Bienvenue à Lavanville de Xabab

Le sujet de Brume fut abordé pendant le repas du soir. David avait préparé la discussion dans son esprit pendant le trajet vers Lavanville mais n'avait pas soumis l'idée à sa femme, préférant la laisser se reposer.
En vérité le père de Camille était tracassé par son comportement inhabituel. Brume était mort un an avant et sa fille réagissait maintenant comme une enfant qui comprenait tout juste ce que signifiait le deuil et le fait de perdre un être cher. De son point de vue il n'y avait rien de grave, ce n'était que la suite logique des choses et une étape dans la vie de la jeune fille. Malgré tout il comptait lui en parler afin de vivre ce moment avec elle et de l'aider si elle en avait besoin.

« Parle-moi de Brume ma chérie. »
Son père lui avait fait cette demande au moment du dessert alors que sa fille se jetait sur une superbe île flottante dont elle raffolait. Elle ne releva pas tout de suite les yeux mais obéit sans la moindre hésitation. Elle n'aimait pas contredire son père.
Helena toucha la main de son mari et lui demanda d'un regard s'il était sûr de ce qu'il faisait. Ce dernier approuva d'un signe de tête et lui demanda par-là de ne pas s'en faire ; il gérait la situation.

« Que veux-tu savoir sur lui ? demanda la petite de sa petite voix fluette.
– Tout ce que tu voudras me dire sur lui. Je ne veux pas te forcer à tout me dire, je veux juste en savoir plus sur notre ami. »
La petite approuva, reprit une part de dessert et se retourna vers son père.
« Il est venu me voir il y a deux semaines pour me parler de ce voyage. Il disait vouloir me prévenir, il savait que nous serions contactés par la radio et qu'il fallait éviter de s'y rendre. »

David ne répondit pas mais la peur s'infiltra doucement en lui, ce qui semblait être la même chose du côté de sa femme qui reprit le fil de la conversation.
« Si c'est une blague ma belle alors ce n'est...
– Chérie, l'interrompit son mari en posant sa main sur la sienne. Ne dis rien, laisse-moi faire et écoutons Camille. »

Il la rassura d'un regard et elle le laissa faire, confiant. Néanmoins le père n'était pas non plus convaincu par les paroles de sa fille qui avaient le don de l'angoisser. Comment Brume pouvait avoir pu venir la prévenir à propos d'un voyage dont personne ne savait l'existence ?
« Tu es certaine de ce que tu dis chérie ? reprit David. Il est venu te parler de ce voyage gagné à la radio ? Brume, notre Evoli ? »
Elle hocha la tête.

« Il est arrivée pendant la nuit, expliqua-t-elle. J'ai entendu claquer la fenêtre alors que maman était redescendu. Au début j'ai pensé que c'était le vent qui avait fait cela mais j'ai aussi sentit un froid glaciale parcourir la pièce. Puis j'ai entendu sa voix dans ma tête.
– Et tu as compris que c'était Brume. ?
– Non, du moins pas avant de le voir. J'ai senti quelque chose sur mes draps, j'ai eu peur mais j'ai tout de même regardé. C'est là que je l'ai vu. »

Helena trembla mais n'interrompit pas le récit de la fillette qui poursuivit. Son père l'écoutait de son côté avec toute l'attention du monde.
« Il avait changé de couleur par rapport à avant l'accident, ses poils étaient devenus gris et flottaient tout autour de lui.
– Et il venait te prévenir ? répéta son père.
– Oui. Brume venait me dire qu'on courait un très grave danger en allant dans cette ville et que je devais vous en empêcher. Il m'a dit que quelque chose de terrible essayait de nous attirer ici et qu'il n'allait pas tarder à réussir. »

La famille n'entendait plus les murmures des conversations autour de leur table. Que ce soit le serveur qui discutait bruyamment avec deux personnes âgées ou bien cet écrivain renommé qui dînait en tête à tête avec une femme qu'il avait rencontré quelques heures avant. Les parents se concentraient sur le récit de la fillette qui les intriguait mais les effrayait encore plus.
« Pourquoi ne rien nous avoir dit ? demanda cette fois Helena d'une voix plus calme.
– Je ne voulais pas vous inquiéter avec ces histoires. Vous étiez heureux de partir en vacances et ce n'était pas le moment de tout casser. »

Son père laissa un sourire se détacher sur son visage et il tendit sa main au-dessus de la table dans le but de la passer dans les cheveux de sa fille en remerciement. Cette petite était gentille et attentionnée, tout ce que pouvait demander des parents de leurs enfants.
« Ce n'est pas grave, lui glissa-t-il, tu n'as pas à t'en vouloir pour cela. Néanmoins je voudrais te poser une autre question : Brume as-t-il dit pourquoi nous étions en danger ? »

Cette fois-ci la petite ne répondit pas immédiatement et se mit à trembler. Brume le lui avait dit dès la première nuit et elle se souvenait encore de ses paroles qui l'avaient empêché de gagner le sommeil pendant des heures. Elle préférait d'ailleurs ne pas y penser mais son père voulait savoir et elle ne devait pas refuser.
Elle se lança alors.

« Il m'a raconté que cette ville n'existait pour personne depuis des années et que la surface de la terre l'avait oublié. Mais il a rajouté que cela ne durerait pas, que quelque chose se préparait et que nous allions faire partie de ceux qui redécouvriraient cette ville. Il m'a décrit les cris venant de la tour, des ombres sur les murs une fois la nuit tombée et que les morts allaient bientôt se lever. »
Son père trembla mais tenta de garder son calme. Il lui demanda s'il avait dit cela mot pour mot et elle approuva.

« Et comment Brume peut-il savoir tout cela ? demanda cette fois David afin de conclure, prenant désormais très au sérieux l'histoire de sa fille.
– Il le sait parfaitement car il l'a vu. Dès que l'endroit d'où il vient a commencé à s'agiter il est venu nous prévenir pour nous empêcher de venir.
– Et quel est l'endroit d'où il vient ?
– C'est ici, répondit simplement la fillette. Il a franchi la porte de l'autre monde pour me voir, refusant à l'éternité. Tu ne comprends pas, papa. L'Enfer est juste sous cette ville et quelque chose de très mauvais s'y prépare. »
Leur sang ne fit qu'un tour.