratiquement la seule communication qu’il leur reste avec le désert ; à force de se dévouer à le protéger, ils vivent une vie trop différente.

— On compatirait presque, ricana Margar.

— Presque ? s’étonna Sòrkat. Tu as le cœur trop tendre, dis donc ! »

Ils partagèrent un éclat de rire mal intentionné, parce que ça faisait du bien de pouvoir dire ouvertement du mal de quelqu’un, d’évacuer la tension qu’eux deux avaient générée depuis l’arrivée de Margar sur le Pic.

Mais aucun d’entre n’était dupe, et sans doute personne dans la colonne. Margar et Sòrkat continueraient de s’affronter, à cause de leurs modes de pensée complètement opposés. Simplement, désormais, ils y mettraient plus de formes : presque un combat impersonnel, en tant que représentants de l’Oracilis et du Sèmèrès. Ce serait sans doute plus viable, pensa la scientiste.

« Ceci étant dit, nuança Sòrkat. Je dois quand même reconnaître une grande qualité à l’Ordre. Aussi longtemps qu’ils joueront à qui fait le plus peur entre eux et leurs Démons, aucun d’entre nous ne finira esclave dans les royaumes côtiers. Et c’est quand même une sécurité agréable.

— Je ne sais pas si les côtiers pratiquent l’esclavage, commenta Margar. Mais oui, l’Ordre a ses avantages. »

L’oracile haussa un sourcil, ne s’étant pas attendu à un tel avis de la part d’une scientiste. Margar ne s’en soucia pas : pour être honnête avec elle-même, elle ne mentait pas en parlant de compassion. Elle ironisait, bien sûr, mais elle avait vu de près ce que pouvait vivre quotidiennement un Guerrier ayant donné sa vie entière au désert, et ayant participé à la guerre. Vingt ans plus tôt.

Elle avait mis deux mois à comprendre ce qu’elle avait eu sous les yeux, et elle savait qu’il aurait été inhumain de ne pas compatir. Elle pouvait seulement ignorer le petit soupçon de culpabilité qui lui demandait pourquoi elle n’avait rien fait, quand elle avait pu. Il n’y avait sans doute rien à faire, de toute façon. On ne soignait pas le pied d’un homme s’étant amputé.

« Pour en revenir au conte dont tu parlais, reprit un Sòrkat vaguement gêné. En fait, c’est devenu un sport national de l’Oracilis d’inventer des contes, d’essayer de plus ou moins les adapter aux situations de notre quotidien. Tu auras remarqué que nos débats théologiques peuvent être mouvementés…

— Ça oui ! lança Margar. L’occupation idéale pour des vieillards d'un siècle ! »

Le soi-disant vieillard de quatre-vingt-dix ans eut un rictus, mais avala le dunaja.

« Je ne chercherai pas à t’expliquer pourquoi ça nous intéresse autant, du coup… plaisanta-t-il avec aplomb. Mais quoi qu’il en soit, utiliser un conte bien construit dans un débat est généralement apprécié. En plus, c’est bien plus efficace que de simplement énoncer des faits. Cela faisait quelques jours que je préparais celui-là.

— Je vois, commenta Margar sans avoir l’air impressionnée. Eh bien, le moins que je puisse admettre, c’est que ça a été efficace.

— À vrai dire… Dans mon cas, je dois reconnaître que l’effet est un peu faussé. Tu as certainement remarqué que je me contredis tout le temps ?

— Pas du tout !

— C’est ça, oui. C’est pour empêcher les autres de me contredire facilement. Mais du coup, quand c’est moi qui dis un conte, difficile d’en déduire que les contes sont de bons arguments.

— Tu parles ! Vu le caractère stupide qu’il y a à se contredire soi-même, je suis d’avis que les contes doivent plutôt être sacrément utiles. Ce qui m’inquiète vraiment là-dedans, c’est l’usage de la méthode scientifique ! »

Un rire incontrôlable agita l’oracile, une nouvelle fois. Il lui fallut une bonne nute pour se calmer, sans prêter attention à une Margar drapée dans sa suffisance.

« La Science n’a pas l’apanage de la logique, Margar ! se moqua l’oracile. Elle a seulement celui du pragmatisme le plus inébranlable.

— Net avantage évolutif s’il en est.

— N’empêche que cela devrait te mettre la puce à l’oreille qu’un oracile soit à l’aise avec ce genre de concepts.

— Pourquoi donc ? Si le Sèmèrès a conservé le savoir de l’Ancien Monde, je ne vois pas ce qui en empêcherait l’Oracilis. Si ça se trouve, vous êtes une branche qui s’est séparée du mouvement principal et installée sur le Pic Rocheux. »

Elle avait dit cela au hasard et d’un ton badin, mais à voir l’air impressionné de Sòrkat, elle devait avoir eu le sarcasme chanceux.

« Ce n’est… pas éloigné de la vérité, admit l’oracile. Et vivre sur les hauteurs du Pic nous a fait changer, au cours des millénaires. »

Il sut tout de suite, à voir l’air tenté de Margar, qu’elle s’apprêtait à lancer une nouvelle pique blessante. Et il s’autorisa une courte inspiration, un instant de raidissement ; il prendrait sur lui. Parce que lui aussi cherchait à amadouer son adversaire. Parce que lui aussi préparait quelque chose.

Elle le devina, et se décida machinalement à attaquer. Mais cela manquait de conviction.

« Ah, oui, dit-elle. On appelle ça la consanguinité.

— Qu’est-ce que c’est que cet air ennuyé ? riposta Sòrkat. On dirait un guérisseur inquiet de l’état de son patient !

— Et puis quoi encore ? bâilla Margar pour s’éloigner de ce sujet glissant. De quoi parlions-nous, déjà, avant ces absurdités… Les contes, non ?

— Pas du tout.

— Je reste assez intriguée par cette idée d’expliquer un concept, une position, un argument, par un conte. Je sais bien qu’ils ont une morale, et ce n’est pas un secret pour grand-monde que l’Oracilis a littéralement donné sa forme au désert en y plantant ses contes, mais tout de même. Ça fait particulièrement pragmatique et instrumentalisé.

— Pourquoi voudrais-tu qu’un peuple qui a les mots pour seules armes ne s’en serve pas ? »

Margar resta perplexe un moment, soufflée par cette réponse cruelle. Il y avait tant de discours dans cette simple phrase ! Une première interprétation, évidente, se basait sur l’inexactitude évidente de cette affirmation. Elle avait vu les compétences des oraciles, leur capacité à accomplir ce dont ils n’auraient pas dû être capables. Un colosse comme ce Karintas qui soulevait sans ciller des blocs d’Acier deux fois plus lourds que lui était aussi dangereux que la plupart des prédateurs du désert, même sans autres armes que ses poings.

Ce que disait Sòrkat était faux, ou incomplet. L’Oracilis n’était pas désarmé, il ressemblait plutôt aux excavarennes laitiers : inoffensifs en apparence, et parfois capables de jeter en l’air vingt fois leur poids sans verser une seule goutte de sueur. Alors Sòrkat essayait-il de l’embrouiller, par une phrase sans sens ? Cela en ferait une arme et la rendrait vraie, si tant est qu’une question pouvait être vraie. Mais il fallait plus qu’un paradoxe pour bloquer la scientiste.

D’un autre point de vue… Cette question laissait penser qu’il était inutile d’armer l’Oracilis ou de défendre le Pic. Que la guerre dont ils brandissaient la menace, sans plus l’avoir précisée (et elle regretta de ne pas avoir demandé d’éclaircissement) soit perdue d’avance. Mais c’était également absurde : l’oracile venait d’affirmer que l’Ordre ne perdrait aucune guerre. Fallait-il en déduire qu’il affirmait simplement que sa domination sur le désert devrait perdurer, et que l’Oracilis la préserverait ? Auquel cas inviter une scientiste sur le Pic ne faisait aucun sens ; ce qui ne changerait pas grand-chose.

Et puis elle pouvait aussi se voir elle-même, dans cette question indiscrète. Le Sèmèrès ne manipulait pas que des mots, mais ses concepts étaient sa seule arme. Margar ne comptait-elle pas improviser un somnifère pour échapper à la surveillance des oraciles, une fois dans le désert ? D’une certaine façon, Sòrkat lui demandait comment elle pouvait se contenter de réviser ses connaissances, sans les transmettre. Comment elle pouvait avoir fait la paix avec l’idée d’être si dévouée à sa cause qu’elle n’aurait peut-être jamais d’enfants auxquels la transmettre. Une possibilité qui se rapprochait d’année en année.

« J’ai l’impression de t’avoir mortellement blessée, s’amusa Sòrkat. Ce n’était pas mon intention, et je m’en excuse.

— Bah, accepta Margar. Cela te donne raison, en fait. Si une seule question est plus efficace qu’un discours, qu’est-ce que ça doit être pour les questions qu’un conte pousse à se poser soi-même ?

— C’est l’idée, oui, approuva paisiblement l’oracile. Un argument qui transmet ce qu’on ne peut pas dire. »

Par la suite, la scientiste resta silencieuse. Elle continuait de méditer sur cette idée de conte, et sur cette question si cruelle et si troublante, et pourtant peut-être seulement rhétorique. Mais qui fallait-il être pour avoir le cœur de poser une question aussi cynique comme des mots jetés en l’air, sans importance ?

La colonne entra dans le désert, cheminant tranquillement vers le reg le moins lointain.

***
La pile de déchets noircis rougeoyait indistinctement, comme si tout n’avait pas encore brûlé et qu’une chaleur fantôme en faisait encore palpiter le cœur. Impossible de rien reconnaître parmi les structures tordues, les éclats de verre, les taches chimiques aux couleurs vives et les amalgames de matières fondues.

« On contourne, annonça Margar. Et j’aimerais autant contourner de plusieurs kètres. »

Les oraciles se tenaient en retrait sur la crête, un peu intimidés par la brutalité sombre et silencieuse de ce monticule noir posé au creux de deux dunes. La scientiste elle-même n’était descendue que de quelques pas, machinalement.

« Ça peut être encore dangereux ? demanda Sòrkat.

— Aucune idée. À vue de nez, il devait y avoir une vingtaine de scientistes dans ce laboratoire : ça peut vouloir dire des expériences assez compliquées, donc peut-être quelques produits dangereux. De toute façon le tout a été brûlé ; mieux vaut craindre des vapeurs toxiques que les respirer.

— Logique. »

La colonne redescendit son côté de la dune, et s’attaqua à la tâche malcommode de contourner la pile de cendres en restant dans les vallées. La progression, au pied des géants de sable, n’était pas beaucoup plus difficile : chaque pas s’enfonçait simplement un peu plus dans le sable. Cela ne faisait la différence que sur de longs voyages. Ce qui était véritablement usant, c’était l’impression d’être complètement aveugles, de ne rien voir venir de l’horizon.

Dans chaque voyage, on croisait forcément, à un moment ou un autre, un prédateur dont on pouvait distinguer la présence de loin, par un nuage de poussière ou par un mouvement indistinct. Il fallait alors descendre entre les dunes, et progresser caché pendant un bon moment. On n’était plus visible et on ne voyait plus. Personne n’aimait voyager en bas.

Après une petite dizaine de nutes, la colonne arriva devant un nouvel obstacle. Un village, caché dans les vallées, et déserté par les maracachis autour desquels il s’était établi. Sur les dunes, le sable affichait de profondes marques de lacération. Un laboratoire, récemment attaqué. Celui dont l’équipement avait été laissé en flammes non loin.

« Au fait, déglutit Margar. Ça se passe comment, en temps normal, quand une expédition d’oraciles croise des Guerriers dans le désert ?

— Ils évitent de nous embêter, assura Sòrkat. Il y a eu quelques incidents, mais ça remonte à des millénaires, et à force de les ignorer, on a fini par leur faire comprendre qu’ils avaient besoin de nous.

— Rassurant… »

Les voyageurs avancèrent, sans que rien ne se passe.

Un large cercle balafrait les dunes, tout autour du village. Il avait été tracé par des carchacroks, ce qui avait au moins épargné aux villageois la charge habituelle. Çà et là, l’œil distinguait aussi des traces de pas hâtifs et confus dans le sable, indiquant probablement des combats à pied. C’était à se demander si c’était vraiment l’Ordre qui avait attaqué ce laboratoire… mais le brasier éteint, à une dune de là, ne laissait pas vraiment en douter.

Avec une pointe d’ironie, la scientiste songea que cette drôle de dévastation était peut-être le fait de Gorbak. Une chance sur deux mille, mais le fait d’avoir évité une charge directe ne pouvait que la faire penser à l’ancien protecteur de son village, à la tête trop chargée de mauvais souvenir de combats. Il y avait quelque chose de perturbant à penser qu’un homme aussi calme ait pu prendre d’assaut tout un laboratoire et en faire disparaître les habitants… mais, une fois encore, l’étrangeté venait peut-être du calme anormal qui régnait.

Les tentes étaient vides, leurs pans commençant déjà à se charger de sable. Sans entretien, un village était vite avalé par le désert ; il y avait quelque chose de sinistre à traverser celui-là. Dans l’obscurité de chaque tente, il semblait à Margar qu’un confrère l’épiait, lui demandait ce qu’elle faisait au milieu d’un groupe d’oraciles.

« La plupart des traces sont récentes, observa-t-elle à voix haute pour se forcer à chasser ces impressions en sortant du village. L’attaque doit dater de trois ou quatre jours, pas plus.

— Et les Guerriers qui sont passés ici sont à mi-chemin de l’autre bout du désert, commenta Sòrkat. J’ai envie de dire bon débarras. »

La pique arracha quelques sourires aux oraciles mal à l’aise. Ce fut assez pour atteindre la vallée suivante, et laisser derrière eux le village abandonné. Margar en profita pour estimer qu’il était possible de remonter sur les crêtes, et la colonne poursuivit son voyage silencieux.

La nuit venue, la scientiste réclama une fois de plus le premier tour de garde. Comme tous les nomades, les oraciles établissaient leurs campements au pied des dunes : cela empêchait leur odeur de se propager trop loin et réduisait la distance à laquelle une meute de démolosses pouvait les repérer. Cela voulait aussi dire qu’il fallait des guetteurs, de préférence dotés d’un œil perçant.

Au moins, se disait Margar, les oraciles n’auraient sans doute pas de difficultés à se défendre d’une attaque, même s’ils étaient bien les seuls nomades avec lesquels elle avait voyagé à ne pas transporter de lances. Un simple pieux de bois valait toujours mieux qu’un poing, pour elle.

Et elle tirait une satisfaction marquée à l’idée d’avoir un meilleur œil que la plupart de ces gens pourtant un peu trop pleins de ressources. Contrairement à eux, elle avait l’habitude de voyager, restait facilement éveillée longtemps, et pouvait se contenter de la lumière des étoiles pour distinguer un mouvement. Aussi se proposait-elle systématiquement pour le premier tour de garde, sans rencontrer beaucoup de résistance. Le moins voulu était pourtant le second, qui exigeait de se réveiller en pleine nuit. Cependant, les oraciles n’avaient pas tellement l’air d’en souffrir, alors que le voyage lui-même les rendait plus apathiques qu’au Pic.

Surtout, la scientiste appréciait d’être pendant un temps la seule éveillée de la troupe. Cela lui laisserait tout simplement le champ libre pour s’éclipser, le soir où elle pourrait ajouter discrètement un somnifère dans l’outre de lait d’excavarenne qui tiendrait pratiquement lieu de repas complet. Et son esprit méthodique appréciait de pouvoir se raccrocher à cette certitude sans devoir constamment la vérifier.

La nuit entama son froid passage sur le monde, en silence et sans un mouvement.

Margar avait veillé ainsi des centaines de fois. Avec le temps, on perdait le réflexe de s’endormir, on restait attentif, dans le noir, guettant silencieusement un geste. Elle n’en était pas au stade où elle ne pensait pas à sa journée, et sans doute que personne ne pouvait l’atteindre (encore qu’elle ait quelques doutes sur les Guerriers des Sables). Mais les images du laboratoire enseveli, de ses instruments anéantis, de ses rêves écrasés, dansaient devant ses yeux sans vraiment capter son attention. C’était arrivé, point. D’autre choses pouvaient arriver, de nuit, et elle les attendait.

La nuit passait toujours petit à petit, retardant sans cesse le moment d’aller réveiller un autre veilleur.

Petit à petit aussi, l’attention s’émoussait. Elle s’érodait au contact des étendues interminables de sable, elle se dissipait dans l’atmosphère toujours plus fraîche. Le froid endormait les prédateurs, se disait-on toujours, il ne m’est jamais rien arrivé. Il ne m’arrivera rien cette nuit.

Quand Margar vit la silhouette insectoïde qui courait sur la crête des dunes, à une bonne centaine de mètres de là, elle faillit pousser un juron qui aurait révélé sa présence à la créature.

Un drascore, certainement. Elle ne le distinguait pas, mais elle reconnaissait leur style de course, saccadé et discontinu. Les drascores s’arrêtaient fréquemment pour observer les alentours. Il l’avait certainement déjà vue ; elle se laissa glisser jusqu’en bas de la dune, aussi silencieusement que possible, et fila réveiller les oraciles.